Récits et légendes/Terre/Force et beauté

Librairie Beauchemin, Limitée (p. 61-68).

FORCE ET BEAUTÉ

Ouvrons nos portes au soleil du bon Dieu. Saturons-nous d’air pur et de lumière. Devenons une race forte et superbe. «  Où voulez-vous en venir ? » me direz-vous. Je veux en venir à parler un peu d’hygiène. — « Ce n’est pas votre affaire » me direz-vous peut-être encore. Et je vous répondrai : « C’est l’affaire de tout le monde ». L’hygiène est une question du jour, une question sérieuse dont chacun, je pense, devrait se préoccuper. Car à quoi bon rêver de devenir grand si l’on ne prend pas les moyens qui mènent à cette fin ? Que peut-on attendre d’une bonne arme tenue par une main débile, et que nous servira d’être braves si nous ne sommes pas assez nombreux ?… Voilà encore un sujet sur lequel on est trop longtemps resté muet. Le fléau de l’influenza — à quelque chose malheur est bon — a fait voir les vides à combler, et le mouvement hygiénique commencé depuis quelque temps s’accentue rapidement chez nous.

Les intelligences se sont éveillées et les cœurs se sont émus. On a organisé des cercles athlétiques et formé des associations sportives. Les collèges et les couvents encouragent la culture physique. On a créé des cours d’hygiène publique. Des œuvres admirables aident les enfants à naître et à vivre. Mais cela est surtout pour la ville. La campagne ne jouit pas ou presque pas, de ces privilèges. L’air y est pur, il est vrai, et la vie plus saine. Les ennemis de la santé y sont moins nombreux. Mais, combien il y aurait de faiblesses à relever, d’erreurs à redresser, de préjugés à combattre ! Pendant que tout renaît par la magie des beaux jours, que l’herbe brille, que l’arbre rayonne, que toute la nature, enfin, se tend vers la lumière, nous nous enfermons dans nos maisons, fenêtres et portes closes. Le soleil luit sur nos toits et nous nous retirons au fond de chambres sombres, où l’air n’a pas été changé depuis des mois, parfois depuis des années, où les mouches transportent à plaisir les germes qui peuvent donner la mort. Et, pourtant, la terre respire la vie. Les plantes cherchent l’air et la lumière, et nous — quel mystère ! — méconnaissons ces dons de Dieu en méprisant le grand bienfait du soleil.

Et, l’hiver, comme nous sommes esclaves des préjugés ! Nous barricadons avec beaucoup de soin nos fenêtres et nos portes. L’air de la maison, jamais renouvelé, devient finalement un poison. D’une année à l’autre, les poitrines faibles s’affaiblissent davantage, devenant des proies faciles pour la tuberculose. On voit, parfois, dans nos campagnes, des familles entières atteintes de consomption. Il est vrai que cette maladie a d’autres causes, mais il a été reconnu que l’air vicié des maisons en est une.

La maison, cependant, désire protéger ceux qu’elle abrite, car, à nous voir ainsi sans cesse, la maison finit par nous aimer. Elle se réjouit de nos joies et souffre de nos peines. Et pour être plus gaie elle veut de la lumière, pour être plus jeune elle veut du soleil. Pour être meilleure aux siens, pour être protectrice et maternelle, la maison veut s’imprégner de l’air doux des collines et respirer les souffles du ciel. Elle veut que le jour luise sur le front de l’enfant qu’elle protège dans son berceau, afin que lorsqu’il sera grand, il ait un corps résistable, un esprit clairvoyant, une âme chercheuse de lumière. Et la maison souffre quand cet enfant, promis aux tâches futures, ne devient pas l’être robuste que la patrie attendait.

Voilà le vrai but de l’hygiène : former une race solide dont le corps sera le serviteur de l’âme, conserver à la nation toutes ses forces, mobiliser ses chances de survie. Et Dieu sait combien il faut de forces aux petites nations pour vivre à côté des grandes !

La gerbe de blé représente l’espoir du monde. Depuis que l’univers existe, les hommes, tenaillés par la faim, ont chanté la gloire du pain et la richesse des épis. Mais sans l’homme des champs, le pain n’existerait pas. Y as-tu songé, homme des villes ? Avons-nous songé que les vies perdues à la campagne et qui auraient pu être sauvées par l’hygiène sont des gerbes de moins et de la misère de plus ? Que les gouvernements et les autorités se tournent donc aussi vers l’enfant des campagnes dont les bras seront voués un jour à l’œuvre de la terre. Que, grâce à un enseignement actif et intelligent, nos laboureurs deviennent de plus en plus forts, et nos engerbeuses de plus en plus belles.

Voyez, dans la maison du colon, la jeune mère auprès de son nouveau-né. Avec quel amour elle le regarde et de quels soins incessants elle l’entoure ! Elle a passé de longs jours à filer, à tisser, à coudre pour lui. Et, maintenant, il dort, chaudement enveloppé dans son drap de laine du pays, sa catalogne et sa courtepointe. Mais si l’enfant tombe malade, la mère est totalement impuissante devant le danger. Souvent éloignée des villages et des médecins, n’ayant reçu aucune notion de médecine générale, ignorant les soins d’alimentation et d’hygiène à donner aux enfants, elle n’a, pour tout réconfort, qu’une bouteille de sirop calmant. Et cette mère, en voulant le sauver, donnera du poison à son fils !

Voilà un champ d’action où le zèle patriotique devra s’exercer. Que tous les écoliers de nos campagnes apprennent, à l’école, par un enseignement pratique et intéressant, dans lequel les faits et les exemples seront nombreux, qu’ils apprennent à aimer l’hygiène et à s’en préoccuper.

Que le jeune homme et la jeune fille appelés à devenir les habitants de demain sachent que les poussières, les mouches et les sirops calmants sont des choses dangereuses, que l’organisme humain est une machine qui ne peut fonctionner sans air, que le soleil doit pénétrer dans nos maisons — même quand il jaunit les murs et brûle les rideaux — et que la lumière est un don divin que nous n’avons pas le droit de méconnaître. Surtout — puisque la femme est la sentinelle des familles — que la jeune fille, mère future, apprenne comment rendre ses enfants robustes, afin que, dans nos champs féconds, les gerbes superbes de l’avenir soient fauchées par les bras puissants de nos fils…