Rational (Durand de Mende)/Volume 1/Troisième livre/Chapitre 01

Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 1p. 212-223).
Livre troisième


CHAPITRE PREMIER.
DES VÊTEMENTS OU DES ORNEMENTS DE L’ÉGLISE, DES PRÊTRES,
DES PONTIFES ET DES AUTRES MINISTRES[1].


I. On ne doit pas se servir comme d’un vêtement habituel des vêtements sacrés, parce qu’ainsi que, selon la lettre, nous changeons d’habits, de même nous devons en agir aussi selon l’esprit. Donc, nous n’entrerons pas dans le Saint des saints avec les vêtements souillés de la vie commune ; mais nous toucherons les sacrements de Dieu avec une conscience pure et des vêtements chastes et consacrés : d’où vient que le pape Étienne statua qu’on ne se servirait des sacrés habits que dans les cérémonies ecclésiastiques et lors des offices que l’on célèbre en l’honneur de Dieu. Et Ézéchiel dit : « Ils ne bénissaient pas le peuple avec leurs vêtements ordinaires. » Car la religion divine a un costume pour les offices de l’Église, et un autre pour l’usage ordinaire de la vie, afin de montrer à tout le peuple chrétien l’exemple d’une bonne vie, et comment, après s’être d’abord lavés de leurs souillures, ils deviennent de nouveaux hommes aux yeux du Christ. En effet, le prêtre dépouille le vieil homme avec ses actes, et revêt alors le nouveau, qui a été créé selon Dieu. Par les vêtements aussi dont nous nous servons seulement pour célébrer les saints mystères, nous entendons qu’on ne doit pas les révéler tous au peuple. Et remarque qu’au temps de Louis, empereur, fils de Charles-le-Grand, les évêques et les clercs déposèrent leurs ceintures tissues d’or, leurs habits recherchés et les autres ornements du siècle.

II. Et les sacrés vêtements paraissent avoir été pris de l’ancienne loi ; car le Seigneur recommanda à Moïse de faire à Aaron, prêtre, et à ses fils, des habits saints pour le glorifier et pour l’honorer, afin qu’après s’être lavés et revêtus des sacrés vêtements ils s’acquittassent de leur charge dans les cérémonies (Exode, xxvii, xxxi, xxxv et xl cap.). Le Seigneur instruisit aussi Moïse, pendant quarante jours, à faire les vêtements pontificaux et sacerdotaux pour ses prêtres et ses lévites, et encore des ornements et des linges. Marie tissa et fit ce qui devait servir à l’usage du ministère dans le tabernacle de l’Alliance ; et l’Ecclésiastique (cap. xlvii) dit, en parlant de David : « Il rendit les fêtes plus brillantes, etc. » Il y a cependant des ornements empruntés aux apôtres, et ils désignent Celle [la sainte Vierge] que ses vertus ont rendue digne de coopérer au mystère de l’Incarnation.

III. Or, le pontife sur le point de célébrer ôte ses habits de tous les jours, et en revêt de purs et de sacrés. D’abord, il chausse des sandales, afin de se souvenir de l’incarnation du Seigneur. Secondement, il se met un amict, afin de comprimer ses mouvements et ses pensées, ses lèvres et sa langue, pour que son cœur devienne pur lorsqu’il recevra dans ses entrailles l’Esprit de justice qui le renouvellera. Troisièmement, une robe blanche [l’aube], afin de persévérer dans la pureté de la chair. Quatrièmement, la ceinture, pour mettre un frein à l’impétuosité de la luxure. Cinquièmement, l’étole, en signe d’obéissance. Sixièmement, la tunique couleur d’hyacinthe, c’est-à-dire la conversation et la vie célestes. Septièmement, il met, par-dessus, la dalmatique, c’est-à-dire la sainte religion et la mortification de la chair. Huitièmement, les gants, afin de rejeter la vaine gloire. Neuvièmement, l’anneau, afin de chérir sa fiancée (sponsam), c’est-à-dire son Église, comme lui-même. Dixièmement, la chasuble, c’est-à-dire la charité. Onzièmement, le suaire, afin d’essuyer avec la pénitence tout ce qu’il commet de péchés par fragilité ou par ignorance. Douzièmement, il met, par-dessus, le pallium, afin de se montrer imitateur du Christ, qui a supporté nos langueurs. Treizièmement, la mitre, afin d’agir de telle sorte qu’il mérite de recevoir la couronne éternelle. Quatorzièmement, le bâton pastoral, c’est-à-dire l’autorité de la puissance et de la doctrine. Et, ensuite, il foule les tapis sous ses pieds, afin d’apprendre à mépriser la terre et à aimer les biens du ciel. Et, toutes ces choses étant accomplies comme on l’a dit, le prêtre est revêtu de ses habits par ses ministres, parce que les anges l’aident de leur secours, afin qu’il revête les vêtements spirituels, ou parce qu’il est le vicaire[2] du Christ, que servent les anges et à qui ils donnent toutes choses. Le pontife regarde encore vers l’aquilon, quoiqu’il lui soit plus convenable de se tourner vers l’orient ou vers l’autel ; et il agit pourtant ainsi, et il peut regarder de ce côté, comme un avocat et comme un athlète sur le point de combattre avec l’antique ennemi. Il se revêt alors des vêtements sacrés comme d’autant d’armes, selon la parole de l’Apôtre, et comme on va le dire.

IV. Premièrement, les sandales lui tiennent lieu de jambières, de peur que quelque tache ou la poussière des affections de ce monde s’attache à son ame. Secondement, l’amict, tel qu’un casque, couvre et défend sa tête. Troisièmement, l’aube, au lieu de cuirasse, lui couvre tout le corps. Quatrièmement, il prend la ceinture (cingulum) pour arc, et le cordon de dessous (subcingulum) pour carquois. Or, le subcingulum est ce qui dépend du cingulum ou ceinture, et au moyen duquel le pontife rattache son étole à sa ceinture elle-même. Cinquièmement, l’étole qui entoure son cou est comme une lance qu’il brandit contre l’ennemi. Sixièmement, le manipule lui sert de massue. Septièmement, de la chasuble il se couvre comme d’un bouclier rond ; il arme sa main du livre des Évangiles comme d’une épée. On parlera aussi ailleurs, et plus bas, de tous les autres ornements. Ce sont donc les armes dont le pontife ou le prêtre doit être armé pour détruire les embûches spirituelles que lui tend le diable ; car, comme dit l’Apôtre, « les armes de notre milice ne sont pas charnelles, mais puissantes en Dieu pour renverser tout ce qu’on leur oppose ; et c’est par ces armes que nous détruisons les raisonnements humains ; » et dans une autre épître aux Ephésiens (vii cap.) : « Revêtez-vous, dit-il, de l’armure de Dieu, afin que vous puissiez tenir ferme contre les ruses et les embûches du diable. Tenez-vous donc debout, ceignez vos reins dans la vérité ; et, revêtus de la cuirasse de la justice et les pieds chaussés, allez annoncer l’Évangile de la paix, en prenant en toute occasion le bouclier de la foi, sur lequel vous pouvez éteindre tous les traits enflammés du plus cruel des ennemis ; enfin, prenez le casque du salut et l’épée de l’esprit, qui est la parole de Dieu. » Certes ! cette armure a été décrite ci-dessus : ce sont les sept vêtements du prêtre, comme autant de pièces différentes de cette panoplie (30)[3]. Elles doivent être les signes des sept vertus du prêtre, et la représentation des vêtements dont le Christ fut revêtu au temps de sa passion, comme on le dira plus bas.

V. Donc, que l’évêque veille infatigablement, et que le prêtre fasse toujours attention de ne pas porter un signe sans la signification qui s’y rattache, c’est-à-dire un vêtement sans la vertu dont il est le symbole, de peur que, par hasard, il ne soit semblable à un sépulcre blanchi au dehors, mais au dedans plein de toute sorte d’immondices ; car tout prêtre qui est orné de vêtements et n’est pas revêtu de mœurs honnêtes, se rend d’autant plus indigne devant Dieu qu’il paraît plus vénérable aux yeux des hommes (31)[4]. C’est pourquoi ce n’est pas tant déjà l’honneur du costume qui constitue la gloire pontificale, mais la splendeur des âmes, puisque ces ornements exigeaient non pas ce qui s’offre aux yeux des hommes et s’attire leurs flatteries charnelles, mais plutôt ce qu’on devait comprendre qu’ils signifiaient eux-mêmes ; en sorte que tout ce que ces voiles d’or avaient d’éclat matériel signifiait la splendeur des pierres précieuses et la diversité qui existe dans la multitude des bonnes œuvres de tout genre. Voilà ce qui devait briller surtout dans les mœurs et les actions ; car tandis que, chez les anciens, le respect même s’attachait à l'apparence et aux dehors des choses, chez nous l’expérience en est plus certaine que les énigmes des figures, ainsi qu’on le lit, avec d’autres choses, dans le Pontifical, touchant la consécration de l’évêque.

VI. C’est pourquoi donc, ainsi muni et fortifié, il s’avance à l’autel, pour repousser les attaques spirituelles de la malice avec le secours des armes célestes, et pour apaiser, dans la personne de ses sujets, la colère de Dieu. Par la confession (le Confiteor), il renonce à la domination du diable, et il s’accuse lui-même. Mais le peuple, qui prie, en quelque sorte, pour le maintien de ses privilèges, se prosterne à terre les veilles des jours de fêtes ; et, pendant que le prêtre récite les oraisons et les autres prières, il combat, pour ainsi dire, de toutes ses forces contre le diable. Lorsque le diacre, dans les jours déjeune, avant l’évangile, replie sa chasuble sur l’épaule, il semble brandir l’épée contre l’ennemi. Lorsque le hérault (le sous-diacre) lit l’épître à haute voix, c’est l’empereur qui donne ses édits. Les chants sont les sons de la trompette ; les préchantres qui gouvernent le chœur sont les chefs des troupes qui les exercent au combat ; d’autres soldats viennent à leur aide, et les remplacent quand ils plient. Le chant de la séquence (ou prose), c’est le cri ou le chant de victoire. Pendant la lecture de l’évangile, l’ennemi est passé au fil de l’épée, et l’armée, dispersée par le combat, se réunit en corps après la victoire. L’évêque qui prêche, c’est l’empereur (ou le général) qui loue les vainqueurs[5]. Les offrandes, ce sont les dépouilles que l’on partage entre les soldats. Le chant de l’offertoire, c’est le triomphe qui est dû à l’empereur. Et la paix est, à la fin, donnée au peuple, comme celle que l’on retire de la défaite de l’ennemi ; et ensuite le peuple, après avoir été licencié par l' Ite, missa est (Allez, la messe est terminée), s’en retourne dans ses foyers, avec la joie de la victoire et la paix qu’il a obtenue. C’est pourquoi l’évêque, ou le prêtre qui doit célébrer la messe, se revêtira des trois habillements qui conviennent à son rang, et à la parure de l’habit doivent se rapporter aussi les accessoires du geste et de l’action.

VII. A propos de quoi il est à remarquer qu’il y a six vêtements communs aux prêtres et aux évêques, parce qu’il y a aussi six choses dans lesquelles consiste le commun pouvoir des prêtres et des évêques. Mais il y a neuf ornements particuliers aux pontifes, parce qu’il y a aussi neuf choses sur lesquelles se fonde la puissance spéciale des évêques. Or, par ce nombre des vêtements communs et particuliers, on représente la communauté et la spécialité des pouvoirs entre les évêques et les prêtres. On a parlé de cela dans la précédente partie, sous la rubrique de l’Evêque. En effet, on lit qu’il a été établi, tant dans le Nouveau que dans l’Ancien-Testament, que les pontifes auraient, en outre des vêtements communs, des habits particulicrs : il y en avait (quatre conmuns et quatre spéciaux, comme on le dira au chapitre des Vêtements de l’ancienne loi ; et la raison mystique le voulait ainsi, car ces habits ont été donnés aux hommes charnels et mondains, parce que le nombre quatre convient à la chair, à cause des quatre humeurs, et au monde, à cause des quatre éléments. Mais quant aux nôtres, ils ont été donnés aux spirituels et aux parfaits.

VIII. Car le nombre six, qui est parfait, parce qu’il se compose de ses parties rassemblées, convient aux hommes parfaits ; d’où vient que ce fut le sixième jour que Dieu parfit le ciel et la terre et tout leur ornement ; et aussi, quand les temps furent accomplis et que le sixième âge du monde fut arrivé, il racheta le genre humain à la sixième heure du sixième jour. Or, le nombre six est un nombre parfait, parce qu’il est complet dans le rang des nombres ; car lorsqu’on dit : Un, deux, et trois, le nombre six est rempli ; ou bien parce qu’il se divise en trois parties, c’est-à-dire en sixième, en tiers et en demi, à savoir : en un, en deux et en trois. Le nombre neuf convient aussi aux spirituels, parce qu’il y a neuf ordres d’anges, qui, selon le Prophète, sont désignés par les neuf espèces de gemmes ou pierres précieuses[6].

IX. Donc, il y a quinze ornements pour le pontife, qui désignent les quinze degrés des vertus par leur nombre même, et que le Psalmiste a distingué par quinze cantiques gradués. Or, les habits sacerdotaux signifient les vertus dont les prêtres doivent être ornés, selon cette parole prophétique : « Tes prêtres se revêtiront de la justice, et tes saints tressailleront de joie. » On appelle ces habits talares, parce que le talon (thalus) est la fin du corps ; ce qui montre qu’il ne suffit pas d’entreprendre la bonne œuvre si l’on ne s’efîorce avec zèle de persévérer jusqu’à la fin, comme on le dira au chapitre de la tunique. Ainsi donc, notre pontife revêt plus de huit vêtements, quoiqu’on ne lise pas qu’Aaron en ait eu plus de huit, auxquels ont succédé les modernes. Ce qui est ainsi, parce qu’il faut que notre justice soit plus abondante que celle des scribes et des pharisiens, afin que nous puissions entrer dans le Royaume des cieux. On peut dire aussi que notre pontife a huit vêtements depuis la tête jusqu’aux pieds, en exceptant de ce nombre les sandales et les gants ; ce sont : l’amict, l’aube, la ceinture et l’étole, deux tuniques, la chasuble et le pallium. car les sandales nous appartiennent plutôt qu’à Aaron, parce qu’il nous a été dit : « Allez, enseignez toutes les nations, etc. » Enfin, outre les susdits vêtements attribués aux ordres sacrés et à leurs ministres, il y a aussi encore une robe de lin, que l’on appelle surplis (32)[7] (superpellicium), dont ils doivent se servir par-dessus les habits communs, lorsqu’ils vaquent à quelques services de l’autel et des sacrés mystères, comme on le dira dans le chapitre suivant.

X. Et d’abord, le surplis, à cause de sa blancheur, marque la netteté ou la pureté de la chasteté, selon cette parole : « Qu’en tout temps tes vêtements, c’est-à-dire tes œuvres, soient pures et sans tache. » Et, à cause de son nom, il figure la mortification de la chair.

XI. Secondement, il est appelé surplis (superpellicium), de ce que, très-anciennement, on le revêtait par-dessus les tuniques et pelisses (pellicias) faites de peaux de bêtes mortes ; ce qui s’observe encore dans certaines églises, pour représenter qu’Adam, après le péché, fut vêtu d’un pareil vêtement. Troisièmement, il dénote l’innocence, et voilà pourquoi on le revêt souvent avant tous les autres habits sacrés ; parce que ceux qui sont destinés au culte saint doivent briller, par-dessus tous les actes des vertus, de l’innocence de la vie, selon cette parole du Psalmiste : « Les innocents et les hommes droits se sont attachés à moi. » Quatrièmement, à cause de son ampleur il désigne convenablement la charité ; d’où vient qu’on le met par-dessus les profanes et communs vêtements, pour marquer que « la charité couvre la multitude des péchés. » Cinquièmement, à cause de sa forme ; comme il est fait en façon de croix, il figure la passion du Seigneur, et que ceux qui le portent doivent être crucifiés avec leurs vices et leurs concupiscences.

XII. Or, en certains lieux on fait les surplis avec les chrêmeaux (de chrismalibus lineis) que l’on met aux enfants baptisés ; et ceci a lieu à l’exemple de Moïse, qui de la pourpre et du lin très-fin et des autres choses offertes par le peuple, pour le tabernacle, fit des habits dont se revêtaient Aaron et ses fils quand ils remplissaient leur ministère dans le sanctuaire. (Exod., xxxix cap.)

XIII. Il y a encore aussi un autre habit que l’on appelle phvvial ou chape (capa) (33)[8], et que l’on croit avoir remplacé la tunique de l’ancienne loi. D’où vient que, de même que la première était garnie de petites clochettes, ainsi la seconde l’est de franges, qui sont les labeurs et les inquiétudes de ce monde. Elle a aussi un capuchon, qui est la joie suprême. Elle descend jusqu’aux pieds ; ce qui signifie la persévérance finale. Elle est ouverte dans la partie antérieure, pour marquer que la vie éternelle est ouverte à ceux qui vivent saintement ; ou parce que la vie des chrétiens doit être comme un exemple patent devant les yeux de leurs frères. On entend encore par la chape la glorieuse immortalité des corps. D’où vient que nous ne la revêtons que dans les plus grandes festivités, considérant que, lors de la résurrection à venir, les élus, après avoir jeté loin d’eux le fardeau de la chair, recevront deux robes (binas stolas), savoir : le repos de leurs âmes, et la gloire de leurs corps. Cette chape est, ajuste titre, large à l’intérieur, et on n’y coud qu’une agrafe, qui est nécessaire pour l’attacher, parce que les corps devenus spirituels n’étreindront plus l’ame par aucune angoisse. On la borde aussi de franges, parce qu’ainsi il ne manquera rien à notre perfection, et que ce que nous savons maintenant en partie nous le connaîtrons alors comme nous nous connaissons à présent.

XIV. Mais certains hérétiques disent, en coassant comme des grenouilles (garriunt), qu’on ne trouve nulle part, dans le Nouveau-Testament, que le Christ ou ses disciples se soient vêtus des susdits habits, nous reprenant témérairement de ce que nous nous parons de tels vêtements (34)[9], puisque, comme Jean le dit, « le Seigneur, se levant de table, déposa ses vêtements, » et qu’ensuite il n’en prit jamais d’autres que les siens. Mais nous [selon leur dire], nous revêtons un plus grand nombre d’habits [que nous n’en mettons communément] pour dire la messe, dans laquelle nous imitons la Cène, et que le Seigneur nous a recommandé de nous garder de ceux qui veulent aller revêtus de stoles (ou longues robes), en nous disant : « Gardez-vous des scribes, qui veulent aller revêtus de stoles. » Ils disent aussi que nous faisons cela pour paraître plus justes et plus excellents devant les peuples, comme cette parole : « Pour vous, vous avez grand soin de paraître justes devant les hommes ; mais Dieu connaît le fond de vos cœurs, car ce qui est grand aux yeux des hommes est en abomination devant Dieu. » Mais cette erreur est très-ouvertement réfutée parce qui a été dit ci-dessus. On lit aussi dans l’Exode (xlii et xliv) : « Lorsqu’ils entreront dans mon sanctuaire et qu’ils approcheront de ma table pour me servir et assister à mes cérémonies, ils se revêtiront d’habits de lin, et il n’y aura rien sur eux qui soit de laine. Quand ils sortiront dans le parvis, au dehors et devant le peuple, ils se dépouilleront des vêtements avec lesquels ils ont rempli leur office, et ils ne béniront pas le peuple avec leurs habits. »

XV. Et remarque que les portiers, les lecteurs, les exorcistes et les acolytes se servent d’habils blancs, à savoir : du surplis, de l’amict, de l’aube et de la ceinture ou baudrier, afin d’imiter les anges, ministres de Dieu, par la pureté de la chasteté, et qu’ils leur soient associés dans la chair glorifiée par l’Esprit, comme dans leurs robes blanches. De là vient qu’ils se servent plutôt de vêtements de lin, parce que, de même que le lin arrive à la blancheur par un grand travail, ainsi il est aussi nécessaire qu’ils parviennent par beaucoup de tribulations à la gloire du royaume des cieux.

XVI. Dans le Concile de Mayence (II, q. i, Episcopus, Presbyter), il fut établi que l’évêeque, lors de son ordination, recevrait l’orarium[10], la crosse et l’anneau ; le prêtre, l’orarium et la planète (chasuble) ; le diacre, l’orarium et la dalmatique ; le sous-diacre, la patène et la croix ; et, lorsqu’on les dégrade, ils perdentces insignes. Et dans le Concile de Tolède (dist. xciii, Diaconus) il fut statué, dans une session, que le diacre, au temps de l’offrande seulement, et quand il lit l’évangile, se servirait de l’aube, c’est-à-dire de la dalmatique.

XVII. Il est aussi à remarquer que les vêtements du prêtre de l’Évangile désignent une chose dans le chef (caput), qui est le Christ, et en figurent une autre dans les membres, bien que le chef et les membres soient appelés du nom de prêtre, du chef, l’écrivain des Psaumes dit : « Tu es prêtre pour toujours, selon l’ordre de Melchisédech ; » et aux membres l’Apôtre dit : « Vous êtes une race élue, un sacerdoce royal. » Donc, il faut en exposer les mystères, premièrement, pour les membres ; c’est la même chose nécessairement que pour la ite, c’est-à-dire le Christ, comme on en fera la distinction dans un chapitre. Quant aux ornements, et aux palles, et aux habits de l’église ou de l’autel, on en a parlé dans la première partie, où il s’agit des peintures.

XVIII. Enfin, il y a six vêtements communs aux prêtres et aux évêques ; ce sont : l’amict, l’aube, la ceinture ou cordon, l’étole (stola), le manipule, la planète. Et neuf sont particuliers aux pontifes ; ce sont : les bottines, les sandales, les chausses, la tunique, la dalmatique, les gants, la mitre, l’anneau, le bâton pastoral. Nous parlerons de chacune de toutes ces choses en particulier, et aussi du suaire et du pallium, et des couleurs dont l’Église se sert dans les vêtements ecclésiastiques, ainsi que des vêtements de l’ancienne loi ou de l’Ancien-Testament.

  1. Il nous eût été agréable de pouvoir donner à nos lecteurs le dessin exact des costumes de l’Église au xiiie siècle ; mais, malheureusement pour nous et pour eux, il y a si peu de données certaines sur les vêtements sacrés de cette époque, que nous avons dû renoncer à notre projet. Nous nous contenterons seulement d’indiquer aux curieux : les Monuments de la monarchie française, par Montfaucon, 5 vol. in-folio ; le Voyage littéraire de deux bénédictins (Durand et Martène), 2 vol. in-4o ; D. Claude de Vert, Explication… des cérémonies de l’Église, la dernière édition, en 4 vol. in-8o ; le Voyage liturgique en France du sieur de Moléon (Le Brun des Marètes), 1 vol. in-8o ; les Vitraux de la cathédrale de Bourges et les Mélanges d’archéologie, etc., par les RR. PP. Arthur Martin et Cahier. À la Bibliothèque impériale, on pourra voir les miniatures des manuscrits suivants : le Missel de saint Louis ; les Miracles de la Vierge, par Gautier de Coinsy ; les exemplaires du Rational du xiiie siècle ; et les Bibles moralisées, de la même époque. On peut lire aussi avec fruit les remarquables travaux de M. Victor Gay sur les ornements sacrés (Annales archéologiques).
  2. V. Du Cange, Gloss., voce Vicarius.
  3. voir la note 30 page 425.
  4. Voir note 31 page 425.
  5. Durand, dans ces belles images, semble s’être rappelé avec complaisance les fonctions militaires qui remplirent une partie si glorieuse de sa vie.
  6. Voyez l’excellent travail de Mme Félicie d’Ayzac (dame de la Maison impériale de Saint-Denis) sur la Symbolique des pierres précieuses, ou Tropologie des gemmes, publié dans les Annales archéologiques (livraison d’octobre 1846). Mme d’Ayzac, avec une érudition aussi agréable que solide, prélude, par des articles fort remarquables sur l’archéologie catholique, à la publication d’un livre dont tous les amis de l’art chrétien hâtent de leurs vœux l’apparition ; cet ouvrage aura pour titre : Des Nombres dans l’Archéologie chrétienne. Nul doute que les idées de Mme d’Ayzac, puisées à d’excellentes sources, ne viennent nous révéler enfin un des points les moins explorés, et cependant des plus curieux, de l’histoire de l’art religieux chez nos pères.
  7. Voir note 32 page 426.
  8. Voir note 33 page 427.
  9. Voir note 34 page 428.
  10. Jean de Janua dit sur ce mot : « Orarium est dérivé de ora, extrémité des habits, frange que l’on met à l’ourlet du bas d’un vêtement pour l’orner ; Orarium peut aussi se tirer de os, oris, la bouche ; et alors c’est un péplum, ou une bandelette qui entoure et couvre le tour du visage. » (V. Cathoticon parvum.) — Saumaise [ad Vopiscum, p. 409) : « Orarium, un ourlet de robe oi touret à mettre sur le visage. » — Mais c’est surtout un suaire ou mouchoi pour s’essuyer la bouche. — C’est encore, selon Alcuin (De divin. Offic. lib.) ï’étole du prêtre : « Orarium, id est stola, dicitur eo quod oratoribus, id est praedicatoribus concedatur. » — Orarium seu stola, in Statutis Ricuifi, episcopi Sues sionensis, cap. 7. — Aujourd’hui l’on pourrait donner le nom d’orarium à cette bande de linge qui garantit de la sueur du cou, le haut de l’étole. — Le Romain de Charité, Ms., en donne l’étymologie suivante dans ces trois vers :

     Bien ses que par un autre nom
    Apelle on l’estole orier,
    Car d’ovrer te fait labourier.

      V. Du Cange, voce Orarium, in Gloss. — Orarium, guimpe, selon D. Carpentier (suppl. ad Gloss.). — Livre de prières dans la Vie de saint Brocard, l. 1 ch. sept., p. 580, col.l, apud Boll., Act. SS. : « Sicut enim mercator quaestus causa proficiscens, libros et calculos secum defert, sic S. Brocardus, quacumque per gebat, orarium, breviarium et pater-noster secum portavit. »