Imprimerie franciscaine missionnaire (p. 125-128).

LE « HANAMI »


Ce mot Hanami, composé de hana fleur et de mi radical de miru, voir, est un de ces japonicismes, si nombreux, qui font la remarquable richesse de la langue de ce pays. Il se rend assez bien en anglais par l’expression « flower-wining » ; mais en français, je ne vois guère d’équivalent aussi concis. Quoiqu’il en soit, le Hanami désigne l’époque où les Japonais vont voir les fleurs de cerisiers, au moment de leur épanouissement.

Cette fête est retentissante au Japon. Outre l’attrait merveilleux qu’elle offre pour ses fleurs réellement superbes, elle est de plus accompagnée de réjouissances qui ne contribuent pas peu, pour ces païens, à en rehausser l’intérêt. Mais considérée au point de vue catholique, il en va autrement.

Assurément ces fleurs de cerisiers sont ravissantes. À Sapporo, où je les ai vues pour la première fois, il existe un parc, où les cerisiers ont été plantés à la manière des pommiers de nos vergers. Ce parc est situé un peu en dehors de la ville, à l’ombre d’une montagne. On y arrive par une allée superbe, plantée d’acacias ; et tout au fond de ce parc, perdu au milieu d’arbres géants, s’élève, dans sa froide majesté, un temple shintoïste, consacré au culte officiel de tout le Hokkaido.

Ces cerisiers sont tout différents des cerisiers canadiens. Ils deviennent beaucoup plus grands et sont toujours mieux ramifiés. Et quelle floraison ! Il y en a qui portent des fleurs roses, d’autres des fleurs blanches ; certains même, des fleurs à la fois roses et blanches : ces derniers sont sans contredit les plus beaux. Lorsqu’ils sont en grand nombre, et alignés comme dans ce parc de Sapporo, ils présentent assurément un coup d’œil féerique. Les rayons du soleil, gracieusement tamisés par cette floraison si luxuriante, couvrent le sol de demi-couleurs et d’ombres diaphanes, semblables à celles qu’ils prêtent à tous les objets lorsqu’ils traversent les verrières multicolores de certaines de nos églises. Ces fleurs cependant ont trop peu de parfum pour en embaumer l’atmosphère ; et c’est ce qu’on pourrait regretter, si la jouissance de l’œil ne nous le faisait presque oublier.

Il va sans dire que les Japonais raffolent de ces fleurs, eux, si amants de la nature. Aussi, viennent-ils en grand nombre à ces fêtes.

On ne saurait concevoir toutefois que cette seule jouissance esthétique crée l’unique ou même le principal attrait pour cette foule. C’est là ce qu’il y a de pénible dans le spectacle du Hanami : pendant que la nature s’épanouit dans sa beauté la plus pure, l’homme, par un contraste écrasant, s’avilit dans le désordre et l’immoralité.

Et qui le croirait, en songeant que ce parc de fleurs est le bois sacré qui environne le temple ? Ne serait-on pas tenté de crier au sacrilège ? Et pourtant, dans l’esprit de ces païens, c’est tout le contraire : le temple tout près est même la raison d’être de ces désordres indescriptibles.

Sous les arbres du parc on installe une foule de petites constructions ; ce sont : des magasins de provisions, des toits, sous lesquels on s’assoit pour manger et boire, et surtout des cabarets, où l’on vend le sake.

Ces endroits, on le devine, sont assiégés du matin au soir. La foule s’y succède et s’y enivre tour à tour, hommes, femmes, jeunes gens, vieillards, riches, pauvres : tous mangent et surtout boivent avec un excès sans nom. Ce sont de vraies bacchanales.

Mais le Hanami est aussi une occasion pour faire une visite au temple. Là, c’est très simple. On frappe dans ses mains deux ou trois fois pour attirer, pense-t-on, l’attention des esprits ; puis on accompagne cette cérémonie d’une inclination profonde avant et après, et la dévotion est finie.

En présence des divinités bouddhiques, c’est un peu différent. Sur le sommet du Maruyama, il existe un pèlerinage bouddhique. On y arrive par un petit sentier bordé jusqu’au haut de statues bouddhiques, dont le nombre atteint probablement une cinquantaine. Or les dévots, en gravissant péniblement ce sentier, qui est très escarpé, s’arrêtent à chacune de ces statues et y présentent leur offrande, qui consiste en un peu de riz, ou de sake. En faisant ainsi cette offrande aux dieux, on croit que ceux-ci prennent, pour leur part, l’esprit censé résider dans ces aliments et laissent la matière aux mortels. Ces derniers, après une sorte de prière larmoyante, s’empressent de reprendre leur offrande, comme s’ils la recevaient en présent de la part du dieu. Mais pour ce qui est du sake, faut-il croire que le fidèle laisse aux dieux le temps de s’emparer de tout l’esprit ? En tout cas, lorsqu’on voit revenir l’individu après ses prétendues offrandes, on est porté à croire que sa « matière » a dû être pour le moins assaisonnée de quelque chose !…

Oui, il faut voir le retour de tous ces gens ! Heureusement, les Japonais ne deviennent jamais furieux lorsqu’ils sont ivres ! Au contraire, ils sont d’une gaieté excessive et naturellement hors de sens. Cependant, à voir tous ces pantins qui se pressent dans les rues, chancelant, titubant, se heurtant, se culbutant les uns les autres, et se disant mille insanités, l’on est réellement peu édifié…

Pauvres Japonais ! Voilà ce que fait d’eux le paganisme ! Leur prétendue religion, ou plutôt leurs superstitions, au lieu de les éclairer et de les aider à observer la loi naturelle, les dégradent et les abrutissent. Et cependant, je n’ai encore rien dit des désordres plus graves encore, qui sont la suite ordinaire de ces orgies. Mais la plume du missionnaire se refuse à décrire de telles obscénités !…