Proverbes dramatiques/Les Braconniers

Explication du Proverbe :

Proverbes dramatiquestome VIII (p. 355-367).


LES
BRACONNIERS.

CENT TROISIEME PROVERBE.


PERSONNAGES.


THIBAUT, Paysans braconniers.
GUILLOT,
LA RENTREE, Garde-chasse.


La Scène est dans un Bois.

Scène premiere.

GUILLOT, THIBAUT.
THIBAUT.

J’ai bien peur que nous ne trouvions plus rien aujourd’hui.

GUILLOT.

Je ne sais pas où s’est fourré le gibier ; il devient diablement malin.

THIBAUT.

Ton lievre est-il fort ?

GUILLOT.

Mais pas mal.

THIBAUT.

Voyons-le.

GUILLOT, lui montrant un lievre.

Il est bien râblé.

THIBAUT.

Oui, il y aura de quoi faire un bon civet.

GUILLOT.

Tu devrois toujours lui ôter la peau. Il viendra peut-être encore quelque chose pendant ce temps-là.

THIBAUT.

Et si ce diable de garde alloit me surprendre ?

GUILLOT.

De quoi as-tu peur ?

THIBAUT.

Il est vrai que nous sommes deux.

GUILLOT.

Allons, assis-toi au pied de cet arbre-là, & travaille.

THIBAUT.

Je n’ai pas de couteau.

GUILLOT.

Voilà le mien.

THIBAUT.

Tu feras donc sentinelle ?

GUILLOT.

Oui, oui. Attends, il me vient une idée : je vais monter sur cet arbre-là ; & si la Rentrée vient, ne crains rien ; j’y serai à l’affût du garde & du gibier.

THIBAUT.

Eh bien, à la bonne heure.

GUILLOT.

Tiens, aide-moi. (Il monte sur l’arbre.) M’y voilà. Allons, travaille. Mets ton fusil à côté de toi.

THIBAUT.

Tu m’avertiras ?

GUILLOT.

Oui, oui.

THIBAUT.

Allons, allons, cela sera bientôt fait. (Il dépouille le lievre.)

GUILLOT.

J’entends quelqu’un.

THIBAUT.

Qu’est-ce que c’est ?

GUILLOT.

Je crois que c’est la Rentrée.

THIBAUT.

Tout de bon ? Je m’en vais.

GUILLOT.

Pourquoi cela, ne serai-je pas sur lui à bout portant ?

THIBAUT.

Oui ?

GUILLOT.

S’il me voit, il n’approchera pas ; & s’il ne me voit pas, tu n’as rien à craindre.

THIBAUT.

Je t’entends.

GUILLOT.

Travaille tranquillement.

THIBAUT.

Ne t’embarrasse pas.

GUILLOT.

Le voilà qui approche.

THIBAUT.

C’est bon, c’est bon.

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Scène II.

LA RENTRÉE, THIBAUT, GUILLOT sur l’arbre, couchant en joue la Rentrée.
LA RENTRÉE.

Ah, ah, vous voilà bien tard ici, Thibaut.

THIBAUT.

Oui, je prends l’air. Il a fait bien chaud aujourd’hui.

LA RENTRÉE.

Pas mal. Vous avez là un beau lievre ?

THIBAUT.

Trouvez-vous ?

LA RENTRÉE.

Oui, il me paroît fort.

THIBAUT.

Cela fera un bon civet, n’est-ce pas ?

LA RENTRÉE.

Oh sûrement.

THIBAUT.

Vous devez bien en manger vous ; car vous en confisquez beaucoup, n’est-ce pas ?

LA RENTRÉE.

Mais quelquefois. (Il prend le fusil de Guillot.) Vous avez là un fusil qui doit être bon.

THIBAUT.

Mais il n’est pas mauvais.

LA RENTRÉE.

Il est à deux coups ?

THIBAUT.

Sans doute.

LA RENTRÉE.

Vous devez abattre bien du gibier avec cela ?

THIBAUT.

Mais pas mal.

LA RENTRÉE.

Je ne serois pas fâché de l’avoir.

THIBAUT.

Ah ! vous en avez de meilleurs, vous.

LA RENTRÉE.

Non, pas trop.

THIBAUT.

Bon ! comme vous vous gaussez de nous ; avec le vôtre, est-ce que vous ne prenez pas du gibier & des hommes ?

LA RENTRÉE.

Ah ! quelquefois. Aurez-vous bientôt fini avec votre lievre ?

THIBAUT.

Oui, cela va être fait dans le moment.

LA RENTRÉE.

C’est bon. Et avec qui comptez-vous le manger ?

THIBAUT.

Avec Guillot, qui est ici près.

LA RENTRÉE.

Guillot ?

THIBAUT.

Oui, il va venir me reprendre.

LA RENTRÉE.

Ici ?

THIBAUT.

Tout à l’heure.

LA RENTRÉE regarde autour de lui, & il voit le bout du fusil de Guillot, & Guillot sur l’arbre.

En ce cas-là, vous n’avez pas besoin de moi.

THIBAUT.

Pourquoi ? plus on est de foux, plus on rit.

LA RENTRÉE.

Oui ; mais je dis, c’est que vous ne devez pas avoir peur en vous en revenant.

THIBAUT.

Oh non, je ne crains rien.

LA RENTRÉE.

Allons, je vais remettre là votre fusil.

THIBAUT.

Pourquoi ? prenez-le.

LA RENTRÉE.

Oh non, je suis accoutumé au mien.

THIBAUT.

Dame, écoutez donc, s’il vous fait plaisir…

LA RENTRÉE.

Pas absolument, je ne m’en soucie plus. Allez-vous chasser encore ?

THIBAUT.

Je ne sais pas ; comme Guillot voudra : s’il veut tirer un coup de fusil, je ne demande pas mieux.

LA RENTRÉE.

Pas aujourd’hui ?

THIBAUT.

Pourquoi ? je crois qu’il ne feroit pas mal ; voilà le moment.

LA RENTRÉE.

Eh bien, quand je n’y serai plus ; il ne faut pas que je sois présent ; vous entendez bien ?

THIBAUT.

Vous êtes bien bon homme, aujourd’hui.

LA RENTRÉE.

Mais quand je fais autrement ce n’est pas ma faute : car je sais bien qu’il faut vivre avec les vivants.

THIBAUT.

Oui ; car les morts ne valent pas le diable, n’est-ce pas ?

LA RENTRÉE.

Non, non. Ah çà, je vous donne le bon soir.

THIBAUT.

Où allez-vous comme cela ?

LA RENTRÉE.

Oh, je vais bien loin d’ici.

THIBAUT.

Allons, je vous souhaite un bon voyage.

LA RENTRÉE.

Adieu, adieu, Thibaut.

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Scène III.

GUILLOT, THIBAUT.
GUILLOT, descendant de dessus l’arbre.

Tu vois bien que tu n’avois rien à craindre ?

THIBAUT.

Ah pardi, il a eu une fiere peur. Il t’avoit donc vu ?

GUILLOT.

Je t’en réponds ; je touchois presque à son chapeau avec mon fusil.

THIBAUT.

Tout de bon ?

GUILLOT.

Ah parbleu, je te réponds que s’il avoit raisonné, je ne l’aurois pas manqué.

THIBAUT.

Je ne m’étonne pas s’il a filé si doux. Il croyoit d’abord me tenir dans ses filets.

GUILLOT.

Oui, il vouloit faire le gouailleur. Allons, allons-nous-en ; car il pourroit bien revenir avec deux ou trois autres gardes.

THIBAUT.

Eh bien, passons par là-bas ; nous aurons bientôt sauté le fossé, & nous ne les craindrons pas.

GUILLOT.

Allons, allons, leve-toi.

THIBAUT.

Me voilà prêt.

GUILLOT.

Prends ton fusil, & marchons. (Ils s’en vont.)


FIN.
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103. Fin contre fin, n’est pas bon à faire doublure.