Proverbes dramatiques/Les Braconniers
Explication du Proverbe :
LES
BRACONNIERS.
PERSONNAGES.
THIBAUT, | Paysans braconniers. | |
GUILLOT, | ||
LA RENTREE, Garde-chasse. |
Scène premiere.
J’ai bien peur que nous ne trouvions plus rien aujourd’hui.
Je ne sais pas où s’est fourré le gibier ; il devient diablement malin.
Ton lievre est-il fort ?
Mais pas mal.
Voyons-le.
Il est bien râblé.
Oui, il y aura de quoi faire un bon civet.
Tu devrois toujours lui ôter la peau. Il viendra peut-être encore quelque chose pendant ce temps-là.
Et si ce diable de garde alloit me surprendre ?
De quoi as-tu peur ?
Il est vrai que nous sommes deux.
Allons, assis-toi au pied de cet arbre-là, & travaille.
Je n’ai pas de couteau.
Voilà le mien.
Tu feras donc sentinelle ?
Oui, oui. Attends, il me vient une idée : je vais monter sur cet arbre-là ; & si la Rentrée vient, ne crains rien ; j’y serai à l’affût du garde & du gibier.
Eh bien, à la bonne heure.
Tiens, aide-moi. (Il monte sur l’arbre.) M’y voilà. Allons, travaille. Mets ton fusil à côté de toi.
Tu m’avertiras ?
Oui, oui.
Allons, allons, cela sera bientôt fait. (Il dépouille le lievre.)
J’entends quelqu’un.
Qu’est-ce que c’est ?
Je crois que c’est la Rentrée.
Tout de bon ? Je m’en vais.
Pourquoi cela, ne serai-je pas sur lui à bout portant ?
Oui ?
S’il me voit, il n’approchera pas ; & s’il ne me voit pas, tu n’as rien à craindre.
Je t’entends.
Travaille tranquillement.
Ne t’embarrasse pas.
Le voilà qui approche.
C’est bon, c’est bon.
Scène II.
Ah, ah, vous voilà bien tard ici, Thibaut.
Oui, je prends l’air. Il a fait bien chaud aujourd’hui.
Pas mal. Vous avez là un beau lievre ?
Trouvez-vous ?
Oui, il me paroît fort.
Cela fera un bon civet, n’est-ce pas ?
Oh sûrement.
Vous devez bien en manger vous ; car vous en confisquez beaucoup, n’est-ce pas ?
Mais quelquefois. (Il prend le fusil de Guillot.) Vous avez là un fusil qui doit être bon.
Mais il n’est pas mauvais.
Il est à deux coups ?
Sans doute.
Vous devez abattre bien du gibier avec cela ?
Mais pas mal.
Je ne serois pas fâché de l’avoir.
Ah ! vous en avez de meilleurs, vous.
Non, pas trop.
Bon ! comme vous vous gaussez de nous ; avec le vôtre, est-ce que vous ne prenez pas du gibier & des hommes ?
Ah ! quelquefois. Aurez-vous bientôt fini avec votre lievre ?
Oui, cela va être fait dans le moment.
C’est bon. Et avec qui comptez-vous le manger ?
Avec Guillot, qui est ici près.
Guillot ?
Oui, il va venir me reprendre.
Ici ?
Tout à l’heure.
En ce cas-là, vous n’avez pas besoin de moi.
Pourquoi ? plus on est de foux, plus on rit.
Oui ; mais je dis, c’est que vous ne devez pas avoir peur en vous en revenant.
Oh non, je ne crains rien.
Allons, je vais remettre là votre fusil.
Pourquoi ? prenez-le.
Oh non, je suis accoutumé au mien.
Dame, écoutez donc, s’il vous fait plaisir…
Pas absolument, je ne m’en soucie plus. Allez-vous chasser encore ?
Je ne sais pas ; comme Guillot voudra : s’il veut tirer un coup de fusil, je ne demande pas mieux.
Pas aujourd’hui ?
Pourquoi ? je crois qu’il ne feroit pas mal ; voilà le moment.
Eh bien, quand je n’y serai plus ; il ne faut pas que je sois présent ; vous entendez bien ?
Vous êtes bien bon homme, aujourd’hui.
Mais quand je fais autrement ce n’est pas ma faute : car je sais bien qu’il faut vivre avec les vivants.
Oui ; car les morts ne valent pas le diable, n’est-ce pas ?
Non, non. Ah çà, je vous donne le bon soir.
Où allez-vous comme cela ?
Oh, je vais bien loin d’ici.
Allons, je vous souhaite un bon voyage.
Adieu, adieu, Thibaut.
Scène III.
Tu vois bien que tu n’avois rien à craindre ?
Ah pardi, il a eu une fiere peur. Il t’avoit donc vu ?
Je t’en réponds ; je touchois presque à son chapeau avec mon fusil.
Tout de bon ?
Ah parbleu, je te réponds que s’il avoit raisonné, je ne l’aurois pas manqué.
Je ne m’étonne pas s’il a filé si doux. Il croyoit d’abord me tenir dans ses filets.
Oui, il vouloit faire le gouailleur. Allons, allons-nous-en ; car il pourroit bien revenir avec deux ou trois autres gardes.
Eh bien, passons par là-bas ; nous aurons bientôt sauté le fossé, & nous ne les craindrons pas.
Allons, allons, leve-toi.
Me voilà prêt.
Prends ton fusil, & marchons. (Ils s’en vont.)
103. Fin contre fin, n’est pas bon à faire doublure.