Rational (Durand de Mende)/Volume 2/Quatrième livre/Chapitre 08

Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 2p. 61-63).


CHAPITRE VIII.


DE LA BÉNÉDICTION DE L’ENCENS, ET DE LA GARNITURE DE L’ENCENSOIR.


I. Le Confiteor étant achevé et l’absolution donnée, le pontife ou le prêtre, avant de dire : Deus, tu conversus, etc., bénit l’encens et le met dans l’encensoir qu’on lui présente, parce que le grand-prêtre de l’ancienne loi, couvert du sang des victimes, remplissait d’encens l’encensoir, afin que, pendant sa prière, la vapeur parfumée le couvrît d’un nuage, comme il a été dit dans la préface de cette partie. C’est aussi pour rappeler qu’un ange vint et se tint debout devant l’autel, portant en ses mains un encensoir d’or qu’il remplit du feu de l’autel, et il lui fut donné beaucoup d’encens, qui était le résultat des prières des saints. Cet ange, c’est le Christ ; l’encensoir d’or, c’est son corps immaculé ; l’autel, c’est l’Église ; le feu, la charité ; l’encens, la prière, selon cette parole du Prophète : « Que ma prière s’élève vers toi comme la fumée de l’encens. » L’Ange, c’est-à-dire le Christ, est donc venu ; il s’est tenu devant l’autel, c’est-à-dire en présence de l’Église, ayant un encensoir d’argent, c’est-à-dire un corps sans tache, plein de feu, c’est-à-dire de charité, et il a reçu beaucoup d’encens des fidèles, c’est-à-dire leurs prières, afin d’offrir, c’est-à-dire de faire valoir auprès de son Père les prières des saints.

II. Et remarque que le célébrant ne dit pas toutes les oraisons : le Christ, en effet, n’exauce pas toutes les prières ; mais il en dit quelques-unes, savoir, de celles qui se rapportent au salut. D’où vient que Paul ayant demandé trois fois au Seigneur d’ôter de lui l’aiguillon de la chair, le Seigneur lui répondit : « Ma grâce te suffit ; » car la vertu s’épure dans l’infirmité de ce monde. Donc, l’évêque ou le prêtre met l’encens dans l’encensoir, parce que c’est le Christ qui inspire les prières à l’esprit, afin qu’il offre un encens d’odeur suave. Et le prêtre assistant offre l’encens à l’évêque, ou le diacre au prêtre, parce que l’ancienne loi a adopté ce précieux parfum, qu’il offre en odeur très-agréable au Très-Haut. Touchant ce parfum, le Seigneur dit, dans le chapitre xxx de l’Exode : « Vous n’en composerez point de semblable pour votre usage, parce qu’il est consacré au Seigneur, et l’homme, quel qu’il soit, qui en fera de même pour avoir le plaisir d’en sentir l’odeur, périra du milieu de son peuple. » Et sur cette parole il y en a qui ont dit que si, après l’offrande de l’encens bénit sur l’autel, l’encensoir passe aux mains des clercs ou des laïques, alors on doit le garnir d’encens non bénit et en parfumer ainsi tant les clercs que les laïques, le premier encens étant consacré au culte de latrie et le second au culte de dulie. Il est mieux cependant d’agir ainsi au point de vue de l’esprit que de la lettre, car la lettre tue et l’esprit vivifie. Et c’est pour la cause précitée qu’on ne fait pas respirer l’encens bénit dans l’église au fiancé et à la fiancée.

III. La consomption et la consécration de l’encens marquent que le prêtre doit prier avec ardeur et dévotion. Or, l’encens a la vertu de monter, à cause de la légèreté de la fumée ; il a celle de se durcir, à cause de sa nature ; celle de se resserrer, à cause de sa résine ; il a celle de conforter, à cause de son arôme : ainsi, pendant que la prière monte dans le souvenir de Dieu, elle affermit l’ame en ce qui a rapport à la faute passée, dont elle lui vaut le pardon ; elle la resserre en ce qui touche la facilité qu’elle a à le commettre en ce monde ; elle la conforte pour la défense du moment. Nous avons aussi parlé de ces choses au chapitre de l’Arrivée du Pontife à l’autel, et nous en parlerons à l’article de l’Encensement. La navette (navicula) où l’on met l’encens marque que, par la prière, que symbolise l’encens, nous devons nous efforcer de naviguer sur la grande et vaste mer de ce monde, de manière à aborder à la céleste patrie. D’où vient qu’on lit dans les Proverbes ces paroles touchant la femme forte : « Elle est comme le vaisseau d’un marchand qui apporte son pain de loin. » L’encensoir peut encore figurer le cœur de l’homme ; le feu, la ferveur de la dévotion ; l’encens, les prières que l’ange porte à Dieu. Les vaisseaux (vascula) qui reçoivent le feu, ce sont les enfants qui imitent le cœur de leur père par la piété et la bonté, et qui s’efforcent d’attirer dans leurs âmes la flamme du sacrifice céleste qu’ils aperçoivent dans l’ame de leur prochain. Les instruments dont on se sert pour porter le feu à l’autel, ce sont les prédicateurs qui, par les exemples des saints, propagent le feu de la charité et portent dans les cœurs des fidèles les sentiments qui les leur font considérer comme un père regarde ses fils. On dira ce que signifie l’encensoir au chapitre de l’Encensement de l’autel.