Râmâyana (trad. Roussel)/Préface
Le Râmâyana n’est pas un inconnu qu’il faut présenter au public : une traduction intégrale du poème, par Hippolyte Fauche, a déjà paru de 1854 à 1858. Les déclamations lyriques de Michelet, les pages académiques de Laprade attestent encore l’émotion qui saisit les esprits cultivés en présence du chef-d’œuvre qui venait d’être révélé. Cinquante ans ont passé depuis ; la traduction de Fauche, épuisée de longue date, est introuvable ; et, toute méritoire qu’elle ait pu être, elle ne vaut pas l’honneur d’une réimpression. Admirateur enthousiaste de la littérature sanscrite, Fauche avait pris à tâche de la faire passer en français ; le Râmâyana, malgré ses vastes proportions, n’était qu’une infime partie de son programme. Il n’avait donc pas le temps de s’arrêter aux vétilles qui embarrassent et retardent les philologues ; il allait devant lui abattant la besogne à tranches régulières, mal pourvu de connaissances solides, confiant dans une divination souvent trompeuse. Le sanscrit et le français avaient fréquemment à se plaindre des écarts de sa verve mal dirigée.
La nouvelle traduction, due à M. l’abbé Roussel, offre au contraire les plus sûres garanties : élève de Hauvette-Besnault et de Bergaigne, il a appris de ces maîtres excellents le respect scrupuleux des textes, l’analyse patiente des difficultés, la rigueur de l’interprétation. Déjà il s’est tiré avec succès d’une épreuve redoutable ; chargé d’achever la traduction du Bhâgavata-Purâna, laissée en suspens par la mort de Burnouf d’abord, de Hauvette-Besnault ensuite, M. l’abbé Roussel a su continuer sans déchoir l’œuvre de ses deux devanciers. Des études sur le Bhâgavata, sur le Mahâ-Bhârata ont attesté sa familiarité avec les idées essentielles du génie hindou. Il se trouvait en quelque sorte tout désigné pour traduire la magnifique épopée où l’Inde a su exprimer avec un bonheur rare son idéal de vertu. Le héros créé par Vâlmîki reste encore aux yeux de l’Inde contemporaine le plus parfait modèle de l’humanité : la vaillance paisible de Râma, toujours au service du bien, son obéissance passionnée au devoir, sa sensibilité fine et délicate, sa piété filiale, sa tendresse conjugale, sa communion d’âme avec la nature entière sont des traits d’éternelle beauté que le temps ne saurait effacer ni affaiblir.