Répertoire national/Vol 1 /Introduction

Collectif
Texte établi par J. Huston, Imprimerie de Lovell et Gibson (Volume 1p. iii-viii).

INTRODUCTION.


En entreprenant la compilation de ce recueil, nous n’avons pas eu l’idée de soumettre au lecteur des modèles de littérature, ou de faire revivre des chefs-d’œuvre de pensée, de goût ou d’exécution. L’épigraphe de ces volumes dit en deux lignes notre pensée, et nous dispense d’en dire davantage à ce sujet.

Non, nous avons voulu seulement, dans l’espoir d’être utile aux jeunes gens studieux, aux écrivains du Canada, à toutes les personnes qui aiment la littérature nationale et qui voudront en étudier l’enfance, les progrès et l’avenir, réunir dans ces volumes les meilleures productions des écrivains canadiens, et des étrangers qui ont écrit en Canada, maintenant éparses dans les nombreux journaux franco-canadiens, qui ont été publiés depuis plus d’un demi-siècle.

Après avoir fait de longues et attentives recherches et consulté plusieurs écrivains distingués, nous nous sommes convaincu que la republication d’un bon choix des meilleurs écrits canadiens ferait honneur au pays et à ses écrivains ; alors nous n’avons pas hésité à entreprendre la publication de ce Répertoire, en comptant toutefois sur le patronage public et l’appui des littérateurs canadiens.

Nous avons laissé de côté tous les écrits politiques en prose, quoiqu’il y en ait beaucoup qui mériteraient d’être conservés et même étudiés ; mais, pour être impartial, il aurait fallu reproduire les répliques ou les réfutations, et cela nous aurait entraîné loin, bien loin de la route que nous nous sommes tracée.

En dehors des écrits politiques, la littérature canadienne, il est vrai, ne se compose encore, pour ainsi dire, que de simples essais, en vers ou en prose, pour la plupart l’œuvre de jeunes gens dont le goût n’était pas encore bien formé, et que les études et la connaissance du monde n’avaient pas encore mûris. Mais au milieu des défauts de composition, et souvent des incorrections de style, le talent étincelle et brille comme l’électricité à travers de légers nuages. — Grand nombre de ces essais toutefois sont évidemment l’œuvre d’hommes au goût sévère, aux fortes études, aux vastes connaissances, qui se sont inspirés des beautés du pays, des belles mœurs du peuple, et d’une nationalité naissante et déjà combattue.

Le goût des lettres qui se répand aujourd’hui avec rapidité dans toutes les classes de la société, ne s’est introduit qu’avec beaucoup de difficultés en Canada. Peuple français, cédé tout-à-coup aux anglais, la classe lettrée et aisée s’est éloignée du pays après le traité de 1763, qui faisait de la Nouvelle-France une province anglaise. Abandonné à de nouveaux maîtres, ce jeune peuple vit son éducation, dans la langue de ses pères, négligée et parfois proscrite. Quelques colléges, cependant, entretenaient dans la jeunesse riche, le goût des lettres joint à l’amour de la nationalité. Mais, ces jeunes gens, devenus hommes, ne se livraient à la culture des lettres que pour leur amusement ou celui d’un petit cercle d’amis ; car le peuple, ne sachant seulement pas lire, n’était nullement capable de goûter les travaux de l’esprit et de l’intelligence, ni d’apprécier l’importance d’une littérature nationale qui contribuerait à lui conserver son individualité, au milieu des nombreuses populations dont se couvre le continent américain, en transmettant de générations en générations les traditions, les coutumes, les mœurs nationales.

Une autre chose, aussi, empêchait alors le développement d’un germe de littérature : c’était le manque de livres, et surtout de livres français. Les ouvrages classiques étaient rares ; et bienheureux étaient les jeunes gens dont les amis plus âgés pouvaient leur prêter quelques volumes des meilleurs auteurs français ou anglais. Il fut un temps, dont se rappellent beaucoup de vieillards, où une bibliothèque de quelques livres était un luxe dont quelques personnes favorisées de la fortune et du hasard seules pouvaient jouir. Malgré beaucoup de restrictions de la part des autorités du pays, les livres entrèrent peu à peu dans les villes ; et les écrivains canadiens purent alors étudier les grands maîtres de la littérature française, et commencer à poser les bases d’une littérature nationale.

Des hommes éclairés, luttant avec énergie contre les difficultés des temps, parvinrent à établir quelques bibliothèques publiques, et à fonder quelques sociétés littéraires, qui ont puissamment contribué à répandre le goût de la littérature dans la société franco-canadienne.

Les journaux, en se multipliant, ont fait multiplier les lecteurs et les écrivains. Mais pendant longtemps, bien longtemps, les écrivains se sont renfermés dans des discussions souvent oiseuses et rarement instructives. Ceux qui ont eu la hardiesse de sortir les premiers de ces ennuyeuses discussions, pour s’essayer dans des compositions purement littéraires, soit en prose, soit en vers, furent en butte à des critiques acerbes, ironiques, jalouses, et à des reproches plus modérés et trop souvent mérités.

De tous ces tâtonnements, de toutes ces discussions, de tous ces essais, est néanmoins sorti le germe d’une littérature nationale. Mais la politique, en s’emparant de tous les esprits et des meilleurs talents, a malheureusement enlacé notre jeune littérature dans ses fils. Les essais poétiques, surtout, ont trop longtemps eu pour sujet des pensées politiques, et pour but des attaques contre les hommes qui gouvernaient le Canada, et tyrannisaient les Canadiens-français.

Toutefois, avant 1820, époque où la littérature a commencé à prendre un caractère solide, plus défini, plus national, des hommes sérieux et instruits ont traité de l’histoire, des sciences, de l’instruction publique, et plusieurs voyageurs nous ont laissé des récits, quelques fois très intéressants, de leurs voyages.

La littérature canadienne s’affranchit lentement, il faut bien le dire, de tous ses langes de l’enfance. Elle laisse la voie de l’imitation pour s’individualiser, se nationaliser ; elle s’avance, en chancelant encore, il est vrai, vers des régions nouvelles ; devant elle s’ouvre un horizon et plus grand, et plus neuf : elle commence à voir et à croire qu’elle pourra s’implanter sur le sol d’Amérique comme une digne bouture de cette littérature française qui domine et éclaire le monde, le guide ou le soulève, le fait rire ou trembler, le lance en même temps contre les rois et les préjugés sociaux, et le mène à la recherche de la vérité par des chemins inconnus jusqu’à nos jours, en jetant cependant l’effroi dans l’âme d’un grand nombre de penseurs contemporains.

Les sociétés littéraires existantes ; les travaux des hommes généreux et dévoués qui prononcent des discours aux séances publiques de ces sociétés ; les penchants, les études et les essais des jeunes gens, tout nous fait voir que la littérature nationale entre dans une ère nouvelle : ère de progrès et de perfectionnement.

Le lecteur se réjouira, comme nous, en arrivant à l’époque actuelle, de voir combien la littérature canadienne s’émancipe du joug étranger ; de voir combien les écrivains, mûris par l’âge et par l’étude, diffèrent en force, en vigueur, en originalité, des premiers écrivains canadiens ; de les voir s’élever au-dessus des frivolités et des passions politiques, pour aller à la recherche de tout ce qui peut être vraiment utile au peuple, de tout ce qui peut consolider et faire briller notre nationalité.

À part quelques volumes et quelques pamphlets, tous les essais des écrivains canadiens se trouvent enfouis dans les énormes volumes des journaux périodiques. Jetés sur des feuilles politiques comme quelques fleurs dans un gouffre, ils ont disparu pour toujours, si une main amie ne les retire de l’oubli pour les faire revivre sous une forme plus légère, plus gracieuse et plus utile.

Nous pensons qu’outre le mérite de retirer de l’oubli, comme nous venons de le dire, des écrits d’un grand mérite sous le rapport littéraire et sous le rapport national, ce Répertoire aura aussi l’effet d’engager un bon nombre d’écrivains éminents à reprendre leurs travaux littéraires, et tous les jeunes gens à travailler avec énergie à éclipser leurs devanciers. Car nous le tenons pour certain, ce qui jette le dégoût dans l’âme des écrivains canadiens, c’est de voir le fruit de leurs études et de leurs travaux passer, avec les journaux périodiques, dans un oubli éternel. Mais lorsqu’ils auront l’espoir d’être tirés un jour de ce triste oubli et de trouver place dans le Répertoire National, qui pourra être continué d’époques en époques par les amis de leur pays, ils travailleront davantage et mieux.[1]

Quant à nous, si, par nos recherches, nous pouvons ajouter un nouveau fleuron à la couronne nationale, nous serons amplement récompensé de nos veilles et de notre labeur.

J. Huston.
  1. Le lecteur trouvera à la fin du dernier volume un index des ouvrages qui ont été publiés en volumes, et une liste de tous les journaux français qui ont été aussi publiés jusqu’à ce jour, avec les noms des auteurs, rédacteurs et propriétaires.