Répertoire national/Vol 1/Le Héros Canadien

Collectif
Texte établi par J. Huston, Imprimerie de Lovell et Gibson (Volume 1p. 174-177).

1828.

LE HÉROS CANADIEN.

La muse qui parfois m’inspire
Une épigramme, une chanson,
D’Horace me prêtant la lyre,
M’ordonne de hausser le ton,

Pour chanter dignement la gloire
Du héros qui, dans notre histoire,
S’est fait un immortel renom.

Quel est ce guerrier magnanime
Qu’on remarque entre six héros ;[1]
Que l’amour de la gloire anime,
Et porte aux exploits les plus beaux ?
Iberville, nom que j’honore,
Qui mérite de vivre encore
Inspire-moi des chants nouveaux.

Honneur de la chevalerie,
Cherchant la gloire et le danger,
Il court partout où la patrie
Succombe aux coups de l’étranger :
Les forêts, l’élément liquide,
Le pôle, la zone torride,
Ne le sauraient décourager.

Du chevalier suivons les traces
Dans les tristes climats du nord ;
Région de neige et de glaces,
Lugubre image de la mort :
Tantôt marinier intrépide,
Tantôt fantassin homicide,
Tout succombe sous son effort.

Souvent, dans son abord rapide,
Chez les ennemis de son roi,
Son nom comme celui d’Alcide,
Porte la terreur et l’effroi :
Et dans leurs paniques alarmes,
Se troublant, jetant bas leurs armes,
Ils se remettent sous sa loi.

Si l’ordre du roi ne l’appelle
Dans les camps, parmi les soldats,
Soudain, entraîné par son zèle,
Il vole au milieu des combats :
Il entend alors la patrie,
Qui d’une voix forte lui crie :
« Guerrier, ne te repose pas ! »

Les guerriers n’ont plus rien à craindre,
Quand Iberville est avec eux :
Ah ! que ses rivaux sont à plaindre,
S’il est au milieu de ses preux !
Deux fois aux rives acadiennes,
Avec ses bandes canadiennes,
Il demeure victorieux.

Autre théâtre de sa gloire,
La grande île anglaise[2] le voit
Courir de victoire en victoire,
Entasser exploit sur exploit :
À l’aspect seul de son épée,
La ville[3] de terreur frappée
Du vainqueur reconnaît le droit.

La plage septentrionale
Le voit pour la troisième fois ;
Mais, las ! la tempête fatale
Le semble réduire aux abois :
Il n’a plus qu’un vaisseau sur quatre,
Et le sort l’oblige à combattre
Ses ennemis, seul contre trois.

Faut-il que le héros succombe,
Victime d’un malheureux sort ?
Qu’il soit captif, ou que la tombe,
Pour lui se trouve sur son bord ?
Du combat quelle fut la suite ?
L’un périt, l’autre prend la fuite,
Et l’autre entre captif au port.

De son roi le vœu pacifique
L’éloigne du sein des combats,
Pour le bien de la république,
Il paraît en d’autres climats :
Se transportant de plage en plage,
Notre héros devient un sage,
Et fonde de nouveaux états.

  
Ce grand homme comblé de gloire,
Iberville était Canadien ;
Mais pour honorer sa mémoire,
Son pays encor n’a fait rien :
De ses bienfaits reconnaissante,
Ailleurs[4] une ville naissante
A pris son nom, et le retient.

D. B. M. Bibaud.

  1. Les six autres fils de M. Lemoyne.
  2. Terreneuve.
  3. St. Jean, capitale de la partie anglaise de l’île de Terreneuve.
  4. Dans la Louisiane.