Quelques poëtes français des XVIe et XVIIe siècles à Fontainebleau/Thomas de Courval-Sonnet


COURVAL-SONNET



À l’exception du divin Régnier qui fut un cœur généreux et une âme pittoresque, les Satiriques ont droit tout juste à la même amitié qu’on a pour les Critiques. Pourquoi y eut-il tant de faiseurs de satires en ce xviie siècle, des Courval-Sonnet, des Du Lorens, des L’Esperonnière Angot, des Lespine, des Louis Petit… ? — j’en passe ! À quoi servent leurs grognements impuissants, leurs grimaces sardoniques, leurs très vaines colères ? Quel intérêt y a-t-il à les voir patauger à plaisir dans la boue pour en éclabousser les gens ? Ils n’ont jamais corrigé personne, mais ils ont toujours très bien su calomnier, blesser à vif, ruiner, jeter en un ridicule immérité des hommes qui valaient mieux qu’eux. Et, loin d’y chercher un enseignement, on ne les lit que pour le scandale, et que parce qu’ils répondent à un de nos plus bas instincts, qui nous pousse à dénigrer.


Celui qui nous occupe semble avoir éprouvé le besoin de se défendre et de justifier son œuvre. Des « cerveaux estropiez », allègue-t-il, diront « que j’eusse mieux fait de donner carrière à ma plume, faire joüer les ressorts de ma Muse sur un meilleur et plus agréable sujet, sans remployer à controller et censurer les actions d’autruy, trencher du reformateur d’Estat, du censeur à gros grains et du satyrique, à double rebras. » C’est bien notre avis ! Il nous répond qu’il n’a été poussé que par « le seul zèle de l’honneur de la France ». Vivant dans un « siècle remply d’iniquité », ajoute-t-il, « il m’a esté comme impossible de me retrancher dans le silence, donner tresve à ma plume » faire banqueroute à mon devoir, retenir mes conceptions soubs bride, et empescher les saillies et boutades poëtiques de ma muse ». La fin même de cette apologie montre le bout de l’oreille ; et, les trois quarts du temps, un homme n’est poête satirique que parce que la nature de son esprit l’y induit et qu’il lui est impossible de s’empêcher de médire.


Thomas Sonnet, sieur de Courval, docteur en médecine, natif de Vire en Normandie, publia, à partir de 1608, des Satyres contre les abus et désordres de la France, suivies par Les Exercices de ce temps contenant plusieurs Satyres contre les mauvaises mœurs ; et des Satyres contre le Joug nuptial et fascheuses traverses du Mariage, qui avaient été d’abord une Satyre Menippee ou Discours sur les poignantes traverses et incommoditez du Mariage où les humeurs et complexions des femmes sont vivement représentées.


Le quatrième des Exercices de ce temps en veut aux Pèlerinages. Vous allez visiter Bonnes-Nouvelles, Bon-Secours, Liesse, mais c’est, paraît-il, un autre saint qui reçoit vos chandelles, Saint Cupidon, flanqué de Sainte Vénus, et Thomas de Courval-Sonnet s’en indigne et appelle cela : faire barbe de foire à Dieu. Il ne veut pas qu’on s’amuse en route, qu’on discoure de sujets galants, qu’on chante une chanson dévote Mise nouvellement sur l’air de la gavotte, qu’on lise des romans sous couleur de dire ses heures, qu’on fasse bombance avec les provisions entassées dans les coffres du carrosse. Enfin on est arrivé : on a fait emplette de médailles, de croix, d’agnus-dei, de chapelets ; on a formulé les vœux les plus divers et les plus extravagants. Il faut s’en retourner sous peine de se trouver sans argent, chose fâcheuse si l’on est loin de sa demeure.


Puis le chemin est long pour prendre le plus beau,
Si l’on désire aller à Fontaine-Beleau,
Et de-là voir Paris et Saint-Denis en France,
Où l’on void de nos roys la superbe despence,
Puis Saint-Germain Alez, et tous les autres lieux
Que Ton pourroit nommer la demeure des dieux,
Tant ils sont enrichis de marbre et de peinture,
L’art qu’on y toid dedans surpassant la nature.


Et l’on perd tout le bénéfice du pieux voyage. L’Amour se réveille au retour ;


Ce ne sont que baisers, que ris, que mignardises ;



un chacun se déclare… ; on éprouve le besoin de se rattraper des austérités passées, de bien boire et bien manger, puis, de la table au lit… ; et finalement, le plus clair résultat de ces feintes dévotions,


C’est attiser un feu dont la flame éternelle
Bruslera pour jamais ton âme criminelle.


Voilà toute la portée que cela a ! Mais au moins, cette fois, ce n’est pas méchant et nous y trouvons (c’est le seul intérêt qui subsiste, de ce genre d’œuvres) un ou deux, ou trois amusants tableaux de genre, — et la vision des bons touristes bas-normands qui viennent donner à manger aux Carpes, avant de rentrer à Vire.