Récits laurentiens/Préface

Récits laurentiensFrères des écoles chrétiennes (p. 3-13).


PRÉFACE

I



CHAQUE écrivain fait à sa manière la découverte de sa voie littéraire. Un jour un jeune religieux du collège de Saint-Jérôme reçoit du supérieur l’ordre de laisser là ses livres et ses élèves pour le va-où-tu-veux dans les champs. Sa santé requiert le plein air le repos de l’esprit, le vagabondage au soleil. Déjà attaché à ses élèves, il trouve bien dur de les quitter pour l’oisiveté champêtre. Que faire dans ce désœuvrement ensoleillé ? Faites n’importe quoi, lui dit le supérieur, avec un geste vague… regardez les pierres, les oiseaux, les herbes… Bon ! les herbes, pense le religieux. Au moins, s’il avait pour truchement auprès des fleurs sauvages, un livre de botanique il ne serait pas seul, un livre à la main, pour interroger le bord des routes, les clairières, les sous-bois. Et l’indulgent supérieur lui permet de s’adjoindre Provencher, j’entends sa Flore, pour l’aider à saluer les plantes.

Et le jeune religieux salua si bien les herbes, fureta d’un œil si curieux dans la robe des champs qu’il devint botaniste. Il devint aussi le paysagiste littéraire, l’évocateur de vie laurentienne que notre société nationale Saint-Jean-Baptiste mit en relief, lors de deux concours, en l’honorant de ses lauriers, enfin, l’auteur recherché de nos revues littéraires pour ses pages si caractéristiques de chez nous, le Frère Marie-Victorin.

La Nature vers laquelle on le poussa, lui fut bonne comme une mère, le baigna d’air pur, de soleil, et le long des sentiers, lui parla par la voix des feuillages, et dans ses yeux curieux d’elle, lui glissa son image et, pour toujours lui prit son cœur.

Sans cette heureuse mauvaise santé d’autrefois, sans cette bonne fortune des jours d’oisiveté dans les champs, le Frère Marie-Victorin eut-il songé à la botanique et dans ce jardin des vies sereines et multicolores, eut-il pris des couleurs pour notre littérature, nous donnerait-il, après sa Flore de Témiscouata, un livre débordant de choses du terroir, ses Récits Laurentiens ?


II


Reconnaissant à la terre natale des dons qu’il a reçus d’elle, le Frère Marie-Victorin se devait de l’exalter en un beau livre, et ici, admirablement et simplement, il la magnifie avec une note de tendresse qui émeut, et des mots qu’on n’avait pas, semble-t-il, encore entendus.

Nous avons vu dans nos écrivains du terroir plus d’un reflet de coin de pays, mais voici un reflet plus large du Canada, voici la Laurentie évoquée en un langage tout chargé de ses couleurs et de sa poésie. L’auteur nous initie à tout l’horizon où rêve son royal Saint-Laurent. Il nous fait admirer les lignes graves des montagnes dont le portique bleu s’étage sur la pâleur du Nord. C’est Buies qui revient devant nos paysages et reprend avec plus d’acuité de vision, avec d’autres nuances, la toile immense des Laurentides.

Avec les traits de la patrie physique, c’est sa physionomie morale, surprise dans le drame des âmes simples, groupées par les traditions autour de l’église des villages. C’est l’intimité canadienne dans la douceur des maisons blanches qui font chapelet sur le chemin du roi. C’est le geste de nos gens sur la glèbe laborieuse, leur gaîté, leur tristesse, prenant, parfois, pour s’exhaler les syllabes de quelque chanson venue jadis du Vieux Pays auquel on pense toujours. Sol et rêve d’un petit peuple rivé à son merveilleux fleuve où se mirent ses jolis clochers.

Dans son livre le Frère Marie-Victorin ramasse tout le sens de nos horizons. Affectueusement il enferme dans une expression nouvelle, l’âme locale, la figure de son pays. Les grandes voix du terroir passent en ses pages, les font émouvantes, et l’on est pris à leur charme spécial, ce par quoi elles s’avèrent laurentiennes, et l’on s’étonne du prestige d’un art simple, appuyé sur l’observation des réalités natales, et révélateur, certainement, d’un tempérament d’artiste, et on cherche les sources où l’auteur a puisé une si fraîche poésie.

C’est, je crois, à son enfance, que le Frère Marie-Victorin doit son inspiration la meilleure. Il s’est penché, dirait Faguet, « sur la source qui lui renvoie son image et qui est son cœur. » Il nous en avertit lui-même. Le souvenir, comme un doigt, a tourné les pages anciennes du livre de sa vie, et, songeur, il s’est retrouvé sur la route parcourue jadis avec le vieil oncle Jean, la route d’où sa jeune croyance salua l’humble croix de bois de Saint-Norbert. Ému de la nostalgie du cher paysage où persiste son âme d’autrefois, il s’est donné l’illusion d’y revivre ses joies et son chagrin d’enfant, et chargé de cette poésie naïve, il lui a plu de la transposer dans ses écrits.

Source intime qui témoigne de l’enfant. Il en est une autre où s’atteste surtout la beauté des choses extérieures, et qui charrie toutes les nuances de l’horizon natal. La Nature, regardée au temps naïf, lui fait, maintenant, une loi de venir la contempler dans l’âge mûr. Et par le lacis des voyages, avec une acuité de vision rare, il y retourne, et, qu’elle soit forêt, fleuve, fleur ou caillou, riante comme à Chambly, grandiose dans le Golfe, dantesque au Saguenay, bleue d’eau et touffue d’arbres, comme au Témiscamingue, toujours il l’aime, et rien n’émeut plus sa pensée que de divulguer le mystère d’un sentier vierge. Ah ! la grande nature canadienne, qu’elle est belle avec ses lignes de douceur et d’écrasante majesté ! Ces ciels qui nous enveloppent de si graves crépuscules, cette robe d’eau verte dont l’ampleur émerveille et que le fleuve étale des Grands Lacs au Labrador, et ce profil du Nord, infernal sur ses eaux noires… impressionnant pays ! Il admire. Et il s’étonne qu’un grand sol qui offre de si riches éléments d’art, ait suscité si peu de poèmes et de tableaux. On oublie de donner une voix à ces vastes horizons. Un trésor de beauté attend d’être mis en valeur et l’on ne pense pas d’en faire profiter notre littérature. Si on savait voir le Canada ! La région la plus humble, si le rêve la visite, peut devenir inspiratrice de poésie, et notre Peribonka qui n’existait, hier, que dans la vision des défricheurs, ne fut pas ingrate à Louis Hémon faisant effort pour la connaître, puisque le don qu’elle lui fit fut le plus délicieux poème, sa discrète et désormais inoubliable « Maria Chapdelaine. » Combien d’autres rivières, sœurs de la Péribonka, plus belles qu’elle, attendent un cœur attentif et doux pour les chanter.

Le Frère Marie-Victorin, qui souhaiterait un Mistral sur tous les chemins du pays, attache à tous les paysages sa ferveur de botaniste, et, d’avril au mois de la verge d’or, il regarde les fleurs tisser à sa Laurentie le plus joli manteau, et l’œil baigné de couleurs végétales, il regrette le mutisme des poètes, oublieux d’emprunter aux fleurs natales des rimes nouvelles, eux qui font, parfois, la méprise de nous prêter une flore exotique.[1] Et puisque les patients rêveurs de l’asphalte des villes s’obstinent à se priver de la grâce des champs, du rêve des forêts, ah ! pardi, le Frère Marie-Victorin va piller l’ornement des paysages pour en parer sa prose, et partout de sa part c’est un salut intéressé au jonc fleuri, à l’aubépine, à la vergerette, comme au lis d’eau, à la sélaginelle, à la verge d’or, et ces noms si plaisants à dire, le fervent pilleur, les met dans ses pages descriptives pour nous initier à la parure trop peu connue de son pays.

Pour extraire de la nature quelque matière d’art il faut, avant tout, apprendre à la regarder, et c’est l’éducation de l’œil ; il faut aussi la voir à travers son tempérament, l’humaniser de sa pensée, lui prêter et lui retenir, et c’est la rêverie esthétique. Tout descripteur, soit écrivain ou peintre, est tenu à cette double éducation de l’œil et de la pensée. Cette nécessité d’art, semble bien avoir été comprise, de bonne heure, du Frère Marie-Victorin. Sa façon de jouir des belles formes de sa patrie atteste chez lui un observateur subtil. On le sent par ses œuvres, il a la clé des paysages, le sens des perspectives, et le Canada semble l’inviter de partout à aller le décrire. Chasseur dans la forêt presque inviolé des thèmes laurentiens, il décroche ses sujets partout dans les compagnes du fleuve, et c’est, parfois, sur la route de Chambly, un fier Canadien aux traits énergiques, le père Delage, tenace comme les chênes plantés devant sa porte, et qui lui offre le spectacle émouvant de son rêve simple identifié au sol natal, et de la fermeté du cœur que l’Argent n’arrive pas à déraciner des guérêts héréditaires. C’est, sous le ciel de Québec, au delà du hameau des Saules, la légende d’un orme gigantesque, abattu, après trois siècles de respect à sa force, par la hache même des vieillards qui l’aimaient et pleurent sur sa souche morte, les Hamel. C’est, plus loin, dans l’Ancienne-Lorette, une autre jolie légende ; le paysage mystique de l’Âme des Hurons et le miraculeux rosier, le délicieux Rosier de la Vierge.

La poésie pour celui qui en a dans l’âme, se trouve sur tous les chemins, et le Frère Marie-Victorin, lui, va la saluer jusque parmi les souches des pays de colonisation, jusqu’en ce Nord plein de lacs et bosselé de montagnes, où se ramifie avec le rail, la hache et les clochers, la volonté tranquille des faiseurs de pays. Et les vies les plus humbles, les plus effacées, lui découvrent, sous leur apparente banalité, le fond humain en ce qu’il a de plus noble et de plus émouvant. L’Âme canadienne en sa foi robuste, apte à l’héroïsme anonyme, au dévoûment sans panache, il en découvre une incarnation touchante dans le colon Lévesque, isolé, avec sa famille, sur l’humus des siècles, dans la mélancolie d’un défrichement de Mont-Carmel. Là, devant des squelettes d’arbres dont les bras noirs hachent l’horizon, il peut saluer la noblesse humaine : une secrète grandeur d’âme méconnue, un défricheur qui se hausse jusqu’à la flamme généreuse d’un saint.

Sa substance littéraire, il la dégage aussi de la Rivière du Nord, et dans sa moisson de pittoresque, il rapporte de Saint-Jérôme, les larmes résignées, mère canadienne, ton cœur vénérable, colon jérômien !

Déchiffreur d’horizons et de vies végétales, le Frère Marie-Victorin, l’est encore de vies humaines, les vies sans relief des villages, et pour les étudier, sa curiosité prend le chemin des maisons, va s’asseoir au foyer de nos gens, se tient aux écoutes, saisit les propos savoureux, les fortes images de la terre, et surprend sur les lèvres des nôtres l’Âme du pays.

Et riche de l’inédit des paysages, du pittoresque des solitudes, riche de la poésie des âmes écoutées, il sait sa richesse, il sent qu’il a touché aux fibres de sa race, qu’il peut en parler avec des mots vrais et fiers.

Après l’enfance, la nature canadienne et l’âme locale, nous venons de le voir, sont pour le Frère Marie-Victorin les sources inspiratrices. Il y a en plus l’histoire. Et l’histoire lui ouvre un large domaine d’évocation. Le Passé où dorment les ancêtres se lève parfois de sa cendre et lui parle. Et cette voix lointaine, il lui plaît de l’écouter, un matin, l’âme tournée vers le grand fleuve, la route royale, comme il l’appelle, et qui pénètre au cœur du vaste pays. Il écoute l’histoire occulte des rivages lui chanter sa plainte, et c’est le cri obstiné d’un peuple qui veut survivre, « c’est le cantique assourdi et très doux que fait sa vie sous ce vaste ciel et qui monte vers lui comme l’une des plus belles strophes du poème humain. »

Et tandis que sa pensée alterne entre le silence de l’aube réelle, et le cri d’une aube morte, tandis qu’un voile de brume traîne sur l’eau, les quais flottants, les mâts et les étraves, voici comme l’histoire s’évoque en son esprit :

C’est un cap vierge, Stadaconé, il y a plus de trois siècles… La France avec la Croix et les Lys apparaît sur le fleuve indien et lui donne trois villes… Puis la Mère de cette France nouvelle abandonne son enfant à l’hostilité de l’Amérique sauvage. Québec pourtant, garde pieusement son germe de patrie. Il le garde malgré la peine qui lui serre le cœur et lui mouille les yeux, depuis le jour où sa Mère, ramenant ses belles voiles, ses beaux seigneurs, sa claire épée le laissa seul sur son cap avec seulement quelques clochers, et son doux parler, pour survivre. Depuis, la nostalgie de France, tournée vers le Golfe avec les vieillards songeant, pleure sur le haut rivage. Pourtant on sait souffrir et sous les plis d’un autre drapeau, on garde le sol avec ses empreintes françaises. Et sans défaillance au cœur des villes primitives les soixante-dix mille colons délaissés n’ont pas voulu mourir à la pensée française… Durer ! le fier instinct, la loi de leur sang !… durer pour qu’il demeure sur ces bords une éternelle trace du geste civilisateur du pays d’origine, la Belle France…

Ils n’ont pas voulu mourir !… Et le Frère Marie-Victorin secoué dans sa vision par le chant des clochers, regarde courir au travail le petit peuple qui ne veut pas mourir. « Ah ! peuple québécois, pense-t-il, je t’aime d’avoir tant souffert dans tes “arpents de neiges” ! je t’aime, et je le dirai dans un livre à ton image, à celle de la Laurentie, et pour l’écrire, afin qu’il te soit ressemblant, je prendrai les mots de tes fils, les chansons de tes filles, j’y ferai parler les tiens. Et ton rêve qui persiste à flotter sur le fleuve, tout ce qui fait le fond de ton âme patiente, ton miracle dont s’étonne Barrès, je le dirai, parce que je t’aime, ô toi, qui ne veux pas mourir ! »


III


Malgré des qualités de style qui les feront lire et leur assurent la permanence de l’estime littéraire, malgré le pittoresque des sujets, la probité de l’observation, la fraîcheur des sentiments et la couleur de vérité qui les caractérisent, ces Récits Laurentiens, je sens qu’il est juste de le dire, ne donnent pas, du mérite de l’auteur, une suffisante idée. Le Frère Marie-Victorin n’est pas tout entier dans ce livre. Sa personnalité en d’autres écrits, a d’autres coups d’aile, une ampleur que ces pages ne font pas pressentir, et je sais des « Croquis laurentiens », comme ceux d’Anticosti et du Témiscamingue ou, mieux encore, d’admirables pages de géographie botanique, comme « La Flore de Québec »[2], qui retiennent notre curiosité, et dénotent une ascension nouvelle de ce fier révélateur du Canada.

Ainsi, révélateur, il le paraît surtout quand sa pensée se hausse à des cimes scientifiques, et que de ces hauteurs sereines, il embrasse d’un regard plus large et plus conquérant les réalités natales. La Terre canadienne, vue à travers la vision plus lumineuse du savant, a moins de traits anonymes et lui dévoile le sens de ses lignes géologiques. Son antiquité lui parle à travers la jeunesse du présent, elle lui parle aux bords des lacs morainiques et dans l’érosion des caps figés sur le Saguenay noir, elle nombre à ses yeux les vicissitudes des millénaires. Sa physionomie, ainsi regardée, est un livre tragique où il peut lire la lutte apaisée des forces primitives. Initié au pourquoi des lignes de son front sévère, il comprend le désert labradorien, et le Nord immobile s’anime pour lui de la vision des déchirements du monde, de son modèlement définitif sous les masses glaciaires.

Ainsi le terroir n’est plus seulement la motte de terre ennoblie de labeur humain, le champ où s’attache l’espoir du semeur, où survit l’âme des ancêtres. Le terroir est plus que cela dans sa rêverie rétrospective. Il fut, il y a des siècles, le témoin du wigwam errant ; il a mêlé dans l’oubli les os des guerriers rouges aux végétaux disparus, et sa fécondité qui donne le pain, est faite de la mort des forêts. Et, quand des apparitions lointaines d’Épinettes mortes, de Mélèzes, de Bouleaux, de Pins, de Pruches et d’Ormes, viennent pleurer leurs siècles sur l’horizon dénudé, il songe combien la Terre a eu de ruines avant de devenir le berceau du jeune peuple dont il incarne la pensée.

Tel, le Frère Marie-Victorin a déjà servi par sa pensée son pays, unique au monde, comme le chante Crémazie, mais resté encore, bien peu connu. Pour la contemplation des siens, il a fixé les nuances des pâles ciels du Nord, les horizons parfois si rudes où s’attache la vie de nos défricheurs, ces clochers dont nous sommes fiers et qui s’effilent sur la paix des villages comme de sveltes sentinelles de notre foi latine.

Et comme un défi aux dénigreurs d’une littérature autochtone, à ceux qui chez nous se gaussent du désir de trouver dans nos poètes ce reflet du pays, il ne craint pas, plus admirateur du geste d’un Mistral, d’un Harel ou d’un Vermenouze, qu’attentif à l’art moins fait pour nous, bien que subtil, de nos frères exotiques, d’offrir à sa terre natale une louange nouvelle. Magnifique, sa foi se promène sur nos chemins, salue la glèbe et nos maisons. L’intime pays, il l’écoute chanter, parler, prier, pour extraire de ses paroles, de son rire ou de sa plainte la trame de ses livres. Il se fait par une attentive sympathie, proche des siens, surprend leurs façons de souffrir et d’aimer dans leurs gestes familiers. Il est le regardeur dont la joie discrète est d’extraire de la pénombre de l’anonymat le poème incompris de la vie canadienne.

L’avenir littéraire, pour nous, il le voit dans la compréhension même de l’obscure épopée que nous donne à écrire la Providence dans cette Amérique encore sombre de forêts et mugissant un reste de virginité sauvage par le clairon de son éternel Niagara. L’Inspiration canadienne, elle attend du poète d’être provoquée avec un cœur simple et croyant jusque dans la mélancolie des solitudes. Lui, près des flots, dans les bois, sur le front de la Terre farouche, il l’a trouvée grave et riche du rythme humain et du murmure des choses. Et son geste fier est une incitation discrète aux timides à aller boire aux sources du Canada, à chasser l’image neuve en Laurentie, à dégager de leurs rêveries champêtres, de leur rêve en forêt ou dans les villes, une poésie vierge d’interprétation pour des chants nouveaux.

À la jeunesse, sensible et avide du sens des choses, ces Récits Laurentiens, apportent une fraîche révélation. Un art nourri de fortes images et de saisissante réalité va lui offrir les panoramas de paysages insoupçonnés, qu’humanise, loin du prestige des villes bruyantes, le geste audacieux mais nécessaire des défricheurs. Ce sera pour elle un contact par des mots évocateurs de l’âme du terroir. La respiration de la Patrie va passer en elle et la remuer dans sa profonde sensibilité. Ce sera dans sa mémoire l’incrustation de ton image, ô Canada. Initiée à tes grands horizons, à l’hymne du Saint-Laurent, elle voudra elle aussi, non plus à travers les mots fervents d’un livre, aller te saluer de ses yeux et de son rêve, ô Patrie ; elle voudra, à son tour et à sa manière, te dire, comme le Frère Marie-Victorin, le doux sentiment de te connaître et de t’aimer.

Enfin, la littérature canadienne, que l’on disait, depuis Crémazie, vêtue d’un manteau un peu terne, a mis, avec le Frère Marie-Victorin, des fleurs nouvelles à son corsage, une feuille d’érable dans ses cheveux ; et fière de sa parure, la jolie est allée au Saint-Laurent se mirer. Belle, elle a souri au reflet de ses yeux et de ses fleurs ; et dans son cœur elle a pensé qu’elle pourrait bien se passer d’oripeaux étrangers. Bravo ! la fière, nous t’aimons ainsi, fille aux beaux yeux doux !…

Albert Ferland.

Montréal, mars 1919.

  1. Voir la « Revue Canadienne », octobre 1917.
  2. Revue Trimestrielle Canadienne, Montréal, novembre 1918.