Quelques Odes de Hafiz/11
Ernest Leroux, (Bibliothèque orientale elzévirienne, LXXIII, p. 53-56).
XI
Voyez où sont les actes pies, et voyez où je suis, moi, pris de vin ; vois la distance qui nous sépare, où elle commence et où elle finit.
Quelle comparaison entre un débauché tel que moi, les bonnes œuvres et la dévotion ! Quelle différence énorme entre entendre un sermon ou les accords d’un violon[1] !
Mon cœur se détache de la Mosquée, il rejette ce froc fait d’hypocrisie. Montrez-moi la taverne, oh ! dites-moi où est ce vin limpide ?
Le beau temps de la présence de ma mie est passé, puisse ce ravissant souvenir demeurer dans mon esprit ! Mais elle, elle, animée d’une vaine colère, où est-elle allée ? Qu’est-elle devenue ?
Un cœur indifférent, quel plaisir trouve-t-il à contempler les charmes de l’objet chéri[2] ? Quelle différence entre des flambeaux éteints et la lumière resplendissante du soleil ?
Regarde ce menton arrondi comme une pomme, mais prends garde au puits[3] creusé au milieu du chemin. [Oh ! mon cœur, dans quel sentier périlleux tu t’es engagé], où vas-tu donc avec tant de précipitation[4] ?
La poussière de tes pieds est l’unique collyre de mes yeux, où puis-je me retirer, dites ? en quittant ces lieux, où voulez-vous que je porte mes pas ?
Le calme, le sommeil, ne demandez donc pas ces choses à Hafiz, car qu’est-ce donc pour lui, le calme, la patience, le sommeil ?
- ↑ Inutile de dire ici que Hafiz raille les dévots adorateurs des choses extérieures. Il n’est débauché que pour ceux-là qui ne comprennent rien à son état d’âme non plus qu’à sa façon de s’exprimer. On retrouve chez Kheyyam le même genre d’ironie, mais beaucoup plus tranchante.
- ↑ La Divinité.
- ↑ Fossette, au milieu du menton.
- ↑ Hafiz donne un conseil au Saleq. Dans un état agréable qui t’adviendra, ne va pas sans guide. Tomber dans le puits, c’est tomber d’un degré supérieur à un inférieur, car il se peut que le Saleq glisse de ses pensées et tombe. Ô Khyzr ne va pas sur cette route sans compagnon, car elle est pleine de ténèbres. Crains, crains le danger de te perdre. Djellal-eddin Roumi a dit : « Oh ! mon fils, la route est longue et pleine de dangers, celui qui marche a besoin d’un conducteur : si tu vas sans conducteur, fusses-tu comme un lion, tu peux te perdre et tomber dans un puits. »