Répertoire national/Vol 1/Le Retour

Collectif
Texte établi par J. Huston, Imprimerie de Lovell et Gibson (Volume 1p. 239-240).

1834.

LE RETOUR.

à a. n. morin, écuyer


Tu viens de la riche Angleterre,
Eh ! bien, frère, le ciel là bas
Est-il descendu sur la terre ?
Ou bien l’homme y dit-il : hélas !…
En approchant le grand fantôme
Au lointain prestige emprunté,
Comment s’efface chaque atome
Du mirage de liberté ?

Fantôme accoudé sur sa banque,
Son bras domine l’Océan,
Mais ce long cri : le pain nous manque !
Est-il le bruit sourd d’un volcan ?
Non, ce grand peuple qui mendie,
L’espoir même l’a déserté,
Non, son âme s’est engourdie
Tandis qu’il criait : liberté !

Le fier dominateur des ondes
Penche-t-il un front sourcilleux
Vers les nations moribondes
Qu’écrase son sceptre orgueilleux ?
Eh ! croit-il qu’un peuple succombe,
Quand, noble, il jure avec fierté
D’entrer dans la nuit de la tombe,
Ou de ravir sa liberté ?

Mais Erin, Erin qui soupire,
Et qui gémit tant dans ses fers,
Erin contre qui tout conspire,
Et qui n’a plus que des hivers :
Le pauvre Erin, il n’a point d’armes
Pour servir son bras irrité
Il n’a plus, hélas ! que ses larmes
Et son cœur pour la liberté.

Toi, dont l’âme est libre et si tendre,
Combien il devait se serrer
Ton cœur, quand tu pouvais entendre
Presque Erin gémir et pleurer !
Quand tu voyais la main meurtrie
De ce grand corps ensanglanté,
Chercher encor pour la patrie,
Son Dieu, ses droits, sa liberté !

Oh ! comme ton cœur devait battre,
Quand tu vis le vaste atelier
Que les siècles devront abattre,
Mais qui semble les défier !
Là, là se forgent tant de chaînes ;
Là, se perd tant de vérité ;
Là tombent tant d’espoir, de haines
Et tant de cris de : liberté !

Quand ta main soulevant le voile,
Dénouait le nœud gordien,
Nous, nous fixâmes notre étoile,
L’astre du peuple Canadien :
Et l’ange à figure connue,
Par deux grands aigles supporté,
Planait au-dessus de la nue
Pour nous montrer la liberté…

j. e. turcotte[1].
  1. M. Turcotte actuellement du barreau des Trois Rivières, a été député par le comté de Champlain, en 1841, à l’Assemblée Législative. Il a successivement rempli les charges de Traducteur des Lois, de Secrétaire de la Commission chargée de faire une enquête sur la tenure seigneuriale, et de Solliciteur-Général. On l’a privé de ce dernier emploi, lors de la formation du second ministère Lafontaine-Baldwin.