Récits de voyages d’un Arabe/La description de la ville glorieuse de Rome


Traduction par Olga de Lébédew.
(p. 57-62).


AU NOM DU DIEU UNIQUE, ÉTERNEL, IMMORTEL, AUQUEL JE ME CONFIE, QUI EST MON REFUGE.


Commençons, avec l’aide de Dieu le Très-Haut, la description de la ville glorieuse de Rome, en nous fondant sur des sources véridiques, qui nous sont parvenues par les écrits des anciens. Sur ses édifices, ses églises, etc.

La ville glorieuse de Rome est longue de trente milles, et sa largeur de même ; elle est entourée de trois murailles, en comptant depuis la porte surnommée « la Porte d’Or » jusqu’au côté oriental. La mer l’entoure de trois côtés et le quatrième est réuni au continent. Elle a sept portes sans compter la Porte d’Or. Entre les murailles qui entourent la ville, il y a une distance de soixante aunes et l’épaisseur de chaque muraille est de quarante aunes. Entre deux murs il y a une rivière d’eau douce qu’on appelle Costantino, et qui traverse toute la ville, et elle a des écluses en cuivre jaune, dont chacune est de quarante-six coudées de hauteur ; leur nombre est de mille.

Lorsque l’ennemi assiège cette ville, ses habitants ouvrent les écluses qui laissent échapper une grande masse d’eau, servant de défense contre l’ennemi, car cette eau va se réunir aux eaux de la rivière. Entre la Porte d’Or et le palais impérial, un énorme marché s’étend à la distance de douze milles ; il est pavé de grandes dalles en pierre. Il contient une quantité de boutiques. Le centre en est appuyé sur des colonnes de cuivre jaune, dont les bases et les chapiteaux sont travaillés comme les tiges d’arbre et les feuilles. La hauteur de chaque colonne est de trente coudées ; entre les colonnes il y a un pont en cuivre jaune ; la rivière coule de l’Occident à l’Orient et l’on y voit beaucoup de vaisseaux. Les vaisseaux s’approchent de la maison « des Dix », s’arrêtent devant les boutiques où ils déposent leurs marchandises, reçoivent le prix du transport et s’en retournent en paix. Cette ville possède une église dédiée aux Saints Pierre et Paul, les premiers apôtres. Ils y sont enterrés tous deux dans un sarcophage en marbre, que tout le monde voit. La longueur de cette église est de trois cents coudées, et sa hauteur de deux cents aunes royales, mesure que l’on ne connaît que dans cette ville ; cette aune est d’une moitié plus longue que l’aune des autres pays.

La ville a trois Basiliques dont les escaliers, les arcades, et les colonnes sont en cuivre jaune.

Leurs autels sont d’or et d’argent. Il s’y trouve aussi une église dédiée au premier martyr, Saint-Étienne l’archidiacre. Elle est longue de quatre-vingts aunes et large de quarante ; sa hauteur est de deux cents aunes. Elle a trois chapelles et son sol, son plafond, ses colonnes, ses arcades, ses cintres et son parvis sont faits de marbre de la même espèce et de la même couleur. Cette ville possède mille deux cent vingt-trois églises, où le peuple se rassemble tous les jours pour les prières et la messe. Il y a aussi mille deux cent vingt-cinq souterrains avec des colonnes qui servent de refuge aux moines qui prient et louent Dieu jour et nuit. Cette ville possède douze mille rues et ruelles et deux rivières d’eau douce, dont l’une est potable et dont l’autre sert pour la lessive et le travail. Il y a douze mille marchés et dans chacun une fontaine pour boire. Ces marchés sont pavés de marbre blanc, et cette ville possède trente-six mille bains. Il s’y trouve vingt-six mille vieux prêtres, moines et autres ecclésiastiques, dont le nombre ne diminue pas car, lorsque l’un meurt, il est remplacé par un autre. Les jeunes moines depuis l’âge de quarante ans et moins, ne sont pas compris dans ce nombre. L’entretien de tous ces ecclésiastiques est à la charge du roi et du Gouvernement. Il y a quatre cent douze évêques. Quant aux us et coutumes des habitants de cette ville disons ce qui suit :

Tout commerce y cesse trois heures avant le coucher du soleil, depuis le samedi jusqu’au lundi à trois heures, puisqu’ils vont tous à l’église où ils prient pour leur roi. Il se trouve dans cette ville trente-deux établissements d’éducation où le peuple se rassemble ; on y enseigne aussi la philosophie.

Il y a une église dédiée à Jean-Baptiste, de la longueur d’un mille, et sa largeur de même ; et sa hauteur est de cent aunes. La table de son autel est en émeraude. Sa longueur est de douze empans et sa largeur de six. Il est appuyé sur quatre colonnes en émeraude, dont chacune est de cinq empans de longueur. Au-dessus de l’autel se trouvent douze lions en or émaillé. La longueur de chaque lion est d’un empan et demi. Leurs yeux sont en rubis rouges. Si on enlève le voile qui couvre la table, elle éclaire l’église de son éclat. Elle reste ordinairement ouverte, puisqu’elle est également belle le jour et la nuit, et brille d’un même éclat.

Il y a dans cette église cent vingt colonnes séparées entre elles par une largeur de vingt-et-une aunes. Cette église possède vingt-huit paires de portes en cuivre, d’un prix difficile à évaluer. Elle possède le même nombre de portes en argent. Il y a six cents chapelles dont chacune a la longueur de quarante-quatre aunes, et il y a dans chacune quarante-quatre colonnes de marbre de la hauteur de trente aunes. Il y a aussi deux-cent douze arceaux, dont chacun a la largeur de vingt aunes, et trois coupoles énormes, trois nefs et cent trente mille chaînes d’or et d’argent pour suspendre les lampes. Elle possède quatre cents cruches d’or et mille deux cents en cuivre et trois cent soixante éventails autour du maître-autel. Ils sont inestimables car ils valent plus que l’or. Le nombre des croix d’or que portent les prêtres en main lorsqu’ils vont avec le Saint Sacrement est de deux cent quarante. Il y a six mille quatre cents trente-six Évangiles recouverts d’or, de perles, de rubis, etc.

Cette église a quatre cent soixante administrateurs, et de grands revenus ; entre autres sept mille dinars par an du Gouvernement, et soixante douze mille mesures de froment.

Quant au palais du roi, il est long de sept cents vingt pas ; il est recouvert d’or et d’argent et possède quarante portes d’or et d’argent ; il est entouré de soixante-douze colonnes en cuivre, ornées d’or et d’argent ; chaque colonne est surmontée d’une idole en cuivre doré qui représente un gardien. Sur le chapiteau de chaque colonne est inscrit le nom et la langue de cette idole ; de cette façon sont représentées soixante-douze langues, toutes les langues de la terre. Chaque fois qu’un roi quelconque assiège cette ville, l’idole sous laquelle est inscrite la langue de ce roi, commence à parler, et les habitants se préparent à le combattre.

Il y a dans cette ville une écluse énorme faite d’une seule pierre dont la circonférence est d’un mille carré et la longueur de mille trois cents aunes. Des quatre côtés de cette pierre il y a des bas-reliefs.

Au milieu de l’écluse se trouve une colonne, haute de trente-cinq aunes, dont la base est en argent et le fût en bronze doré. Elle est surmontée d’un étourneau en or tenant en son bec une olive et deux dans ses griffes. Il est considéré comme un talisman.

Tous les ans, le premier octobre cet étourneau se met à battre des ailes en sifflant, ce qui attire tous les étourneaux de la terre, qui se rassemblent pour le voir et lui apportent en cadeau une olive dans leur bec et deux dans leurs griffes, qu’ils jettent dans l’écluse, et puis ils s’envolent.

Ceci arrive tous les ans. Quand tous les oiseaux se sont envolés, les trésoriers du roi arrivent pour rassembler les olives et en faire presser l’huile. Lorsque l’huile est prête on en laisse au roi autant qu’il lui en faut pour une année ; on fait de même pour l’église, et le reste est vendu au marché, puisque cette ville ne possède ni oliviers, ni huile, en dehors de ce que lui apportent ces oiseaux, ce qui, d’ailleurs, suffit à ses besoins.

Et il y a dans cette ville une grande source d’eau qui forme trois cents soixante canaux, qui abreuvent tous les habitants et arrosent les jardins. Il s’y trouve six cents moulins, pour le roi et pour le reste des gens.

Cette ville possède sept mille jardins. Le long de cette même source sont érigées mille colonnes à la distance de soixante aunes l’une de l’autre. Cette source coule au-dessous du palais du roi et des clefs du temple de Salomon, de la baguette du Prophète Moïse, des Tables de la Loi, et de l’Arche de l’Alliance. Tous ces objets sont enfouis sous les degrés du côté oriental.

Nous avons écrit ce que nous avons appris et examiné personnellement en souvenir et reconnaissance éternelle. Nous prions Dieu de nous pardonner aujourd’hui et dans l’éternité.