Rational (Durand de Mende)/Volume 2/Quatrième livre/Chapitre 27

Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 2p. 170-174).


CHAPITRE XXVII.
SECONDE PARTIE DE LA MESSE, QUI COMMENCE À L’OFFERTOIRE.


I. La seconde partie de la messe commence à l’offertoire ou au Dominus vobiscum, et elle se subdivise en quatre parties. La première partie s’appelle secrète (secretella), la deuxième préface, la troisième canon, la quatrième oraison dominicale avec sa préface, qui est Prœceptis salutaribus. On peut encore appeler tout ce qui se dit depuis l’offertoire jusqu’à la fin de la messe du nom de secrète, et cette secrète se divise en cinq parties.

II. La première partie va de l’offertoire jusqu’au mélange de l’eau et du vin dans le calice ; c’est là ce qu’on appelle spécialement la secrète. La seconde se nomme préface, la troisième canon, la quatrième oraison dominicale, la cinquième 'embolisme. Et par rapport aux effusions du sang de notre Seigneur, on en compte cinq. La première dans la circoncision, la seconde dans sa sueur au jardin des Olives, la troisième dans la flagellation, la quatrième dans la crucifixion, la cinquième dans le coup de lance donné à son corps mort. C’est dans un ordre convenable qu’après la prédication viennent la foi dans le cœur, la louange dans la bouche, le fruit dans les œuvres. En effet, la prédication est dans l’évangile, la foi dans le symbole, la louange dans l’offertoire, le fruit dans le sacrifice ; c’est pourquoi on chante l’offertoire, parce qu’on offre un sacrifice de louange, ce qui a fait dire au Psalmiste : « J’ai fait plusieurs tours, et j’ai immolé dans son tabernacle une hostie avec des cris et des cantiques de joie ; je chanterai et je ferai retentir des hymnes à la gloire du Seigneur. » Et dans les Paralipomènes : « Pendant qu’on offrait les holocaustes, ils commencèrent à chanter en chœur, et en s’accompagnant de divers instruments, les hymnes que le roi David avait composées à la louange du Seigneur. »

III. Et l’on chante l’offertoire entre l’évangile et le sacrifice, comme on l’a dit au chapitre du Symbole. Le prêtre, avant de dire Oremus, dit Dominus vobiscum, comme s’il disait : « Si le Seigneur n’est pas avec vous, nous ne pouvons prier pour votre salut. » Ensuite il ajoute Oremus, pour avertir le peuple de prier, afin qu’il croie tous les articles de la foi qu’il vient de réciter dans le symbole, et qu’il demeure ferme dans cette foi, parce que le Christ a dit à ses disciples : « Priez, etc. » Et saint Luc, chapitre xxii, recommande à chacun de rentrer en lui-même, d’examiner sa conscience et de s’offrir en digne holocauste à Dieu. Avant donc que le chœur chante l’offertoire, le prêtre le salue, afin qu’il puisse chanter dévotement. Aussitôt après que le célébrant a dit Oremus, le chœur chante le cantique de ceux qui vont à l’offrande ou l’offertoire ; le peuple apporte son offrande, pour montrer qu’après avoir accompli les commandements de Dieu nous nous offrons nous-mêmes, comme on le dira au chapitre de l’Oblation. C’est comme si chaque personne qui va à l’offrande disait : « Je crois, et je complète par des œuvres la foi dont j’ai fait profession dans le symbole, et je m’unis à la prière du prêtre. » C’est pourquoi le prêtre offre aussitôt les dons qu’il doit consacrer.

IV. Et remarque comme les versets que les anciens pères avaient réunis avec beaucoup de soin sont omis aujourd’hui en beaucoup d’endroits, et c’est autant pour abréger l’offertoire que pour que les assistants du célébrant et le peuple vaquent plus librement aux oblations, à la prière et au sacrement de l’autel. C’est aussi parce que, comme dit Augustin (xii dist. Omnia), Dieu a voulu, dans sa miséricorde, que la religion chrétienne fût entourée de très-peu de mystères, et que ses cérémonies fussent très à découvert. Selon Jérôme (De consec., dist. v, Non mediocriter), il vaut mieux chanter cinq psaumes avec un cœur joyeux, que tout le psautier avec ennui ; car ce n’est pas la multitude des prières qui touche le cœur de Dieu. On ne chante plus aujourd’hui les versets qu’à l’offertoire de la messe des Morts, parce que cet office ne suit pas la règle des autres offices en beaucoup de parties.

V. Or, on doit aux patriarches la coutume de chanter l’offertoire, parce que (comme on l’a dit plus haut), quand ils faisaient leurs offrandes au Seigneur, ils sonnaient de la trompette ; car Dieu aime celui qui donne avec joie (XXIII, q. vi, §) C’est aux patriarches que Salomon, lors de la dédicace du temple et de l’autel, prit l’idée d’offrir avec une grande solennité une innombrable multitude d’holocaustes ; cette idée lui avait été aussi inspirée par l’exemple de Moïse, au-devant duquel tout le peuple accourut pour offrir des présents à Dieu quand il descendait de la montagne en saluant le peuple et en priant pour lui.

VI. On chante encore l’offertoire pendant l’offrande, en mémoire du bonheur avec lequel le peuple israélite offrit ses deniers pour la construction du tabernacle, ou plutôt pour marquer le cri de la femme dont il est parlé dans l’Apocalypse, chapitre xii. Une femme, c’est-à-dire l’Église, revêtue du soleil, c’est-à-dire du Christ, dont elle s’est revêtue dans le baptème, ayant une lune sous ses pieds, c’est-à-dire foulant toutes les choses passagères de ce monde et portant une couronne de douze étoiles sur sa tête, c’est-à-dire le chœur des douze apôtres, et grosse de tout ce qui s’est accompli en elle depuis son origine, crie comme étant en travail et ressentant les douleurs de l’enfantement. Or, l’offrande imite le cri de cette femme en travail, ou les salutaires souffrances du Seigneur, par son chant grave et sonore. Ce chant, qui déborde de neumes, et qui est fécond en versets, ne peut assez exprimer l’immense triomphe qu’il symbolise. Cependant on ignore quel est celui qui a institué le chant de l’offertoire.

VII. L’offertoire tire son nom du mot latin feria, qui signifie l’oblation que l’on offre sur l’autel et que les pontifes consacrent ; d’où vient qu’on l’appelle offertoire, comme en quelque sorte une chose offerte d’avance (prœfertum) ; et on l’appelle oblation, parce qu’on l’offre. L’offertoire s’appelle encore ainsi, parce que pendant qu’on chante l’offrande le prêtre reçoit des mains de ses assistants les oblations ou hosties dont on parlera au chapitre de l’Oblation.

VIII. Il faut faire attention que, quoique le prêtre dise d’abord Oremus, il ne prie pas cependant tout de suite ; au contraire, il encense, il reçoit les offrandes et fait d’autres choses, comme si par cette action même il disait : « Celui qui ne cesse pas de bien faire ne cesse pas de prier. » Pendant qu’on chante l’offertoire et que l’on encense, comme on a présent le souvenir de la passion du Seigneur, on garde le silence jusqu’au moment où le célébrant dit à haute voix : Per omnia secula seculorum. C’est pour marquer que Jésus, après la résurrection de Lazare, ne se montrait pas à découvert aux Juifs, parce qu’ils pensaient à le tuer ; mais il s’en alla dans une ville qu’on appelle Ephrem, et il y demeura avec ses disciples. C’est alors que les pontifes et les pharisiens tinrent conseil, et qu’un d’eux, nommé Caïphe, dit : « Il est bon qu’un seul homme meure pour le peuple, et non que toute une nation périsse. » Et à partir de ce jour ils pensèrent à le mettre à mort ; ce dont on parlera au chapitre de l’Inclinaison du prêtre.