Râja-yoga ou Conquête de la nature intérieure
Traduction par S. W..
Publications théosophiques (p. 63-73).


CHAPITRE IV

LE PRÂNÀ PSYCHIQUE


Les Yogîs disent que l’épine dorsale est le siège de deux courants nerveux auxquels ils donnent les noms d’Idâ et de Pingalâ.

Ils nomment Sushumnâ un canal creux qui en forme le centre. À l’extrémité inférieure de ce canal se trouve ce qu’ils appellent le « Lotus du Kundalinî ». Ils le décrivent comme étant d’une forme triangulaire et disent qu’il renferme un pouvoir que le langage symbolique des Yogis désigne sous le nom de « Kundalinî ». Lorsque Kundalinî s’éveille, il cherche à se frayer un passage dans le canal central (Sushumnâ) ; il chemine petit à petit et, à mesure qu’il s’élève, la pensée se développe progressivement, l’intelligence s’ouvre, et des aperçus divers, des pouvoirs merveilleux viennent alors au Yogi. Quand Kundalinî gagne enfin le cerveau, le Yogî est parfaitement détaché de son corps et de son intelligence, son âme est libre. Nous savons que l’épine dorsale est construite d’une manière très spéciale. Si nous traçons un huit horizontalement () nous remarquons qu’il se compose de deux corps distincts, qui se touchent. Empilons des huit les uns sur les autres, et nous aurons l’image de la chaîne formée par la colonne vertébrale. Les corps superposés de gauche constituent l’Idâ ; ceux de droite le Pingalâ, et le canal creux, centre de l’épine dorsale, est Ie Sushumnâ). Là où celle-ci se termine près de quelque vertèbre lombaire, une fibre délicate en descend, et le canal à travers cette fibre même se continue, mais beaucoup plus étroit. Il est fermé à son extrémité inférieure qui est située près de ce qu’on nomme le plexus sacré, et auquet la physiologie moderne donne une forme triangulaire. Les différents plexus qui ont leur centre dans la colonne vertébrale peuvent très bien représenter les différents « lotus » du Yogî.

Le Yogî reçoit ses conceptions de plusieurs centres différents ; d’abord le Mâlâdhârâ, qui est la base et, pour finir, le Sahasrâra, le lotus aux mille pétales qui aboutit au cerveau. De sorte que, si nous admettons que ces différents plexus représentent des cercles, le langage de la physiologie moderne nous permet d’expliquer très aisément ce qu’est le Yogî. Nous savons que dans ces courants nerveux il se produit deux sortes d’actions, l’une afférente, l’autre efférente ; l’une sensorielle, l’autre motrice ; l’une centripète, l’autre centrifuge. L’une porte les sensations au cerveau, et l’autre les porte du cerveau au corps. En somme toutes ces vibrations sont en relation avec le cerveau. Pour que les explications qui vont suivre nous soient plus compréhensibles nous devons nous souvenir de plusieurs autres faits. La colonne vertébrale prend fin au cerveau, sous l’aspect d’une espèce de bulbe, qui renferme la moelle et qui est indépendante du cerveau, quoique flottant dans un liquide contenu dans ce dernier, liquide qui amortit tout choc reçu à la tête et garantit le bulbe. C’est là un fait dont nous verrons plus loin l’importance. Nous devons de plus nous rappeler que, de tous les centres, nous devons en considérer tout particulièrement trois : le Mûlâdhârâ (la base), le Sahasrâra (le lotus aux milles pétales du cerveau) et le Svâdhishtâna (l’ombilic). Voici maintenant un phénomène emprunté à la physique. Nous entendons tous parler d’électricité et des diverses outres forces qui s’y rattachent. Nul ne sait ce qu’est l’électricité, mais on la considère en général comme un mouvement d’une espèce particulière.

Il y a diverses au très formes du mouvement dans l’univers ; en quoi diffèrent-ils de l’électricité ? Supposons que cette table soit douée d’un mouvement propre et que les molécules qui la composent se meuvent dans des sens différents ; que toutes ces molécules soient amenées à se déplacer dans la même direction et nous aurons de l’électricité. L’électricité résulte du déplacement de toutes les molécules dans une même direction. Si, dans une salle, on faisait mouvoir toutes les molécules de l’air dans un même sens on aurait transformé la pièce en une gigantesque batterie électrique. Ne perdons pas non plus de vue que, physiologiquement, le centre qui commande au système respiratoire a une action de contrôle sur les courants nerveux, et que ce centre qui régit la respiration, se trouve dans la colonne vertébrale, au niveau du thorax. Ce centre de qui dépendent les organes respiratoires exerce également son influence sur les centres secondaires.

Nous allons voir maintenant pourquoi il y a lieu de s’exercer à la respiration. D’abord, la respiration rythmique imprime à toutes les molécules du corps une tendance à se mouvoir dans une même direction. Lorsque la pensée se transforme en volonté, les courants changent et adoptent un mouvement semblable à celui de l’électricité, parce que les nerfs ont témoigné de leur polarité sous l’action de courants électriques.

Et ceci démontre que lorsque la volonté pénètre les courants nerveux, elle se transforme en quelque chose qui ressemble à de l’électricité. Le corps, lorsque tous ses mouvements sont parfaitement rythmés, semble s’être transformé en une énorme batterie de volonté ; et c’est précisément cette volonté formidable que recherche le Yogî. Voilé donc une explication physiologique de l’exercice respiratoire. Celui-ci veut reproduire une action rythmée du corps et nous aide par l’intermédiaire du centre respiratoire à dominer les autres centres. Ici, le but de Prânâyâma est d’éveiller le pouvoir nommé Kundalinî, qui sommeille en Mûlâdhârâ.

Il nous faut concevoir dans l’espace tout ce que nous voyons, tout ce que nous imaginons, ou tout ce que nous rêvons. Cet espace ordinaire se nomme Mahâkâsha ou grand espace. Lorsqu’un Yogî lit les pensées des hommes ou lorsqu’il perçoit des objets qui échappent à nos sens, il les voit dans un espace différent du nôtre nommé Chittâkâsha ou région du mental. Lorsque la perception est devenue immatérielle, et que l’âme brille par elle-même, l’espace qui la concerne prend le nom de Chidâkâshâ ou région du savoir. Lorsque Kundalinî est éveillé, et qu’il pénètre le canal de Sushumnâ, la région du mental est le siège de toutes les perceptions. Lorsqu’il a atteint l’extrémité du canal qui aboutit au cerveau, la perception immatérielle s’effectue dans la région du savoir. Pour continuer notre comparaison avec l’électricité, nous dirons que l’homme ne peut envoyer un courant qu’au moyen d’un fil, mais que la nature n’a pas besoin de fils pour envoyer ses courants les plus puissants. Ce qui prouve que le fil n’est pas réellement indispensable, mais que nous sommes contraints de nous en servir parce que nous ne savons pas nous en passer.

C’est ainsi que toutes les sensations, tous les mouvements du corps sont communiqués au cerveau ou dictés par lui au moyen de ces fils faits de fibres nerveuses. Les fibres sensorielles ou motrices qui partent de la colonne vertébrale sont l’Idâ et le Pingalâ des Yogîs. Ce sont les voies principales par lesquelles se meuvent les courants ascendants ou afférents et descendants ou efférents. Mais pourquoi la pensée ne pourrait-elle pas se transmettre et réagir sans l’aide de fils ? Ainsi fait la nature. Le Yogî dit que si vous parvenez à en faire autant, vous serez affranchi de l’esclavage de la matière, mais comment ? Si vous réussissez à faire passer le courant à travers le Sushumnâ, ou canal qui se trouve au centre de l’épine dorsale, vous aurez résolu le problème. C’est la pensée qui a tressé le réseau du système nerveux, c’est à la pensée de le détruire, de manière qu’aucun fil ne soit plus nécessaire pour le traverser. Alors seulement nous pourrons tout connaître ; plus d’esclavage du corps ! et voilé pourquoi il importe si fort que vous vous rendiez maître de votre Sushumnâ.

Chez le commun des mortels, ce Sushumnâ est fermé à l’extrémité inférieure ; nul mouvement ne le traverse. Le Yogî indique un moyen de l’ouvrir et de permettre alors aux courants nerveux de s’y livrer passage. Lorsqu’un centre reçoit une sensation, il réagit. Si cette réaction se produit sur un centre automatique, elle amène un mouvement. Quand elle se produit sur un centre conscient, elle provoque d’abord la perception et puis le mouvement. Toute perception est la réaction d’une action qui vient de l’extérieur. Comment se fait-il alors que les perceptions puissent se produire dans les rêves ? Il n’existe en ce cas aucune action venant du dehors. Les mouvements dus aux sens sont donc emmagasinés quelque part, de même que l’on sait divers centres être le siège des causes du mouvement. Par exemple, je vois une ville ; je l’aperçois grâce à la réaction des sensations produites par les objets extérieurs qui la composent, les mouvements des nerfs apportant les sensations ; ce mouvement né lui-même de la vision de la ville a produit un certain mouvement dans les molécules du cerveau. Or, je peux, même après un long laps de temps, me rappeler la ville. La mémoire qui m’a servi en cette occasion est, quoique plus faible, toute semblable à l’autre. Mais à quoi faut-il attribuer celle présence dans le cerveau de vibrations similaires, quoique moins puissantes ? Certainement pas aux sensations primitives. Il faut donc que ces sensations aient été mises en réserve quelque part, pour produire par leur action la réaction affaiblie qui a nom « rêve ». Mûlâdhârâ est le nom que l’on a donné au centre où toutes ces sensations résiduaires semblent être emmagasinées, c’est le réceptacle fondamental ; et l’énergie accumulée en vue de l’action prend le nom de Kundalinî : ce qui a été ramassé, réuni. Il est très vraisemblable aussi que le reliquat d’énergie motrice est également mis de côté dans ce même centre, car après un travail assidu ou une longue méditation sur des objets extérieurs, la partie du corps où siège Mûlâdhârâ (le plexus sacré probablement) s’échauffe.

Or, si l’on réveille cette réserve d’énergie, si on l’active, et si par une volonté consciente on la dirige à travers le canal Sushumnâ, elle agira successivement sur tous les centres et une violente réaction se produira.

Lorsqu’une faible parcelle de l’énergie d’action chemine le long d’un nerf et provoque la réaction des centres, la perception qui s’en suit constitue le rêve et l’imagination. Mais lorsque la grande masse de cette énergie emmagasinée, grâce aux longues méditations profondes, voyage à travers le Sushumnâ et vient frapper les centres, la réaction est violente, immensément supérieure à celle d’où naît le rêve ou l’imagination, infiniment plus intense que la réaction due à la perception sensorielle. Et c’est alors la perception supra-sensorielle, et la pensée se transforme en supra-conscience. Et quand le centre de toutes les sensations est atteint, le cerveau, le cerveau tout entier, semble réagir ainsi que chaque molécule du corps ; réaction qui a pour conséquence le tout-puissant éclat de l’illumination, la perception du Soi. À mesure que la force Kundalinî chemine de centre en centre, les cellules successives de la pensée s’ouvrent l’une après l’autre et le Yogî perçoit l’univers en sa forme subtile ou grossière. C’est alors seulement qu’il connaîtra les causes de cet univers tant en sensation qu’en réaction, et c’est cette connaissance qui est la base de tout le savoir. On connaît les causes, on est sûr des effets.

L’éveil de Kundalinî est la seule et unique voie qui conduise à la science divine et à la perception supra-consciente qui est la réalisation de l’esprit. Il y a divers moyens de provoquer cet éveil : l’amour de Dieu, la grâce de quelque sage accompli, ou la puissance de volonté analytique du philosophe. Chaque fois qu’il y a manifestation de ce qu’on a coutume de nommer : pouvoir ou science surnaturelle, c’est qu’il a dû y avoir passage d’un petit courant de Kundalinî à travers le Sushumnâ. Seulement, dans la grande majorité de ces cas surnaturels, a eu recours, par ignorance, à quelque pratique mettant en liberté une faible fraction des réserves de Kundalinî. Toute adoration mène consciemment ou inconsciemment à cette fin. L’homme qui croit recevoir des réponses à ses prières, ignore que si elles ont été exaucées, c’est uniquement à lui qu’il le doit, et qu’il a réussi, par sa prière mentale, à éveiller une parcelle de ce pouvoir infini qu’il possède en réserve. Celui que l’homme en son ignorance adore sous des noms variés, dans la crainte et dans le trouble, n’est pas, selon le Yogî, autre chose que le pouvoir réel, en puissance dans tout être, la mère du bonheur éternel, si toutefois nous savons la découvrir. Et Râja Yoga est la science de la religion, l’explication de toute adoration, de toutes prières, de toutes formes, de toutes cérémonies, de tous miracles.