Quelques poëtes français des XVIe et XVIIe siècles à Fontainebleau/Le sieur de Mesmes


LE SIEUR DE MESMES



Le Père Dan nous donne une ample description de la Belle Cheminée qui ornait encore, de son temps, une galerie du Château, et lui avait imposé son nom. Édifiée « en l’an mille cinq cens quatre vingts dixneuf » par Henri IV, elle fut détruite par Louis XV, en 1738. Cette date de 1733 est adoptée, mais l’abbé Guilbert, dont le livre, il faut le noter, est de 1731, ne voit déjà plus la Belle Cheminée ; il dit qu’elle fut enlevée en 1725, lorsqu’on installa un théâtre là — définitivement, car on y avait déjà aménagé une scène dès l’année 1633, — et lorsque la Salle de la Belle Cheminée devint la Salle de la Comédie. Détruite, mais non complètement abolie, puisque, entre autres reliques de cette œuvre d’art, l’image équestre qui en était le principal motif a été replacée dans la pièce désignée sous le nom de Chambre de Saint Louis.


Voici ce qu’en rapporte notre révérend historiographe, livre II, chapitre xiv du Tresor des Merveilles :


« Cette rare Cheminée a vingt trois pieds de haut et vingt de large, la quelle consiste en quatre colomnes Corinthes d’un marbre brogatelle bien diversifié, fort rare et exquis, avec les bases et chapiteaux de marbre blanc. Dans le milieu de cette Cheminée entre les colomnes est une grande table de marbre noir, sur laquelle est la figure et statue à cheval du Roy Henry le Grand à demy relief, et grande comme le naturel ; il est armé et a la teste couronnée d’un laurier, où au dessous de ses pieds est un casque de marbre blanc… L’ouvrage de cette Cheminée est du sieur Jacquet, dit Grenoble, sculpteur fort excellent, où il a employé cinq ans au travail de cette rare pièce. »


Dan omet de dire, comme inutile et sous entendu, que le roi se détachait en blanc sur le fond noir ce qui ne devait pas être d’un médiocre effet. Il ajoute : À propos de Henry le Grand et de sa figure, un de nos Poëtes lui a dressé ces beaux vers :


Voicy d’un second Mars l’image redoutable.
Rends luy, la contemplant, l’honneur qu’ont mérité
Les triomphes heureux de ce Prince indomptable
Qui, maints peuples domptant, s’est luy mesme dompté.

Tel fut Henry le Grand qu’est sa figure armée ;
Semblable fut son œil, vraye estoile de Mars ;
Les Lauriers de son chef, fruits de sa renommée,
Monstrent ce qu’on peut voir, en guerre, de hasards.

Exemple de Vertus, parure de l’Histoire,
L’amour et la terreur sont cachez en tes yeux ;
Aux combats tres-heureux, très-doux à la victoire,
Qui te regarde void tout l’ornement des Cieux.

Tu gagnas par amour des François le courage
Et par force vainquis le superbe estranger ;
Aussy nous regardons, et gardons ton image
Et croyons, la gardans, éviter le danger.

La France délivrée ainsy qu’une Andromède
Append à ta vertu ce riche monument ;
Comme vivant tu fus de ses maux le remède.
Estant mort ton portrait luy sert d’allégement.|


Dan cite, en marge, le nom de l’auteur : le Sieur de Mesme.

Cette famille de Mesmes est illustre au XVIe et au XVIIe siècles, et compte plusieurs lettrés. Un Jean-Pierre de Mesmes traduit, nous l’avons vu, une comédie de l’Arioste en 1552, et il y a un sonnet de lui à la fin des Amours de Francine de Jean-Antoine de Baïf. Un Henry de Mesmes est l’ami d’Olivier de Magny qui lui dédie des vers et de Jean Passerat qui inscrit son nom en tête de nombre de poëmes, et, vingt-huit ans de suite, lui offre à chaque premier janvier des Étrennes en hexamètres latins. A l’époque où nous sommes, un autre Henry de Mesmes est premier Président au Parlement jusqu’en 1650, date de sa mort. Son cadet, qui d’un mois le précéda au tombeau, et était né en 1595, Claude, comte d’Avaux, plénipotentiaire en Allemagne et superintendant des Finances, « escrivoit le mieux en français », autant dire : « assez bien », et une lettre de Vincent Voiture le félicite d’une bonne traduction, probablement rimée. Est-ce à celui-là des de Mesmes, ou à son frère, qu’on doit attribuer les strophes que le Père Dan nous a gardées ?

Mais le Père Dan poursuit son inventaire, et nous ouvre, dans les departemens du Roi et de la Reine, « un grand Cabinet appelé le Cabinet des Empereurs, parce que là en douze Tableaux sont les portraits des douze Césars à cheval, au milieu des quels dans le manteau de la Cheminée paroist celuy de Henry le Grand, aussy à cheval, le casque en teste, et de mesme ordre que les precedens : place qui estoit bien deuë à ses Vertus, comme ayant en luy seul les merites de tous ces grands Monarques : ce qui m’a obligé sur cette heureuse rencontre, d’emprunter, et accommoder à ce propos les vers suivans du plus celebre de nos Poëtes, pour en honorer la mémoire de ce Prince. » Ces vers, les voici :


Quand entre les Cesars i’apperçois ton image,
Découvrant ton beau chef d’un casque revestu,
Voyez ce dis-je alors, combien peut la Vertu,
Qui fait de nostre Roy un Cesar en courage.

Ton peuple en ton portrait revere ton visage
Et la main qui naguere a si bien combattu
Quand l’ennemy par terre et par mer abbatu
A la France rendit son ancien rivage.

Ce n’est petit honneur que d’estre portrait, Sire,
Entre les vieux Cesars qui ont regi l’Empire
Comme toy valeureux, magnanimes et justes.

Ce signe te promet, grand Roy victorieux,
Puisque vif on t’esleve au nombre des Augustes,
Qu’estant mort tu es fait le compagnon des Dieux.


Il faut que j’avoue que tout d’abord je n’attachai point l’importance voulue aux mots : « emprunter », et « accommoder », et que je ne songeai premièrement qu’à rechercher qui Dan voulait entendre par « le plus celebre de nos Poëtes ». De 1600 à 1642, ce ne pouvait être que Malherbe. Si vite trancher la question, à la légère, était ne point rendre justice au Père Dan et ne lui tenir pas compte de ce que précédemment il avait nommé Ronsard le « Prince de nos Poëtes ». Mais que cette illustre signature pût se mettre au-dessous de vers en l’honneur de Henri IV, cela s’arrangeait difficilement, en apparence. Et j’en rejetais l’idée, comme chimérique.


Malherbe feuilleté, le sonnet ne s’y trouvait pas, et pour causes.


Pour trois causes, deux d’ordre littéraire, une, historique.


Ce n’est pas le ton compassé du poëte ordinaire de Henri. Quand Malherbe veut chanter un héros, il commence par se guinder lui-même sur un piédestal. Ici c’est plus viril et plus simple, et plus communicatif. Il y a une libre vigueur, une familiarité héroïque, une souple franchise, de meilleur aloi, en cette apostrophe : Ce n’est petit honneur que d’estre portrait, Sire, entre les vieux Césars… Deuxième raison : la langue est antérieure d’environ cinquante ans, et d’autant la prosodie. Trois hiatus, la rencontre de rimes du même sexe n’étaient plus de mise vers 1610 ; et l’orthographe, d’ailleurs si flottante en ces temps, marque aussi, incontestablement.

La raison historique est plus criante encore. Quelles qu’aient été les victoires, toutes intérieures, sur terre et aucune sur mer, du premier Bourbon, elles n’eurent point pour effet de nous rendre en leur intégrité nos frontières maritimes ; car ce résultat était déjà acquis depuis longtemps, depuis la prise de Calais par le duc de Guise, sous le règne de Henri II Nous voici donc revenus à l’époque du Prince des Poëtes. Et il n’est plus étonnant de lire dans Les Sonnets divers de P. de Ronsard, sous la date de 1560, ceci :


AU ROY HENRY II.


 
Quand entre les Césars j’apperçoy ton image.
Descouvrant tout le front de lauriers revestu :
Voyez (ce dis-je alors) combien peut la vertui
Qui fait d’un jeune Roy un César devant l’âge !

Ton peuple en ton pourtrait revere ton visage,
Et la main qui naguere a si bien combatu,
Quand l’Anglois, et par terre et par mer abatu,
A ta France rendit son ancien rivage.

Ce n’est petit honneur que d’estre pourtrait, Sire,
Entre les vieux Césars qui ont régi l’empire,
Comme toy valeureux, magnanimes et justes,

Ce signe te promet, grand Roy victorieux,
Puis que vif on t’esleve au nombre des augustes.
Que mort tu seras mis là haut entre les Dieux.

Il y a une variante, qui signifierait peu si elle ne se rapprochait du texte adopté dans l’arrangement, moins l’hiatus :


     Que mort tu seras fait des compagnons des Dieux.


On a pu constater çà et là quelques autres différences de l’adaptation ; et il reste à dire que la date de 1560 n’est qu’une date d’éditien et n’a pas de valeur absolue. Les vers ont été écrits du vivant de Henri II que Montgommery tua, d’accident, en juillet 1559. La prise de Calais est de 1558.


Il n’y a plus maintenant qu’à expliquer comment Ronsard a pu écrire ces quatorze vers et à savoir s’ils ont trait à Fontainebleau. 11 serait utile pour cela de supposer que le Cabinet des Empereurs fut créé à la fin de 1558, ou bien au commencement de 1559, et qu’à ce moment c’était Henri II qui figurait, avant Henri IV, monté sur un coursier fougueux, parmi les Césars également à cheval. Le Père Dan est muet en ce qui concerne les origines. Voici ce que dit, en 1731, l’abbé Guilbert : « Cabinet des Empereurs. Ce cabinet bâti par Charles IX… fut nommé Cabinet des Empereurs, par ce que les douze Césars y étoient représentés à cheval, avant que Louis XIII l’eut fait rétablir et orner d’un Lambri doré en plein, … et de six Bustes d’Empereurs en grisaille pour conserver sans doute la mémoire de ceux qui y étoient auparavant… Sur la cheminée est une copie de la Vierge de Raphaël, par Jean Dubois. »


C’est tout ce que nous révèlent les deux plus sûrs et plus anciens descripteurs du palais, au sujet de cette pièce devenue aujourd’hui le Cabinet de la Reine et le Boudoir de Marie Antoinette. Plus rien n’y reste de la décoration primitive, non plus que de celle qu’y vit l’abbé Guilbert.


Quant à la question de savoir si Ronsard a bien composé son sonnet à propos de choses remarquées à Fontainebleau, — il est fort invraisemblable qu’un autre château royal (et lequel ?) ait présenté à ses yeux une identique particularité. Il l’est beaucoup moins que ce soit l’historien qui se trompe. Par un hasard singulier, et d’une façon qu’on ne soupçonnait guère, c’est le poète qui nous donne la date véritable, avec une précision mathématique.

Cependant, s’il faut, respectueux de la chose décidée et prenant Guilbert à la lettre, admettre comme certain que ce Cabinet ne fut instauré que sous Charles IX, — il est fâcheux qu’on ne puisse plus constater de qui ni de quelle époque étaient les peintures — l’unique ressource sera d’admirer à quel degré le Père Dan était familier de l’œuvre de Ronsard ; car il trouve, à point nommé, un rapport bien immédiat pour n’être que fortuit. Au demeurant, son emprunt n’est que véniel, et son démarquage n’est pas pendable : le bon religieux pensait qu’il est, avec tout, des accommodements ; nous en vimes d’autres indices.


Mais rendons à César Henri II ce qui lui appartient, et n’appartient pas à César Henri IV.