Recherches statistiques sur l’aliénation mentale faites à l’hospice de Bicêtre/I/II/Sec 1/Art 2

Art. II. — Mois et saisons.

La question de l’influence des saisons est une des plus intéressantes à étudier, et nous tâcherons de rendre sa solution plus complète en examinant séparément les divers genres d’aliénation après avoir considéré les résultats généraux que nous fournira la totalité des aliénés. Plusieurs causes extérieures semblent devoir concourir au développement de la folie : mais l’influence la plus certaine est celle de la température ; nul doute qu’il ne faille lui rapporter tout ce que l’on a dit jusqu’à présent des mois et des saisons. Nous allons donner le tableau des admissions de 1839 ; il fait connaître le nombre des entrées pour chaque mois, et la proportion relative des diverses espèces d’aliénation qui ont été admises. Ensuite, à l’exemple de plusieurs auteurs, nous réunirons les mois en saisons. Nous avons cru devoir placer sur ce tableau les degrés extrêmes auxquels chaque mois le thermomètre centigrade est arrivé.

La première chose que l’on remarque sur ce tableau, c’est que les entrées les plus nombreuses correspondent aux trois mois de l’été ; juillet est en première ligne, août et juin viennent après : ces mois ont été les plus chauds de l’année, la température n’a jamais été au-dessous de 11 degrés, et elle s’est élevée dans les premiers jours d’août jusque à 30°, maximum de la chaleur en 1839. Déjà à la fin de mai, la température dépassait 20° ; aussi le mois suivant, les admissions sont devenues plus nombreuses ; la même chaleur s’étant maintenue en juillet, le chiffre s’est encore élevé ; et s’il a baissé au mois d’août, c’est que les premiers jours seulement du mois ont été très chauds, et que la température de sa dernière quinzaine a été plus basse que celle du mois précédent. Dans le mois de septembre, les admissions ont considérablement diminué ; et cependant, d’après notre colonne, ce mois aurait été plus chaud que les trois qui l’ont précédé, à l’exception de quelques jours du mois d’août où le thermomètre a marqué 30°. Cette anomalie n’existe point, si l’on consulte comparativement, comme nous l’avons fait, la température de tous les mois de l’année. On voit alors que septembre n’a eu que quelques jours de chaleur, et que la moyenne de ce mois a été bien inférieure à celle des trois mois de l’été. Le mois d’octobre a fourni beaucoup d’admissions, la première quinzaine a été plus forte que la seconde, probablement parce que les premiers jours de ce mois ont eu une température de 20°, tandis qu’elle n’était plus que de 4° à la fin. Le même rapport a été observé à toutes les époques de l’année : ce sont les mois de janvier et de février qui ont été les plus froids ; ce sont eux aussi qui ont fourni le moins d’aliénés.

Tableau de 1831 à 1838.
VARIÉTÉS
du délire.
Janvier. Février. Mars. Avril. Mai. Juin. Juillet. Août. Septembre. Octobre. Novembre. Décembre. Totaux.
Manie aiguë. 93 76 82 94 125 129 138 114 99 100 93 74 1217
Manie intermittente. 13 14 18 13 16 23 26 22 20 18 14 25 222
Manie raisonnante. 2 4 » » 1 » 2 » » » » » 9
Manie chronique 23 22 18 24 21 37 15 30 23 29 32 23 297
Monomanie. 3 9 1 5 5 4 8 9 4 4 12 7 71
Monomanie suicide. » 1 1 2 7 7 2 3 4 7 3 » 37
Lypomanie. 10 » 8 4 4 8 9 5 11 6 2 6 73
Stupidité 2 1 4 1 2 1 1 4 1 2 4 » 23
Démence. 24 24 23 34 29 25 25 25 40 22 18 18 307
Démence paralytique. 47 32 44 46 55 38 51 53 46 46 39 27 524
Imbécillité et idiotie. 19 15 13 20 12 15 14 17 10 9 22 11 177
Épilepsie. 33 34 45 44 24 36 35 43 37 39 32 31 433
Totaux. 269 232 257 287 301 323 326 325 295 282 271 222 3390
Même tableau divisé par années.
ANNÉES Janvier. Février. Mars. Avril. Mai. Juin. Juillet. Août. Septembre. Octobre. Novembre. Décembre. Totaux.
1831 30 33 31 31 28 46 31 45 40 26 30 35 406
1832 43 35 35 40 59 51 38 35 29 36 29 41 471
1833 42 41 28 29 30 39 37 32 44 43 34 31 430
1834 34 22 29 48 53 36 46 53 40 50 38 42 491
1835 48 38 48 48 44 51 50 43 43 35 37 33 518
1836 39 32 42 49 62 56 57 39 41 42 41 36 536
1837 37 48 45 50 44 47 53 52 40 43 56 42 557
1838 36 28 39 36 49 52 32 72 47 52 39 40 522
Totaux. 309 277 297 331 369 378 344 371 324 327 304 300 3,931

Sur toutes les années réunies, nous voyons que le maximum des entrées correspond au mois de juin, ensuite vient le mois d’août, puis mai et juillet en quatrième ligne ; ce qui n’est nullement conforme au résultat de notre année. Ici, comme pour 1839, le minimum répond en février. Mais si nous considérons maintenant chaque année en particulier, nous trouvons pour le maximum et le minimum les plus grandes irrégularités : ainsi, le maximum est en juin pour 1831 et 1835, en août pour 1834 et 1838, en mai pour 1832 et 1836, en juillet pour 1837, et en septembre pour 1833. On voit cependant qu’il correspond presque toujours aux mois les plus chauds. Quant au minimum, il offre les mêmes anomalies, mais il répond toujours à l’époque la plus froide de l’année. Plusieurs causes pourraient nous rendre compte de ces irrégularités ; mais en première ligne, il faut placer les variations de température qui ont pu survenir pendant les divers mois des huit années que comprend notre tableau. Voici pour les relevés de 1839 et 1831 à 1838, l’ordre de fréquence suivant lequel les mois se trouvent placés relativement aux entrées.

1839. 1831 à 1838.
Juillet. Juin.
Août. Août.
Juin. Mai.
Octobre. Juillet.
Décembre. Avril.
Mars. Octobre.
Septembre. Septembre.
Novembre. Janvier.
Mai. Novembre.
Avril. Décembre.
Janvier. Mars.
Février. Février.

Consultons maintenant les statistiques que nous avons sous les yeux.

MOIS. Desportes.

Bicêtre.
Esquirol.

Charenton.
De
Boutteville.

Rouen.
Bouchet.

Naples.
Bonacossa.

Turin.
Bertolini.

Turin.
Greco.

Palerme.
Dundée. Totaux.
Janvier. 248 67 33 1 33 6 37 3 428
Février. 263 73 44 3 41 4 22 1 451
Mars. 264 78 52 4 47 7 36 1 489
Avril. 292 89 54 5 62 6 38 2 548
Mai. 306 82 46 4 59 10 42 1 550
Juin. 362 92 49 5 73 9 45 1 636
Juillet. 305 93 53 7 66 6 59 3 592
Août. 319 85 49 2 78 13 43 1 590
Septembre. 278 74 34 2 50 10 27 1 476
Octobre. 279 70 35 11 51 11 43 3 503
Novembre. 264 67 24 4 36 4 36 1 436
Décembre. 278 62 31 3 54 5 30 2 465
Totaux. 3,458 932 504 51 650 91 458 20 6,164

Toutes ces statistiques réunies nous donnent un total de 6,164 malades dont l’époque d’admission a été notée. Nous voyons que le mois de juin est le plus fort, puis juillet et août, ensuite mai et avril ; le plus faible est le mois de janvier. Ainsi, ici comme plus haut, le maximum est pour les mois de l’été et le minimum pour les mois de l’hiver. Il en est de même si l’on examine le résultat de chaque statistique : cinq ont leur maximum en juillet ; nous y comprenons celle de Nantes, parce que le chiffre le plus élevé, qui répond au mois d’octobre, dépend de ce qu’une ville voisine avait évacué ses malades sur cet hôpital ; c’est en août pour MM. Bonacossa et Bertolini ; et en juin pour le relevé de M. Desportes ; le minimum en février pour MM. Greco et Bertolini et la maison de Dundée ; en décembre pour MM. de Boutteville et Esquirol ; en janvier pour MM. Desportes, Bouchet et Bonacossa. Nous ne chercherons pas davantage à faire remarquer les différences et les points de contact qu’offrent tous ces travaux ; il nous suffit d’avoir constaté que les résultats généraux sont les mêmes en France et dans les pays étrangers.

Voulant rechercher maintenant dans ces mêmes chiffres d’autres points de comparaison, nous avons divisé l’année en deux périodes, celle de la chaleur et du froid, et nous en avons formé le tableau qui suit, pour 1839, pour les années écoulées de 1831 à 1838, et pour les statistiques que nous venons de citer.

1839. 1831 à 1838. Stat. réunies.
Six mois froids. Janvier. 39 309 428
Février. 29 277 451
Mars. 44 297 489
Octobre. 48 327 503
Novembre. 43 304 436
Décembre. 48 300 465
251 1,814 2,772
Six mois chauds. Avril. 41 331 548
Mai. 42 369 550
Juin. 53 378 636
Juillet. 65 344 592
Août. 54 371 590
Septembre. 43 324 476
298 2,117 3,392

Ainsi, nous pouvons conclure hardiment que les mois les plus chauds l’emportent de beaucoup sur les mois les plus froids. MM. Parchappe et de Boutteville sont arrivés à un résultat semblable. Voyons maintenant celui que nous donneront tous les mois réunis en saisons.

1839. 1831 à 1838.
Été.
172 1,093
Automne.
134 955
Printemps.
127 977
Hiver.
116 886
Totaux.
549 3,911
Tableau synoptique des saisons
Saisons. Desportes. Esquirol. De Boutteville. Bouchet. Bonacossa. Bertolini. Greco. Dundée. Totaux.
Été. 986 270 151 14 217 28 147 5 1,818
Printemps. 862 249 152 13 168 23 116 4 1,587
Automne. 821 211 93 17 137 25 106 5 1,415
Hiver. 789 202 108 7 128 15 89 6 1,344
Totaux. 3,458 932 504 51 650 91 458 20 6,164

Dans ces trois termes de comparaison, le maximum des admissions est pour la saison de l’été, et le minimum pour celle de l’hiver. Il n’y a que le printemps et l’automne dont le rang soit variable : le premier vient en seconde ligne dans deux de ces relevés, et seulement en troisième pour l’année 1839 ; du reste, le chiffre qui les sépare est peu considérable, et ces deux saisons se ressemblent tellement, qu’il ne faut pas s’étonner que l’une ou l’autre prenne le dessus ou le dessous, suivant qu’elle aura été plus chaude ou plus froide. Dans le tableau des statistiques réunies, l’été se trouve en première ligne pour MM. Greco, Esquirol, Bertolini, Bonacossa et Desportes ; c’est le printemps pour M. de Boutteville, l’automne pour M. Bouchet, et l’hiver pour l’asile de Dundée. Le minimum répond en hiver sur six d’entre elles, en automne pour M. de Boutteville, et au printemps pour Dundée. Ces différences doivent dépendre du petit nombre de malades sur lesquels ont opéré quelques-uns de ces auteurs ; et partout où le chiffre a été très élevé, comme à Charenton et à Bicêtre, les résultats se sont parfaitement accordés.

Nous n’avons point jusqu’à présent distingué les divers genres d’aliénation relativement aux saisons ; personne ne l’a fait que nous sachions : aussi cet examen est-il plein de difficultés, et expose à bien des erreurs, surtout si l’on emploie la manière ordinaire de procéder. Non-seulement on devrait retrancher de ces études les épileptiques, les idiots et les imbéciles, mais encore il faudrait, pour apprécier convenablement l’influence des saisons, remonter au début de la maladie et rechercher la relation de son origine avec l’époque de l’année où elle a commencé. Ceci s’applique surtout aux déments et à quelques maniaques, qui, malgré leur état de folie, peuvent rester longtemps dans la société avant d’être séquestrés. Nous n’avons pas la prétention de remplir complétement cette lacune ; nous allons seulement nous arrêter un instant sur les variétés du délire qu’ont présentées les malades admis pendant l’année 1839. Nous ne nous occuperons pas du tableau de 1831 à 1838, parce que nous n’avons point connu les malades qui s’y trouvent indiqués, et que le relevé a été fait simplement sur des registres d’administration.

La manie, qui est la forme peut-être la plus soumise à des influences atmosphériques, a présenté son maximum dans les mois de juillet et d’août, les deux mois les plus chauds de l’année. Mars vient en troisième ligne ; c’est l’époque, en effet, où quelques manies périodiques récidivent ordinairement. Le mois de septembre est celui qui a donné le moins grand nombre de cas de manie, mais les mois de l’hiver en ont fourni une bonne part. Notre calcul n’étant basé que sur 181 malades, on ne sera pas étonné de trouver si peu de différences ; et nous nous garderons bien de tirer de ces faits des conclusions qui puissent faire foi : nous nous trouvons dans le même cas pour les autres genres de folie.

Les cas de monomanie ont été reçus à peu près également dans chaque mois de l’été ; le maximum répond en septembre ; les mois d’hiver en ont offert un moins grand nombre. Nous ne dirons rien de la stupidité et de la mélancolie. Pour la démence simple, on trouve peu de différence dans les mois d’admission, à part ceux de janvier, février, mars et mai, qui n’en donnent que quelques cas. La démence paralytique a été plus commune en mai, juin et juillet ; ensuite viennent deux mois d’hiver qui ont fourni un contingent à peu près égal.

Les rechutes, qui se trouvent indiquées dans l’une des colonnes du tableau de 1839, appartiennent à des malades entrés une ou plusieurs fois cette année, et que nous n’avons pas dû placer dans les autres cases où ils auraient rempli un double emploi. Nous avons fait de même pour les réintégrations.

Il est difficile, comme on le voit, d’avoir quelque chose de bien précis sur l’influence des saisons relativement aux différentes formes de la folie ; mais nul doute qu’à mesure que les faits se multiplieront, si l’on a soin de les distinguer comme nous, on ne puisse arriver un jour à des résultats plus certains.