Recherches statistiques sur l’aliénation mentale faites à l’hospice de Bicêtre/I/II/Sec 1/Art 5

Art. V. — Professions.

Les résultats que fournit le relevé des professions doivent nécessairement varier suivant les lieux où l’on observe ; ils ne peuvent point être les mêmes à Charenton, où sont admis les individus qui appartiennent à la classe aisée et instruite, et à Bicêtre, asile destiné aux aliénés indigents. Il ne faut point perdre cette considération de vue, lorsqu’on cherche à établir l’influence des professions sur la folie. Un coup d’œil jeté sur le tableau suivant permettra de facilement comparer les chiffres de plusieurs statistiques.

PROFESSIONS. Bicêtre.

Desportes.
Rouen.

De Boutteville.
Nantes.

Bouchet.
Palerme.

Greco.
Turin.

Bertolini.
Turin.

Bonacossa.
Charenton.
Rentiers et propriétaires. 3 21 1 26 » 19 307
Culte, droit, médecine, employés.
129 74 11 63 10 104 264
État militaire. 34 46 9 29 5 78 234
Négoce. 5 30 3 14 5 13 81
Commerce de détail. 109 44 2 29 » 32 131
Arts et métiers. 589 205 36 88 21 125 107
Agriculture. 60 56 40 44 44 233 99
Domesticité. 73 8 3 3 6 22 35
Totaux. 1002 484 105 296 91 626 1258

La catégorie des arts et métiers est celle qui renferme le plus d’individus ; cependant MM. Bouchet, Bertolini, Bonacossa, ont trouvé un plus grand nombre d’agriculteurs. À Bicêtre, à Saint-Yon, à Palerme, les employés et les professions libérales viennent après ; le commerce de détail, l’agriculture, la domesticité, occupent un rang assez variable. Le négoce et l’état militaire comprennent le nombre d’aliénés le plus faible dans toutes. À Charenton, on voit prédominer les rentiers, les professions libérales et l’état militaire. Voici, rangées d’après leur fréquence, les différentes catégories de professions relevées sur les admissions depuis 1831 jusqu’à 1839.

1831-1838. 1839.
Arts et métiers, 1515. 187.
Domestiques, journaliers, 1065. 137.
Culte, arts, médecine, 311. 26.
Commerce de détail, 195. 30.
État militaire, 86. 12.
Négoce, 58. 1.
Agriculture, 22. 11.
Rentiers, 21. 4.

Nos résultats diffèrent peu de ceux que nous avons déjà énoncés. Toujours en première ligne les arts et métiers, parce que cette classe comprend la plus grande variété de professions. Les domestiques et les journaliers en seconde ligne. La troisième comprend, en 1839, 26 individus, parmi lesquels on compte 5 instituteurs, 3 avocats, 3 professeurs, 3 musiciens, 3 architectes, 2 étudiants, 2 écrivains publics, 1 artiste dramatique, 1 médecin, 1 dentiste, 1 clerc, 1 ecclésiastique.

Nous n’avons trouvé que 4 rentiers et 1 seul négociant.

Nous avons voulu connaîre parmi ces différentes catégories les professions qui donnent le plus d’aliénés.

En 1839. En 1831-1838.
Journaliers. 105 Journaliers. 765
Tailleurs. 14 Cordonniers. 168
Cordonniers. 13 Tailleurs. 130
Anciens militaires. 12 Employés. 98
Menuisiers. 12 Menuisiers. 96
Peintres. 11 Militaires. 85
Ébénistes. 10 Maçons. 78
Marchands de vins. 9 Serruriers. 75
Serruriers. 8 Marchands de vins. 69
Cochers. 8 Peintres. 62
M. Desportes. M. Esquirol.
Journaliers. 445 Rentiers et propriétaires. 307
Cordonniers. 161 Soldats. 124
Menuisiers. 101 Officiers. 103
Employés. 97 Cultivateurs. 99
Maçons. 81 Commis de bureau. 83
Serruriers. 66 Marchands et commis. 81
Militaires. 66 Étudiants. 46
Domestiques. 62 Domestiques. 35
Peintres. 61 Épiciers. 31
Jardiniers. 49 Instituteurs. 30

On doit remarquer les trois professions qui se trouvent en tête de notre échelle, les journaliers, tailleurs et cordonniers. À quelle cause attribuer cette prédominance ? M. Lombard de Genève a regardé la vie sédentaire comme une cause efficace de mortalité, et selon lui elle abrégerait la vie d’ 1 an 4/10. M. Esquirol dit qu’elle est la condition ordinaire des individus atteints de folie ; les tailleurs et les cordonniers se trouvent dans cette condition. Peut-on dire de ces professions qu’elles prédisposent à l’aliénation mentale ? Pour établir cette étiologie, il faudrait, comme nous l’avons fait pour l’âge et l’état civil, chercher le rapport qui existe entre le nombre des professions exercées et celui des aliénés qu’elles fournissent : or, ce point de comparaison manque. Après d’infructueuses recherches, nous avons désespéré de résoudre cet intéressant problème. Nous n’avons pu recueillir qu’un seul document à cet égard ; mais il est incomplet, et porte sur une trop faible partie de la population : c’est le tableau des professions exercées par les jeunes gens du contingent de 1824 à 1826, inséré dans les recherches statistiques sur Paris.

Les différentes professions sont réparties ainsi qu’il suit :

Ouvriers en bois. Ouvriers en cuir.
Charpentiers. 26 Bourreliers et selliers. 141
Menuisiers. 337 Cordonniers. 143
Charrons. 28 Autres. 2
Scieurs de long. 4
Constructeurs de bateaux. 1 Ouvriers en pierre.
Autres. 159 Maçons et tailleurs de pierre. 212
Carriers. 33
Ouvriers en fer. Autres. 10
Serruriers. 195 Laboureurs. 52
Forgerons. 5 Terrassiers. 6
Couteliers. 8 Charretiers. 27
Armuriers. 7 Autres. 56
Maréchaux ferrants. 15 Commis et employés. 450
Autres. 134 Tailleurs. 82
Professions diverses. 2778
Rentiers. 128
Sans profession. 158

Et si on les range par ordre de fréquence :

Commis et employés. 450 Tailleurs. 82
Menuisiers. 337 Laboureurs. 52
Maçons. 212 Carriers. 33
Serruriers. 195 Charrons. 28
Cordonniers. 143 Rentiers. 28

Les cordonniers et les tailleurs, placés sur nos tableaux en deuxième et troisième ligne, ne se trouvent ici qu’au cinquième et au sixième rang. Doit-on conclure de là que ces états constituent des prédispositions  ? Nous l’ignorons : nous aimons mieux croire jusqu’à nouvel ordre que la quantité d’aliénés que fournit chaque profession est surtout en rapport avec la quantité d’individus qui l’exercent.

Un relevé fait par nous sur un certain nombre de malades admis à l’Hôtel-Dieu nous autoriserait à adopter cette opinion ; sur 771, nous trouvons qu’il y a :

149 Journaliers. 38 Tailleurs. 24 Domestiques.
45 Maçons. 37 Menuisiers. 21 Peintres.
41 Cordonniers. 29 Boulangers. 20 Serruriers.
14 Marchands en détail. Total. 418

Les 353 autres sont répartis entre 83 professions différentes.