Règlement d’accord sur la préférence des savetiers cordonniers


Règlement d’accord sur la preference des savetiers cordonniers.

1635



Règlement d’accord sur la preference des savetiers cordonniers.
À Paris, chez Michel Brunet, au Marché neuf, à l’image Saint-Nicolas.
1635. — In-8.

Ces jours passez se rencontrèrent deux compagnons cordonniers et deux savetiers sur le mont de Parnasse, et, s’estans querellez pour la primauté de leurs mestiers, commencèrent à se frapper à coups de tire-pieds. Ils s’estoient dejà choquez si rudement l’un l’autre, qu’à la première charge le plus vaillant des deux cordonniers receut une botte franche depuis le chinon du col jusqu’au bout de l’echine du dos, ce qui luy feit donner du nez contre terre sans qu’il eut le courage de s’en relever. Son camarade n’en eust pas meilleur marché que luy. Apollon, en ayant esté adverty, accourut afin de s’informer du fait. Il estoit fort en colère de ce qu’ils s’estoient venus battre sur ses terres sans lui en demander permission ; et, tout transporté qu’il estoit, leur tint le mesme langage que feit Neptune, son cousin germain, lorsque les subjects d’Eole se mutinèrent contre luy et le vinrent troubler dans son royaume au plus fort de sa tranquillité : Quos ego1 ! Si je vous prends, canailles que vous estes ! si je vous mets la main sur le collet, sentine de la republique, reste de gibet ! je vous feray pendre tous quatre par les pieds comme gens sans merite et indignes d’estre attachés par vos cols infâmes. Les deux cordonniers, qui n’osoient presque lever les yeux, par la crainte qu’ils avoient d’estre battus pour la seconde fois, ne l’eurent pas sitost aperceu qu’ils luy demandèrent ; et celuy quy avoit la langue la mieux pendue, s’inclinant devant luy avec la submission et humilité requise, luy cracha ce beau compliment à sa barbe venerable :

Je confesse, Monseigneur, que nous sommes autant coupables que personnes du monde et tout à fait indignes de paroistre en vostre royale presence ; mais la confiance que tout le monde a en vostre bonté et l’asseurance que nous avons de vostre équité et justice admirable, sur le rapport fidèle quy nous a esté fait par le courtois et très subtil Trajano Boccalini, qui a eu autrefois l’honneur d’appeler devant vostre tribunal des causes de moindre importance que la nôtre ; cela, dis-je, nous a fait prendre la hardiesse de nous venir jeter à vos pieds et vous demander très humblement justice de ces deux pendarts que vous voyez là presents. — Par les eaux stygiennes, repondit Apollon, vous êtes bien les plus impudents et les plus indiscrets coquins quy ayent jamais paru devant mes yeux. Je suis si bercé d’entendre tous les jours de semblables plaintes, qu’au bout du compte je croy que je seray forcé d’abandonner ce lieu malheureux. Si un meschant laquiet de trois sols a perdu l’argent de son disné à jouer avec son camarade, il faut qu’il vienne en tirer raison sur la croupe innocente de cette saincte colline. Un soldat a-t-il reçu un dementy de son camarade, vous le voyez aussy tost venir prophaner mes autels par ses mains homicides, qu’ils trempe souvent dans le sang de celuy qui soupoit le soir avec luy, les meilleurs amis du monde. Si, parmy les tirelaines, coupeurs de bources, etc., et autres gens de tels trafics, il survient entre eux quelque different par le partage du butin, ils n’ont point d’autres rendez-vous que ce beau lieu pour en terminer la querelle. Si les escrocs, filoux et autres maquereaux très relevez, ont le moindre debat du monde pour la jouissance et possession de quelque chetive maitresse quy soit un peu de meilleure mise que celle du commun, c’est en ce lieu qu’il faut vider à la pointe de leurs espées couardes quel en doit estre le libre et paisible possesseur ; et, si quelque polisson ou marcandier2 a cassé malicieusement l’escuelle de son camarade, c’est icy qu’ils ont accoustumé d’en tirer vengeance. Puis que la plus part se vante d’estre gentilhomme de sang et de race, encore que leurs pères crient tous les jours des cotrets, pour quoy diable ne se vont-ils couper la gorge en honnestes gens, aux lieux que les plus braves courages font professions de se battre au beau milieu d’une place royalle3, à la veue de quantité de dames qui se rient à gorge deployée du desespoir quy les guide ? Que ne prennent-ils le chemin du Pré-aux-Clercs4, rendez-vous ordinaire de tous ceux qui sont las de vivre ? Ou bien, s’ils ont fait vœu de mourir sur le chemin de Pantin, que ne s’esgorgent-ils l’un l’autre aux plus proches avenues de Montfaucun, afin qu’on n’ayt point la peine de les y porter quand ils seront morts ?

Je reviens à vous, âmes lasches (parlant aux deux sieurs cordonniers). Gens sans honneur et mal apris que vous estes, vous dites du mal des personnes qui valent peust-estre mieux que vous. Quelle manie, quelle rage, quelle fureur vous a saisict les cinq sens de nature ? Qui diable vous a fait si hardis de me venir gourmander ainsy jusques en ma maison ? D’où venez-vous ? quy estes-vous ? Etes-vous gentilshommes, bourgeois ou roturiers ? — Alors le plus asseuré de nos dicts sieurs les savetiers, qui neantmoins trembloit au manche, de peur qu’il avoit d’estre graissé, commença de tirer de la plus profonde cave de son estomach un soupir plein de regrets, auquel il donna, pour escorte de sûreté et pour interprète fidelle du ressentiment qu’il avoit, ces parolles, dignes d’estre gravées sur le bronze, ou tout au moins sur du papier doré, pour servir de torche-cul à la posterité :

Illustrissime, reverendissime, nobillissime, clarissime, excellentis­sime seigneur, dites-moy, je vous prie, le title et la qualité qu’il vous plaise que je vous donne : car je vous promets bien que je n’ay jamais etuguié à Padoue pour sçavoir des rubriques de ceremonies. Si je vous appelle doctissime, je croy que ce sera le vray moyen de satisfaire à mon devoir : car, si je ne me trompe, je vous ay veu regenter en assez bon credit dans le meilleur collége de nostre bonne et ancienne université de Paris. Je vous dis donc, doctissime et reverendissime Monsieur, que nous ne sommes ny gentils-hommes, ny bourgeois, ny marchands, ny roturiers ; nous sommes du tiers-etat et deux des plus francs courtauts quy peuplent la famuleuse et celèbre race de la Savatterie.

Si vous avez resolu de faire paroistre la rigueur de vostre courroux, il est bien raisonnable que vous en faciez ressentir les effects à ceux quy l’ont merité par leurs crimes, et non pas à des innocents comme nous sommes, mon camarade et moy, quy ne vous avons nullement offencé. J’ay quelques fois ouy dire, du temps que mon bon homme de père me faisoit l’honneur de m’envoyer au collége des Trois-Evesques5 entendre les doctes leçons du subtil et mellifique Ramus, que licebat vim vi repellere ; et si quelquefois la langue latine ne vous estoit pas des plus familières, je prendray la hardiesse d’y mettre la glose françoise, et diray librement qu’il est permis, aussy bien à Vaugirard qu’à Vanves, de repousser la force par la force ; et, si on reçoit un cataplasme de Venise6, un coup de poing, une gourmade simple, par raison de charité il la faut doubler et la rendre au centuple si l’ocasion y est requis ainsy. Au moins ay-je appris ceste doctrine du bon Barthole, au tiltre penultième de ses Institutions, § Si quis, et du brave Cujas, sans pair, en la première ligne du commantaire qu’il a faict sur le code du droit tant canon que civil. Nous avons pratiqué ceste maxime à l’endroict de ces deux individus que vous voyez là couchez avec tant de privauté, comme s’ils estoient chez eux, sur la croyance que nous avons eue que cela estoit juste, et qu’un si maigre sujet ne seroit pas capable de faire prendre la chèvre à un bel esprit comme le vostre.

De tous ceux quy ont veu la suitte de nostre procez, il n’y en a pas un qui aye osé nous donner le tort s’il ne vouloit point mentir. Ce n’est pas nous quy sommes autheurs de la meslée, Dieu le sçait ! et tout le faux-bourg Sainct-Germain en peult rendre fidelle et authentique tesmoignage que ce sont eux-mesmes quy nous ont attaquez les premiers. Si vous pretendez neantmoings que nous ayons commis quelque excez sur vos terres, nous vous declarons et protestons dès à present que tout ce que nous en avons fait estoit purement et simplement à nostre corps defendant, outre que nous etions obligez d’y proceder de la sorte par les loix d’honneur, qui est le plus riche tresor que la nature tienne inserré dans le cabinet de ses raretez. L’Orient n’a point de diamans ny de perles qui puissent entrer en parangon avec son prix inestimable ; la Nouvelle France n’a point de castor ny de mourues fraiches quy la puissent payer. Les saucissons de Boulongne, les jambons de Mayence, les fourmages de Milan, les andouilles de Troyes et les angelots du Pont-l’Evesque7 ne sont rien à l’egard de l’honneur. Enfin, c’est une relique et un joyau que nous devons cherir plus que la vie mesme. No ay vida como la honra, dit l’Espagnol ; il n’y a point de vie semblable à l’honneur.

Toute l’assemblée pensa crever de rire lors qu’ils prirent garde que monsieur le savetier faisoit des comparaisons de l’honneur avec les angelots du Pont-l’Evesque et les fourmages de Milan. Ventre sainct Gris ! dit l’un des assistans, voilà le premier savetier que j’ay jamais cogneu ! Après qu’il sera mort, il luy faudra donner une place au rang des hommes illustres. Jamais Demosthènes ne plaida si pertinemment pour les tripières que fait ce sire savetier pour son interest. Seroit-il bien possible que dans la circonference d’un tire-pied il eust fait rencontre d’une rhetorique si raffinée ? Il est universel, il n’ignore de rien, et ne puis croire autrement qu’il n’ayt autresfois servy les massons de la tour de Babel : il parle toutes sortes de langues comme celle de sa mère.

Et, afin que par l’ignorance, poursuivit le savetier, et peu de cognoissance de nostre cause, vous ne veniez à faire quelque pas de clerc et prononcer un jugement de travers au prejudice de vostre conscience et desavantage de nostre interest particulier, quy est ce quy nous importe le plus, je veux vous informer plus amplement comme toute l’affaire s’est passée, pourveu que vous me donniez attention huict jours durant et rien plus. J’aimerois mieux devenir cheval que d’avoir abusé de vostre patience un moment. Je vous diray donc, Messieurs, que jeudy dernier, après avoir pris nostre refection ordinaire, environ l’heure que Phaeton desteloit ses chevaux pour leur donner l’avoine à l’hostellerie du Mouton8, dans la rue du Zodiaque, nous fismes partie d’aller nous divertir nos esprits melancoliques sous la verdure de quelque treille agreable, au passe-temps du noble jeu de boule. Ce qu’en effect nous mismes à execution en mesme forme que nous l’avions proposé, et, comme nous etions sur le seuil de la porte tout prests d’en sortir pour aller desalterer tous nos sangs eschauffez, au beau premier cabaret que nous rencontrions, nous trouvasmes ces deux marouffles de cordonniers, lesquels nous interrogérent exactement, ny plus ny moins que si nous etions obligez de leur rendre compte de nos actions, de quel costé et par où nous dirigions nos pas ? Et sitost que nous eusmes repondu que nous prenions le grand chemin qui conduisoit droit à la maison du Riche laboureur, ils s’offrirent de gaité de cœur et sans estre nullement priez de nous accompagner, et nous ayant neantmoins demandé avec assez de discretion si nous ne le trouvions pas mauvais. Nous les receumes fort charitablement et avec autant de courtoisie qu’ils auroient pu desirer des plus honnestes gens du monde, et, au lieu de suivre le chemin que nous avions resolu de faire, de leur consentement et advis, nous prismes la route de la rue des Boucheries9, et en peu de temps nous nous rendismes heureusement vis-à-vis de l’hostel du Suisse, où nous entrasmes librement et sans marchandage de plus, après avoir fait neantmoins une production generale de toutes les ceremonies qui concernoient la preeminence en une semblable rencontre.

De vous rapporter icy ce qui se passa entre nous durant la collation, ce seroit faire peu d’estime du temps quy nous est si cher ; il faudroit une langue plus diserte que la mienne et que j’aie l’esprit plus farcy de conceptions plus relevées et plus confites dans l’eloquence que je n’ay pas. Je vous dirai seullement, pour trancher net, qu’au plus fort de nostre rejouissance, il m’eschappa par malheur de cracher trois ou quatre sentences de l’honneur et gloire de nostre cher mestier. Mais à peine les eus-je faict sortir de dessus le bord de mes lèvres qu’incontinent l’un de ces deux impudents me donna d’un dementy par le nez, et me chanta pour le moins dix tombereaux de pouilles et d’injures, et, croyant me picquer jusques au vif et au dernier point, me dict ouvertement et d’un courage plus temeraire que resolu que je n’etois rien qu’un meschant savetier, miroir de l’incommodité, suppost de la misère humaine, le rebut et l’egoust de toute la monarchie françoise. Jusques là j’avois fait paroistre autant de patience que Job ; mais, si tost que je l’aperceu lever la main pour me couvrir la joue et que je me sentis la moustache frisée par l’approche et attouchement d’une assiette qu’il me feit effrontement voler à la figure, ce fut alors que mon insigne patience sortit hors des gonds, et la cholère se rendit avec tant de vitesse maistresse absolue de toutes les facultés et puissances de mon ame que je ne peu m’empescher de luy donner un cataplasme de Venise, et vous puis asseurer avec verité que, si ce n’eust esté le respect que j’avois de fascher nostre hoste et de causer quelque desordre dans son logis, je luy eusse graissé les epaules aux despens d’une satile, comme son indiscretion le meritoit.

Mais dictes-moy, de grace, erudissime seigneur, à quoy pensez-vous parler quand vous parlez à ces deux perfides que voicy presents ? Quelles gens croyez-vous que ce soient ? Je vous apprends que ce sont deux meschans feseurs de bottes et de souliers, que le vulgaire appelle ineptement et sans fondement aucun de raison cordonniers. Pourquoy ? Cordonniers, d’où est derivé ce mot ? Est-ce peut-estre par ce que ils font des cordons de chapeaux et qu’ils fournissent des cordes10 à maistre Jean Guillaume lorsqu’il luy convient d’en employer pour les operations chatouilleuses de son art11, ou bien qu’ils soient obligez d’avoir tous les mois chacun une chaude pisse cordée ? On auroit autant de raison de les appeler tonneliers ou officiers du Port-au-foin, pour ce que, si les pretendus cordonniers font des bottes de cuir, ceux-cy en font de bois et de foin. J’aimerois autant dire qu’ils feussent maitres d’escrime : les escrimeurs tirent des bottes, et les cordonniers les chaussent. Voilà une impertinence plus claire que le jour ; voilà une improprieté tout-à-fait manifeste, sans l’affront signalé que reçoit nostre langue françoise de dire qu’elle soit si pauvre, qu’il faille qu’elle emprunte le nom d’une autre profession pour baptiser ces messieurs de faiseurs de soulis. Et semble que l’italien aie rencontré aussi mal que le françois en ceste affaire icy, quelque affectation et mignardise qu’il puisse pretendre dans la delicatesse et douceur de son langage : il nomme un souly scarpa12 et celuy quy le faict calzonaro, ny plus ny moins que s’il estoit chaussetier et que sa profession fut de faire des bas ; parce qu’en effet des bas de chausse, aussy bien en Toscane qu’en autres lieux d’Italie, s’appellent calzette. Mais les Espagnols, quy ont plustost la main à l’espée qu’à la bourse, comme sages et prudens dans tous leurs conseils et entreprises, ont fort bien preveu le desordre qu’auroit peu causer dans leur monarchie une telle ethimologie et denomination si impropre. Ceste seule consideration, fondée sur les maximes de la police, les a obligez de qualifier tous les officiers et confreires du tirepied d’un nom general et commun, c’est assavoir çapateros, quy est comme si nous disions en françois savetiers. Et la seule difference qu’ils ont vouleu y constituer et poser pour les mettre d’accord, c’est qu’ils ont adjousté la clause authentique et verbale de viejo, de nuevo, en vieux et en neuf.

Ceste belle difference me fait souvenir d’une pensée admirable sur ce mot de savetier en vieux. Nostradamus, cest insigne resveur, prouve, dans le calepin de ses doctes propheties, qu’il n’y a rien au monde quy donne tant de credict à quelque chose que ce soit comme la vieillesse et l’antiquité. Ceux quy se meslent de paranympher13 les empires, les royaumes, les republiques, les citez et les villes, commencent tousjours par l’antiquité comme principale pièce de leur recommandation. Un gentilhomme n’est jamais respecté comme il faut entre ceux quy sont nobles s’il ne donne des preuves de sa noblesse de père en fils jusques à la centiesme generation. Les vieilles et les plus antiques medailles sont les plus recherchez. Et si une bibliothèque n’est fournie de plusieurs manuscrits antiques, on n’en fait plus d’estat que si elle estoit la boutique d’un libraire moderne. Jusques à un tavernier, si vous le priez de vous faire gouster un doigt de bon vin quy vous ravisse les sens, il vous repondra qu’il a le meilleur vin vieux quy soit en France. Et, si quelque homme de bonne humeur vous a joué quelque tour, vous direz aussi tost : C’est vieux. De toutes ces propositions sus alleguées je tire une conclusion en barbara et dis :

Toutes les choses quy sont vieilles et antiques sont plus dignes que celles quy sont neuves.

Tout ce quy passe par les mains des savetiers est vieux et antique.

Ergo les savetiers sont plus dignes que les cordonniers, quy travaillent le neuf.

Il n’y a point de vice ny de surprise dans ce sylogisme ; il est dressé comme il faut, la matière est bonne, et la forme encore meilleure. Tout le monde sçait que les savetiers ne vendent rien chez eux quy n’ait au moins quelque apparence de vieux, joinct que, par le temoignage que nous avons tiré des archives d’Espaigne, il se trouve que les savetiers sont plus proches parens du souly que ne sont les cordonniers. Et, pour ce voir et en monstrer la verité, espluchons l’ethimologie du nom de savetier. Voyons les principes et l’origine d’où il tire sa reelle denomination.

Çapato, en catalan, veut dire soulier, n’est-il pas vray ? Ouy ; or sus donc nous voilà d’accord dejà sur ce point là. Changeons le p en v, nous trouverons çavato ; poursuivons plus avant, et, sous une echange de l’o en e feminin, espelez, Monsieur le cordonnier, assemblez vos lettres comme il faut ; autrement mettez chausse bas, voicy le magister quy vous chassera les mouches du derrière avec un baston à vingt bouts, sa va, sa va te, savate. Courage, nous aurons tantost plus que nous ne demandons ; poussons nostre bidet et passons outre. De çapato est formé çapatero, changeant l’o en e, et en suite le ro ajouté. De savate, est derivé savetier, entreposant un i entre le t et l’e et ajoustant un r. Il n’y a plus rien à roigner après cela, Monsieur le cordonnier, voilà quy est grammatical ; jamais Priscian ny Donat n’auroient mieux rencontré. Il faut vous rendre ou crever, et confesser, en depit de vos chiennes de machoires, que vous estes savetiers aussy bien que nous ; et, puis que vous voyez que la vraie et essentielle nature du souly est plus rangée de nostre costé que du vostre, il ne vous desplaira pas de boire après nous ; avec vostre permission, nous prendrons la main droicte. Après cela, c’est tout dit ; vivez seullement mieux à l’advenir, et taschez de vous rendre aussy braves gens que nous.

Apollon, ayant fait premierement paroistre sur son front une gravité extraordinaire, feit imposer silence par son premier huissier, et, après s’estre relevé la moustache d’une grace non pareille, feit couler de sa bouche dorée ce discours mellifique et suave et tout confit dans le sucre :

C’est assez dit, mes bons amis (s’adressant aux savetiers), à bon entendeur il ne faut que demy mot : je voy d’une lieue loin où vous en voulez venir. Il faudroit estre un vrai aveugle pour ne point voir la raison que vous y mettez et le tort qu’ont tous ceux quy vous veulent du mal. Il y a plus de quatre-vingt-dix lunes que j’ay entendu parler de vostre fait. Je ne sçay par où commencer pour vous exprimer suffisamment, avec l’affection que je voudrois bien, la bonne opinion que j’ay toujours eue de vos consciences sans reproches. J’approuve et extolle14 jusques à la moindre region de l’air vos franchises naturelles, et proteste devant tous les dieux que je suis entierement satisfait de la charité et courtoisie dont vous usez ordinairement envers tous ceux quy ont l’esprit de s’aller chausser dans vos magazins. Vous avez le courage noble, et tout Paris recognoist que vous ne faites point de difficulté de donner une paire de souliers, à quelques poincts qu’on vous les puisse demander, pour douze ou seize sols tout au plus, et le plus riche de tous les cordonniers en voudroit avoir cinquante sols ou trois quarts d’escu, tout au moins ; et les gentils hommes incommodez se vantent partout d’avoir la meilleure paire de bottes qu’il y ait dans vos boutiques pour le prix et somme de trois livres seulement ; et messieurs les cordonniers n’en voudroient point rabattre une obolle encor sur une pistole en or, ou dix francs tout au meilleur marché, et bien souvent ne seront-elles que de meschante vache bruslée. Je veux dores-en-avant que vous me serviez ; j’aime mieux donner mon argent à vous qu’à d’autres quy se mocquent de moy. Et dès à present je jure par les eaux inviolables du Styx, et vous le signeray par devant tous les notaires quy sont sous les charniers des Innocents, que je vous feray donner la pratique de tous les musniers de mon quartier, sans compter les bourgeois de Vaugirard et Vanves, quy ne vous peut fuir. Et quy plus est, je desire que les neuf muses, très chères et bien aimées seurs, portent à l’avenir de vos ouvrages, à condition que vous espargnerez toutes fois plus vos dents que vous n’avez fait par le passé, et que vous renoncerez entièrement à l’avare et maudite coustume que vous avez de tirer le cuir avec pour le rendre plus long, en quoi j’ay appris de personnes dignes de foy que vous faictes aussi bien vostre devoir que pas un cordonnier qui soit. Et afin que tous les confraires du tirepied puissent à jamais vivre en bonne paix et intelligence ensemble, comme des personnes quy jouissent esgallement des privilèges de l’alesne, nous desclarons et ordonnons par ces presentes que vous porterez dores-en-avant un seul et mesme nom, comme font tous vos associez, amis, confederez et alliez quy demeurent en Espaigne, savoir est, que les cordonniers s’appellent savetiers en vieux ; ou bien, si les cordonniers pretendent recevoir quelque grief d’une ordonnance et d’un reglement si juste, et qu’obstinement et malicieusement ils ne vouleussent se deffaire d’un tiltre quy convient si peu à leur profession, nous desclarons par ces dites presentes, et que personne n’en pretende cause d’ignorance, que le susdit nom de cordonnier sera commun à tous les deux ordres de la semelle, sans neantmoins en retrancher la clause sus alleguée : cordonnier en vieux, cordonnier en neuf, afin qu’ils puissent estre recogneus les uns aux autres pour estre et honorez selon leur grade et merite en tous lieux et endroits où le destin les pourroit faire rencontrer ensemble, nonobstant oppositions ou appellations quelconques produites au contraire. Et tous ceux quy auront l’ame si noire que de contre-venir à nostre dit reglement en la moindre façon du monde et sous quelque pretexte que ce soit, nous les condamnons dès à present à cinquante bouteilles de vin d’amende et autant de cervelas, applicables aux pauvres confrères desdits mestiers quy pourront prouver par leur indigence n’avoir pas le sol pour boire ; et si voulons et entendons que, dès l’heure mesme qu’ils auront eu seulement la volonté de commettre la moindre rebellion, ils soient obligez par corps de prester, avec l’humilité et submission qui leur sera commandée, leurs espaules opiniastres et rebelles pour porter les cinquantes bouteilles de vin au dit mont Parnasse ou en autre lieu que trouvera bon la discretion des surintendans de la confairie, afin de boire tous ensemble en bonne amitié, sur peine d’estre privez à jamais des graces et priviléges ordinaires dont ont accoustumé de jouir tous confrères et officiers du dit mestier.


1. C’est l’explication si plaisante dans le Virgile travesti de Scarron :

Par la mort !… il n’acheva pas,
Car il avoit l’ame trop bonne.

Cette traduction burlesque auroit ici convenu mieux que le texte même à mons Phœbus, cousin de Neptume.

2. D’après le dictionnaire argot-françois mis par Grandval à la suite de son poème sur Cartouche, le Vice puni, les polissons étoient, parmi les argotiers, « ceux qui alloient presque nuds », et les marcandiers, ceux qui disoient avoir été volés, et qui, en menaçant d’une accusation le passant à la bourse duquel ils en vouloient, le faisoient ainsi chanter, c’est-à-dire payer. Marcandier signifioit aussi marchand.

3. Allusion aux duels fréquents dont la place Royale étoit l’arène, notamment à celui de Boutteville, qui avoit eu lieu en 1627.

4. Comme une partie de cette grande plaine commençoit alors à se couvrir de maisons, c’est seulement à l’extrémité, du côté de la Grenouillère (quai d’Orsay), qu’on pouvoit encore aller se battre. « Le comte et le baron, lisons-nous dans Francion, s’étant donc picquez, se retirèrent de la compagnie par divers endroits, et, ayant été passer le Pont-Neuf vers le soir, se trouvèrent presqu’en même temps au bout du Pré-aux-Clercs, où, estant descendus de cheval, ils mirent la main à l’espée. » (Hist. comique de Francion, 1663, in-8, p. 366.)

5. C’est le collége de Cambrai, qu’on appeloit quelquefois collége des Trois-Évêques, en souvenir de ses trois fondateurs : Hugues d’Arci, évêque de Laon ; Hugues de Pomare, évêque de Langres ; Gui d’Aussone, évêque de Cambrai. C’est à celui-ci, qui avoit eu le plus de part à la fondation, qu’il devoit son nom plus ordinaire de collége de Cambrai. La place sur laquelle il ouvroit, et qui a disparu l’année dernière, s’appeloit de même par la même raison.

6. « C’est un soufflet, un coup appliqué sur le visage de quelqu’un du plat ou du revers de la main. » (Leroux, Dictionn. comique.)

7. Petits fromages qu’on ne connoit guère qu’en Normandie, dans le pays d’Auge, ce qui nous feroit croire volontiers qu’Angelot est une altération de Augelot.

8. C’est-à-dire du bélier, pour parler comme le Zodiaque ; mais comme il y avoit à Paris, dans le cimetière de Saint-Jean, une célèbre hôtellerie du Mouton (V. notre Histoire des hôtelleries, t. 2, p. 303–304), on a cru pouvoir se permettre cette variante.

9. Il y eut toujours dans cette rue du faubourg Saint-Germain beaucoup de taverniers et plus tard de traiteurs. L’une des principaies loges de francs-maçons, au XVIIIe siècle, s’ouvrit et tint ses séances chez l’un de ces derniers. Mercier connut chez une autre la fameuse servante de cabaret dont il a tant vanté la prodigieuse mémoire et la capacité ; enfin le Caveau étoit près de là, chez Landel, au carrefour Buci.

10. Cette burlesque étymologie rappelle celle que Balzac, peu plaisant d’ordinaire, inventa un jour, selon le Menagiana. Il disoit que les cordonniers s’appellent ainsi parcequ’ils donnent des cors !

11. Jean Guillaume étoit le bourreau de Paris. Il avoit succédé à Jean Rozeau (V. notre t. 4, p. 251), qui avoit été pendu sous Henri IV pour avoir, pendant la Ligue, étranglé le président Brisson, lui avoir pris son manteau de peluche et l’avoir vendu dix écus. V. L’Estoille, édit. Michaud, t. 2, p. 75, etc.

12. Ce mot italien, qui venoit lui-même du latin carpus ou de son diminutif carpisculus, qui désignoit une sorte de soulier découpé, a eu pour dérivé, dans notre langue, son équivalent escarpin.

13. C’est-à-dire faire un compliment, un éloge, dans le genre de ceux qu’on adressoit aux jeunes mariés, ou bien aux nouveau-venus dans les colléges.

14. J’élève, du latin extollere.