Rational (Durand de Mende)/Volume 1/Troisième livre/Chapitre 04

Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 1p. 228-231).
Livre troisième


CHAPITRE IV.
DE LA CEINTURE OU CORDON.


I. L’aube doit encore être serrée autour des reins du prêtre ou du pontife[1] par la ceinture ou cordon qui, dans l’ancienne loi et chez les Grecs, était appelée, xôstèr ou baudrier, de peur qu’en retombant elle l’empêche de marcher, et afin que la chasteté du prêtre, représentée par l’aube, ne soit déliée par aucun aiguillon des enchantements de la terre : car le cordon signifie aussi la continence. De là cette parole : « Ceignez vos reins de près, et ayez des lampes ardentes dans vos mains. » Or, c’est dans les reins que domine la luxure, ainsi que le montre clairement le Seigneur, en parlant du diable : « Sa puissance est dans ses reins, et sa force dans le nombril (in umbilico) de son ventre. »

II. Assurément, au côté gauche du pontife un double cordon pend de sa ceinture, parce qu’il y a deux choses par lesquelles la chasteté est fortifiée, et sans lesquelles on la conserve difficilement ; ce sont l’oraison et le jeûne :

III. Ce qui a fait dire au Seigneur : « Ce genre de démons ne peut être chassé que par l’oraison et le jeûne » (en saint Marc, chap. ix). Donc les reins doivent être fortement ceints par la continence, et serrés encore en dessous par l’abstinence ; ce qui a fait dire à l’Apôtre : « Tenez-vous debout, et ceignez vos reins dans la vérité. » Cependant on ne lit pas que le succinctorium, qu’on appelle autrement perixôma ou succingulum, ait existé parmi les ornements de l’ancienne loi [quia, etsi legales sacerdotes accincti tempore semper sacrificii abstinere deberent, alio tamen tempore licite vacabant amplexibus]. Mais aujourd’hui on ajoute le cordon, parce que les prêtres d’à présent doivent avoir une continence perpétuelle. Et voilà pourquoi ils doivent non-seulement être ceints, mais aussi retroussés.

IV. C’est encore pour la même raison que le double cordon dénote aussi la double chasteté de l'ame, que représente la ceinture, et du corps, que symbolise le cordon. La ceinture pend du côté droit, parce que la chasteté de l’ame est supérieure à celle du corps, et que le côté droit est meilleur que le côté gauche ; d’où vient que [saint] Grégoire dit : « L’homme a les reins fortement ceints, alors qu’il réprime la luxure de la chair par la continence de la chair. »

V. Le cordon désigne encore d’une manière convenable la tempérance. On a aussi parlé du succingulum dans la préface de cette partie. Et considère que l’on serre doucement la poitrine et la gorge avec l’amict, parce qu’il n’est pas en notre pouvoir de prévenir les mouvements de la chair, mais seulement de les étouffer à leur naissance. Elle ferma le ciel, en demandant qu’il ne plût pas avant de pouvoir réprimer son amc quand il désirait être vengé par la mort des faux prophètes de Baal ; car la langue nage dans un élément humide et enivrant, et devient facilement indiscrète[2] : d’où vient que le prince des apôtres renia son maître à la voix d’une servante[3]. Et l’on serre fortement les reins avec le cordon, pour châtier le corps et le réduire en servitude, et pour mettre un frein à l’impétuosité de la luxure. Enfin, pour ce qui se rapporte à notre chef (capitl nostro), c’est-à-dire au Christ, la ceinture du prêtre signifie ce que dit l’apôtre [saint] Jean : « M’étant retourné, je vis quelqu’un qui était semblable au Fils de l’homme, ceint, sous les mamelles, d’une ceinture d’or. » Par la ceinture d’or est désignée la parfaite charité du Christ, dont l’Apôtre dit : « La charité du Christ l’emporte sur la science ; elle brûle dans le cœur, elle rayonne dans les œuvres. » Voilà le sens de cette seconde ceinture dont Isaïe a parlé par avance, en disant du Christ : « La justice sera la ceinture de ses reins, et la foi le cordon qui serrera ses reins : car le Seigneur, qui est juste, a chéri la justice ; il a vu le calme de sa face, et le Seigneur est fidèle dans ses paroles et saint dans toutes ses œuvres. » Les deux bouts de la ceinture sont les deux parties naturelles de la justice que le Christ a établie et enseignée, savoir : « Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu’on te fasse ; mais faites aux hommes tout ce que vous voulez qu’ils vous fassent. »

VI. Donc le cordon signifie la justice, dont les deux bras se croisent et dont les deux mains sont unies ; c’est la fuite du mal et la pratique du bien. Il représente encore les verges dont Pilate fit battre Jésus.

  1. La ceinture doit serrer les reins et non l’estomac, et encore moins la poitrine. On dit, en la mettant : [Prœcinge me, Domine, cingulo puritatis, et extingue in lumbis meis, etc. ] Elle sert à arrêter et à serrer l’aube autour des reins, et même, au besoin, à la relever et à la retrousser (prœcingere) à cette ceinture, que l’on remplace par le cordon les jours non fériés. L’usage de la ceinture était très-répandu chez les Juifs ; il en est souvent fait mention dans l’Écriture sainte. Le cordon représente la corde avec laquelle on attacha notre Seigneur à la colonne, lorsqu’on le flagella, et celle avec laquelle il fut conduit au Calvaire.
  2. [Lingua etiam in humido sedet, et in madido, et facile lubricatur] On peut consulter avec fruit, sur cette opinion de Durand, un livre savant intitulé : [Consideratio physico-medico-forensis de saliva humana, qua ejus natura et usus, etc., perpenduntur, observationibus raris et selectis tradita, auctore D. Martino Gurisch ; Lipsiœ, 1729 ; in-4o, 1 vol. de 406 pages. (Voir l’intéressant compte-rendu fait sur cet ouvrage, dans la Bibliothèque raisonnée des ouvrages des savants de TEurope ; t. 3, 2e partie, mois d’octobre, novembre et décembre 1729, article 2, p. 263 à 278.)
  3. L’explication mystique que Gerson a donnée de ce passage de la Passion est trop belle pour que nous n’en citions pas au moins quelques lignes : « Gardez de ressambler icy {à) sainct Pierre, auquel une femme fist renoyer (renier) son maistre. Ceste femme est nostre très-maulvaise charnalité, qui souvent nous enhorte (pousse à) de laissier Dieu nostre Seigneur, par œuvres et par paroles… Comme maulvaise compaignie faut hayr, il appert icy, car quand sainct Pierre fut avec Jhésus-Christ, il fut ferme, et icy chiet (tombe). Et n’estoit pas merveille, sainct Pierre, se tu te chaufTois, car tu avoies ton amour desjà par dedans refroidie par la gellée de paour et de tristesse. » (V. Etudes sur les mystères et les Mss. de Gerson, par M. 0. Le Roy, p. 457.)