Rational (Durand de Mende)/Volume 2/Quatrième livre/Chapitre 12

Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 2p. 74-75).


CHAPITRE XII.
DU KYRIE ELEISON[1].


I. Enfin, le passage de l’évêque ou du prêtre à la droite de l’autel signifie que le temps de la plénitude et l’année de la bonté sont arrivés, comme l’avait prédit le Psalmiste : « Tu te lèveras, Seigneur, et tu auras pitié de Sion. » Et, comme le temps de la miséricorde est venu, le chœur loue et invoque à juste titre la Trinité, en répétant trois fois, pour chacune de ses personnes, Kyrie, eleison. Et l’on dit le Kyrie eleison après l’introït, parce que, avant de faire toute autre prière, il est nécessaire que le prêtre implore la miséricorde du Seigneur. Or, Kyrie, eleison, en grec, veut dire en latin : Seigneur, aie pitié ; car Kyrie veut dire Seigneur, et eleison, aie pitié : par conséquent, Christe, eleison, signifie Christ, aie pitié. D’où vient que le Prophète dit : « Aie pitié de nous, car nous t’attendons. »

II. On dit Kyrie eleison neuf fois : premièrement, pour que le genre humain, réparé par un homme, soit associé aux neuf ordres des anges ; deuxièmement, pour que l’assemblée des fidèles (ecclesia) arrive à jouir de la compagnie des neuf ordres des anges ; troisièmement, contre neuf espèces de péchés.

III. Il y a le péché originel, le véniel et le mortel. Puis le péché de pensée, de parole et d’action. Enfin, le péché de fragilité, de simplicité et de malignité : péché de fragilité par faiblesse, de simplicité par ignorance, de malignité par envie. Pécher ainsi, c’est pécher contre le Père, contre le Fils, contre l’Esprit saint. Voilà pourquoi encore on dit trois fois Kyrie eleison au Père, trois fois Christe eleison au Fils, et trois fois Kyrie eleison à l’Esprit saint ; au Père et à l’Esprit on donne le même titre, parce que tous deux sont d’une même nature ; mais le Fils en reçoit un autre, parce que le Fils, tout en ayant la même nature qu’eux, en a encore une autre, comme un géant né de deux substances. Voilà pourquoi on dit trois fois la même invocation au Père, au Fils et à l’Esprit saint, pour marquer l’union du Père avec le Fils, du Fils avec le Père, et de l’Esprit avec les deux. On parlera de cela dans la cinquième partie, au chapitre de Prime. Et au milieu de ces neuf invocations on change Kyrie en Christe, pour marquer qu’il y a deux natures dans le Christ. Trois fois Kyrie eleison, multiplié par trois, signifie les prières des Pères de l’Ancien-Testament, qui s’étaient multipliées à un tel point que la grâce de la souveraine Trinité les associa, par l’avènement du Christ, aux neuf légions des anges.

IV. Or, l’efficacité de ces mots est grande. Car on lit que le bienheureux Basile ayant crié : Kyrie, eleison, les portes de l’église de Ticina, ou Pavie, s’ouvrirent toutes seules. On dit encore que le bienheureux Geminianos ayant crié Kyrie, eleison, mit cinq rois en fuite. Cela vient peut-être de ce que cette parole a un autre sens que celui de Seigneur, aie pitié, mais que nous ignorons. Dans certaines églises, aussitôt après le dernier Kyrie eleison on ajoute émaséé, mot grec qui en latin veut dire nous. Et le sens de Kyrie, eleison èmas, est : Puissance divine, aie pitié de nous. Le bienheureux Grégoire établit le chant neuf fois répété du Kyrie eleison par le clergé seulement et à la messe où tout le peuple assisterait. Le Kyrie, chez les Grecs, était chanté, dans l’origine, par le clergé et le peuple à la fois. Ce fut le pape Sylvestre qui emprunta le Kyrie eleison aux Grecs.

  1. Voir la note 7, page 463.