Quentin Durward/Conclusion

Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, volume 19p. 489-491).


CONCLUSION.


J’avais déjà envoyé à mon imprimeur les feuilles que l’on vient de lire, et à la fin desquelles se trouve une assez belle leçon morale qui peut servir d’encouragement à tout jeune homme aux cheveux blonds, à l’œil vif et brillant, à la jambe bien tournée, qui, abandonnant notre pays natal, s’aviserait, dans des moments de troubles politiques, de se jeter dans la carrière hasardeuse ou dans l’honorable profession de cavalier de fortune. Mais un ami sincère, un sage conseiller, un de ces hommes, enfin, qui savourent avec plus de plaisir le morceau de sucre qui reste au fond de leur tasse à thé, que le parfum du souchong[1] lui-même, m’a fait une semonce amère, et insiste pour que je rende un compte particulier et précis des épousailles du jeune héritier de Glen-Houlakin et de la charmante comtesse flamande, pour que je décrive les tournois qui eurent lieu en cette intéressante occasion, et que je dise combien de lances y furent rompues. Enfin, il exige même que je ne fasse pas grâce au lecteur curieux, des vigoureux garçons qui héritèrent de la valeur de Quentin Durward, et des aimables filles auxquelles Isabelle de Croye transmit ses charmes.

J’ai répondu à cet ami, par le même courrier, que les temps sont bien changés, et que la publicité des cérémonies nuptiales est tout à fait passée de mode. À une époque qui n’est pas encore tellement éloignée de moi que je ne me la rappelle parfaitement, non-seulement les quinze amis de l’heureux couple étaient invités à être témoins de leur union, mais les ménétriers ne cessaient de jouer en branlant la tête, comme dans l’Ancien Marinier[2], jusqu’à ce que les rayons de l’aurore vinssent frapper leurs yeux. On buvait le sack-posset[3] dans la chambre nuptiale ; on jetait en l’air le bas de la mariée[4], et sa jarretière était disputée et partagée en présence du couple fortuné dont l’hymen venait de faire une seule et même chair. Les écrivains de cette époque en suivaient la mode avec un soin minutieux ; ils ne passaient sous silence ni la moindre teinte de rougeur qui montait au visage de la mariée, ni le moindre coup d’œil furtif que le marié jetait sur elle ; ils comptaient les diamants semés dans les cheveux de l’épouse ; ils ne faisaient pas grâce au lecteur d’un des boutons qui brillaient sur la veste brodée de l’époux, jusqu’à l’heure enfin où, au lever de l’aurore, ils conduisaient poliment le couple au lit nuptial. Mais aujourd’hui, combien seraient ridicules de pareilles peintures, depuis que les vertus modestes et privées de nos mariées modernes, de ces jeunes, douces et timides créatures, les forcent à se soustraire à la pompe, à l’admiration, et à la flatterie, et, comme le bon Shenstone, à chercher la liberté dans une auberge[5].

Il est hors de doute qu’une relation exacte de tous les détails et de toutes les circonstances par lesquels un mariage était rendu public et célébré dans le quinzième siècle, répugnerait au nôtre. Isabelle de Croye se trouverait placée, dans l’opinion des belles d’aujourd’hui, bien au-dessous de la fille qui trait les vaches et de la domestique chargée des soins les plus serviles dans la maison de ses maîtres ; car celle-ci, fût-elle sous le portail même de l’église, rejetterait la main du garçon cordonnier, son futur époux, s’il lui proposait de faire noces et festins (comme il est écrit en toutes lettres sur les enseignes de quelques traiteurs dans les faubourgs de Paris), au lieu de monter sur l’impériale d’une diligence pour aller passer incognito la lune de miel à Deptford ou à Greenwich[6].

Je ne m’étendrai donc pas davantage sur ce sujet, et je me déroberai habilement aux noces de la comtesse, comme l’Arioste[7] à celles d’Angélique, laissant à mes lecteurs la satisfaction de compléter, s’ils le veulent, la fin de cette histoire, chacun au gré de son imagination.


Quelque barde dira, plus fortuné mortel,
Comment de Braquemont s’ouvrit le vieux castel,
Quand au jeune Écossais, illustré par les armes,
Isabelle eut donné sa fortune et ses charmes.



FIN DE QUENTIN DURWARD.



  1. Une des meilleures espèces de thé. a. m.
  2. Poème de Coleridge, un des partisans de l’école moderne anglaise, dite des Lacs, et à la tête de laquelle se trouve le vaporeux mais profond Worthworth. a. m.
  3. Le Sack-posset est un breuvage tonique : il y entre du vin, de la crème, du sucre, des œufs, de la muscade. a. m.
  4. Usage du temps, et dont voici l’explication : Lorsque la mariée était couchée, on éteignait les lumières dans sa chambre, où étaient réunies toutes les filles de la noce. Elle jetait son bas en l’air, et si quelqu’une était assez heureuse pour le recevoir, c’était un présage qu’elle serait mariée dans l’année. a. m.
  5. Seek for freedom at an inn. Shenstone est un poète anglais plein de grâce, qui a laissé bon nombre de poésies légères. a. m.
  6. On sait qu’en Angleterre, immédiatement après la cérémonie nuptiale, le nouveau couple s’éclipse, et va passer dans une retraite mystérieuse les premiers jours de son bonheur conjugal. a. m.
  7. Orlando furioso, c. xxx, s. 16. a. m.