Prostitués/Abel Hermant

(p. 44-46).

Remontons un peu — jusqu’à Abel Hermant. Cette fille sait s’habiller à la mode. Garce des fortifs quand le naturalisme rapportait les petits cadeaux, elle fait maintenant le boulevard.

Tous les genres de vaudeville, dialogues pour les planches, pour les journaux ou pour Ollendorff, lui ont révélé leurs émouvants secrets.

Celui de ses exercices qu’Abel Hermant doit préférer c’est Les Confidences d’une aïeule. Cette aïeule vit longtemps, traverse des époques très différentes et se confie dans le style de chacune de ces époques, déclamatoire et humanitaire aujourd’hui, rieuse et nonchalante hier. Car Abel Hermant a appris au bon endroit ce métier de pasticheur que la rue d’Ulm prend pour l’art de l’écrivain. Qu’on dise tout le mal qu’on voudra de l’Ecole avec un grand E : il est certain que les fantômes qui sortent de ce monument savent prendre partout leur bien, je veux dire ce qu’il faut pour, devant des yeux naïfs, se matérialiser.

Parmi les livres légers qu’Abel Hermant fabrique avec application je signalerai encore Le Sceptre.

Le Sceptre, c’est, en un dialogue peut-être spirituel, l’histoire d’un archiduc qui, sur le point d’hériter un empire, recule devant la vie exceptionnelle, se fait passer pour mort et s’efforce de s’organiser une bonne petite existence bourgeoise. Mais il n’a pas de persévérance, il rate son entreprise et se résigne à régner.

L’idée pouvait être intéressante et d’une ironie profonde. Mais les choses qui font penser mettent en fuite le public. Et puis la pensée, c’est un peu loin d’Abel Hermant. Je soupçonne qu’il n’a pas eu besoin d’être prudent.

Les personnages sont des fantoches absurdes et leurs conversations essaient seulement d’être drôles. Quelquefois l’un d’eux déclare que ce qui arrive « c’est du Shakspeare. » Mais un autre affirme ou vient d’affirmer : « C’est de l’opérette. » Or M. Hermant pastiche mieux Meilhac que Shakspeare.

Je voudrais faire plaisir à M. Hermant, gent-de-lettre considérable. Je dirai donc que Le Sceptre n’est ni du Shakspeare ni de l’opérette. C’est du Voltaire. Vraiment oui, de l’excellent Voltaire de normalien. Vous pouvez y allez voir : c’est du Voltaire, ou de l’Edmond About, comme le Brunetière est du Bossuet.

Le laborieux ouvrier qui a voulu faire un sceptre et a presque réussi une marotte, est aussi le fabricant des Transatlantiques. Mais ça c’est de l’article à treize, de la camelote avouée.

Et il a travaillé pour le théâtre. Ce qu’on se rappelle — avec la meilleure volonté — de cette partie de son œuvre, c’est qu’elle lui valut un excellent duel de publicité avec je ne sais quel prince des élégances mort depuis et dont le monocle se suspendait à un ruban très large.

En somme le joli petit Hermant est de ces normaliens qu’on doit recommander aux directeurs de théâtre, aux directeurs de journaux, aux éditeurs et au public comme les plus docilement indifférentes des bonnes à tout faire.