Hachette (p. 81-90).



VII

giselle toujours charmante


Dans l’après-midi, pendant que Giselle se promenait avec sa bonne aux Champs-Élysées, qu’elle taquinait les enfants avec lesquels elle jouait, et les bonnes de ces enfants, Léontine alla embrasser Pierre, Noémi et ses sœurs, et leur raconta son courage du matin et la demi-faiblesse qui avait précédé cette force extraordinaire.

Pierre et ses sœurs lui en firent leurs sincères compliments.

« Ce qui est assez singulier, dit Pierre, c’est que pendant que tu refusais ce bal que te demandait Giselle, nous arrangions, Noémi, tes sœurs et moi, une petite matinée dans le jardin pour nos enfants et pour ceux de la famille et de nos amis qui sont encore à Paris. Nous ferons venir Guignole avec son Polichinelle ; ensuite, on tirera une loterie ; on dansera, on sautera ; puis on goûtera ou plutôt on dînera à six heures, et tout sera fini à huit heures. Tu vois, ma bonne Léontine, que ton courage est récompensé, puisque tu n’auras pas cédé à Giselle et que pourtant tu lui accorderas le plaisir qu’elle demande en l’amenant chez nous.

léontine.

Que je te remercie, mon bon Pierre ! quelle joie tu me donnes, et quel bien cette leçon va faire à Giselle !

pierre.

Pour la rendre plus complète, je t’engage à ne pas lui en parler tout de suite ! et même, quand elle connaîtra mon projet de fête, tu lui refuseras d’abord de l’y amener, à cause de son impertinence envers toi.

léontine.

Et bien mieux, je ne céderai qu’au dernier jour à tes sollicitations pressantes.

noémi.

Et aux nôtres, à mes sœurs et à moi, pour qu’elle change d’idée sur les sentiments que nous avons pour elle.

léontine.

Je te remercie, Noémi, et vous tous, mes chers, mes vrais amis. »

Quand Léontine rentra chez elle, elle alla chercher Giselle, qu’elle trouva boudant dans un coin et refusant le travail que voulait lui faire faire sa bonne.

léontine.

Giselle, as-tu réfléchi, ma chère enfant, à ta conduite envers moi ?

giselle.

Non, je n’en ai pas eu le temps.

léontine.

Il ne faut pas longtemps pour comprendre qu’on a mal fait et pour le regretter.

giselle.

Je n’ai pas mal fait. Ce n’est pas mal d’aimer papa et de le lui dire.

léontine.

Non, c’est au contraire très bien.

giselle.

Alors pourquoi me grondez-vous ?

léontine.

Je ne te gronde pas, mon enfant, je te parle. Ce qui est mal, c’est d’avoir l’air de ne plus m’aimer, de n’aimer que papa, de se moquer de ce que je dis, en un mot, d’être impertinente avec moi. Voilà ce qui est mal.

giselle.

Vous me refusez ce qui m’amuse ; papa veut bien me l’accorder, et vous l’en empêchez. Croyez-vous que ce soit agréable ?

léontine.

Non, ce n’est pas agréable ; mais ce n’est pas une raison pour être impertinente envers moi, qui t’aime tant et qui cherche toutes les occasions de te le prouver.

giselle.

Oui, joliment ! En me grondant et en me punissant.

léontine.

Ma pauvre Giselle, tu as encore de l’humeur, tu ne sais ce que tu dis.

giselle.

Je crois bien que j’ai de l’humeur ! ma bonne n’a fait que me gronder tout le temps de la promenade. »

Léontine, enchantée de donner une satisfaction quelconque à Giselle, se retourna vers la bonne.

léontine.

Pourquoi, Émilie, grondez-vous Giselle ? Elle a pourtant été assez punie pour que vous la laissiez tranquille pendant sa promenade.

la bonne.

Mon Dieu, Madame, je ne pouvais pas faire autrement ; elle s’amusait à courir après toutes les balles des enfants et à les jeter dans les massifs entourés, dans lesquels Madame sait qu’il est défendu d’entrer ; de sorte que tous ces pauvres enfants pleuraient et criaient de tous les côtés ; les bonnes étaient furieuses ; elles me tombaient sur le dos ; je ne pouvais pourtant pas la laisser continuer ; on avait été chercher des sergents de ville ; Madame pense l’esclandre que cela aurait fait, de voir Giselle emmenée au poste par les sergents de ville.

léontine.

Vous auriez pu la mener plus loin.

la bonne.

C’est ce que j’ai fait, Madame, malgré ses injures et sa résistance ; mais plus loin elle a recommencé un autre jeu ; elle enlevait et lançait au loin les chapeaux des enfants qui se trouvaient à quelque distance de leurs bonnes ; les enfants couraient après leurs chapeaux, les bonnes couraient après leurs enfants, Giselle reprenait les chapeaux pour les lancer plus loin. Madame juge du désordre, des cris, et puis des reproches que j’avais à subir. Il a bien fallu gronder Mlle Giselle et l’emmener encore plus loin. Arrivée près des fontaines, la voilà qui imagine de puiser de l’eau avec sa main et d’en jeter sur les passants ; un monsieur qui en avait reçu deux fois dans la figure, s’est fâché, il a saisi l’oreille de Mademoiselle et la lui a secouée à me faire peur ; je croyais que l’oreille allait lui rester dans la main. Mlle Giselle a crié pendant un quart d’heure ; il s’est formé un rassemblement autour de nous ; c’est ce qui fait que j’ai abrégé la promenade et que je l’ai ramenée à la maison.

léontine.

Oh, Giselle ! ce n’est pas gentil ce que tu as fait là, ma petite chérie. Et puis, c’est dangereux, comme tu vois. Il y a des gens qui sont si méchants, qui ne comprennent pas la moindre plaisanterie et qui se fâchent pour un rien.

giselle.

C’est vrai, ça ! Une autre fois je ne jouerai des tours qu’aux enfants très jeunes ; ceux-là du moins ne se défendent pas. Et les bonnes s’amusent à causer entre elles ; elles ne regardent pas aux enfants.

léontine.

Joue le moins de tours possible, ma pauvre petite : les enfants se plaindraient à leurs bonnes, à leurs mamans, et personne ne voudrait plus jouer avec toi. Viens à présent travailler dans ma chambre ; tu n’as encore rien fait aujourd’hui !

giselle, bâillant.

C’est si ennuyeux de travailler ! Et cette femme


« Il a saisi l’oreille de Mademoiselle. »

qui vient me donner des leçons est si ennuyeuse,

si bête ! Elle gronde toujours.

léontine.

Parce que tu ne fais pas grand’chose, ma chère petite : ta maîtresse craint qu’on ne l’accuse de te donner de mauvaises leçons si tu ne travailles pas et si tu ne fais aucuns progrès.

giselle.

Qu’est-ce que cela lui fait ?

léontine.

Cela lui fait du tort ; elle n’aurait plus autant d’élèves, et elle n’aurait plus de quoi vivre.

giselle.

Ah ! cela lui ferait du tort ! Alors, quand elle m’ennuiera, je ne ferai rien de bien, elle sera furieuse ce sera très amusant.

léontine.

Ce sera fort triste, parce que ce sera très méchant de ta part. Mais tu ne le feras pas, j’en suis bien sûre ; ton bon cœur sera plus fort que l’ennui de ta leçon.

giselle.

Vous verrez, vous verrez.

léontine.

Allons, viens, ma Giselle ; Mlle Tomme doit être arrivée. »

Léontine sortit, emmenant Giselle qui se faisait un peu traîner. Mlle Tomme attendait son élève ; tout était prêt pour commencer la leçon.