Recherches statistiques sur l’aliénation mentale faites à l’hospice de Bicêtre/I/II/Sec 1/Art 6

Art. VI. — Hérédité.

L’hérédité joue un grand rôle dans l’histoire de la folie, et elle mérite d’être étudiée plus qu’aucune autre prédisposition. Sa fréquence est assez grande, comme on le voit dans le tableau qui suit ; et elle le paraîtrait encore davantage si pour la constater on avait pris au lieu du chiffre des malades admis, celui des causes notées.

Nombre
des cas
où l’hérédité
a été
constatée.
Chiffre
des
admissions.
RAPPORT.
Établissement de M. Esquirol.
150 431 1 sur 02,87
Asile de Dundé.
5 20 1 sur 04
Charenton.
337 1557 1 sur 04,62
Caen.
15 75 1 sur 05
Saint-Yon.
87 570 1 sur 06,55
Salpêtrière.
105 789 1 sur 07,51
Lyon.
62 503 1 sur 08,11
Turin.
128 1066 1 sur 08,32
Turin (M. Bertolini).
17 150 1 sur 08,82
Bordeaux.
27 265 1 sur 09,81
Bicêtre (M. Desportes).
342 3458 1 sur 10,11
États-Unis.
19 196 1 sur 10,31
Palerme.
20 306 1 sur 15,30

Il est difficile sans doute de mettre d’accord des résultats aussi différents, mais ils peuvent à la rigueur être expliqués. Les établissements dont nous venons d’énumérer les relevés statistiques n’étant point destinés aux mêmes classes de la société, on comprendra que les renseignements s’obtiennent avec plus ou moins de facilité et de certitude. À Bicêtre, par exemple, où les aliénés sont la plupart du temps envoyés par la préfecture de police, où ils sont souvent privés de la visite de parents, ou d’amis, ces recherches présentent plus de difficultés que partout ailleurs. Aussi ne nous a-t-il été permis de constater d’une manière certaine l’influence de l’hérédité, directe ou colatérale que 24 fois sur 549 admissions, 1 sur 22,87.

Nous sommes fort éloignés de croire que ce chiffre soit l’expression de la vérité ; nul doute que l’hérédité n’agisse plus fréquemment comme cause prédisposante de la folie, mais c’est tout ce qu’il nous a été possible d’obtenir en interrogeant les parents et les malades eux-mêmes avec le plus grand soin.

Nous avons cherché à déterminer l’importance de cette cause dans chaque forme de délire, et nous n’avons point trouvé de recherches analogues dans les relevés statistiques que nous avons pu consulter. Cette étude doit cependant conduire à d’intéressants résultats.

Nous avons noté l’hérédité :

15 fois dans la manie,
2 dans la monomanie,
4 dans la mélancolie,
3 dans la démence paralytique.
24.

Il suit de là que la manie est de toutes les formes d’aliénation mentale celle où l’influence héréditaire paraît avoir le plus d’action ; on restera convaincu de ce fait, en comparant le chiffre des admissions suivant la variété de délire avec les cas, peu nombreux il est vrai, où l’hérédité a été observée. Il n’en est point de même pour la démence.

M. Piorry, qui a bien voulu nous citer dans sa thèse sur l’hérédité dans les maladies, a fait remarquer qu’il y avait quelque difficulté à pouvoir déterminer son influence dans la manie et la démence, l’une étant souvent la terminaison de l’autre. Nous ne croyons point à la connexité trop intime de ces deux formes de folie. Le plus souvent elles ont une marche distincte, et se dessinent au début d’une manière trop tranchée pour qu’on puisse avoir des doutes à cet égard. Nous reviendrons sur ce sujet dans une autre partie de ce travail. D’ailleurs, en supposant, ce que nous sommes loin de nier, que la démence soit dans quelques cas la terminaison du délire maniaque, nous nous trouvons plus que jamais autorisés à regarder notre première proposition comme bien fondée.

Dans deux cas de démence, les parents avaient été aussi déments, et leur affection dans les deux cas s’était manifestée à la suite d’abus de boissons alcooliques.

Nous aurions désiré pouvoir toujours déterminer avec précision le genre d’aliénation observée chez les parents des malades, mais il est difficile d’obtenir sur ce point des renseignements bien précis.

Sur 24 cas nous avons noté que
8 fois le père avait été aliéné,
6 fois la mère.

Nous ne serons point ici tout à fait d’accord avec M. Esquirol, qui regarde la folie plus transmissible par la mère que par le père.

Chez deux individus, les grands-parents avaient été aliénés.

Quant à l’hérédité en ligne indirecte, nous la trouvons 8 fois chez des oncles ou des tantes.

Plusieurs de nos malades ont eu des frères et des cousins atteints d’aliénation mentale.

On voit surtout des familles dont presque tous les membres, par une singulière fatalité, semblent destinés à devenir fous. Nous avons eu un exemple frappant de cette triste vérité chez un de nos malades qui, dans un accès de manie, s’était précipité par la fenêtre d’un troisième étage ; une de ses sœurs et un de ses cousins s’étaient suicidés, et il avait un autre cousin atteint de délire maniaque.