Prostitués/VI/Charles Godard

(p. 149-152).

M. Charles Godard publie sur l’Occultisme contemporain, le Fakirisme ou le Brahmanisme de petits livres vulgarisateurs. Ses opuscules font partie d’une collection, qui porte deux étiquettes : Science et religion et, au-dessous, Études pour le temps présent. La préposition « pour » avoue opportunisme et mercantile actualisme et la première étiquette nous informe que les gens pratiques qui font ce commerce sont des catholiques.

D’ordinaire, un vulgarisateur aime et admire les connaissances qu’il répand. M. Godard n’échappe pas à la loi. Mais son métier de catholique le force bien souvent à condamner, ou presque, au nom de la religion romaine. Si on lui permet d’étudier les philosophies hindoues, c’est à condition qu’il fera ressortir à chaque page leur infériorité en face de la doctrine de Jésus (telle, bien entendu, que l’enseigne l’Église avec un grand E). Ce qu’il y a, pour lui, de plus intéressant dans les sciences occultes, c’est de faire l’exact départ entre ce qui peut en être admis sans crime d’hérésie et ce qui blesse l’orthodoxie.

M. Charles Godard, qui auréole sa signature de divers titres éblouissants tels que « professeur agrégé de l’Université » ou bien encore « membre associé franc-comtois de l’académie de Besançon », est naturellement un esprit docile qui suit toujours quelque maître de très près et tremble de laisser échapper la traîne conductrice. Il n’ose jamais exposer une doctrine d’un de ces mouvements larges où une synthèse personnelle emporte et renouvelle des éléments connus. Il cite servilement ou bien, timide, il résume un livre paragraphe après paragraphe. De telles notes restent longtemps claires pour qui les prit, mais elles font pour le lecteur un chaos lourd et mort. Dans la partie critique, M. Godard évite aussi tous les risques : le plus souvent, il reproduit avec respect les paroles de quelqu’un de « nosseigneurs les évêques. »

Quand il s’agit de faits, il est un peu plus à son aise, il montre quelques qualités d’observateur et il lui arrive même d’organiser en récit lisible les petits détails patiemment rassemblés. Son historique de l’occultisme contemporain, par exemple, est d’une clarté intéressante.

Aucune discussion de doctrine n’est possible entre M. Godard et moi : de quel point commun partirions-nous ? Mais précisément parce qu’au pays des faits, il lui arrive d’être un guide sûr, je relèverai chez lui deux erreurs matérielles. La première n’est pas grave. « Les gnostiques, affirme M. Godard, n’ont pas de revue spéciale. » Or ils publient un périodique mensuel, Le réveil des Albigeois. La seconde… Mais voici que j’hésite à la signaler. Si ce que je prends pour une erreur était une malice ?… M. Godard nous informe que « le poète Louis Le Cardonnel est mort fou. » Or Louis Le Cardonnel est bien vivant. Il s’est fait ordonner prêtre, ce qui, je suppose, n’apparaît mort ni folie à aucun catholique. Mais, à l’époque où M. Godard le tuait, il avait — choisissant peut-être la pénitence la plus répugnante au noble et clair latin qu’il est — suivi à Ligugé le grossier flamand Huysmans, alourdisseur, enlaidisseur et embreneur de toute la mystique catholique.