Quand chantait la cigale/Tourbillon de vie

Édition Privée (p. 30-31).

TOURBILLON DE VIE


C’est juin et il neige.

Dans le ciel flottent d’innombrables flocons blancs comme ceux que nous voyons l’hiver. Seulement, ils ne sont pas glacés, ils ne fondent pas lorsqu’ils tombent sur le sol brûlant, sur l’herbe verte moelleuse ou sur la rivière étincelante.

Ce sont les liards qui jettent leurs graines, les grands liards qui bordent la rivière et qui ombragent la route poussiéreuse et grise.

L’air, l’espace infini, l’étendue illimitée sont remplis de germes qui tourbillonnent, de semences qui ne demandent qu’à se déposer en terre pour éclore.

Éternellement féconde, la nature prodigue veut enfanter de la vie et elle sème à pleines mains.

Le ciel est bleu, sans nuages. Un souffle de vent détache la graine de l’arbre, une graine minuscule, plus petite qu’une tête d’épingle, enveloppée d’une légère substance floconneuse, comme un duvet, et l’emporte dans l’immensité du monde. On dirait des grains de neige.

Ces flocons blancs prennent leur vol dans l’azur. Ils s’élèvent, glissent, s’ébattent, se croisent, se heurtent, se précipitent, voltigent, virevoltent, comme la neige l’hiver dans la tempête. Certains planent un moment avant de s’élancer, puis filent à une vitesse vertigineuse, et atteignent à des hauteurs infinies. D’autres montent immédiatement, semblent jaillir vers l’éther.

En plein jour, le ciel bleu est plein de pâles étoiles, de petites étoiles blanches, à peine perceptibles, qui s’effacent, disparaissent dans les profondeurs de la voûte céleste.

D’autres flocons encore, flottent comme indécis, puis plongent et vont s’abîmer, se noyer dans la rivière miroitante.

Les cieux sont vibrants de vie. C’est un jour de création.

L’on respire une atmosphère de désirs éperdus, exaspérés, de fièvre, de démence.

Des milliards et des milliards de graines nagent dans l’air limpide, cherchant le coin de terre où se déposer. C’est un frémissement d’embryons. Et toujours, la brise qui passe détache de nouveaux germes qui s’élancent et prennent leur vol.

C’est la vie aveugle qui veut devenir, ce sont des êtres qui veulent se réaliser…

Mais combien mourront avant d’avoir vécu ? Combien resteront dans le néant ?

La surface de la rivière est couverte de flocons blancs qui flottent tels des cadavres. Des multitudes d’autres sont tombés sur la route où ils seront écrasés ; d’autres encore qui cherchaient un sol friable et frais, n’ont rencontré que la pierre ou le roc, et d’autres ont chu sur les clôtures, sont restés accrochés aux fils de fer barbelés où le vent inlassablement les secoue.

Sur les champs, sur la route, sur les toits, sur la rivière, tombe lentement, doucement, telle la neige la graine floconneuse des grands liards.