Répertoire national/Vol 1/La Harpe

Collectif
Texte établi par J. Huston, Imprimerie de Lovell et Gibson (Volume 1p. 236-237).

1834.

LA HARPE.

Harpe divine, ô source d’harmonie,
Répète encor tes chants mélodieux.
Et toi qui d’Apollon partage le génie,
Élève aussi ta voix qui sut charmer les Dieux.
        Mais déjà la corde soupire,
        L’on dirait un souffle du soir,
        Ou le murmure de Zéphire,
        Dans les créneaux d’un vieux manoir.

        Silence ! un chant — La harpe recommence ;
        L’amour prélude à ses divins accords ;
Émilie a repris le fil de sa romance,
Jamais plus doux concert n’embrasa nos transports.
        Ah ! que ne puis-je en traits de flamme
        Graver en moi ces doux accents,
        Et nourrir longtemps dans mon âme
        Le charme secret de mes sens !

        Que ces doux sons expriment bien l’ivresse
        De deux amants qui, près d’un jeune ormeau,
Interrogent leurs yeux qu’adoucit la tendresse,
Et jurent de s’aimer jusque dans le tombeau.
        Ô harpe qui te fait sourire ?
        Eugène volait un baiser
        De son amante qui soupire
        Et qui n’osa le refuser.

        Je vis alors son front où l’innocence
        Avait laissé sa couronne de fleurs,
Plus rouge qu’une rose accuser l’imprudence
De l’amant qui déjà flétrissait leurs couleurs.
        Mais quel nouvel écho résonne,
        C’est le chant de nos vieux soldats ;
        Et comme la foudre qui tonne
        La corde redit leurs combats.

        Là bas paraît le guerrier sur l’arène ;
        Un noir panache ombrage son coursier.
Le glaive dans sa main brille au loin sur la plaine,
Le soleil enflammaient ses vêtements d’acier.
        L’airain sonne dans la carrière :
        Soudain volent les escadrons ;
        Au milieu des flots de poussière
        Le fer retentit sur les monts.

        Victoire ! a dit la harpe glorieuse,
        Et ses accords devinrent plus bruyants.
Pour s’éloigner bientôt sur la plaine poudreuse,
Et suivre des vaincus les bataillons fuyants.
        Car déjà la chanson guerrière
        Était à son dernier refrain,
        Lorsque la brise printanière
        Des ondes effleura le sein.

        La fibre d’or imitant son langage,
        Du vieux pécheur commença les chansons,
Et les échos lointains dont murmurait la plage
Semblaient en soupirant renouveler ses sons.
        Ainsi du poétique délire
        La harpe, aimant les doux accords,
        Chante ou sourit, gronde ou soupire,
        Toujours fidèle à nos transports.

        Jadis David répétait avec elle
        Ces chants sacrés révérés des chrétiens ;
Et l’aurore souvent en suspendant son aile,
Écoutait leurs concerts des monts iduméens.
        Au temple un jour j’ai cru l’entendre ;
        Mais ce n’était plus cette voix
        Dont l’écho frappant Alexandre,
        Lui fit suspendre ses exploits.

f. x. garneau.