Râja-yoga ou Conquête de la nature intérieure
Traduction par S. W..
Publications théosophiques (p. 38-62).


CHAPITRE III

PRÂNA


Contrairement à ce que croient quelques personnes, Prânâyâma ne traite pas seulement de la respiration ; Prânâyâma n’a que peu de rapports avec elle, si tant est qu’il en ait du tout.

La respiration n’est qu’un des nombreux exercices dont la pratique nous conduit au véritable Prânâyâma. Prânâyâma c’est la maîtrise, la domination de Prâna. Selon les philosophes de l’Inde, l’univers tout entier se compose de deux matières, dont l’une porte le nom de Akâsha. C’est l’existence partout présente et qui pénètre tout. Tout ce qui a forme, tout ce qui est le résultat de mélanges, procède de cet Akâsha. C’est de l’Akâsha que proviennent l’air, les liquides et les solides ; c’est l’Akâsha qui se transforme en soleil, terre, lune, étoiles et comètes ; lui encore, qui devient corps humain ou animal, plantes, tout ce que nous voyons, tout ce que nous sentons, tout ce qui existe. L’on ne peut pas percevoir l’Akâsha lui-même ; sa subtilité est telle qu’il est au-delà de toute perception ordinaire, et l’on ne peut le voir que lorsqu’il s’est matérialisé, qu’il a pris forme. À l’origine de la création cet Akâsha existe seul ; à la fin du monde les solides, liquides et gaz se fondent de nouveau en lui de qui procède d’une manière semblable la création suivante.

Quel est donc le pouvoir qui produit cet Akâsha dans l’univers ? Ce pouvoir est Prâna. De même que Akâsha est la matière infinie, partout présente de cet univers, de même Prâna en est le pouvoir infini, omniprésent, qui se manifeste. Au début et à la fin d’un cycle, tout devient Akâsha, et toutes les forces de l’univers se résolvent et retournent en Prâna ; dans le cycle suivant, c’est de ce Prâna que découle tout ce que nous appelons énergie et force. Le mouvement est une manifestation de Prâna. Il en est de même de la gravitation et du magnétisme. Les mouvements du corps, les courants nerveux, la force de la pensée sont des manifestations de Prâna. De la pensée jusqu’à la force physique la plus grossière, tout n’est que manifestation de Prâna. Prâna est le nom de la somme totale de toutes les forces de l’univers, mentales ou physiques, revenues à leur état d’origine. « Quand il n’y avait encore ni tout, ni rien, quand l’ombre noyait l’ombre, qu’existait-il ? Cet Akâsha existait sans mouvement. » Le mouvement physique du Prâna ne se faisait pas sentir, mais le Prâna existait tout de même. Toutes les énergies actuellement éparses dans l’univers et que la science moderne nous a fait connaître sont invariables. La somme totale des énergies de l’univers reste toujours constante ; seulement, à la fin d’un cycle, ces énergies s’apaisent, deviennent potentielles et au début du cycle suivant se réveillent, frappent l’Akâsha et, procédant de celui-ci, se manifestent sous des formes variées ; à mesure que l’Akâsha se modifie, Prâna se transforme aussi en toutes les manifestations diverses de l’énergie. La connaissance et la maîtrise de ce Prâna sont ce que l’on désigne sous le nom de Prânâyâma.

Ceci nous ouvre la porte sur un pouvoir presque illimité. Supposez par exemple, qu’un homme possédât parfaitement le Prâna, et fût capable de le diriger, quel pouvoir sur terre ne posséderait-il pas ? Il pourrait déplacer le soleil et les étoiles et être maître de l’univers tout entier depuis les atomes jusqu’aux plus grands soleils, parce qu’il posséderait la maîtrise du Prâna. Tels sont la fin et le but du Prânâyâma. Au Yogî devenu parfait, rien dans la nature ne résistera. Les dieux s’avanceront sur son ordre s’il leur commande de venir à lui, et les disparus apparaîtront s’il lui plaît de le leur enjoindre. Toutes les forces de la nature lui obéiront en esclaves ; et lorsque les ignorants verront la puissance du Yogî ils crieront au miracle. C’est un des traits de l’esprit hindou, qu’il recherche toujours la généralisation la plus complète, avant d’entamer l’examen des détails. Les Vedas posent la question suivante : « Quelle est la chose dont la connaissance équivaut pour nous à la science universelle ? » Ainsi le seul but de tous les livres et de toutes les philosophies que l’on a écrits, a été de déterminer cette chose dont la connaissance confère le savoir universel. L’homme qui aurait la prétention de connaître cet univers dans tous ses détails, devrait examiner individuellement chaque grain de sable, ce qui nécessiterait un temps infini ; la chose est d’ailleurs impossible. Alors, comment savoir ? Comment l’étude des détails peut-elle conduire l’homme à l’universel savoir ? Ces détails, disent les Yogîs, cachent une généralisation. Derrière toute idée particulière est une idée générale, un principe abstrait ; comprenez-le et vous avez tout compris. C’est ainsi que les Vedas ont généralisé l’univers entier en une existence absolue. Et qui a compris cette existence, a compris tout l’univers. Ainsi donc toutes les forces ont été généralisées en ce Prâna, et celui qui a saisi le Prâna est devenu maître de toutes les forces mentales ou physiques de l’univers. Quiconque s’est rendu maître du Prâna a conquis sa propre intelligence ainsi que toutes tes autres intelligences du monde. Dominer le Prâna c’est dominer son corps ainsi que tous les autres corps, parce que Prâna est la manifestation généralisée de la force.

Arriver à la domination du Prâna, tel est le but unique que se propose le Prânâyâma. C’est à cela que tendent tous ses exercices et tous ses entraînements. Chaque homme doit regarder, d’abord autour de lui et commencer par apprendre à dominer ce qui l’entoure. Notre corps est ce qui nous est le plus proche ; rien ne nous est plus proche au monde, et notre pensée est la pensée qui nous touche de plus près. Le Prâna, qui donne la vie à notre pensée et à notre corps, est celui de tous les Prânas qui est le plus près de nous. La petite vague du Prâna qui représente nos propres énergies, mentales et physiques, est de toutes les vagues de l’océan infini de Prâna celle qui nous approche le plus ; nous arrivons à maîtriser cette petite vague et alors seulement nous pouvons espérer dominer le Prâna tout entier. Le Yogî qui a pu faire cela, atteint à la perfection ; il n’est plus alors l’esclave d’aucun pouvoir. Le voilà devenu presque tout puissant, presque omniscient. Nous trouvons dans tous les pays des sectes qui ont tenté de dominer ainsi le Prâna. Il y a dans ce pays des « mind healers » , des « faith healers »[1] des spirites, des adeptes de la « christian science », des hypnotiseurs, etc. ; si nous examinons ces sciences diverses, nous constaterons qu’elles ont une base commune, et que cette base est — qu’elles le sachent ou non — la domination du Prâna. S’il vous plaisait de fondre en un creuset toutes leurs théories, vous verriez que le résidu en serait le même. C’est par la même force qu’ils opèrent tous, mais sans le savoir. Ils ont découvert une force, ont butté contre elle, et ils ignorent de quelle nature elle est, mais ils usent inconsciemment des mêmes pouvoirs que le Yogî, pouvoirs qui découlent du Prâna.

Ce Prâna constitue la force vitale de chaque être, dont la plus subtile et la plus haute manifestation réside dans la pensée. Mais cette pensée elle-même, ainsi que nous le voyons, n’est point tout. Il y a aussi une pensée particulière que nous nommons instinct, pensée inconsciente, et qui est au niveau le plus bas de l’action. Qu’un moustique nous pique, et sans que nous y pensions, automatiquement, instinctivement, notre main l’écrasera. C’est là une manifestation de la pensée. Toutes les actions réflexes du corps appartiennent à ce niveau de la pensée.

La pensée consciente plane plus haut. Je raisonne, je juge, je pense, j’envisage le pour et le contre de certaines choses ; ce n’est pourtant pas tout. Nous savons que la raison a ses limites ; elle ne peut les dépasser ; elle s’y arrête. Le cercle où elle se meut est en vérité extrêmement restreint. Nous voyons pourtant à la fois certains faits qui font irruption dans ce cercle. Ainsi que des comètes, il est des choses qui, pénétrant dans le cercle, arrivent assurément du dehors, bien que notre raison ne puisse concevoir cette zone extérieure. Il faut chercher au dehors les causes de tel phénomène qui se passe dans ces étroites limites. La raison et l’intelligence ne peuvent pas les concevoir ; mais, dit le Yogî, ce n’est point tout. La pensée peut exister sous une forme plus élevée encore ; celle de la supra-conscience. Quand la pensée a atteint cet état, nommé Samâdhi, — concentration parfaite, supra-conscience, — elle franchit les limites de la raison et se trouve en présence de faits que nul instinct, nulle raison ne peuvent jamais connaître. Tous ces exercices des forces subtiles du corps et des diverses manifestations du Prâna, donnent, bien conduits, l’essor à la pensée, et l’élèvent plus haut toujours, jusqu’à la supra-conscience ; et c’est alors que la pensée agit.

Il y a dans cet univers une masse continue à chaque niveau d’existence. Physiquement parlant, l’univers est un ; il n’y a pas de différence entre le soleil et vous. L’homme de science vous dira que prétendre le contraire est une pure fiction. Il n’y a pas de différence véritable entre cette table et moi. La table est un point de l’amas de matière et j’en suis un autre. Chaque forme représente comme un tourbillon dans l’océan infini de la matière et ces tourbillons ne se ressemblent pas toujours. C’est ainsi que, dans un torrent impétueux, il peut y avoir des milliers de tourbillons, dans chacun desquels l’eau à tout instant se renouvelle, tourne sur elle-même pendant quelques secondes, et s’écoule, tandis qu’une eau nouvelle vient à son tour alimenter le tourbillon ; l’univers tout entier est un amas de matière changeant constamment dans laquelle nous sommes de petits tourbillons. Une certaine quantité de matière entre en nous et tourbillonne et se transforme en l’espace de quelques années en un corps humain ; puis elle se modifie pour prendre la forme d’un animal peut-être ; de là elle s’échappe et devient, au bout d’un certain nombre d’années, un tourbillon nouveau sous la forme d’une masse minérale. C’est un perpétuel changement. Aucun corps n’est constant. Votre corps ou mon corps n’existent qu’en paroles. En fait il n’y a qu’une seule masse énorme de matière ; et ses diverses parties s’appelleront lune, soleil, homme, terre, planète, minéral. Aucune d’elles ne sera constante, car tout change sans cesse ; la matière s’agrège et se désagrège éternellement. De même la pensée. L’éther y représente la matière ; lorsque l’action du Prâna est la plus subtile, ce même éther, dans un mode plus délicat de vibration, représentera la pensée et il composera encore alors une masse indivise. Si vous pouvez atteindre simplement à cette vibration subtile, vous verrez et vous sentirez que l’univers entier est composé de ces vibrations subtiles. Il y a certaines drogues qui ont le pouvoir de bouleverser en quelque sorte nos sens et qui nous mettent en cet état. Beaucoup d’entre vous se souviennent sans doute de cette célèbre aventure de sir Humphrey Davy, anéanti par le gaz hilarant et restant, pendant une conférence, sans mouvement, stupéfié, puis disant ensuite que l’univers entier était fait d’idées ; pendant le temps que dura cet état il semble que les vibrations grossières auraient cessé et que seules, les vibrations subtiles, auxquelles il donnait le nom de pensées, lui auraient été sensibles. Il ne pouvait voir autour de lui que les vibrations subtiles ; tout était devenu pensée, l’univers entier était un océan de pensée ; il s’était transformé, et tous les autres avec lui, en petits tourbillons de pensée.

Ainsi, même dans l’univers de la pensée, nous trouvons celle unité, et enfin, quand nous arrivons au Moi, nous savons que le Moi ne peut être qu’Un. Au delà du mouvement il n’y a que l’unité. Même dans le mouvement apparent il n’y a qu’une unité. On ne peut plus nier ces faits que la science moderne a démontrés. La physique moderne a également démontré que la somme totale des énergies qui existent dans l’univers est constante. Il a été prouvé aussi que la somme totale de l’énergie se présente sous deux formes : elle existe d’abord en puissance, puis à l’état de repos et de calme, puis elle se manifeste sous toutes ces forces diverses ; de nouveau elle retourne à l’état de calme et de nouveau elle se manifeste. Ainsi l’énergie évolue sans cesse à travers l’éternité ; ainsi que nous l’avons déjà dit, la maîtrise de ce Prâna est ce que l’on nomme Prânâyâma.

Ce Prânâyâma s’occupe très peu de la respiration, si ce n’est à titre d’exercice. Le mouvement des poumons est, dans le corps humain, la manifestation la plus visible de ce Prâna ; si ce mouvement cesse, la vie cesse, et toutes les autres manifestations de forces dans le corps cessent également. Il y a des personnes qui arrivent par l’entrainement à faire que leur corps continue à vivre, même après l’arrêt du poumon. Certains individus peuvent rester enterrés pendant des mois ; ils continuent à vivre sans respirer. Mais, pour le commun des mortels, la respiration constitue le mouvement grossier principal du corps. Pour parvenir aux mouvements plus subtils, il nous faut nous aider des plus grossiers comme point de départ, et cheminer lentement vers les plus subtils jusqu’à ce que nous ayons atteint notre but. Le plus visible des mouvements du corps est celui des poumons ; il est comme le volant qui met toutes les autres forces en marche. En réalité, Prânâyâma signifie la maîtrise de ce mouvement des poumons, lequel est associé à la respiration : et ce n’est pas que la respiration produise ce mouvement, mais au contraire ce mouvement qui produit la respiration. Le mouvement aspire l’air à la façon d’une pompe. Prâna fait mouvoir les poumons, et le mouvement des poumons aspire l’air. De sorte que Prânâyâma n’est pas la respiration elle-même, mais la maîtrise du pouvoir musculaire qui met les poumons en mouvement. Ainsi, ce pouvoir musculaire, transmis aux muscles par les nerfs, et par les muscles aux poumons, qu’ils meuvent d’une manière déterminée, est le Prâna qu’il nous faut savoir dominer pour pratiquer le Prânâyâma. Une fois maîtres de ce Prâna, nous nous apercevrons aussitôt que toutes les autres manifestations de Prâna, dans le corps, tomberont lentement sous notre contrôle. J’ai vu, de mes yeux, des hommes qui ont su maîtriser à peu près tous les muscles de leur corps. Et pour quoi n’en serait-il pas ainsi ? Si je domine certains de mes muscles, pourquoi ne pourrais-je pas dominer tous mes nerfs et tous mes muscles ? Quelle impossibilité y aurait-il à cela ? Actuellement, cette domination n’existe plus et le mouvement est devenu automatique. Nous ne pouvons pas remuer les oreilles à volonté mais nous savons que les animaux le peuvent. Nous n’avons pas ce pouvoir, parce que nous ne cherchons pas à l’avoir. C’est là tout simplement de l’atavisme.

Nous savons encore que des mouvements qui sont devenus latents peuvent être appelés de nouveau à se manifester. Par un travail assidu et par la pratique, on arrive è se rendre tout à fait maître de certains mouvements du corps, même les plus endormis. En raisonnant de la sorte, nous arrivons à dire qu’il est, non seulement pas impossible, mais encore probable, que nous puissions nous rendre absolument maîtres de chaque partie de notre corps.

Le Yogî y arrive par le Prânâyâma. Quelques-uns d’entre vous ont peut-être lu que, selon le Prânâyâma, vous devez, quand vous respirez, remplir tout votre corps de Prâna. Dans la traduction anglaise, on donne à Prâna le sens de respiration, et vous êtes tenté de demander comment il peut en être ainsi. La traduction est mauvaise ; on peut remplir chaque partie du corps de Prâna, de celle force vitale, et, cela fait, on domine le corps tout entier. Alors, non seulement l’on pourra maîtriser parfaitement toute maladie et toute misère du corps, mais encore sera-t-on capable de dominer le corps d’un autre. Tout est contagieux en ce monde, le bien comme le mal. Si votre corps est nerveusement tendu, il sera porté à produire chez d’autres un état nerveux semblable au sien. Vous êtes fort et bien portant et ceux qui vivent à vos côtés ont une tendance à devenir eux aussi forts et sains ; soyez au contraire malade et faible, et votre entourage tendra à devenir faible et malade comme vous. Les vibrations de votre corps seront en quelque sorte transmises à un autre corps. La première pensée d’un homme qui cherche à en guérir un autre est simplement de lui transmettre sa propre santé. Et c’est là la forme primitive de l’art de guérir. Consciemment ou inconsciemment, la santé peut être transmise. Un homme très robuste fortifiera l’homme faible auprès duquel il vivra, que celui-ci le veuille ou non. Cette action est d’autant meilleure et rapide qu’elle est consciente. Nous savons que dans certains cas un homme qui n’est pas très bien portant, peut pourtant donner de la santé à un autre. Cet homme domine alors davantage le Prâna ; il peut, pour un temps donné, l’augmenter en quelque sorte, l’amener à un certain état de vibration et le transmettre à un tiers.

Il y a eu des exemples de cette action à distance ; mais en réalité il n’existe pas de distance, si l’on veut attribuer à ce mot le sens d’interruption, de rupture. Quelle est la distance qui n’implique pas une solution de continuité ? Y a-t-il quelque chose de semblable à cela entre vous et le soleil ? Ce qu’il y a, c’est une masse continue de matière ; le soleil est un des points de cette masse et vous un autre. Existe-t-il une interruption entre les différentes parties d’une même rivière ? Et alors pourquoi toute force ne pourrait-elle pas se transmettre ? Aucune raison ne s’y oppose. Les cas où cela se produit sont parfaitement réels, et le Prâna peut être transmis à de très grandes distances ; seulement, pour un cas de transmission véritable, il y a des centaines de tromperies. La chose n’est pas aussi facile qu’elle le semble. Vous pouvez constater que dans les cas les plus fréquents de guérison, les guérisseurs profitent simplement de la santé généralement bonne du corps humain. Il n’existe pas de maladie qui tue la majorité des personnes qu’elle frappe. Même pendant une épidémie de choléra, si, pendant quelques jours, la mortalité atteint 60 p. 100, le nombre des décès tombe bientôt à 30 ou à 20 p. 100, et le surplus des malades se rétablit. Voici un médecin allopathe, qui prescrit sa médication ; en voici un autre, homéopathe, qui, à son tour, donne ses conseils et guérit peut-être plus de malades parce qu’il n’a pas troublé leur économie et qu’il a laissé la nature faire son œuvre ; le guérisseur par la foi réussira mieux encore parce qu’il apportera la force de sa pensée pour aider à supporter le mal ; il stimulera, par la foi, le Prâna engourdi du patient.

Mais les guérisseurs par la foi commettent constamment une erreur : ils croient que c’est la foi elle-même qui guérit directement le malade. Elle ne suffit pas à elle seule. Il y a certaines maladies, dont la pire manifestation consiste en ce que le malade ne s’en croit pas atteint. Cette profonde croyance du malade est, en soi, un des symptômes de son mal, et indique en général qu’il mourra promptement. Le principe de la guérison par la foi n’est pas applicable à des cas pareils. Si la foi pouvait guérir tous les cas, elle guérirait bien ceux-là aussi. Mais c’est le Prâna qui est la source de la véritable guérison. L’homme pur, qui a dominé ce Prâna, peut provoquer chez ce dernier un certain état de vibration, transmissible à d’autres, et qui éveille en eux des vibrations similaires. L’on constate cela dans les événements de tous les jours. Je suis en train de vous parler. Quel est mon but ? Il est, pour ainsi dire, de chercher à mettre ma pensée en un certain étal de vibration ; et plus j’y réussis, plus je vous impressionne par le langage que je vous tiens. Vous savez bien tous que ce sont les jours où je suis le plus enthousiaste, que vous jouissez le plus de nos causeries ; lorsque je le suis moins, au contraire, votre intérêt semble faiblir.

Les êtres doués de formidables forces de volonté, ceux qui remuent le monde, peuvent porter leur Prâna à un état de vibration intense, si forte, si puissante qu’elle subjugue les autres en un instant ; ces êtres attirent alors à eux des milliers de gens, et la moitié du monde adopte leur pensée. Les grands prophètes possédaient au plus haut degré la maîtrise du Prâna, et c’est ce qui leur donnait une force de volonté considérable. Leur Prâna avait atteint son plus haut degré de vie, et il en résultait pour eux le pouvoir d’entraîner le monde. Toutes les manifestations de puissance naissent de cette domination. Les hommes peuvent en ignorer les causes secrètes ; telle est pourtant la seule et véritable explication.

Parfois, la provision de Prâna qui est en nous afflue plus ou moins vers tel ou tel point de notre corps, l’équilibre est alors rompu, et de cette rupture de l’équilibre du Prâna s’ensuit un état particulier que nous nommons «  maladie ». Pour guérir cette maladie, il faut ou supprimer le Prâna superflu, ou en fournir là où il manque. Et c’est encore Prânâyâma qui nous enseigne à reconnaître qu’en telle ou telle partie du corps il y a trop ou trop peu de Prâna. Nos sensations deviendront si subtiles et si fines qu’il nous sera permis de sentir qu’il y a dans notre orteil ou notre doigt moins de Prâna qu’il y en devrait avoir et de leur fournir ce qui en manque. Telle est une des fonctions variées du Prânâyâma. On ne peut apprendre ces fonctions que lentement et graduellement. Le grand but de Râja Yoga est donc, vous le voyez, d’enseigner la maîtrise et la domination du Prâna sous ses formes diverses. Un homme, en concentrant ses énergies, devient maître de son propre Prâna. La méditation est aussi, chez l’homme, une manière de concentrer le Prâna.

L’océan est formé de vagues énormes semblables à des montagnes, de vagues moins grosses, puis de plus en plus petites, jusqu’à n’être plus que de simples ondulations, mais au fond des unes comme des autres est l’océan infini. L’ondulation d’une part, la vague immense d’autre part, se rattachent toutes deux à l’océan infini. De même, le géant et le nain se rattachent tous deux à l’océan infini de l’énergie ; ceci constitue le droit commun de toute créature. Toute manifestation de la vie cache une provision d’énergie infinie. C’est, à l’origine, un peu de fange, ou quelque toute petite bulle microscopique, qui puise sans cesse à cette inépuisable source d’énergie, et qui lentement, très lentement, se transforme, pour devenir, grâce au temps, d’abord une plante, puis un animal, puis ensuite un homme, et finalement Dieu. Il faut des millions d’æons pour en arriver là, mais qu’est-ce que le temps ? Une course plus rapide, une lutte plus intense peuvent diminuer d’autant la distance.

Le Yogi dit que tel travail qui, normalement, demande beaucoup de temps, pourra être accompli d’autant plus vite que l’effort sera plus intense. L’homme qui puisera lentement et sans cesse, dans la masse infinie, l’énergie qui existe dans l’univers, mettra cent mille ans peut-être, pour devenir un deva, cinq cent mille pour monter plus, et, qui sait ? cinq millions d’années pour devenir parfait. Plus il s’élèvera vite, moins il lui faudra de temps pour atteindre ce but. Pourquoi n’arriverait-il pas à la perfection en six mois ou en six ans ? Il n’y a pas de limitation de temps pour cela et l’expérience le prouve. Voilà une machine qui, avec une certaine quantité de charbon, parcourt deux lieues à l’heure ; donnez-lui plus de charbon et elle fera la route en moins de temps. De même, pourquoi notre âme ne pourrait-elle pas, en intensifiant son action, atteindre au but dans la vie présente ? Tous les êtres finiront par s’élever à la perfection que nous connaissons. Mais qui se soucie d’attendre tous ces millions d’æons ? Pourquoi n’atteindrait-on pas le but immédiatement, dans ce corps-ci, sous la forme humaine ? Pourquoi dès maintenant la science infinie, l’infini pouvoir ne me seraient-ils pas donnés ?

Tel est l’idéal du Yogi ; toute la science de Yoga tend vers ce seul but : apprendre aux hommes à gagner du temps en augmentant l’effort ; à rendre le pouvoir d’assimilation plus intense et à abréger de la sorte le temps qu’il faut pour atteindre à la perfection, au lieu d’avancer à petits pas en attendant que toute l’humanité se soit développée et soit devenue parfaite. Que sont tous les grands prophètes, les saints, les voyants de ce monde ? Ils ont, dans l’espace d’une simple vie, vécu toute la vie de l’humanité, franchi tout le temps qu’il faut à l’humanité normale pour atteindre à la perfection. En cette vie ils se perfectionnent eux-mêmes, ils n’ont point d’autres pensées, respirent dans ce seul espoir, et ne vivent jamais un instant pour une autre idée ; ils abrègent ainsi le chemin. Voilà ce que veut dire « se concentrer », rendre l’action ou l’assimilation intense et gagner du temps. Or, Râja Yoga est la science qui nous apprend à acquérir la puissance de concentration.

Quel rapport y a-t-il entre le Prânâyâma et le spiritisme ? Le spiritisme est aussi une manifestation du Prânâyâma. S’il est vrai que les esprits des morts existent, sans que nous puissions les voir, il est tout à fait probable que des centaines et des millions d’entre eux vivent ici même et que nous ne pouvons ni les voir, ni les sentir, ni les toucher. Peut-être ne cessons-nous pas de passer et de repasser par leurs corps, et peut-être aussi ne nous sentent-ils et ne nous voient-ils pas. C’est un cercle dans un cercle, un univers dans un univers. Seuls peuvent se voir ceux qui sont sur le même plan. Nous avons cinq sens et chacun de nous représente le Prâna dans un état déterminé de vibration. Tous les êtres dont l’état de vibration sera semblable se verront entre eux, mais ceux dont le Prâna vibrera à un degré plus élevé échapperont à la vue des premiers. Nous pouvons accroître l’intensité de la lumière jusqu’à ce qu’il nous devienne impossible de voir, mais il peut y avoir des êtres au regard assez puissant pour supporter l’éclat de celle lumière. Aussi bien, quand les vibrations sont très faibles, y a-t-il certaine lumière que nous n’arrivons pas à discerner, tandis qu’il est des animaux, comme les chats ou les hiboux qui le peuvent ; notre limite de vision correspond à un niveau différent du Prâna. L’atmosphère, par exemple, se compose de couches superposées ; mais les couches les plus proches de la terre sont plus denses que les couches supérieures, et l’atmosphère devient de plus en plus légère à mesure que vous vous élevez. Plus l’on descend profondément dans l’océan et plus la densité de l’eau augmente ; les animaux qui vivent au fond de la mer ne peuvent monter à sa surface, car ils y périraient.

Représentez-vous l’univers tout entier comme un océan d’éther, qui vibre sous l’action du Prâna, et qui est formé de couches superposées vibrant chacune plus ou moins intensément ; dans les couches extérieures, les vibrations sont moindres ; elles deviennent de plus en plus rapides à mesure que l’on s’approche du centre et chaque catégorie, ou mode de vibration, constitue un plan. Figurez-vous tout cela comme un cercle dont le centre serait la perfection ; plus vous vous éloignez du centre, plus les vibrations se ralentissent. L’écorce extérieure est la matière, puis vient l’intelligence, enfin l’esprit, qui forme le centre. Supposez ensuite que ces étendues de vision soient découpées en tronches, une catégorie de vibrations se produisant à tant de millions de lieues, une autre à tant de millions de lieues plus haut, et ainsi de suite. Il est parfaitement certain alors que ceux qui vivent au niveau qui répond à un certain état de vibrations auront le pouvoir de se reconnaître les uns les autres, mais ne pourront reconnaître ceux qui se trouvent au-dessus ou au-dessous d’eux. Cependant, de même qu’au moyen du télescope ou du microscope nous pouvons accroître l’intensité de notre vue, et voir des vibrations plus ou moins nombreuses, de même chaque homme peut s’amener lui-même à l’état de vibration de la catégorie voisine et voir ainsi ce qui s’y passe. Supposez que cette pièce soit pleine d’êtres que nous ne voyions pas. Ils représentent certaines vibrations dans le Prâna et nous en représentons d’autres. Admettez encore qu’ils représentent les vibrations rapides et nous les lentes. Ils sont composés de Prâna, au même titre que nous ; eux et nous faisons partie du même océan de Prâna, et seule l’intensité des vibrations diffère. Si je peux arriver à vibrer plus rapidement, je changerai immédiatement de niveau ; je ne vous verrai plus, vous disparaîtrez pour moi et les autres se montreront à mes yeux. Quelques-uns parmi vous savent peut-être que ce que je vous dit est vrai. Dans le Yoga, le fait d’amener l’intelligence à un état de vibrations supérieures, s’exprime par le mot Samâdhi. Tous ces états de vibrations supérieures, de vibrations sub-conscientes de l’intelligence, sont groupés en ce seul mot : Samâdhi et les états inférieurs de Samâdhi nous font voir ces êtres. Dans l’état le plus élevé de Samâdhi nous voyons la vraie chose, nous voyons de quelle manière sont composés ces êtres à tous les degrés ; et quand nous connaissons ce morceau d’argile que voici, nous connaissons toute l’argile de l’univers.

Nous voyons ainsi que le Prânâyâma renferme tout ce qui est vrai, même dans le spiritisme. De même vous remarquerez que toujours, là où une secte ou une association cherche à découvrir quelque chose d’occulte, de mystique ou de caché, c’est toujours ce Yoga, cette tentative de dominer le Prâna qui s’exerce. Vous verrez que chaque fois qu’il se produit une manifestation de pouvoir extraordinaire, c’est ce Prâna qui est enjeu. Les sciences physiques elles-mêmes peuvent être comprises aussi dans le Prânâyâma. À quoi est dû le mouvement de la machine à vapeur ? Au Prâna agissant par la vapeur. Que sont tous ces phénomènes électriques sinon le Prâna ? Qu’est-ce que la science physique ? C’est le Prânâyâma par des moyens extérieurs. Le Prâna lorsqu’il se manifeste comme un pouvoir mental ne peut être dominé que par des moyens mentals. La partie du Prânâyâma qui tente de dominer les manifestations physiques de Prâna, par des moyens physiques, se nomme « science physique » et la partie du Prânâyâma qui tâche de dominer les manifestations de Prâna comme force mentale, par des moyens métaphysiques, s’appelle Râja Yoga.

  1. Guérisseurs par l’esprit, guérisseurs par la foi.