Rational (Durand de Mende)/Volume 1/Troisième livre/Chapitre 13

Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 1p. 257-262).
Livre troisième


CHAPITRE XIII.
DE LA MITRE (41)[1].


I. Après que l’évêque a revêtu la planète, on lui met sur la tête la mitre, qui remplace la cidaris, la tiare et le diadème, selon cette parole : « Seigneur, tu l’as couronné de gloire et d’honneur. » Mais, d’après la concession que lui en a faite l’empereur Constantin (xcvi, dist. Constantinus), le Pape a la couronne, l’homophorium (frigium lorum), le surhuméral, la chlamide de pourpre et la tunique d’hyacinthe.

II. Or, la mitre désigne la science de l’un et l’autre Testaments, car ses deux cornes sont les deux Testaments. : celle de devant, le Nouveau ; celle de derrière, l’Ancien, que l’évêque doit savoir tous les deux par cœur (memoriter) (xxii quaest., Prima episcopus), et dont il doit frapper, comme avec deux cornes, les ennemis particuliers (inimicos) de la foi. L’évêque doit, en effet, se montrer armé de cornes à ceux qui sont sous la juridiction, ainsi que Moïse lorsqu’il descendit du mont Sinaï et que, portant les deux tables du Témoignage, il apparaisait cornu à Aaron et aux enfants d’Israël, à la suite de son entretien avec Dieu, comme on le lit dans l’Exode, chap. xxxiv. Mais certains hérétiques condamnent la mitre et ses cornes, ainsi que l’évêque qui la porte, prétendant, pour fomenter leur erreur, que [saint] Jean dit, dans l’Apocalypse : « Je vis une autre bête qui montait de la terre et avait deux cornes semblables à celles de l’Agneau, mais elle parlait comme le dragon. » Et les deux fanons garnis de franges qui pendent par derrière, ce sont l’esprit et la lettre.

III. Les deux susdits fanons ou cordons, servant à serrer la mitre sur la tête de l’évêque, marquent encore qu’il doit être prêt à expliquer et à faire comprendre les saintes Écritures, tant dans le sens mystique que dans le sens historique. A l’extrémité de ces bandelettes sont des franges de couleur rouge, qui marquent quelle doit être sa promptitude à défendre la foi et la sainte Écriture, même jusqu’à répandre son sang pour elles. Elles pendent sur ses épaules, pour marquer qu’il doit montrer dans ses actions ce qu’il prêche par ses discours ; car, de même que dans les épaules aucune place n’est plus élevée qu’une autre pour travailler ou pour porter un fardeau, ainsi elles désignent convenablement les œuvres que le prélat doit faire.

IV. Le cercle d’or, qui embrasse la partie postérieure et antérieure de la mitre, indique que tout écrivain instruit de la science du royaume des cieux doit tirer « de son trésor des choses neuves et anciennes » (saint Mathieu, xiii). Que l’évêque prenne donc soigneusement garde de ne pas vouloir être maître avant d’avoir appris à être disciple, de peur que, « si un aveugle conduit un autre aveugle, tous deux ne tombent dans le fossé. » Car il a été écrit par le Prophète : « Tu as repoussé la science, et moi je te repousserai, afin que tu ne remplisses pas les fonctions de mon sacerdoce. » La mitre, par sa forme allongée en haut, ne désigne pas avec moins de justesse l’élévation de la science ; car l’évêque doit tellement surpasser en science ceux qui lui sont confiés, qu’en comparaison de lui les autres soient, à juste titre, appelés son troupeau. Les deux fanons qui pendent par derrière désignent un double souvenir : le premier, des actes divins, de peur que, méprisant lorsqu’il célébrera, il ne soit puni de cet oubli. où vient aussi que dans l’Ancien-Testament celui qui devait offrir le sacrifice avait son vêtement entouré de sonnettes, afin que, par leur son, il fût reçu par Fange préposé à la garde du temple s’il en était digne, ou repoussé par lui s’il en était indigne. Le second souvenir, c’est celui de ses péchés, afin qu’il en ait de la componction.

V. La mitre, qui est parfois de lin et blanche, signifie la blancheur et la pureté de la chasteté. De là vient que cet ornement est très-nécessaire à la tête, où sont les racines des cinq sens du corps, par la corruption desquels la chasteté est facilement violée. Il y en a aussi quelques-uns qui disent que la mitre du pontife représente la couronne d’épines ; et de là vient que le diacre, à l’office de la messe, où le pontife figure le Christ pendant la passion, lui met la mitre et la lui ôte, parce qu’il a, par sa charge, le droit de lire l’évangile, dans lequel on lit que le Christ fut couronné d’épines. Les deux cornes sont les deux préceptes de la charité. Donc le pontife met la mitre parce qu’il comprend qu’il doit préserver des séductions du monde les cinq sens, afin de conserver les préceptes des deux Testaments et de remplir les deux préceptes de la charité, pour mériter de recevoir la couronne éternelle. Mais les autres prêtres et les clercs, en général, ne se couvrent la tête d’aucun ornement, quoique, dans les jours de fêtes, ils soient, après eux, parés de tous les autres ornements dans tout leur corps, parce que maintenant notre joie n’est pas encore pleine et entière ; car nous nous réjouissons non dans la réalité des biens du présent, mais dans l’espérance des biens futurs, parce que maintenant nous nous efforçons d’arriver à contempler Dieu face à face et sans voile.

VI. Assurément, on doit se servir d’une mitre d’orfroi depuis Pâques jusqu’à l’Avent, et depuis la Nativité du Seigneur jusqu’à la Septuagésime dans toutes les fêtes doubles, et des neuf leçons pendant toute l’année, si ce n’est pour la fête des Innocents, comme on le dira au chapitre des Couleurs ; et les dimanches des temps dont nous avons parlé plus haut, et généralement toutes les fois qu’on chante le Gloria in excelsis et le Te Deum laudamus. Car, comme on les chante dans les jours des festivités, où nous rappelons à notre mémoire la vertu et l’allégresse générale comme étant spéciale au chef et à ses membres, ainsi qu’on le dira dans la préface de la septième partie, nous nous servons alors, à juste titre, de la mitre d’orfroi, parce que l’or et l’éclat des pierres précieuses représentent la joie. Mais dans les jours des jeûnes on ne doit pas s’en servir, par la raison qui suit : parce que, comme ces jours sont consacrés à effacer nos péchés, que nous devons alors rappeler à notre mémoire, on ne doit pas faire ou porter alors des choses qui marquent l’allégresse, mais plutôt l’humilité et l’affliction.

VII. Mais dans les autres temps on doit se servir régulièrement non d’une mitre d’orfroi, mais d’une mitre simple ; par exemple, depuis l’Avent jusqu’à la Nativité [de N. S.]. Cependant le seigneur Pape se sert d’une mitre d’orfroi le dimanche de Gaudete et depuis la Septuagésime jusqu’à Pâques, et le dimanche de Lætare, Jérusalem, comme on le dira au chapitre des Couleurs, et aussi dans la cinquième férie de la Cène du Seigneur (le Jeudi saint), à l’office de la messe seulement, et le Samedi saint à la messe. Il en est de même aux fêtes des trois leçons de ce temps et dans toutes les vigiles où a lieu un jeûne solennel, et aux Quatre-Temps et aux Rogations. Cependant le seigneur Pape s’en sert à la fête de saint Marc, à la messe seulement. Il en est de même pour l’office des Morts.

VIII. Il est aussi à remarquer que le pontife romain, en signe de l’empire, se sert du regnum, c’est-à-dire de la couronne impériale, et, en signe du pontificat, de la mitre. Mais il se sert toujours et partout de la mitre, mais non pas toujours ni partout du regnum, parce que l’autorité du pontife est à la fois plus grande, plus convenable et plus étendue que le pouvoir impérial. Car, parmi le peuple de Dieu, le sacerdoce a précédé la royauté, comme Aaron, le premier pontife, a précédé Saül, le premier roi, et Noé, Nembroth ; parce que, comme on le lit, le commencement du royaume de Nembroth fut à Babylone ; mais Noé éleva un autel au Seigneur et offrit des holocaustes dessus. Or, le seigneur Pape ne se sert du regnum qu’à certains jours et qu’en certains lieux ; jamais dans l’église, mais dehors.

IX. Enfin, pour ce qui se rapporte à notre chef (capiti), qui est le Christ, la mitre du pontife représente ce que le Prophète, parlant du Fils, dit au Père : « Seigneur, tu l’as couronné de gloire et d’honneur, etc. » C’est ce nom qui est au-dessus de tout nom, afin « qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse au ciel, sur la terre et dans les enfers. » Car le nom du Seigneur était gravé sur la lame d’or qui ceignait le front du pontife, le tetragrammaton, dont nous déclarerons le mystère dans le chapitre des Ornements de l’ancienne loi. Donc, par la mitre qui couvre la tête nous comprenons cette suprême glorification du Christ, qui, à cause de sa divinité, est due à son humanité ; car, à cause de son pied on en adore l’escabeau : « Adorez (dit le Psalmiste) l’escabeau de ses pieds, « parce qu’il est saint. »

X. Et remarque que, comme le dit le pape Zacharie (De consecrat. distinct, i, Nullus), « l’évêque qui s’avance à l’autel pour prier, ou qui se tient debout devant la table sacrée, ou répand ses prières devant Dieu, dépose sa mitre et son bâton [pastoral], parce que l’Apôtre défend aux hommes de prier la tête voilée dans l’église, afin que, le voile étant tiré de devant leur face, ils contemplent la gloire du Seigneur. » Mais quand il se tourne vers le peuple pour le prêcher, il reprend les insignes qui doivent le rendre redoutable à ses yeux. De là vient aussi que Moïse plaidait la cause du peuple auprès de Dieu par ses prières, mais devant le peuple celle de Dieu le glaive en main.

XI. En dernier lieu, remarque que certains évêques bénissent solennellement à la messe et à l'autel, mais encensent après avoir ôté la mitre. Mais d’autres le font avec la mitre en tête. Les premiers sont mus par la raison qu’en bénissant solennellement ils s’acquittent d’une fonction divine et que Dieu bénit par leur ministère ; vois les Nombres, au chapitre vi, sur la fin, où il est dit : « Ils invoqueront mon nom sur les fils d’Israël, et je les bénirai. » Mais l’encensement de l’autel signifie les prières. L’Apocalypse, au chapitre viii, dit : « La fumée s’éleva des encensoirs où brûlaient les prières des saints. » Or, comme dans les oraisons l’évêque plaide la cause du peuple devant Dieu, voilà pourquoi il doit faire cela avec respect, après avoir d’abord ôté sa mitre. Mais les seconds considèrent que la bénédiction et l’encensement ne sont pas essentiels à la consécration du corps du Christ, mais appartiennent à la solennité, et voilà pourquoi ils font les deux choses avec la mitre, afin que par là on les distingue des simples prêtres. Mais, quoique l’évêque ait plus de part que le simple prêtre à ces choses qui appartiennent à la solennité, comme pour les ornements et le reste, il n’en a pas cependant [plus] dans ce qui regarde la consécration même. Et cette seconde conduite paraît moins suffisamment expliquée que la première ; car, d’après ce principe, on ne quitterait la mitre, pendant la messe, que quand on prononce les paroles à l’émission desquelles a lieu la transsubstantiation des espèces.

  1. Voir la note 40 page 436.