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Les ÉphémèresAlfred Moret (p. 125-131).


ÉPHÉMÈRE SEIZIÈME

Réponse

À M. A. J. Guirot


Culte, rang, diadème,
Peuples, lois, vertu même,
Il est un jour suprême,
Hélas ! où tout finit ;
Jour où Rome la fière
Courbant sa tête altière,
S’endort dans sa poussière
De marbre et de granit !
(A. J. Guirot)


Dans ma retraite obscure,
Où le sort me torture,
Quoi ! ta voix douce et pure
Veut charmer mes douleurs !
Ta touchante harmonie,
Sur mon lit d’agonie,
Comme une main amie
Vient essuyer mes pleurs.


Dans un noble délire,
Sur ta magique lyre,
Eh quoi ! tu viens me dire :
Oiseau, poursuis ton vol !
Lorsque tu vois, poète,
L’effroyable tempête
Mugir, courber ma tête
Et l’attacher au sol.

Oh ! vois ; déjà l’orage,
Dans sa terrible rage,
Me ferme tout passage.
Aigle, va ! — laisse-moi !
C’est en vain que je tente
De braver la tourmente,
Mon aile est impuissante
Pour arriver à toi !

Oui ! laisse la souffrance
Briser mon existence,

C’est la seule espérance
Qui sourie à mon cœur ;
Car ma vie incolore,
Que le chagrin dévore,
Ne doit servir encore
Que de proie au malheur.

Eh ! qu’importe une vie
De chagrins poursuivie ?
La douleur me convie
À jeter ce fardeau.
Va, ma trace en ce monde,
Guirot, est peu profonde ;
C’est celle que sur l’onde
Laisse un léger vaisseau.

Ah ! je sais que tout passe,
Tout s’use, tout s’efface,
Sans nous laisser de trace
Dans ce monde pervers.

La superbe Palmyre,
Que l’univers admire,
Dans des sables expire,
Au milieu des déserts.

***

Tu me parles de gloire,
Poète ! y puis-je croire ?
C’est un mot illusoire
Que l’on fait retentir.
Ah ! crois à ma parole,
Si vers Dieu je m’envole
J’obtiendrai l’auréole…
Qui pare le martyre.

Le sort, dans sa colère,
De sa main meurtrière
Broya ma vie entière
Et tortura mon cœur.
La souffrance, à mon âge,
Devient mon seul partage,

Car, comme un doux mirage,
J’ai vu fuir le bonheur.

Mais c’est peu : l’on ignore
Le feu qui me dévore….
Oui, chaque jour j’implore
L’heure où viendra ma mort.
Au malheur qui m’écrase,
Au tourment qui m’embrase,
Prométhée au Caucase
Eût préféré son sort.

Ami, si l’influence
De ta douce éloquence
Ne peut à l’espérance
Me faire revenir,
Du moins ta poésie,
Esthétique harmonie,
A versé sur ma vie
Un touchant souvenir.

22 février 1840