Réflexions du comédien/Hugo et le théâtre

Éditions de la Nouvelle Revue Critique (p. 121-137).

HUGO ET LE THÉÂTRE

« Victor-Marie, comte Hugo », disait Charles Péguy, « Nous les Burgraves », déclamait Mounet-Sully dans un rugissement magnifique. Et nos mères nous racontaient dans une admiration recueillie les obsèques nationales de Hugo — le corbillard des Pauvres et l’Arc de Triomphe, dont le cérémonial ne devait trouver d’équivalent que pour le Poilu Inconnu.

Un peu plus tard — au quartier Latin, rue Lhomond — j’ai connu un hugolâtre, un graveur dans le genre de cet homme chevelu qui dessinait inlassablement des cathédrales sous les ombrages du jardin du Luxembourg : Merovak, l’homme aux cathédrales. Mon hugolâtre avait sa vie nettement divisée en deux parties : l’une était consacrée à des besognes pour catalogues ou dictionnaires, celle-là consistait à dessiner, faussement gravés, les types les plus divers de chaussures, de coléoptères ou de palmipèdes, suivant les demandes d’un courtier qui venait le visiter chaque semaine et lui permettait de payer avec sa chambre, le fromage de gruyère, les sardines et le litre de vin qui, en dehors de Hugo, constituaient le principal de son alimentation.

Une autre partie de sa vie, l’essentielle, celle qui prenait aussi la moitié de ses nuits, était la dévotion et la mystique hugoliennes.

— Hugo, c’est simple… le génie, le génie universel !

— Mais, mon vieux, son théâtre, pourtant…

— Je consens à t’accorder que son théâtre est la moins bonne partie de son œuvre, concédait-il en soufflant sur son carton les raclures de gommes à effacer, mais il ne faut pas dénigrer ses personnages. Ce sont des statues — mal équarries peut-être — mais ce sont des statues !

Il avait quelque dix ans de plus que moi, le ton sincère de ses affirmations dominait à la fois mes sentiments et mes opinions.

De retour, ce soir-là, de l’amphithéâtre de la Comédie-Française, où j’avais assisté à une représentation de Racine, et encore sous l’impression très différente que peut laisser Britannicus, si l’on songe tout à coup à Lucrèce Borgia, il avait suffi que je lui répondisse avec un peu de nervosité pour le voir se déchaîner.

Une effroyable bagarre surgit un jour entre nous ; influencé sans doute par un autre climat dramatique que celui de Hugo, j’avais proféré que ses personnages étaient primitifs et creux comme des tam-tams. Exaspéré par son admiration, je reniai jusqu’à Ruy Blas et lui déclarai que les courges desséchées dites calebasses avaient autant d’humanité que les héros de Hugo. Ce fut épique. Dans un duel de citations, nous nous jetâmes à la tête tout ce qui encombrait notre mémoire, lui dans le lyrisme pour me faire taire, moi dans le théâtral pour le narguer.

« Tu crois que c’est commode à dire :

Vous êtes deux dans ce château que j’aime.
Vous d’abord avant tout — avant mon père même
Si j’en avais un !

Sur quoi, il se mettait à hurler à perdre haleine la tirade de « Bon appétit, Messieurs ! »

Les citations pleuvaient de part et d’autre.

Le comble fut mis par un vers de Cromwell que j’utilisais souvent dans ces circonstances passionnées :

Quand on n’a rien à dire, on parle pour parler.

Hugo était écartelé entre un fanatique et un iconoclaste.

— Tu es injuste ou monstrueux, hurlait-il.

Et je répondais, en parodiant le maître :

Les uns disent génie et les autres bouffons.

« On est toujours injuste quand on parle de Hugo », soupira-t-il à la fin, et il se remit à son travail en silence.

Ainsi allaient nos conversations, très avant dans la nuit, cependant que sa pointe sèche hachurait minutieusement la tache d’encre de chine destinée à se transformer pour la séduction des acheteurs de province, en un magnifique escarpin à 6 fr. 75.

Mais quand, enfin, était achevée la besogne alimentaire, alors d’un geste familier, élégant et las à la fois, relevant du revers de sa main la mèche de cheveux qui trainait parfois jusque sur le papier, il allait chercher dans le coin réservé de la chambre une immense planche qui était la part noble de sa vie et la justification de son âme et de son destin.

« Et maintenant, je vais me mettre au Frontispice, disait-il, ça me reposera. »

Puis, après avoir éloigné soigneusement les vestiges de nourriture, incompatibles avec l’état mystique où il allait entrer, découvrant le papier calque qui protégeait son œuvre, il jetait un œil contemplatif et satisfait sur son travail de Pénélope : la communion hugolienne commençait !

Participant à la fois de la manière de Callot, de Célestin Nanteuil et de Devéria, on apercevait un univers de personnages où la technique et l’amour de Gustave Doré éclataient par-dessus tout. C’était le frontispice d’une édition monumentale du théâtre de Victor Hugo qui ne paraîtra jamais.

Autour d’un portrait de l’auteur, dans une vieillissante majesté, on apercevait une foule innombrable de fantômes. D’abord doña Sol, puis Marie de Neubourg, reine d’Espagne ; aux pieds de la première, Hernani, auguste et agenouillé, dont l’immense cor pendant à sa ceinture semble posé par terre ; aux pieds de la seconde, Ruy Blas, en livrée, tend à sa reine un bouquet de « ces fleurs bleues »

Pour lesquelles il fait chaque jour une lieue
Jusqu’à Caramanchel.

J’en ai cherché partout sans en trouver ailleurs,

déclamait mon ami, en fignolant le bouquet.

Puis une figure de madone semble s’enfuir, entrainant un pâle jeune homme. C’est Marion Delorme et son Didier — sans doute — car dans la perspective de leur fuite, il y a, magistralement dessinée, une superbe litière qui laisse passer, entre ses lourdes draperies, une longue main — celle du cardinal de Richelieu —. On ne voit jamais que sa main, tandis que l’acteur qui joue le rôle entre les rythmes des tambours laisse tomber les seuls trois mots de son texte : Paaas de grâaaace ! Plus loin, une gitane, la Esméralda danse devant Marie Tudor affligée. Torquemada est si long que son sourire va se loger dans le haut de la gravure. Le Lord Protecteur est de dos et se voile la face ; tout à côté, un quarteron de Burgraves puissants et noueux :

Hatto, Gorlois, le duc Gerhard de Thuringe,
Platon, Gilissa, Zoagho, Granmlaro, Darius,

Cadwalla, Lupus, Uther, Otbert, puis Magnus,
Puis au centre Job. Et puis
Puis au centre Job. Et puis « un grand vieillard »

Presque enfoui sous l’herbe et le lierre et la mousse.
Et c’était l’empereur Frédéric Barberousse !
Il dormait d’un sommeil farouche et surprenant,
Sa barbe d’or jadis, de neige maintenant,
Faisait trois fois le tour de la table de pierre.

Et puis François Ier, entre deux de ses maîtresses ; le duc de Saint-Vallier et sa fille Diane de Poitiers, comtesse de Brézé ; et puis Triboulet sur le corps de sa fille, agenouillé, tâtant le sac. Pendant des heures, j’ai vu mon ami l’hugolien engrosser ce sac du corps de la bien-aimée Blanche, et tandis qu’il hachurait de-ci de-là, il répétait le vers de Triboulet qui lui donnait le sens de son travail :

Je sens les éperons à travers de la toile !

Incroyable et saisissante assemblée, morne tumulte de personnages figés dans des poses pathétiques de symboles, tout ce que la légende, l’histoire et l’imagination de Hugo ont créé était là, dans un fouillis de têtes qui évoquait plutôt le musée Grévin que Michel-Ange ; enchevêtrement de barbes, de perruques et de manteaux, collection de toutes les coiffures, arsenal de tous les

Victor Hugo
Photographie. Album de portraits de la collection Moreau Nélaton.
(Cabinet des Estampes).
accessoires : coffrets d’écaille, flambeaux, gobelets, jeux de cartes, pichets d’étain et de grès, parchemins et lettres cachetées, torches, lanternes, bourses de cuir et fleurs des champs, fourches de bois et lapins morts, tambourins et guitares, saint ciboire et encriers, plumes d’oies et armoiries, pioches, trousseaux de clefs, livre de messe, cartels, canne de jonc, crosse d’évêque, sceptre de roi, lampadaires, lustres, gongs, poulets rôtis, hanaps et vin du Rhin étaient amoncelés sur le sol de ce lieu apocalyptique.

On apercevait en même temps une bourse à écussons, un bouquet de myosotis, le morceau de la manchette de dentelle de Ruy Blas, des tronçons d’épées, une lettre décachetée, un manteau de velours, un chapeau à plume et un éventail, et tout cela ne rendait ni son ni odeur, en dépit des sonnettes et des gongs qui parsemaient le gazon.

Dans le lointain vaporeux et dantesque on apercevait encore toute la distribution d’Angelo et Marie Tudor, les cercueils de Lucrèce Borgia et tous les personnages de théâtre de l’épopée hugolienne : Mazarin, Francois de Paule, Louis XIII — valets, soldats, nécromans, pages, conjurés, traitres et héros, dont les moindres s’appellent Gondicarius, Flespuru, Gramadoch ou Plinlimmon.

Car à portée de sa main, sur une chaise, dans un énorme cahier plein de croquis et de notes les plus diverses, hauts-de-chausse esquissés, morions, hallebardes ou lanternes sourdes, il avait la liste complète de tous les personnages du théâtre de Hugo, avec les détails les plus exacts sur leur généalogie, leur caractère et leurs costumes.

Quand J’y repense, le cinéma est relativement un art pauvre.

« Mon vieux, me disait-il encore, tu as tort.

« Tu ne « L » ’aimes pas assez. Pour ta profession, il est le seul maître. Hugo, c’est le théâtral par excellence. »

Il ne croyait pas si bien dire.

J’ai quitté la rue Lhomond. Et, quelques années plus tard, lorsque je suis allé, au hasard, prendre de ses nouvelles, Hugo l’avait rappelé à lui. Il était mort fou. Il s’appelait Boissy, comme Gabriel, mais son nom de baptême était Albéric.

il y a deux constatations importantes à faire sur le théâtre de Hugo : c’est, d’une part, son succès triomphal, immédiat, éclatant auprès de la foule, et la lenteur qu’il a mis à atteindre l’élite et à la conquérir.

Certains poètes — c’est sans doute le plus grand nombre — n’ont pris part à l’histoire littéraire que par le canal des cénacles qui, lentement, ont imposé leur génie. Hugo, au contraire, célèbre du jour au lendemain, encensé pendant près d’un siècle, glorieux et olympien, Hugo vivant parmi d’innombrables effigies, Hugo, dont toutes les villes de France ont baptisé une rue, un cours, un lycée ou une crèche, Hugo n’a préoccupé l’élite que longtemps après sa mort.

Le politique a nui au poète et au dramaturge — non point la politique par laquelle il avait acquis un titre de représentant du peuple — mais cette politique dont il a créé le ton et le style, et qui faisait de lui en toutes circonstances un étonnant orateur.

La gloire de Hugo vivant a empêché la gloire de Hugo mort, et sa « démesure » effare ceux qui voudraient l’aimer.

Léon-Paul Fargue écrivit de lui :

« Hugo, c’est vraiment l’honneur de la profession. Je l’ai vu, alors que j’étais à peine gamin, qui sortait un jour de sa maison de l’avenue d’Eylau. C’était un très vieux monsieur à barbe blanche dont la silhouette et la démarche électrisaient la rue. J’ai eu, ce jour-là, la révélation de ce qu’il était, de ce qu’il devait être, de ce qu’il sera toujours : un père Noël. Un père Noel qui a déposé des jouets jamais vus encore, des jouets merveilleux, des jouets insensés dans les souliers de la littérature. »

Des jouets insensés ! Ou, ce sont là les cadeaux qu’il a fait au théâtre français. Des jouets ! Mais les jouets ne sont pas ce qu’ils représentent — ils sont ce qu’on en peut faire. Toute la question théâtrale est résumée dans ce point de vue du jeu et du jouet. Et Maurois écrit quelque part, rapportant des souvenirs :

« Nous acceptions tout, nous acceptions le cor d’Hernani et la scène des portraits, parce que c’était Mounet. »

Ce même Mounet magnifique, qui, sortant de scène haletant, ruisselant de sueur, se laissait choir au Foyer de la Comédie-Française et chuchotait dans le plaisir de son triomphe et dans son essoufflement : « Il faut jouer cela comme des enfants. »

C’est la part de sincérité et de foi qu’apporte un comédien dans les rôles de Hugo qui fait encore passer, sur la foule attentive, ce grand souffle de lyrisme qui l’enthousiasme.

C’est avec un esprit candide et émerveillé qu’il faut assister aux représentations des pièces de Hugo. C’est sans doute ce que veut dire André Thérive quand il écrit : « Hugo a laissé des pièces délicieuses pour qui aime le guignol gigantesque. »

La grande erreur, toujours la même, plus flagrante encore avec l’auteur des Burgraves, c’est de lire ses pièces ou de les juger littérairement. On veut refuser à l’auteur de Ruy Blas le génie dramatique, parce qu’on le juge à froid. La tirade qui fait la grandeur de Hugo dramaturge, devient alors parfaitement inacceptable.

Et pourtant, c’est cette tirade même qui, à la représentation, crée l’extase d’une foule, et déchaîne son enthousiasme.

Il faut avoir senti déferler cette houle, ce roulis et ce tangage humains dans l’entonnoir du théâtre d’Orange pour comprendre la vraie valeur d’Hernani, pour juger aussi l’océan populaire soulevé par le souffle et le vent lyrique du poète. Tout est conçu pour le couplet, et si l’acteur a su attaquer et chanter juste pour amener cet « instant dramatique » et créer cette stase chère aux musiciens et aux chanteurs d’opéra, la partie est gagnée. Hugo est un grand bonhomme, mais c’est un dramaturge qu’il ne faut pas analyser.

Il faut se laisser aller au « coup de gueule », qui termine sa cantilène. Il faut suivre la courbe sinueuse et fusante à la fin de son « arioso ». On peut dire que ses moyens sont artificiels ou exclusivement musicaux. Mais le résultat est immanquable.

Seule une histoire du drame lyrique pourrait expliquer la préface de Cronmwell et le but poursuivi par Victor Hugo.

Hugo s’est souvenu des tragédies antiques, tout comme Wagner hanté par les mêmes idées, mais la réussite du musicien est plus évidente.

Dans les cérémonies antiques, modulées ou psalmodiées, on trouve déjà en germe ce qui résume le lyrisme de Hugo : incantation, transe, rythme, poésie, plus tard ce sera le chant — suivant la conception de l’opéra italien — ce sont les mêmes constantes entre la parole et le chant, la pensée et la musique.

Au grand siècle de la tragédie classique, c’est la pensée qui s’exprime dans une déclamation monodique ou variée — mais où le sentiment engendre le rythme, le chant du texte. L’opéra naissant apporte le récitatif — avec la prédominance de la musique. On aboutit alors au couplet, au grand air, à l’arioso, car la pensée devient nuisible au charme musical.

Hugo, c’est de l’opéra — et alors François Ier est plus à l’aise dans Rigoletto que dans le Roi s’amuse, et le récit du Cid, en dépit des théories de l’auteur, est beaucoup plus dramatique et plus vivant que la tirade de Triboulet ou de Saint-Vallier.

Dans Racine ou dans Corneille, l’action conduit la pièce ; dans Victor Hugo, elle ne sert qu’à provoquer le couplet, le grand air de bravoure — c’est de la prestidigitation théâtrale — et le début de Cromwell c’est le début du Courrier de Lyon.

« Si vous voulez bien chanter ma musique — disait, en ce temps-là, Lulli — allez entendre la Champmeslé. »

Plus tard, Francesco de Santis affirmait, dans sa leçon d’ouverture à la Sorbonne : « Autant la parole, comme moyen d’expression, est puissante, autant, quand elle ne s’adresse qu’aux sens, elle est inférieure à tous les autres instruments dont l’art dispose pour l’imitation de la nature et de la vie. »

Ce qu’il faut dire surtout, c’est que Casimir Delavigne engendra Ponsard, qui engendra Victor Hugo, qui engendra Henri de Bornier, qui engendra Edmond Rostand.

Hugo est un grand poète, sans doute, et un dramaturge contestable, mais je ne lui en ferai pas grief. Cependant, je songe avec mélancolie que, sans lui, Musset eût été peut-être notre Shakespeare et que si Balzac n’a pas réussi au théâtre, c’est par la faute d’Hernani.

Il n’est pas question de prendre parti pour ou contre Hugo : il existe au delà de toute expression littéraire. Mais on peut dire de lui ce que Hugo disait de Gœthe : « Il est surfait ; il est temps de l’installer à sa place, au second ou au troisième rang — c’est un talent, non un génie. »

Si j’en avais le loisir, j’aurais aimé illustrer de citations hugoliennes le jugement définitif, à mon sens, qu’a porté Pierre Brisson sur son théâtre, à propos de la reprise des Burgraves.

« Un décor verbal d’une richesse extraordinaire et même grandiose par moments et des personnages plus creux que des trompettes. On pourrait demeurer songeur si le problème Hugo dramaturge n’était, depuis longtemps, résolu. Nous savons que le théâtre reste la partie de beaucoup la plus faible et la plus périssable de son œuvre, pour la raison toute simple qu’une pièce n’a de chance de durer que soutenue par un sentiment profond. Cette chaleur intime du sentiment, Hugo ne l’a jamais insufflée à ses personnages. Aucune note de souffrance vraie, aucune palpitation secrète, aucun prolongement : un art purement oratoire. Molière, dans vingt-cinq vers d’Alceste, a mis plus d’émotion humaine que Hugo dans son répertoire entier. Le don miraculeux de magnifier les choses le trompait sur sa vie intérieure et, à plus forte raison, sur celle de ses héros. Les décors que son imagination lui fournissait sans relâche masquaient à ses yeux la réalité des êtres. Par l’ampleur et la solennité du ton, par ses mises en scène d’apocalypse, il se faisait illusion sur l’importance de ses projets. La forme de son esprit ne lui permettait d’y accueillir que des notions puissamment élémentaires. Il allait d’instinct, et tout droit, à l’antithèse, c’est-à-dire à la simplification. Or, le théâtre ne vit que de complexités. C’est dans la mesure où un personnage reste douteux qu’il garde une apparence humaine. La psychologie d’Alceste, de Tartuffe, de Phèdre, d’Andromaque ou d’Hamlet sera toujours à reprendre. Les siècles, en passant, ne pourront que l’enrichir. Sortis du poème, Ruy Blas, Hernani, le vieux duc Job, n’ont plus rien à nous révéler. »

Que la gloire de Hugo puisse s’en trouver diminuée, la question n’est pas là. Les discussions à ce propos m’ont toujours paru vides de sens et sans conclusion possible. Personne ne songerait à vous demander : « Êtes-vous pour ou contre le mont Blanc ? — Le mont Blanc existe, voilà tout. »

De toutes parts, on s’interroge, on recherche les opinions formulées : ce que dit Dumas, ou Augier, ou Courteline. — Boissy, Porché, Duhamel le magnifient, André Rousseaux l’observe cliniquement — et Farrère le dénigre. Je n’ai pas eu le temps de tout savoir là-dessus — et il n’y a guère moyen de se faire une doctrine.

Comme sur les murs des vieux temples, ou dans les livres d’or des hostelleries, où les pèlerins et les visiteurs tiennent à laisser la trace de leur passage et de leurs digestions — Victor Hugo apparaît, après ces lectures diverses, comme un monument public où chacun dépose ses impressions, après je ne sais quel pique-nique spirituel, raturant ce qu’ont dit les autres, ajoutant aux premiers graffiti, sans même entrer dans l’édifice,

Victor Hugo et ses œuvres
Gravure publiée par le Journal illustré de Mai 1885.
Collection Rondel.
si bien qu’il n’est pas très sûr que ce qui est actuellement le plus important ne soit pas le débat et la foire qu’on mène tout autour.

La liberté de ces opinions et de ces propos est quelquefois très violente — la seule qui soit péremptoire et définitive me paraît celle — regrettable d’ailleurs — de Jean Moréas, qui disait tout uniment : « Victor Hugo est un c… »

Non, Victor Hugo avait raison, il l’a lui-même écrit : « En littérature, le plus sûr moyen d’avoir raison, c’est d’être mort. »