Proverbes dramatiques/Arlequin, chien enragé

Explication du Proverbe :


ARLEQUIN,
CHIEN ENRAGÉ.

CENT DEUXIEME PROVERBE.


PERSONNAGES.


PANTALON.

LE DOCTEUR.

CAMILLE, Servante de M. Pantalon.

ARLEQUIN, Valet du Docteur.


La Scene est chez Monsieur Pantalon.

Scène premiere.


CAMILLE balayant l’appartement & s’arrêtant.

Monsieur Pantalon me dit de tout ranger ici avec soin, qu’il a des raisons qu’il me dira : qu’est-ce que cela signifie ? S’il alloit me forcer de l’épouser !… comment lui résister si Arlequin ne m’aide pas ? (Elle balaye, puis elle s’arrête) : Arlequin m’a promis de venir ici ce matin, & il ne vient pas. (Elle balaye). Ne m’aimeroit-il plus ? (Elle balaye). Ah ! le voilà. (Elle quitte son balais pour aller à Arlequin.)

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Scène II.

ARLEQUIN, CAMILLE.
ARLEQUIN, tournant autour de l’appartement, Camille le suit.

Hé, je cherche Camille par toute la maison & je ne la trouve pas, il faut qu’elle soit allée chez la Bouchere, puis chez la Rôtisseur, après elle aura été acheté de la salade, après la salade elle aura acheté (Camille se met devant lui). Ah, te voilà, je t’ai cherché par-tout, dans le puits, dans le four, dans l’écurie, la remise, sous les lits, sous les fauteuils, dans…, hé comment te portes-tu ? Et bonjour, ma chere Camille, je ne t’ai pas plus vu depuis hier au soir. J’ai rêvé toute la nuit que je te disois : ah, que tu es jolie, que tu es charmante ! que tu as un beau petit nez ! que tu as de beaux petits yeux ! que tu as une belle grande bouche ! que tu as de belles grandes oreilles ! que tu as… & toi, tu me disois, (faisant la petite voix) : Ah, mon cher Arlequin, que tu es bien honnête ! que tu as un beau teint ! que tu as de beaux cheveux ! ah, comme je t’aime ! je t’aime bien ; & puis à présent que tu es là, que je te vois, que je te parle de tout cela, tu ne me dis rien, tu ne me réponds pas, tu…, tu…, tu…

CAMILLE.

Hé, tu parle toujours.

ARLEQUIN.

C’est que je suis ravi, enchanté de te voir ; la joie me transporte la langue comme une cloche qui sonne drelin, drelin, plein, plon, plein, plon.

CAMILLE.

Hé bien, écoute-moi à présent.

ARLEQUIN.

Ah, je t’écouterai tout la jour, tout la mois, tout l’année, tout la temps de l’almanach ; tu n’as qu’à dire, je suis par-tout une oreille pour t’écouter ; mes bras, mes jambes, ma tête, mes pieds, mes mains, tout cela c’est une oreille.

CAMILLE.

Mais tais-toi, si tu veux que je parle.

ARLEQUIN.

Hé bien, hé bien, oui, parle, parle, parle donc promptement, je m’ennuie moi, d’écouter comme cela, si tu dis rien.

CAMILLE.

Je t’attendois avec impatience.

ARLEQUIN.

Tu m’attendois, & moi aussi je t’attendois ; mais quand j’ai vu que tu ne venois pas, j’ai dit comme cela : il faut que j’aille ; parce que c’est moi qui suis l’amoureux, parce que c’est à un amoureux à aller trouver sa maîtresse, mais il faut qu’elle lui parle quand il vient ; qu’elle lui dise, par exemple…

CAMILLE.

Laisse-moi donc dire.

ARLEQUIN.

Ah ; oui, c’est juste, il faut que l’amoureux il se taise ; mais c’est que la joie, vois-tu… la ravissement…

CAMILLE.

Hé bien, tu n’auras bientôt plus de joie.

ARLEQUIN.

Comment donc ?

CAMILLE.

C’est qu’il nous arrive un malheur affreux.

ARLEQUIN.

Et quoi ?

CAMILLE.

Parle donc à présent, parle, parle, parle.

ARLEQUIN.

Je n’en ai plus la force ; ma langue elle est embarrassée dans les larmes qui ne peuvent pas passer avec.

CAMILLE.

Tu sais bien que Monsieur Pantalon est amoureux de moi.

ARLEQUIN.

Oh, il y a bien long-temps que je sais cela ; mais c’est-il bien vrai.

CAMILLE.

Que trop malheureusement. Il est aujourd’hui très-occupé, il semble que la tête lui ait tournée. Il a envoyé chercher son ami, Monsieur le Docteur. Il est allé chez le Traiteur ; il m’a dit de bien nétoyer toute la maison, je ne sais pas tout ce que cela veut dire.

ARLEQUIN.

Il a envoyé chercher Monsieur le Docteur, cela est vrai ; (il rêve). Il est allé chez le Traiteur, lui qui n’aime pas à dépenser, (il rêve). Il t’a dit de bien nétoyer la maison, c’est encore une autre chose… (il rêve). S’il alloit vouloir se marier avec toi ?

CAMILLE.

Voilà ce que je crains.

ARLEQUIN.

Je m’en vais lui parler, moi ; laisse-moi faire, laisse-moi faire, (il se promene). Je lui parlerai.

CAMILLE.

Et qu’est-ce que tu lui diras.

ARLEQUIN.

Oh, oh, oh, je lui dirai… Monsieur Pantalon, d’abord ; parce qu’il faut être poli. Monsieur Pantalon, n’avez-vous pas de honte, vous qui êtes un honnête homme… N’est-il pas un honnête homme ?

CAMILLE.

Oui, oui.

ARLEQUIN.

Vous qui êtes un noble Vénitien. N’est-il pas noble Vénitien ?

CAMILLE.

Oui, oui.

ARLEQUIN.

Vous, qui êtes un vieillard ; n’est-il pas un vieillard ?

CAMILLE.

Sûrement.

ARLEQUIN.

Vous qui aimez l’argent ; n’aime-t-il pas l’argent ?

CAMILLE.

Beaucoup.

ARLEQUIN.

D’épouser une soubrette ! Tu es une soubrette, toi ?

CAMILLE.

Oui, je suis sa servante.

ARLEQUIN.

Sa servante. Une fille qui est une paresseuse. N’est-tu pas une paresseuse ?

CAMILLE.

Non, non.

ARLEQUIN.

Une fille qui ne sait rien faire ; tu ne sais rien faire ?

CAMILLE.

Je fais tout le service de la maison.

ARLEQUIN.

Tout le service de la maison. Une fille qui n’est pas jolie ; tu n’est pas jolie ? Ah, si, si, si, tu es jolie. Une fille qui aime le vin ; n’aime-tu pas le vin ?

CAMILLE.

Un peu ; mais pas beaucoup.

ARLEQUIN.

Qui n’aime pas beaucoup le vin. Une fille qui aime les hommes : n’aimes-tu pas les hommes ?

CAMILLE.

Je n’aime que toi, mon cher Arlequin.

ARLEQUIN.

Une fille qui n’aime que son cher Arlequin.

CAMILLE.

Il ne faut pas dire cela.

CAMILLE.

C’est qu’il seroit jaloux.

ARLEQUIN.

Oh, mais cela ne me fait rien, qu’il soit jaloux.

CAMILLE.

C’est qu’il m’enfermeroit, & je ne pourrois plus te voir.

ARLEQUIN.

Ah ; cela est différent. Que veux-tu donc que je lui dise ?

CAMILLE.

Je ne sais pas.

ARLEQUIN.

Comment ferons-nous donc, ma chere Camille ?

CAMILLE.

Je n’en sais rien ; car depuis que je suis avec lui, il me doit douze cents livres.

ARLEQUIN.

Et si tu ne veux pas te marier avec lui, il ne voudra pas te payer ?

CAMILLE.

Voilà ce que je crains.

ARLEQUIN.

Je vais parler de tout cela à Monsieur le Docteur, il sait la justice comme un… comme un… Cela il ne fait rien. Il faudra qu’il empêche le mariage de Monsieur Pantalon avec toi, & qu’il te fasse rendre ton argent.

CAMILLE.

S’il le peut.

ARLEQUIN.

Il faudra bien qu’il le puisse, parce que je me mettrai en colere, & quand je suis en colere, je ne suis pas de bonne humeur, je le menacerai.

CAMILLE.

Et de quoi ?

ARLEQUIN.

Je lui dirai, Monsieur le Docteur, vous êtes le maître, & moi le valet ; le maître il commande toujours à son valet ; mais moi je veux vous commander une fois. Il dira comment, qu’est-ce que c’est donc que cela ? Monsieur, il faut que vous fassiez rendre justice à Mademoiselle Camille, & puis le mariage, qu’il se fasse avec moi, au lieu de Monsieur Pantalon, sans cela…

CAMILLE.

Quoi ?

ARLEQUIN.

Oui, il dira quoi, moi je dirai sans cela…

CAMILLE.

Acheves donc.

ARLEQUIN.

Il dira aussi : sans cela… Il m’aime beaucoup, Monsieur le Docteur ; je dirai donc sans cela… Il aura peur. Sans cela, je vais me jetter dans la riviere.

CAMILLE.

Toi, mon cher Arlequin ?

ARLEQUIN.

Oui, Monsieur le Docteur, j’y suis résolu.

CAMILLE.

Tu m’abandonnerois comme cela.

ARLEQUIN.

Oui, Monsieur le Docteur : j’ai déjà marqué ma place sur le Pont-Royal pour sauter dans l’eau.

CAMILLE.

Quoi, c’est bien vrai ?

ARLEQUIN.

Oh, je ne badine pas, & j’ai acheté douze vessies pour m’aider à nager.

CAMILLE.

Que veux-tu que je devienne après cela, mon cher Arlequin ?

ARLEQUIN.

Vous irez m’attendre aux filets de St. Cloud, pour me faire repêcher.

CAMILLE, pleurant.

Ah, ah, ah, ah, je crois déjà te voir mort !

ARLEQUIN.

Je te dis que je dirai tout cela à Monsieur le Docteur.

CAMILLE.

Ah ! voilà Monsieur Pantalon.

ARLEQUIN.

Laisse, laisse-moi faire, je ne le crains pas.

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Scène III.

PANTALON, CAMILLE, ARLEQUIN.
PANTALON.

Allons, qu’est-ce que tu fais ici ? Va-t’en.

ARLEQUIN.

Monsieur Pantalon, je venois pour vous dire…

PANTALON.

Tu me diras une autre fois.

ARLEQUIN.

Mais, Monsieur Pantalon…

PANTALON.

Sors d’ici, te dis-je.

ARLEQUIN.

C’est Monsieur le Docteur mon maître…

PANTALON.

Monsieur le Docteur ?

ARLEQUIN.

Oui, Monsieur Pantalon.

PANTALON.

Qu’est-ce qu’il me mande ?

ARLEQUIN.

Ah, Monsieur Pantalon, je m’en vais promptement.

PANTALON.

Veux-tu bien répondre ?

ARLEQUIN.

Vous voulez que je m’en aille.

PANTALON.

Viendra-t’il le Docteur ?

ARLEQUIN.

Je vous obéis.

PANTALON.

Veux-tu bien parler ?

ARLEQUIN.

Vous me dites que je vous le dirai une autre fois.

PANTALON.

Mais je veux savoir…

ARLEQUIN.

Non, non, je reviendrai.

PANTALON, l’arrêtant.

Parles, ou je t’étrangle.

ARLEQUIN.

Hé, Monsieur, je venois pour vous dire que Monsieur le Docteur viendra bientôt vous voir.

PANTALON.

C’est bon.

ARLEQUIN.

Monsieur, vous n’avez rien à lui mander ?

PANTALON.

Dites-lui que je l’attends.

ARLEQUIN.

Adieu, Monsieur Pantalon. Il passe par devant lui.

PANTALON.

Adieu, adieu, Arlequin.

ARLEQUIN.

Adieu, Mademoiselle Camille.

CAMILLE.

Adieu, Monsieur Arlequin, je suis bien votre servante.

ARLEQUIN, revenant.

Adieu, Monsieur Pantalon. (Il passe par devant).

PANTALON.

Adieu, adieu.

ARLEQUIN.

Adieu, Mademoiselle Camille.

PANTALON.

Si tu ne t’en vas… Il poursuit Arlequin, & il dit en revenant : Ce drôle là d’Arlequin ! il se moque de moi, je crois.

ARLEQUIN, revenant.

Adieu, Monsieur Pantalon.

PANTALON, il veut le poursuivre.

Attends-moi.

ARLEQUIN, s’enfuyant.

Adieu, Monsieur Pantalon.

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Scène IV.

PANTALON, CAMILLE.
PANTALON.

Je crois que ce coquin-là, il a la hardiesse d’être amoureux de toi.

CAMILLE.

Hé, pourquoi pas ? il est le valet de Monsieur le Docteur ; moi, je suis la servante de Monsieur Pantalon. Monsieur vaut bien Madame.

PANTALON.

Non, non, Monsieur ne vaut pas Madame ; car tu ne seras plus une servante, ma chere Camille.

CAMILLE.

Pourquoi cela, Monsieur Pantalon ? Je ne veux point changer d’état ; n’ai-je pas bien soin de votre maison.

PANTALON.

Si, si, je ne me plains pas, au contraire ; mais une autre aura soin de la maison, & tu en seras la maîtresse.

CAMILLE riant.

Moi la maîtresse ? ah, ah, ah, ah, ah ! comme Monsieur Pantalon le moque de moi ! ah ah, ah, ah, ah !

PANTALON.

Je ne me moque point, ma chère Camille ; je veux que tu sois ma femme.

CAMILLE riant.

Moi, votre femme ! moi ! ah, ah, ah, ah, ah !

PANTALON.

Oui, & dès aujourd’hui.

CAMILLE riant.

Ah, je ne crois pas cela ! ah, ah, ah, ah, ah !

PANTALON.

Tout-à-l’heure.

CAMILLE riant.

Moi, Madame Pantalon ? ah, ah, ah, ah, ah !

PANTALON.

Je n’attends que le Docteur pour faire le contract.

CAMILLE riant.

Ah, ah, ah, ah, ah ! le contract ! ah, ah, ah, ah, ah ! (Elle s’en va).

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Scène V.

PANTALON, LE DOCTEUR.
PANTALON.

Elle devient folle de joie, apparemment. Ah, voilà le Docteur ! Monsieur le Docteur, je vous souhaite bien le bonjour, je vous attends avec impatience.

LE DOCTEUR.

Bonjour, Monsieur Pantalon, je suis bien votre serviteur. Quelle affaire vous presse donc si fort ?

PANTALON.

Je veux me marier, Monsieur le Docteur.

LE DOCTEUR.

Oh, pour se marier, il est toujours temps.

PANTALON.

Non, non ; à mon âge, le plutôt vaut le mieux.

LE DOCTEUR.

Ah, vous pouvez avoir vos raisons ; d’ailleurs vous êtes fort riche…

PANTALON.

Non, je ne suis pas riche.

LE DOCTEUR.

Vous êtes un grand Seigneur Vénitien…

PANTALON.

Non, je ne suis pas un grand Seigneur.

LE DOCTEUR.

Vous épouserez sûrement une Princesse.

PANTALON.

Non, ce n’est pas une princesse.

LE DOCTEUR.

C’est donc une Duchesse ?

PANTALON.

Non, pas une Duchesse.

DOCTEUR.

Ah, une Marquise ?

PANTALON.

Non.

LE DOCTEUR.

Non ? une Comtesse, du moins ?

PANTALON.

Ni une Comtesse non plus.

LE DOCTEUR.

C’est une Baronne ?

PANTALON.

Non.

LE DOCTEUR.

Une Présidente ?

PANTALON.

Non.

LE DOCTEUR.

Une Intendante ?

PANTALON.

Non, non, non ; c’est une servante.

LE DOCTEUR.

Une servante ? une servante !

PANTALON.

Oui, Camille, ma servante ; je vous dis que je veux l’épouser.

LE DOCTEUR.

Mais, Monsieur Pantalon, vous n’y pensez pas,

PANTALON.

J’y ai pensé tout ce qu’il me faut, & je veux que cela soit dès aujourd’hui.

LE DOCTEUR.

Je le veux bien, cependant…

PANTALON.

Quoi ?

LE DOCTEUR.

Je suis obligé de vous parler en honnête homme…

PANTALON.

Comment ?

LE DOCTEUR.

En conscience, comme à un ami…

PANTALON.

Hé bien ?

LE DOCTEUR.

Puisque vous avez confiance en moi.

PANTALON.

Et dites donc ?

LE DOCTEUR.

vous ne savez peut-être pas une chose ?

PANTALON.

Quoi ?

LE DOCTEUR.

C’est que Camille est amoureuse d’Arlequin.

PANTALON.

Bon ! cet amour lui passera avec la fortune que je veux lui faire. Allons, faisons toujours le contrat.

LE DOCTEUR.

Comme vous voudrez ; mais vous remarquerez que je n’aurai rien à me reprocher.

PANTALON.

Non, non. (Ils s’asseyent tous les deux avec une table devant eux, où le Docteur écrit).

LE DOCTEUR.

La dot de Camille sera, je crois, bientôt écrite.

PANTALON.

Sa dot ? je n’en ai que faire ; mais je lui dois douze cents livres, on peut toujours en faire mention dans le contrat.

LE DOCTEUR.

A-t-elle un billet ?

PANTALON.

Elle n’en a que faire.

LE DOCTEUR.

Il seroit plus nécessaire de lui en donner un, ce seroit son présent de nôce, pour les habillements, pour les…

PANTALON.

Les habillements ; elle aura ceux de feu Madame Pantalon.

LE DOCTEUR.

Hé bien, donnez-lui toujours une bourse de cinquante louis.

PANTALON.

Non ; mais puisque vous le voulez, je vais lui faire un billet, que je ne lui payerai que quand je voudrai, ou point du tout.

LE DOCTEUR écrivant.

Oui, oui, j’entends : votre contrat sera bientôt fait.

PANTALON.

Ce qui me fâche, c’est que Camille croit que c’est une plaisanterie que mon mariage avec elle.

LE DOCTEUR.

Bon ?

PANTALON.

Oui, elle ne veut pas le croire, & elle rit comme une folle, quand je lui en parle.

LE DOCTEUR.

Faites-la venir ; pendant que vous écrirez le billet, je lui parlerai.

PANTALON.

C’est bien dit : le contrat est-il bientôt fini ?

LE DOCTEUR.

Oui, oui, appellez-la.

PANTALON.

Hola, hô, Camille, Camille.

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Scène VI.

PANTALON, LE DOCTEUR, CAMILLE.
CAMILLE.

Qu’est-ce qu’il y a pour votre service, Monsieur Pantalon ?

PANTALON.

Ecoute, écoute ce que va te dire Monsieur le Docteur. Docteur, parlez-lui un peu, je vais faire ce que nous sommes convenus. (Le Docteur se leve, & Pantalon écrit).

LE DOCTEUR.

Ah ça, ma chère Mademoiselle Camille, vous savez que Monsieur Pantalon veut vous épouser.

CAMILLE.

Ah, que me dites-vous là Monsieur le Docteur ?

LE DOCTEUR tirant Camille à part.

Ecoutez-moi ; Arlequin m’a tout dit, & je veux vous servir, puisque vous l’aimez. Monsieur Pantalon fait un billet de ce qu’il vous doit, qu’il va vous donner, ne manquez pas de le prendre.

CAMILLE.

Oh, sûrement.

LE DOCTEUR.

Quand il sera question de signer le contrat, ne vous mettez pas en peine. Arlequin entrera ici déguisé en chien ; il s’attachera à Monsieur Pantalon, qui voudra le chasser.

CAMILLE riant.

Fort bien.

PANTALON.

Elle rit ; convient-elle, Docteur ?

LE DOCTEUR.

Oui, oui, ne vous embarrassez pas.

PANTALON.

Je compte bien sur vous.

LE DOCTEUR.

Et vous avez raison ; (à Camille bas). Arlequin faisant semblant de vouloir mordre Monsieur Pantalon, je dirai que c’est un chien enragé ; il aura peur ; il ira s’enfermer, vous aurez pris le billet, & vous vous en irez avec Arlequin. Faites seulement semblant de consentir.

CAMILLE, haut.

Ah ! Monsieur le Docteur, c’est bien de l’honneur que Monsieur Pantalon me fait ; mais c’est-il bien vrai ?

PANTALON.

Oui, ma chere Camille, je serai enchanté d’être ton mari ; seras-tu aussi contente que moi ?

CAMILLE.

Ah ! je vous réponds que je le serai bien plus encore.

LE DOCTEUR.

Tenez, Mademoiselle Camille, voilà un billet de douze cents livres que Monsieur Pantalon vous donne en présent de noces. (Il lui donne le billet.)

PANTALON.

Vous êtes bien pressé, Docteur.

LE DOCTEUR.

Un peu plutôt, un peu plus tard, n’est-ce pas la même chose ?

CAMILLE.

Je vous remercie bien, Monsieur Pantalon.

PANTALON.

A présent, il faut signer le contrat.

LE DOCTEUR.

Je m’en vais le lire.

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Scène VI.

PANTALON, LE DOCTEUR, CAMILLE, ARLEQUIN, en chien barbet.
ARLEQUIN, abboyant.

Ouac, ouac, ouac, ouac.

PANTALON.

Qu’est-ce que c’est que ce vilain chien-là ?

ARLEQUIN.

Ouac, ouac, ouac, ouac.

PANTALON.

Camille, faites sortir d’ici ce chien.

ARLEQUIN.

Ouac, ouac, ouac, ouac. (Allant du côté de Pantalon.)

CAMILLE.

Allons, tirez d’ici, vilain.

ARLEQUIN, tenant la robe de Pantalon, gronde & grince les dents.

Hom, hom, hom, hom.

PANTALON.

Docteur, Camille, faites-le donc lâcher ma robe.

LE DOCTEUR, regardant le chien, & s’éloignant.

Ah ciel !

PANTALON.

Où allez-vous donc, Docteur ?

LE DOCTEUR.

Prenez garde à vous ; c’est un chien enragé.

PANTALON, mourant de peur.

Un chien enragé !

LE DOCTEUR.

Oui, vraiment. (Ils courent tous les trois pour s’enfuir. Arlequin suit toujours Pantalon en abboyant.)

ARLEQUIN.

Ouac, ouac, ouac, ouac. (Pantalon après avoir fait deux ou trois tours, va s’enfermer.)

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Scène VII.

LE DOCTEUR, CAMILLE, ARLEQUIN.
LE DOCTEUR.

Camille, vous avez le billet ?

CAMILLE.

Oui, Monsieur le Docteur.

LE DOCTEUR.

Allez, allez-vous-en avec Arlequin.

ARLEQUIN.

Ouac, ouac, ouac, ouac, (s’en allant avec Camille. Le Docteur les suit.)

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Scène VIII.

PANTALON entr’ouvre la porte, & ne voyant rien, il rentre.

Le chien s’en est allé apparemment. Je n’entends rien. (Il avance.) Où est Camille ? pourvu qu’elle n’ait pas été mordue. Ah ! voilà le Docteur.

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Scène derniere.

PANTALON, LE DOCTEUR.
PANTALON.

Hé bien, Docteur, Camille n’a-t-elle pas été mordue ? où est-elle ?

LE DOCTEUR.

Il n’y faut plus penser.

PANTALON.

Comment ! est-elle mordue, morte ?

LE DOCTEUR.

Non ; mais le chien enragé….

PANTALON.

Hé bien ?

LE DOCTEUR.

C’étoit Arlequin.

PANTALON.

Comment Arlequin ?

LE DOCTEUR.

Oui, il y a eu hier un chien enragé dans le quartier : c’est ce qui m’a trompé. On l’a tué, & Arlequin avoit pris sa peau pour le contrefaire, & vous faire peur.

PANTALON.

Et qu’est devenue Camille ?

LE DOCTEUR.

Il l’a enlevée.

PANTALON.

Et elle avoit le billet ?

LE DOCTEUR.

Oui vraiment.

PANTALON.

C’est vous qui êtes cause de tout cela.

LE DOCTEUR.

Moi ?

PANTALON.

Sûrement.

LE DOCTEUR.

Hé bien, n’êtes-vous pas trop heureux ? je vous ai empêché d’épouser votre servante, & c’est toujours la plus grande sottise qu’un homme puisse faire.

PANTALON.

Ah ! cela est bien aisé à dire ; mais quand on est amoureux ?

LE DOCTEUR.

Allez, allez, dans peu de temps, loin de m’en vouloir, vous me remercierez.

PANTALON.

Je le souhaite.

LE DOCTEUR.

Adieu, Monsieur Pantalon.

PANTALON.

Adieu, Monsieur le Docteur. (Il soupire.) Ah !

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102. A vieux chat jeune souris.