Récit pour le ballet du château de Bicêtre

Récit pour le ballet du château de Bicêtre
Poésies diverses, Texte établi par Charles Marty-LaveauxHachettetome X (p. 58-59).

XVI

Récit.
Pour le ballet du château de Bicêtre.

Au commencement du dix-septième siècle il n’était question parmi le peuple de Paris que des apparitions qui avaient lieu au château de Bicêtre alors en ruine. Louis XIII résolut de le faire abattre, ce que du Breul nous raconte en ces termes dans le Théâtre des antiquitez de Paris… À Paris, par la Société des Imprimeurs, M.DC.XXXIX, in-4o, p. 87 : « Du Château de Vicestres. L’an 1632 ce château fut entièrement rasé jusques aux fondements, et de la grande place où il étoit, on desseigna y faire un lieu pour y loger et recevoir les soldats estropiés aux guerres pour le service du Roi, et dès lors on commença la clôture de murailles, avec quatre pavillons aux quatre coins, où on y fit bâtir une chapelle, qui fut bénite par l’archevêque de Paris. »

On comprend qu’au moment où le Roi était occupé de ce projet le château de Bicêtre était un sujet de ballet tout à fait de circonstance. Il fut dansé le 7 mars 1632, et la Gazette de France en fît un compte rendu que nous avons cru devoir reproduire dans notre Appendice, parce qu’il fait bien comprendre les vers de Corneille et explique à quel endroit ils se plaçaient dans le ballet.

Le récit de Corneille est le morceau que le sieur Justice chantait avec accompagnement de luth (voyez ci-après l’Appendice). La publication de cette pièce de vers a suivi de fort près le moment où elle fut chantée, car elle occupe le huitième rang parmi celles qu’on trouve dans les Mélanges à la suite de Clitandre, dont l’Achevé d’imprimer est, comme nous l’avons dit, du 20 mars 1632. Jusqu’ici les éditeurs de Corneille n’avaient donné aucun renseignement sur le Ballet du chasteau de Bissestre, et n’en avaient pas même indiqué la date.


Toi, dont la course journalière
Nous ôte le passé, nous promet l’avenir,

Soleil, père des temps comme de la lumière,
Qui vois tout naître et tout finir,
Depuis que tu fais tout paroître 5
As-tu rien vu d’égal au château de Bissestre ?

Toutes ces pompeuses machines
Qu’autrefois on flattoit de titres orgueilleux,
Pourroient-elles garder auprès de ces ruines
Le nom d’ouvrages merveilleux ? 10
Et toi, qui les faisois paroître,
Qu’y voyois-tu d’égal au château de Bissestre ?

Ces tours qui semblent désolées,
Et ces vieux monuments qu’on laisse à l’abandon,
C’est ce qui fait périr le nom des Mausolées[1] 15
Et des palais d’Apollidon[2],
Puisque tu les fis tous paroître
Sans y voir rien d’égal au château de Bissestre.

Cache-toi donc plus tard sous l’onde,
Sur ce nouveau miracle arrête ton flambeau ; 20
Et sans aller sitôt apprendre à l’autre monde
Ce que le nôtre a de plus beau,
Sois longtemps à faire paroître
Que rien n’est comparable au château de Bissestre.


  1. Mausolée, magnifique tombeau élevé par Artémise en l’honneur de son époux Mausole, roi de Carie.
  2. Château magique construit par l’enchanteur Apollidon. Il est décrit au Ier chapitre du IIe livre de l’Amadis de Gaule.