Armand Colin (p. 29-40).

III. — Le premier ultimatum de l’Allemagne à la Russie
(Journées des 29 et 30 juillet)


Ainsi, à mesure que la crise se développait, on s’éloignait davantage d’une solution pacifique. En vain l’Angleterre, la Russie, la France et l’Italie se conjuraient pour prévenir le résultat redouté, chacune des étapes que nous venons de parcourir était un pas en avant vers la guerre. Celle-ci était même si proche qu’elle faillit éclater dès le 30 juillet.


La Triple-Entente et l’Italie poursuivent les négociations. Attitude fuyante de l’Allemagne. — Tout le monde pensait que, si la Serbie était attaquée, la Russie serait forcée de lui prêter aussitôt assistance[1]. Et cependant, même après la déclaration de guerre, les intentions conciliantes de M. Sazonoff restèrent invariables. Le 29 juillet, M. Paléologue informait le Gouvernement français « que le Gouvernement russe acquiesce à toutes les procédures que la France et l’Angleterre lui proposeront pour sauvegarder la paix[2] ». Le même langage était tenu à Londres[3]. Tout ce que demandait M. Sazonoff, c’est que l’on ne perdît pas de temps, afin d’éviter que l’Autriche ne profitât de ces retards pour écraser la Serbie.

À s’en tenir aux apparences, on pouvait croire que les chances de paix étaient encore sérieuses, car le langage que tint à ce moment l’Allemagne paraissait témoigner de dispositions plus favorables. On dirait qu’un revirement s’était produit et que le cabinet de Berlin était maintenant décidé à user de son influence à Vienne en faveur de la paix. En effet, le 29 au matin, M. de Schoen venait informer M. Bienvenu-Martin, à titre officieux il est vrai, que le Gouvernement allemand poursuivait ses efforts en vue d’amener le gouvernement autrichien à s’expliquer sur le but et l’extension des opérations qu’il projetait en Serbie. « Le cabinet de Berlin, ajoutait-il, espère recevoir des précisions qui seraient de nature à donner satisfaction à la Russie… Quand on saura jusqu’où l’Autriche veut aller, on aura une base de discussion[4] ». La même communication était faite à Saint-Pétersbourg[5] et à Londres[6]. Le 30, le Chancelier allemand disait à Sir E. Goschen qu’il « pressait le bouton » afin de mettre en marche le mécanisme de la médiation : il se demandait même s’il n’avait pas eu le tort d’aller trop loin en prêchant à Vienne la modération, et si son insistance ne risquait pas de précipiter les événements[7].

Ces bonnes paroles, quoiqu’un peu vagues, pouvaient paraître rassurantes. Malheureusement, ni dans les documents diplomatiques ni dans la marche des événements, on n’aperçoit aucune trace de l’action modératrice que l’Allemagne prétendait être en train d’exercer, presque avec excès.

Le Gouvernement allemand a publié un Livre Blanc exclusivement destiné à établir qu’il n’est pas responsable de la guerre, qu’il a fait, en faveur de la paix, tout ce qui était humainement possible. La meilleure manière de prouver sa thèse eût été de publier les dépêches dans lesquelles il donnait à son ambassadeur à Vienne, M. de Tschirsky, ces instructions pacifiques. Or, sur les vingt-sept pièces que comprend le Livre Blanc, il n’en est pas une seule qui ait cet objet. Nulle part, il n’y est question d’une action à exercer sur le Gouvernement autrichien pour l’engager à modérer son intransigeance. On y voit bien le Chancelier allemand, dans un télégramme du 27 juillet, transmettre à Vienne, mais sans les appuyer d’aucune manière, la proposition de M. Sazonoff et celle de Sir Ed. Grey dont il a été question précédemment ; puis on trouve une dépêche, datée du 28, où M. de Tschifsky répond que le comte Berchtold les décline comme trop tardives, la guerre contre la Serbie étant déclarée ; et c’est tout. Sans doute, un recueil diplomatique ne comprend généralement que des pièces choisies. Mais il serait surprenant que la Chancellerie allemande eût précisément omis celles qu’elle avait le plus d’intérêt à publier.

À défaut d’instructions écrites, les dispositions pacifiques de l’Allemagne se sont-elles manifestées par des actes ?

Puisque l’Autriche avait radicalement repoussé les pourparlers directs avec la Russie, il n’y avait plus qu’un moyen d’aboutir : il fallait revenir au projet anglais et faire intervenir simultanément, sous la forme d’une conférence ou de toute autre manière, les quatre Puissances désintéressées. Les circonstances semblaient favorables. Maintenant que, par le bombardement de Belgrade, l’Autriche avait obtenu comme une première satisfaction, elle serait peut-être moins réfractaire à l’idée de soumettre son litige à l’Europe. D’autre part, les concessions nouvelles que la Serbie se disait prête à faire (v. plus haut p. 27) pouvaient rendre un arrangement plus facile[8]. Aussi M. Sazonoff demanda-t-il instamment qu’on reprît la proposition anglaise[9].

Sir Ed. Grey en parle donc de nouveau au prince Lichnowsky ; mais celui-ci y oppose le même refus qu’auparavant, et en le justifiant par les mêmes raisons. Il lui paraît inadmissible que l’Autriche soit traduite devant un tribunal européen. Mais Sir Ed. Grey insiste. L’Allemagne a accepté le principe d’une médiation. Si donc les mots de « conférence » et d’« arbitrage » l’effraient, c’est à elle qu’il appartient de dire sous quelle forme elle conçoit possible cette médiation qu’elle juge elle-même nécessaire. La formule qu’elle proposera, quelle qu’elle soit, sera agréée avec gratitude, si elle permet de maintenir la paix[10]. L’Allemagne était ainsi obligée de renoncer aux généralités vagues dans lesquelles elle s’était tenue jusqu’alors et de faire enfin une proposition ferme. On allait pouvoir s’assurer si la médiation dont elle parlait n’était qu’un mot, ou si, au contraire, derrière ce mot, elle entrevoyait une réalité concrète. Comme le disait M. J. Cambon, elle était mise au pied du mur[11].

Elle jugea, sans doute, la question embarrassante, car, le 30, elle n’y avait pas encore répondu ; et pourtant, on était à un moment où les heures et même les minutes avaient un prix inestimable[12]. Comme M. Cambon interrogeait M. de Jagow sur ce retard, celui-ci s’excusa en alléguant qu’il « avait voulu gagner du temps » : il avait décidé d’agir directement et « avait demandé à l’Autriche de dire sur quel terrain on pourrait causer avec elle[13] », Il se vantait même d’avoir insisté auprès d’elle pour qu’elle déclarât publiquement n’avoir pas d’autre objet, en ouvrant les hostilités, que de s’assurer les garanties nécessaires à son existence[14]. Mais quand même l’Autriche aurait consenti à faire cette déclaration, la marche des négociations n’en eût pas été facilitée, car le gouvernement austro-hongrois avait déjà bien des fois affirmé qu’il ne demandait que des garanties indispensables. Malheureusement, on ne savait toujours pas ce qu’il entendait par là. En somme, en adoptant cette manière de procéder, l’Allemagne esquivait, au lieu d’y répondre, la question gênante qui lui avait été posée : elle évitait de dire comment elle entendait cette action des Puissances qu’elle admettait en principe, mais qu’elle écartait, en fait, sous toutes ses modalités pratiques. On avait perdu du temps sans faire un pas en avant.

L’Allemagne avait cependant un moyen très simple de travailler à la paix : c’était de peser sur le cabinet de Vienne pour l’amener à ne réclamer que des garanties acceptables. La Russie se bornait à demander que l’Autriche respectât, outre l’intégrité territoriale de la Serbie, ses droits de souveraineté. Ce qui importait, en effet, c’est que la Serbie ne tombât pas sous la dépendance politique de l’Autriche. Que des assurances fussent données sur ce point, et la paix n’était guère douteuse. Mais quand M. Sazonoff demanda au Gouvernement allemand de l’aider à les obtenir, il essuya un refus. M. de Pourtalès, avec qui il eut une conversation à ce sujet le 29 juillet, se borna à lui répondre qu’il transmettrait sa demande à Berlin, mais qu’il ne pouvait rien faire de plus. Il ajouta même que, en faisant cette proposition, on demandait à l’Allemagne « de faire, par rapport à l’Autriche, ce qu’on reprochait à l’Autriche de vouloir faire par rapport à la Serbie : on voulait attenter à sa souveraineté. En déclarant qu’elle n’avait aucune prétention territoriale, l’Autriche s’était engagée à tenir compte des intérêts russes : grande concession de la part d’un État engagé dans une guerre ! On devait donc lui permettre de régler seule ses affaires avec la Serbie. Il serait toujours temps, quand se tiendrait la Conférence de la paix, de revenir à la question de savoir si et dans quelle mesure la souveraineté de la Serbie devrait être épargnée »[15].

La politique réelle de l’Allemagne ne concordait donc aucunement avec son langage : tout en protestant d’un vif désir de sauvegarder la paix, elle rejetait tous les moyens proposés pour arriver à ce but et n’en suggérait aucun autre. Les principes dont s’inspirait le Gouvernement allemand expliquent cette ambiguïté. Suivant lui, en effet, la Russie n’était pas fondée à intervenir, mais devait se désintéresser de la Serbie : du moment que l’Autriche avait promis de respecter le territoire serbe, il n’y avait rien de plus à lui réclamer. Or, c’est ce que la Russie ne pouvait admettre. La paix à laquelle l’Allemagne se disait si désireuse de travailler se trouvait ainsi subordonnée à une condition qui rendait la guerre inévitable. La médiation qu’elle offrait était le contraire d’une médiation ; car le rôle d’un médiateur ne consiste pas à faire abstraction des intérêts et des revendications d’une des parties en cause. Elle parlait d’apaiser le conflit, mais en oubliant la difficulté qui en était l’origine. Elle prononçait le mot de conciliation, mais en entendant par là la soumission pure et simple d’un des deux adversaires. Nulle part, cette contradiction n’éclate avec plus d’évidence que dans deux télégrammes adressés vers ce moment par l’Empereur d’Allemagne à l’Empereur de Russie. Rentré d’une croisière le 20, Guillaume II télégraphiait, le 28, à son cousin pour lui dire qu’il allait agir à Vienne ; mais, en même temps, il déclarait avec force que les exigences de l’Autriche étaient entièrement justifiées ; et comme le Tzar, dans sa réponse, avait contesté cette assertion, Guillaume II télégraphiait à nouveau pour la maintenir ; il ajoutait impérieusement que, dans la guerre austro-serbe, la Russie devait s’en tenir au rôle de spectatrice et que, d’ailleurs, cela lui était facile[16].

Au reste, ce qui montre bien quelles étaient les dispositions réelles de l’Allemagne, c’est que, pendant les journées mêmes où se poursuivaient ces négociations, elle préparait un acte qui, s’il avait abouti, aurait immédiatement déterminé la guerre.


Premier ultimatum de l’Allemagne à la Russie. — Dès que la crise s’était ouverte, le Gouvernement russe avait dû se préoccuper des mesures militaires qui pouvaient devenir nécessaires. Le 25 juillet, à un Conseil des Ministres présidé par le Tzar, la mobilisation de treize corps d’armée, destinés à agir éventuellement contre l’Autriche, avait été envisagée. Toutefois, elle ne devait devenir effective que si l’Autriche prenait les armes contre la Serbie et après avis conforme du Ministre des Affaires étrangères[17]. Le 29 juillet, on jugea que le moment était venu. La guerre contre la Serbie était commencée depuis la veille ; de plus, l’Autriche se refusait à toute transaction comme à toute conversation ; enfin, elle avait déjà mobilisé huit corps d’armée et elle avait même commencé à masser des troupes en Galicie sur la frontière russe[18]. Il fut donc décidé qu’on mobiliserait quatre arrondissements militaires.

Cette décision fut communiquée officiellement au Gouvernement allemand dans les termes les plus amicaux : on l’assura que la Russie n’avait aucune intention agressive contre l’Allemagne[19]. L’Autriche elle-même fut avertie que la mobilisation ne devait pas être interprétée comme un acte d’hostilité, mais seulement « comme un moyen d’indiquer l’intention et les droits du Tzar d’émettre un avis dans le règlement de la question serbe ». Aussi le Gouvernement autrichien n’en prit-il pas ombrage : il y eut même, le 30, une conversation entre le comte Berchtold et M. Schebeko, l’ambassadeur russe à Vienne, où des propos très pacifiques furent échangés[20]. Nous aurons à en reparler.

Mais l’Allemagne, bien qu’elle ne fût pas menacée, prit tout autrement les choses. Dans la journée même du 29, le comte de Pourtalès alla déclarer à M. Sazonoff que, si la Russie n’arrêtait pas ses préparatifs militaires, l’armée allemande recevrait l’ordre de mobiliser ; et les événements nous apprendront que, pour l’Allemagne, mobilisation signifie guerre[21]. D’ailleurs, cette notification, dit M. Sazonoff, fut faite sur un ton qui décida « le Gouvernement russe, cette nuit même (29-30 juillet), à ordonner la mobilisation des treize corps d’armée destinés à opérer contre l’Autriche »[22]. Ainsi le Gouvernement allemand ne craignait pas de déchaîner la guerre sur l’Europe à l’occasion d’une mesure qui ne le concernait pas, qui ne visait que l’Autriche, et que l’Autriche, pourtant, acceptait sans protestation.

Et la menace fut bien près d’être exécutée. Dans la soirée du 29, un Conseil extraordinaire fut tenu à Potsdam sous la présidence de l’Empereur. Les autorités militaires y avaient été convoquées. Des décisions y furent prises qui ne furent pas rendues publiques, mais qui, certainement, n’étaient pas favorables à la paix ; car, au cours de la nuit, le Chancelier fit venir en hâte l’ambassadeur anglais, Sir E. Goschen ; et, après lui avoir exprimé la crainte que la conflagration européenne ne devînt inévitable, il offrit « une forte enchère pour s’assurer la neutralité de l’Angleterre ». Si, dit-il, la Grande-Bretagne consentait à rester à l’écart, le Gouvernement impérial était prêt à donner toutes les assurances que, en cas de victoire, il ne chercherait aucun agrandissement territorial aux dépens de la France continentale ; il se refusa, toutefois, à prendre le même engagement pour les colonies françaises. En même temps, il promit que l’Allemagne respecterait la neutralité de la Hollande, si elle était également respectée par les autres belligérants. Quant à la Belgique, « les opérations que l’Allemagne pourrait se trouver dans la nécessité d’(y) entreprendre dépendraient de ce que ferait la France » ; en tout cas, si la Belgique ne se rangeait pas contre l’Allemagne, elle serait évacuée après la guerre. Enfin, il termina en rappelant que, depuis son arrivée au pouvoir, il avait toujours eu pour but d’arriver à un accord avec l’Angleterre. « Il espérait que ces assurances pourraient devenir la base de cette entente qu’il désirait si vivement. Il pensait à une entente générale de neutralité entre l’Allemagne et l’Angleterre… et la promesse de la neutralité britannique dans le conflit lui permettrait d’entrevoir les moyens de réaliser son désir »[23].

Le fait que cette conversation avait lieu d’urgence, immédiatement après la conférence de Potsdam, prouve qu’elle avait été déterminée par les résolutions prises au cours de cette conférence et que la question dont le Chancelier entretenait son interlocuteur était regardée par lui comme exceptionnellement urgente. Or cette question supposait la guerre déclarée. C’est donc que des mesures venaient d’être prises à Potsdam qui rendaient la guerre imminente. Et en effet, le 30, vers une heure de l’après-midi, le Lokal Anzeiger faisait paraître une édition spéciale où se trouvait promulgué le décret ordonnant la mobilisation générale[24].

Cependant, une heure après, M. de Jagow téléphonait aux ambassadeurs pour démentir la nouvelle, et le gouvernement faisait saisir les exemplaires du journal qui l’avait publiée. Mais le Lokal Anzeiger, organe semi-officiel, n’eût pas préparé une édition spéciale pour annoncer une mesure aussi grave, si elle n’avait pas été réellement prise. Seulement, après coup, on avait décidé de la rapporter, mais en omettant de prévenir le journal. Ce revirement se traduisit d’ailleurs par une nouvelle démarche de M. de Pourtalès : dans cette même nuit du 29 au 30, il retourna chez M. Sazonoff et là, s’il insista de nouveau pour que la Russie arrêtât ses préparatifs militaires, ce fut sur un ton beaucoup moins catégorique et qui n’avait plus rien de comminatoire. Il se borna à demander à quelles conditions la Russie suspendrait sa mobilisation. L’ultimatum était retiré[25].

La conversation que M. de Bethmann-Hollweg avait eue, quelques heures auparavant, avec Sir E. Goschen fut, très vraisemblablement, pour beaucoup dans ce changement d’attitude. L’ambassadeur anglais, en effet, avait répondu avec la plus grande réserve à l’appel chaleureux qui lui était adressé et aux offres qui lui étaient faites. Il s’était borné à déclarer que, à son avis, Sir Ed. Grey ne serait pas disposé à s’engager d’une façon quelconque, mais tiendrait à garder sa liberté[26]. De plus, un peu plus tard dans la nuit, le Chancelier apprit, par un télégramme de Londres, une conversation qui avait eu lieu, dans la journée même, entre Sir Ed. Grey et l’ambassadeur allemand. Sir Ed. Grey avait pris l’initiative de prévenir le prince Lichnowsky que, si la guerre éclatait et si la France y était entraînée à la suite de l’Allemagne et de la Russie, il ne s’engageait aucunement à « rester à l’écart ». Il avait ajouté, d’ailleurs, qu’il ne fallait voir dans son langage rien qui pût ressembler à une menace ; pour cette raison, il se refusait à spécifier les circonstances dans lesquelles l’Angleterre pourrait intervenir. Il désirait seulement réserver sa liberté ; mais il ne voulait pas que le ton amical de ses relations avec le prince pût faire croire au Gouvernement allemand que l’Angleterre s’abstiendrait dans tous les cas. Surtout, il tenait à ce qu’on ne pût pas lui « reprocher un jour d’avoir, en induisant l’Allemagne en erreur, empêché les événements de prendre un cours différent »[27]. Cet entretien, qui confirmait le précédent, était encore plus significatif et M. de Bethmann-Hollweg en comprit aisément toute la portée[28].

L’Allemagne tenait essentiellement à la neutralité de l’Angleterre[29] ; la démarche du Chancelier en est la meilleure preuve et nous en trouverons d’autres. Or, la seule raison par laquelle elle pouvait justifier, à ce moment, une mobilisation générale contre la Russie était insoutenable, puisque l’Autriche, seule intéressée, ne faisait pas d’objection aux préparatifs russes. Il était donc à craindre que la guerre, déclarée dans ces conditions, ne fût une de ces circonstances dont avait parlé Sir Ed. Grey et qui l’obligeraient à intervenir. C’est pourquoi on prit le parti d’ajourner les mesures déjà décidées et d’attendre[30].


Nouvelle proposition pacifique de la Russie, repoussée par l’Allemagne. — Mais cet incident offrit à M. Sazonoff une nouvelle occasion de montrer la sincérité de ses intentions pacifiques.

Au cours de sa seconde visite au Ministère des Affaires étrangères, M. de Pourtalès avait répété une fois de plus que la promesse faite par l’Autriche de ne pas porter atteinte au territoire serbe devait suffire à la Russie. « Ce n’est pas seulement l’intégrité territoriale de la Serbie que nous devons sauvegarder, répondit M. Sazonoff, c’est encore son indépendance et sa souveraineté. » Puis il ajouta : « L’heure est trop grave pour que je ne vous déclare pas toute ma pensée. En intervenant à Pétersbourg, tandis qu’elle refuse d’intervenir à Vienne, l’Allemagne ne cherche qu’à gagner du temps afin de permettre à l’Autriche d’écraser le petit royaume serbe avant que la Russie n’ait pu le secourir. Mais l’Empereur Nicolas a un tel désir de conjurer la guerre que je vais vous faire en son nom une dernière proposition : Si l’Autriche, reconnaissant que son conflit avec la Serbie a assumé le caractère d’une question d’intérêt européen, se déclare prête à éliminer de son ultimatum les clauses qui portent atteinte à la souveraineté de la Serbie, la Russie s’engage à cesser toutes mesures militaires »[31].

Le comte de Pourtalès promit de transmettre cette proposition auprès de son gouvernement. Mais le même jour, M. de Jagow, mis au courant, la déclarait inacceptable pour l’Autriche[32], sans même avoir consulté cette dernière.

En résumé, il y a, à cette période, un contraste marqué entre les paroles et les actes du Gouvernement allemand. Aussi peut-on se demander si ses paroles n’étaient pas destinées à couvrir ses actes et à faire croire que les mesures prises ou préparées à ce moment par l’Allemagne lui étaient arrachées par la malignité de ses adversaires, en dépit d’elle-même et des sentiments pacifiques qu’elle affirmait verbalement.

  1. Cor. B., no 11.
  2. L. J., no 86.
  3. Cor. B., no 78 ; L. O., no 50.
  4. L. J., no 94.
  5. Cor. B., no 93, 2e annexe.
  6. Cor. B., no 84.
  7. Cor. B., no 107.
  8. Cor. B., no 90.
  9. L. O., no 48.
  10. L. J., no 98 ; Cor. B., no 84.
  11. L. J., no 81.
  12. L. J., no 108.
  13. L. J., no 109.
  14. Cor. B., no 75.
  15. L. B., p. 9. — On lit pourtant dans la Préface du Livre Blanc : « À notre suggestion, l’ambassadeur austro-hongrois reçut des instructions le 29 juillet pour entrer en conversation avec M. Sazonoff. Le comte Szapary était autorisé à expliquer au ministre russe la note adressée à la Serbie, et à accepter toute suggestion venant de la Russie, aussi bien qu’à discuter avec M. Sazonoff toutes les questions concernant les relations austro-russes (p. 10). » On vient de voir quel langage l’ambassadeur allemand tint à M. Sazonoff justement le 29 juillet : il n’y est pas trace des dispositions conciliantes que, au même moment, le Gouvernement de Berlin aurait suggérées au cabinet de Vienne. D’ailleurs, le 29, le comte Berchtold venait de refuser toute conversation directe avec la Russie. On voit quel respect le Livre Blanc a pour la vérité. Bien entendu, d’ailleurs, il ne cite aucune pièce à l’appui de son affirmation.
  16. L. B., nos 20 et 22.
  17. L. J., no 50.
  18. L. J., nos 95, 97, 101.
  19. Cor. B., no 70.
  20. L. J., no 104.
  21. Cf. L. B., Préf. p. 7.
  22. L. J., no 100. — Toutefois, M. Viviani lui ayant exprimé le désir qu’aucune disposition ne fût prise qui pût offrir à l’Allemagne un prétexte pour une mobilisation générale, M. Sazonoff lui fit savoir le 30 que, dans la nuit même, l’état-major avait fait surseoir à des mesures militaires qui auraient pu prêter à l’équivoque (L. J., no 102).
  23. Cor. B., no 85.
  24. L. O., no 61.
  25. L. J., no 103.
  26. Cor. B., no 85.
  27. Cor. B., no 89.
  28. Cor. B., no 98, in fine.
  29. Cor. B., nos 73, 76.
  30. Dans le Livre Blanc allemand, comme dans la Préface, il n’y a pas trace de cet ultimatum ni des événements dont il est connexe.
  31. L. J., no 103, L. O., no 60.
  32. L. O., no 63, L. J., No 107. — Dans le Livre Blanc, il n’y a pas trace de cette nouvelle tentative de conciliation.