Rational (Durand de Mende)/Volume 1/Premier livre/Chapitre 08

Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 1p. 122-137).


CHAPITRE VIII.
DES CONSÉCRATIONS ET DES ONCTIONS.


I. On lit que le Seigneur commanda à Moïse de composer une huile (chrisma) pour en oindre le tabernacle au jour de la Dédicace, ainsi que l’arche du Testament, la table et les vases sacrés ; enfin, pour consacrer, par une onction semblable, les prêtres et les rois.

II. On ne lit pas, toutefois, que Moïse fut oint autrement que d’une onction spirituelle, ainsi que le Christ. Or, le Christ ne voulut pas être oint de l’onction matérielle, puisque c’est par elle qu’on reçoit l’onction spirituelle dont il fut oint ; et voilà pourquoi l’Église, mère miséricordieuse (mater pia) fait diverses onctions. Nous en toucherons ici quelques mots en passant, et nous dirons : premièrement, ce que signifient ces onctions ; secondement, de quoi elles se composent ; troisièmement, nous parlerons de l’onction qu’on fait à ceux que l’on doit baptiser ; quatrièmement, de l’onction que l’on fait à ceux qui sont baptisés, onction que l’évêque leur fait sur le front ; cinquièmement, de l’onction de ceux qu’on ordonne prêtres ; sixièmement, de l’onction qui sert à consacrer les évêques et les princes : septièmement, de celle de l'église, de l’autel, du calice et des autres vases consacrés au culte divin ; huitièmement, de l’extrême-onction ; neuvièmement, de la consécration et de la bénédiction du cimetière, des habits sacerdotaux et des autres ornements de l’église ; dixièmement, de la consécration et de la bénédiction des vierges.

III. Et d’abord, il est à remarquer qu’il y a deux sortes d’onction : l’extérieure, qui est matérielle ou corporelle et visible, et l’intérieure, qui est spirituelle et invisible. Le corps est oint visiblement par l’onction extérieure. L’apôtre saint Jacques dit au sujet de la première : « Quelqu’un d’entre vous est-il malade, qu’il fasse venir les prêtres de l’Église, et qu’ils prient sur lui, en l’oignant avec l’huile, au nom du Seigneur, et la prière de la foi sauvera l’infirme. » L’apôtre saint Jacques dit en parlant de la seconde : « Pour que l’onction que vous avez reçue de la main du prêtre demeure en vous, afin que vous ne soyez pas réduits à la nécessité d’être instruits par quelqu’un ; mais, de même que l’onction du prêtre vous enseigne toutes choses, ainsi l’onction extérieure est le signe de l’intérieure. » Et l’onction intérieure n’est pas seulement un signe, c’est-à-dire la signification d’une chose, mais elle est même encore un sacrement, parce que, si on la reçoit dignement, ou bien elle donne, ou bien elle augmente, sans aucun doute, ce qu’elle représente, c’est-à-dire le salut du corps et de l’ame, et parfois des deux réunis ; selon cette parole : « Ils leur imposeront les mains, et ils s’en trouveront bien. » En second lieu, il faut savoir qu’on bénit deux huiles pour faire l’onction extérieure et visible, à savoir : l’huile sainte ou des catéchumènes, dont on oint les catéchumènes, et l’huile des malades, dont on oint les malades. L’autorité de saint Jacques, précitée, en parle ainsi : « Quelqu’un d’entre vous est-il malade ? etc. » On dira dans la septième partie, sous la cinquième férie, de la Cène du Seigneur (le Jeudi saint), comment se font les bénédictions des deux huiles et du chrême.

IV. Mais on demande pourquoi on oint d’huile les infirmes et les catéchumènes ? Je réponds que c’est afin que, par les choses visibles, les invisibles soient saisies plus facilement ; car, de même que l’huile, en chassant la maladie, donne une nouvelle vie aux membres fatigués, et de sa nature sert à éclairer par la lumière qu’elle produit ; il faut ainsi croire que l’onction de l’huile consacrée, qui est le signe de la foi, en mettant en fuite les péchés, donne la santé à l’ame et l’éclaire. Donc, l’huile visible, dans le signe, est l’huile invisible dans le sacrement, et l’huile spirituelle au dedans du corps. Touchant l’huile des malades, nous avons reçu l’enseignement des Apôtres. Quant à l’huile des catéchumènes, nous la tenons des hommes qui leur ont succédé.

V. Et, quoique Dieu puisse accorder l’huile spirituelle sans qu’on reçoive la corporelle, cependant, comme les apôtres pour les infirmes, et leurs successeurs pour les catéchumènes, se sont servis de ce moyen, on ne peut omettre sans péché ce que leur autorité a consacré, comme on l’a dit au chapitre de l’Autel. Car ce fut ainsi qu’autrefois les justes plurent à Dieu, d’abord sans qu’il leur fût besoin d’être circoncis ; mais, quand Dieu eut fait un commandement de la circoncision, ceux qui l’omettaient commettaient un péché. Troisièmement, parlons de l’onction de ceux qu’on doit baptiser. Or, dans le Nouveau, Testament, non-seulement on oint les rois et les prêtres, comme on le dira bientôt, mais aussi tous les chrétiens, parce que le Christ nous a fait rois et prêtres dans son sang devant notre Dieu, c’est-à-dire des prêtres-rois, selon ce que dit l’apôtre saint Pierre : « Vous êtes une race élue, c’est-à-dire choisie parmi les hommes ; sacerdoce royal, que vous possédez en vous conduisant bien (regale sacerdotium… bene vos regentes). »

VI. Tous les chrétiens sont oints deux fois d’huile bénite avant leur baptême. Premièrement sur la poitrine, ensuite entre les épaules, et deux fois après le baptême, du chrême consacré : d’abord par le prêtre, au sommet de la tête ; ensuite par l’évêque, au front ; et, selon [saint] Augustin (II, d. Ecclesiasticarum), les trois premières onctions que fait l’Église ont été introduites plutôt par l’usage qu’en vertu de quelque témoignage de l’Écriture. Or, on oint celui qu’on doit baptiser à la poitrine, siège du cœur : premièrement, afin que, par le don de l’Esprit saint, il rejette l’erreur et l’ignorance et reçoive la foi droite, parce que le juste vit de la foi, et que c’est par le cœur qu’on croit à la justice ; entre les épaules, afin que, par la grâce de l’Esprit saint, il secoue la négligence et la torpeur, et s’exerce à la pratique des bonnes œuvres, parce que la foi sans les œuvres est une foi morte ; afin aussi que, par le mystère (sacramentum) de la foi, ses pensées s’épurent de plus en plus. Sur la poitrine, afin qu’en s’exerçant aux bonnes œuvres, il ait la force de supporter les labeurs de cette vie. Sur les épaules, puisque la foi est engendrée par l’amour (dilectione), selon l’Apôtre. Or, l’huile passe du cœur aux épaules quand la foi que l’on conçoit dans son ame arrive à sa perfection par les œuvres ; car, selon la définition suivante, la foi consiste à faire ce que tu dis. Et celui qui a été baptisé est oint du chrême par le prêtre, au sommet de la tête, afin d’être prêt à rendre raison de la foi à tout homme qui l’interrogera. Par la tête, on entend l’ame, selon ce qu’on lit : « Les yeux, c’est-à-dire l’intelligence du sage sont dans sa tête, à savoir : dans son ame, dont la partie supérieure est la raison, et l’inférieure la sensualité. » Voilà pourquoi, par le sommet de la tête, qui en est la partie supérieure, on entend à juste titre la raison, qui est la partie la plus élevée de l’ame. On parlera bientôt de cela, dans la sixième partie, à l’article du Samedi saint, où l’on traite de la Confirmation. Or donc, avant le bap tême, on oint l’homme d’huile bénite, et après du chrême consacré, car le chrême convient seulement au chrétien.

VII. Le Christ (Christus) tire son nom du chrême ou de l’onction (a chrismate) qu’il a reçue ; ou plutôt c’est du Christ (a Christo) que cette onction a pris son appellation (chrisma), non selon la forme du nom, mais plutôt selon la règle de la foi. Les chrétiens tirent leur nom du Christ, comme en quelque sorte les oints dérivent de l’oint (uncti... ab uncto), c’est-à-dire du Christ, afin que tous courent en foule à l’odeur du parfum du Christ, dont le nom est une huile répandue ; mais, selon la rigueur du nom, les chrétiens tirent le leur du chrême (chrisma), selon [saint] Isidore. On parlera de cela dans la préface de la seconde partie.

VIII. Selon saint Augustin, la première onction faite avec l’huile montre encore que nous sommes préparés à entendre la foi tout entière, et que nous sommes appelés à la bonne odeur du Christ et avertis de renoncer au diable. La seconde onction se fait sur la poitrine et entre les épaules, selon Raban (Maur), afin que par la foi nous soyons fortifiés de toutes parts et remplis de courage, pour parfaire de bonnes œuvres avec la grâce de Dieu. Car, par la poitrine la vertu de la foi, et par les épaules, sur lesquelles on porte les fardeaux, sont entendues d’une manière bien claire la force de l’homme et la pratique des bonnes œuvres, selon cette parole : « Ils lient des fardeaux qu’on ne peut porter, et ils les placent sur les épaules des hommes, etc. » On oint donc l’homme sur la poitrine et entre les épaules, afin qu’il laisse en esprit et en pratique derrière lui les œuvres du diable, et qu’il soit capable de comprendre la parole de Dieu et robuste à porter son joug et le fardeau de la loi.

IX. L’onction que l’on fait sur le sommet de la tête, c’est-à dire au haut de la tête, sur le cerveau, a lieu, selon le même auteur, afin que celui qu’on oint soit digne de participer au céleste royaume, et parce que l’ame de l’homme baptisé est fiancée à son chef (capiti) qui est le Christ. Et c’est à cause de cela qu’on fait l’onction avec le chrême, qui est lui-même composé d’huile et de baume, pour que nous sachions que l’Esprit, qui opère d’une manière invisible, est donné à cet homme. Or, l’huile réchauffe les membres fatigués et donne de la lumière, comme il a été dit plus haut, et le baume exhale une bonne odeur. Certes ! les membres de l’ame sont fatigués quand elle se repent de s’être tournée contre Dieu ; le Saint-Esprit vient alors à elle ; il illumine son intelligence et lui montre clairement que ses péchés lui ont été ou doivent lui être remis ; il lui accorde en même temps le don des bonnes œuvre, qui exhalent dans les autres une bonne odeur ; ce que désigne le baume parfumé. C’est encore parce que le siège de l’orgueil qui s’ouvre toujours aux vues les plus élevées, selon le sens de son nom même (superbia… superiora aperit), paraît être sur le sommet de la tête, qu’à juste titre on oint cette partie du corps en forme de croix et pour représenter l’humilité.

X. Le pape Sylvestre décida que cette onction serait faite par les prêtres à l’article de la mort ; d’où l’on peut croire qu’avant lui les deux onctions du sommet de la tête et du front étaient réservées à l’évêque ; car, comme le giron de l’Église se dilatait et que les évêques ne pouvaient suffire à tous pour la confirmation, ce pape établit, pour que les fidèles ne mourussent pas sans être oints du chrême, qu’ils seraient oints par les prêtres sur le sommet de la tête, au cerveau, où est le siége de la sagesse, et cela pour la force et l’augmentation de la grâce, « afin que, s’ils meurent ensuite, dit Richard (in Mitrali), ils reçoivent à proportion de la grâce l’augmentation de la gloire. »

XI. Mais cependant nous croyons que, sans recevoir l’onction, on est sauvé par le seul baptême, et que, sans qu’il soit besoin de l’imposition des mains, Dieu donne l’Esprit saint à qui il veut le donner, ainsi qu’on le lit dans les Actes des Apôtres.

XII. Et les sectateurs d’Arnaud (de Bresse ou de Brescia[1] Arnaldistæ), hérétiques pleins de perfidie, soutiennent que les hommes ne reçoivent jamais l’Esprit saint par le baptême d’eau, et que les Samaritains baptisés ne le reçurent que lors qu’on leur eût imposé les mains. Or, on fait deux onctions en forme de croix, selon Raban, afin que dès ce moment le diable, reconnaissant sur le vase qui lui avait d’abord appartenu le signe de sa première défaite, celui de la sainte croix, par laquelle il a été vaincu, sache qu’il est dès-lors à un autre (alienum), c’est-à-dire qu’il lui est devenu étranger (alienatum).

XIII. On fait aussi, selon lui, l’onction à la poitrine en invoquant la Trinité, afin qu’il ne reste aucune trace de l’ennemi cachée dans le cœur de l’homme, mais que, par la foi de la sainte Trinité, son ame soit affermie, reçoive et ait l’intelligence des commandements de Dieu. Donc, tout fidèle est oint deux fois : premièrement d’huile ; ensuite, de la même manière, deux fois du chrême. Premièrement, dans le baptême, au sommet de la tête ; secondement, après le baptême, sur le front, lors de la confirmation, parce que l’Esprit fut encore deux fois donné aux Apôtres, comme on le dira dans la sixième partie, à l’article du Samedi saint. En quatrième lieu, nous devrions parler de l’onction que fait l’évêque sur le front du baptisé ; mais on traitera de cela dans la sixième partie, à l’article du Samedi saint.

XIV. En cinquième lieu, pour ce qui concerne l’onction de ceux qu’on doit ordonner, il est à remarquer que les mains du prêtre sont ointes par l’évêque, afin qu’il connaisse que, dans ce sacrement, il reçoit de l’Esprit saint la vertu et la grâce de consacrer. Voilà pourquoi l’évêque, en lui oignant les mains, lui dit : « Seigneur, daigne consacrer et sanctifier ces mains par cette onction et par notre bénédiction, afin que tout ce qu’elles consacreront soit consacré, et que tout ce qu’elles béniront soit béni au nom du Seigneur. » Et voilà pourquoi les personnes dévotes baisent les mains des prêtres aussitôt après leur ordination, car elles croient que, par là, elles participent à leurs prières et à leurs bonnes œuvres. Et on oint les mains des prêtres d’huile consacrée, parce qu’ils doivent, selon leurs forces, exercer envers tous les œuvres de la miséricorde. Car les mains désignent les œuvres, l’huile la miséricorde. Voilà pourquoi le Samaritain, en pansant le blessé, versa sur ses plaies du vin et de l’huile. On les oint encore d’huile, afin qu’ils soient purs pour offrir à Dieu l’hostie pour les péchés, et pour remplir largement et non pas d’une ma nière sèche et basse les autres offices de piété et de miséricorde (pietatis). L’huile représente encore la grâce de la guérison et la charité de la dilection. C’est pourquoi on impose aussi les mains avec l’huile sur la tête de celui qu’on ordonne, parce que par les doigts on entend les dons de l’Esprit saint, et par la tête l’ame du récipiendaire. On impose donc les mains au prêtre, parce que celui qui est pénétré des dons de l’Esprit saint est destiné à faire les œuvres du Christ.

XV. Sixièmement, pour ce qui concerne l’onction des évêques et des princes, il faut savoir que l’onction des évêques a pris son origine de l’ancien Testament. Car il est dit (Lévit., xxii) : « Le pontife sur la tête duquel on répand l’huile de l’onction, et dont les mains sont consacrées pour remplir les fonctions du sacerdoce… » Assurément, on oint l’évêque du chrême, qui, comme on l’a dit plus haut, est fait d’huile et de baume, et il en est oint tant dans le corps (in corpore) que dans le cœur (quam in corde), afin qu’il ait à l’intérieur l’éclat de la conscience devant Dieu, et possède extérieurement l’odeur de la bonne renommée devant son prochain : la première chose est désignée par l’huile, la seconde par le baume. Touchant l’éclat de la conscience, l’Apôtre dit : « Notre gloire, c’est le témoignage de notre conscience. » Car toute la gloire de la fille du roi vient du dedans, c’est-à-dire procède de son ame. Le même Apôtre dit, en parlant de l’odeur de la bonne renommée : « Nous sommes la bonne odeur du Christ ; c’est-à-dire que nous imitons son exemple en tout lieu, et que nous sommes pour les autres le parfum d’une conduite qui mène à la vie ; » comme s’il disait : « Nous sommes un exemple de la dilection et de la bonne pensée qui conduit à la vie éternelle ; pour les autres, nous sommes une odeur de mort qui mène à la mort, c’est-à-dire une exhalaison d’envie et de mauvaise pensée qui conduit à la mort éternelle. »

XVI. Or, l’évêque doit avoir en lui un bon témoignage, et des personnes qui sont dans l’Église et de celles qui sont dehors ; car, de même que la courtine tire après elle une autre courtine, ainsi le fidèle doit attirer à sa suite un infidèle à la foi, et il faut que celui qui l’écoute, en apprenant et en croyant, lui dise : « Viens, » en le préconisant. Et on consacre avec ce parfum (le chrême) la tête et les mains de l’évêque ; car, par la tête, on entend l’ame, selon cette parole de l’Évangile : « Oins, c’est-à-dire humilie ta tête et lave ta figure [ta conscience] avec tes larmes. » Les mains désignent les bonnes œuvres, selon ces mots qu’on lit dans les Cantiques : « Mes mains, qui sont mes bonnes œuvres, ont distillé la myrrhe, c’est-à-dire ont donné aux autres le bon exemple. »

XVII. Et l’on oint la tête du baume de la charité. Premièrement, afin que l’évêque chérisse Dieu de tout son cœur, et de tout son esprit, et de toute son ame ; et aussi, à l’exemple du Christ, son prochain comme lui-même, c’est-à-dire autant que lui-même. L’huile sur la tête, c’est la charité dans l’ame, selon saint Grégoire. Secondement, l’onction de la tête marque l’autorité et la dignité, parce qu’on consacre non-seulement l’évêque, mais aussi le roi. Troisièmement, afin de montrer par là qu’il représente (comme son vicaire) la personne du Christ, celui dont il est dit par le prophète : « Sicut unguentum in capite, etc. » Or, la tête de l’homme, c’est le Christ ; la tête du Christ, c’est Dieu, qui dit de lui-même : « L’esprit du Seigneur est sur moi, parce qu’il m’a oint et m’a envoyé évangéliser les pauvres. » Donc le Christ, notre chef (caput), est oint de l’huile invisible ; il fait appel à l’Eglise universelle en toute occasion et pour tout, et l’évêque n’a ce pouvoir que pour ce qui lui a été confié.

XVIII. On oint les mains pour conférer le ministère et la charge de l’épiscopat. Car on oint d’huile les mains qui désignent les œuvres, et cette huile c’est le chrême de la piété et de la miséricorde. Premièrement, afin que l’évêque fasse du bien à tous, mais surtout aux serviteurs (domesticos) de la foi, afin qu’elles ne soient fermées à personne, mais qu’elles soient ouvertes à tous, selon cette parole : « Il a ouvert ses mains à l’homme dénué de tout, et il a tendu ses bras au pauvre. » La main aride, la main avare, la main paralysée (contracta) par la lésinerie ne peut s’ouvrir. On oint donc les mains, afin qu’elles soient guéries, qu’elles s’ouvrent et qu’elles répandent avec largesse des aumônes dans le sein des indigents. Secondement, afin de montrer que l’évêque reçoit le pouvoir de bénir et de consacrer. C’est pourquoi, quand celui qui le consacre lui oint les mains, il dit : « Seigneur, daigne consacrer et sanctifier ces mains, etc. ; » comme plus haut. Troisièmement, afin qu’elles soient pures pour offrir les hosties pour les péchés. Et remarque que, bien que les mains de l’évêque aient été ointes d’huile lorsqu’on l’ordonne prêtre, on les oint cependant de nouveau du chrême lorsqu’on le consacre évêque. En effet, les mains ce sont les œuvres, l’huile c’est l’abondance de l’Esprit saint et de la grâce, par le baume que l’on y joint et que l’on y mêle ; l’odeur de la bonne renommée est représentée parle chrême. On lit dans l’Ecclésiaste (xxiii) : « Mon parfum est celui d’un baume sans mixtion. » Or, de même que, dans la hiérarchie céleste, les anges les plus élevés par le rang possèdent une plus grande grâce que les bons anges qui leur sont inférieurs, ainsi, dans les œuvres des évêques et des autres hommes élevés en dignité, plus que dans leurs inférieurs doit apparaître le don de l’Esprit saint, et s’exhaler plus suave le parfum de la bonne renommée, selon cette parole de la deuxième Lettre aux Corinthiens : « Nous sommes la « bonne odeur du Christ devant Dieu. » Et c’est pour cela que, lors de la consécration des évêques, on oint encore du chrême, et avec raison, leurs mains ointes d’huile autrefois.

XIX. On oint aussi le pouce avec le chrême, afin que son imposition profite à tous pour le salut.

XX. Or, dans l’ancien Testament, on oignait non-seulement le prêtre, mais encore le roi et le prophète, comme on le voit dans le livre des Rois. C’est pourquoi le Seigneur donna ce commandement à Elie : « Va, et retourne dans ta maison par le désert, à Damas ; et, lorsque tu seras arrivé là, tu oindras Azel pour qu’il règne sur la Syrie, et Jehu, fils de Nausi, afin qu’il soit roi en Israël. Et tu oindras prophète Elisée, fils de Japhat, qui est d’Abel, afin qu’il te serve de compagnon. » Samuel oignit aussi David pour le faire roi. Mais, après que Jésus le nazaréen, que Dieu oignit de l’Esprit saint, comme on le lit dans les Actes des Apôtres, fut oint d’huile par-dessus ses compagnons, lui qui, selon l’Apôtre, est le chef (caput) de l’Église qui est le corps de ce même prince, l’onction passa désormais de la tête au bras ; de sorte que, depuis le Christ, le prince ne reçoit pas l’onction sur la tête, mais au bras ou à l’épaule, ou bien à la jointure du bras et de l’épaule, membres qui représentent bien le commandement[2], selon ce qu’on lit : « Le commandement a été placé sur son épaule, etc. » Et ce fut pour marquer cela que Samuel fit placer une épaule devant Saül, qu’il avait mis au haut bout de la table, devant tous les invités. Or, on observe d’oindre d’huile la tête du pontife que l’on consacre, parce qu’il représente dans sa charge la personne du chef (capitis'), c’est-à-dire du Christ, qui est le chef (caput) de l’Église.

XXI. Il y a pourtant cette différence entre l’onction du pontife et du prince, que l’on consacre la tête du pontife avec le chrême, mais que l'on frotte d’huile le bras du prince, pour montrer combien le pouvoir du prince diffère de l’autorité du pontife. Et remarque que, de même qu’on lit dans l’Évangile qu’un père de famille appela ses serviteurs, et leur donna dix pièces d’argent (mnas) ; ainsi la vocation du serviteur, c’est l’élection canonique de l’évêque, qui a lieu selon la parole du Seigneur, quand il appela Aaron. Une pièce d’argent (mna) lui est donnée, quand celui qui s’est chargé de ces sommes lui donne le livre de l'Évangile,, en disant : « Va, prêche. » Et, quand il entre pour la première fois dans sa ville métropolitaine, il porte l’Évangile sur sa poitrine, selon la coutume de certaines églises, présentant et montrant, comme l’intendant, la somme d’argent qui lui a été confiée. Dans quelques églises aussi, lorsque l’archevêque lui donne la crosse (virgam), il lui dit : « Va, prêche. » Et aussitôt il bénit le peuple ; ce qui indique que Moïse fut envoyé avec la verge en Égypte.

XXII. Les évêques ont encore accoutumé, au jour de leur consécration, de monter des chevaux couverts de housses blanches ; ce qui représente ce qu’on lit dans l’Apocalypse (chap. xix) : « Les armées qui sont dans le ciel le suivent sur des chevaux blancs. » Assurément, les troupes qui sont dans le ciel, ce sont les bons, et les hommes justes, et les prélats, qui chaque jour suivent, selon les vues célestes. Dieu dans toutes les bonnes œuvres qu’ils font ; et l’on dit à cause de cela qu’ils sont dans le ciel, parce qu’ils chérissent et cherchent les seuls biens célestes. Ce qui a fait dire à l’Apôtre : « Notre conversation est dans les cieux. » Ces armées, c’est-à-dire les hommes bons et justes, et les prélats, suivent Jésus, lorsque, par exemple, ils combattent en eux les vices par la correction, et dans leur prochain par l’admonition. Voilà pourquoi saint Jacques dit : « Celui qui aura fait revenir un pécheur de l’erreur de sa vie, délivrera son ame de la mort, etc. » Ces troupes montent des chevaux blancs et sont chastes dans leurs corps.

XXIII. On appelle chevaux les corps des bons, parce que, de même que les chevaux marchent selon la volonté du cavalier, ainsi les corps des justes se conduisent selon celle du Christ. Ces chevaux doivent être blancs ou couverts de blanc, c’est-à-dire que les corps des justes et des prélats doivent être chastes et purs. Car, s’ils ne sont pas chastes, ils ne peuvent pas suivre le Christ. Et saint Pierre dit : « Le Christ a souffert pour nous, vous laissant l’exemple, afin que vous suiviez ses traces, etc. » Les clercs (clerici) de la sainte Église romaine, d’après la déclaration de l’empereur Constantin (xcvi, dist. Constantinus), montent des chevaux ornés de housses d’un blanc très-éclatant. On dira dans la seconde partie, au chapitre de l’Évêque, quel jour on doit le consacrer, et pourquoi on place le livre des Évangiles sur les épaules de celui qu’on doit consacrer. En septième lieu, il faut parler de l’onction de l’autel, du calice et des autres vases de l’église, que l’on oint, selon la coutume, lorsqu’on les dédie ; et cela, non-seulement d’après l’ordre de la loi de Dieu, mais encore parce que Moïse aspergea de sang le tabernacle et tous les vases du culte divin, et aussi à l’exemple du bienheureux [pape] Sylvestre, qui, quand il consacrait un autel, l’oignait de chrême. Or, le Seigneur commanda à Moïse de faire une huile pour oindre le tabernacle du Témoignage, l’arche du Testament, le chandelier et les vases (Exod., xxx et xl c.), et les autres choses, comme il a été dit plus haut. On fait ces onctions sur les choses qu’on oint, afin qu’on ait pour elles un plus grand respect, et que sur elles se répande une plus grande grâce. On a parlé de ces onctions, et il en sera parlé en leurs lieu et place. Mais la vertu (sacramentum) de l’onction produit et représente, certes ! une autre chose, autant dans le Nouveau que dans l’Ancien-Testament. Voilà pourquoi l’Église ne judaïse pas lorsqu’elle célèbre la vertu (sacramentum) de l’onction, comme le disent, menteurs qu’ils sont, quelques anciens qui ne connaissent ni les Écritures, ni la puissance de Dieu. On a parlé, aux chapitres qui leur sont consacrés, des Onctions de l’église et de l’autel.

XXIV. Or, on consacre et on oint la patène (patina) qui sert à administrer le corps du Christ, qui a voulu par le choix qu’il en a fait être immolé sur l’autel de la croix pour le salut de tous. Et le Dieu tout-puissant a ordonné qu’on présentât à son autel de la fleur de farine de froment dans des plats (patenis) d’or et d’argent. On consacre aussi et on oint le calice, afin que la grâce de l’Esprit saint en fasse un nouveau sépulcre du corps et du sang du Christ, et qu’il daigne l’arroser de sa vertu, lui qui la répandit dans le calice de Melchisédech, son serviteur.

XXV. Huitièmement, nous devons parler de l’extrême-onction que, d’après la règle instituée par le pape Félix IV et selon le précepte de l’apôtre saint Jacques, on donne à ceux qui combattent leur dernier combat. Quelques-uns disent, touchant cette onction, qu’elle n’est pas proprement un sacrement en tant qu’onction (chrismatio) faite avec le chrême sur le front ou ailleurs, parce que, comme ils l’assurent, elle peut être réitérée lorsqu’on prie sur un homme ; ce qui ne peut pas s’appliquer aux sacrements. Or, cette onction ne peut pas être faite par un seul prêtre, même quand plusieurs autres ne pourraient y assister. Cette onction remet les fautes vénielles, selon cette parole de saint Jacques : « Quelqu’un d’entre vous est-il et malade ?… » comme ci-dessus. Et l’on fait cette onction sur les diverses parties ou membres du corps, et cela pour les causes que l’on peut tirer des oraisons que l’on dit alors ; et cela a lieu spécialement sur les membres où résident les cinq sens de l’homme, afin que tout ce que le malade a fait de mal par eux soit effacé et détruit par la vertu dès cette onction. On lit dans certains auteurs qu’ordinairement on ne doit oindre qu’une personne qui ait au moins dix huit ans, et qu’un malade doit être oint seulement une fois dans l’espace d’un an, bien qu’il y ait plusieurs phases dans le cours de sa maladie, et que personne ne doit être oint à moins que d’abord il n’ait sa raison et qu’il n’ait demandé ce sacrement de vive voix ou par signes. Et l’on ne doit pas oindre les épaules, parce qu’elles l’ont été au baptême, et qu’elles sont désormais privées de leur office ; on ne doit pas oindre non plus au front celui qui a été confirmé, mais aux tempes ; et on ne doit pas oindre les mains du prêtre à l’intérieur, mais à l’extérieur, puisqu’elles ont été ointes à l’intérieur lors de son ordination. Et parce qu’il a été oint une fois par l’évêque, il ne doit pas, par respect pour lui, l’être davantage par le prêtre. Que si le malade oint entre en convalescence, on lavera les places de son corps où l’huile a été répandue, et on jettera au feu l’eau qui aura servi à cela. Mais, s’il meurt, on ne lavera pas son corps, à cause de l’onction récente. Que si le malade est à l’article de la mort, on l’oindra à la hâte, de peur qu’il ne meure sans avoir reçu l’onction. Il y a encore certains hommes qui, par un esprit de pénitence, sur le point de mourir, revêtent le cilice et se couchent sur la cendre, comme on le dira dans la sixième partie, à la quatrième férié, en tête des Jeûnes.

XXVI. Neuvièmement, le cimetière, qui se réjouit (gaudet) de posséder les mêmes privilèges que l’église, est consacré et béni, comme le Seigneur bénit, par les mains de ses serviteurs Abraham, Isaac et Jacob, la terre qu’ils avaient achetée aux fils d’Ebron pour servir à leur sépulture. Et on le bénit, afin que désormais ce lieu cesse d’être l’habitation des esprits immondes, et que les corps des fidèles y reposent en paix jusqu’au jour du jugement, à moins qu’on y ait inhumé les corps des païens ou des infidèles, ou même des excommuniés ; et alors on ne le bénit qu’après les avoir jetés hors de là.

XXVII. Il est aussi à remarquer que les linges (pallœ d’où palle) de l’autel, les vêtements sacerdotaux et les ornements ecclésiastiques de toute sorte doivent être bénis, car nous lisons que Moïse, d’après le précepte du Seigneur, consacra le tabernacle par de saintes prières, ainsi que la table et l’autel, et les vases et les ustensiles nécessaires à l’accomplissement du culte divin. Si donc les Juifs, qui étaient esclaves, faisaient cela à l’ombre de la loi et de l’avenir (Héb., viii et x cap.), combien plus nous, à qui la vérité a été manifestée par le Christ, devons-nous en agir ainsi et faire consacrer les vases du culte divin par l’évêque et non par les curés (coepiscopos). C’est pourquoi on lit dans l’Exode, à l’avant-dernier chapitre : « Moïse bénit tous les vases nécessaires au service du culte. » Et, si on ajoute au vêtement consacré un petit morceau ou un fil, il est prouvé par le témoignage du droit (Argu. instit. de re. divi., § Cum ex aliena, et § Qui tamen extra de consecr, eccle, quod in dubiis) que nous ne devons pas pour cela réitérer la bénédiction. Et l’on conclut évidemment de leurs bénédictions pourquoi l’on bénit ces choses et d’autres semblables. Mais on parlera des vêtements sacrés dans la préface de la troisième partie. Et fais attention que l’on ne bénit pas et que l’on ne consacre pas l’église et les habits sacerdotaux et les autres ornements, parce que ces choses ne sont pas susceptibles par elles-mêmes de recevoir la grâce, puisqu’elles sont inanimées, mais parce que par là on connaît que la grâce y est attachée ; car, de même que les hommes, ainsi ces choses, par la bénédiction et la consécration qu’on leur donne à tous les deux, sont rendus propres au culte divin et deviennent capables de l’exercer, et inspirent enfin une plus grande vénération. La grâce se répand plus abondante dans les personnes, par l’onction et la bénédiction qu’on leur confère. Et il y en a qui élèvent les mains en bénissant les ornements. On en parlera dans la seconde partie, au chapitre du Diacre. Dixièmement, ce serait ici le lieu de parler de la consécration des vierges ; mais nous en traiterons dans la préface de la seconde partie.

  1. Arnaud de Bresse, natif de la ville de Bresse, en Italie, et hérétique, vivait dans le XIIe siècle. On donna à ses adhérents les noms de poplicains ou publicains, et d' arnaldistæ. (V. Du Pin, Bibl. des aut. ecclés. du XIIe siècle ; — Othon de Frisingues, 1. 2, De Gestis Friderici, cap. 20 ; — Gerhons Reichersperg., 1. 1, De Investig. Antichrist., et l’Hist. de saint Bernard, par M. l’abbé de Ratisbonne, 2 vol. in-8o, t. 2, p. 49-57.)
  2. Voir la note 21 page 377