Promenades dans la Tripolitaine
PROMENADES DANS LA TRIPOLITAINE[1]
Une seule partie du littoral de la Méditerranée est restée jusqu’aujourd’hui en dehors du réseau des bateaux à vapeur, et par conséquent a échappé à la curiosité, chaque jour plus envahissante, des touristes qui ne font que des voyages d’agrément. C’est cette longue étendue de côtes qui, au nord de l’Afrique, va de Tunis à l’Égypte, l’ancienne régence de Tripoli redevenue depuis vingt-cinq ans simple cyalet (province) de l’empire ottoman.
Nulle part dans toute la longueur de l’Afrique septentrionale, le grand désert ne s’avance aussi près de la mer : la digue de l’Atlas, qui depuis l’océan Atlantique protége contre les flots arides du Sahara une lisière assez large de terrains fertiles s’abaisse et va s’effaçant après le golfe de la petite Syrte[2] ; et le grand fleuve de sable, que rien ne contient plus, vient étaler ses vagues jaunes tout autour de la grande Syrte, rongeant les derniers sommets submergés qui forment comme un chapelet de petites oasis.
Cette embouchure du Sahara est le port du pays des Noirs, le Soudân ou Barr-el-aabid. C’est la route naturelle par où le centre du continent africain a été attaqué si heureusement dans ces dernières années. L’aventureuse expédition à laquelle seul a survécu l’illustre docteur Barth a pris Tripoli pour point de départ, à cause de la facilité relative des communications avec le Fezzan, qui déjà touche presque à la Nigritie[3].
J’ai conçu le projet de glaner après le célèbre voyageur, et de suivre les itinéraires par lui recueillis, qu’il n’entrait pas dans son plan de vérifier lui-même. Il reste à explorer la route de Ghât à Aïn-Salah dans l’ouest, de Morzouq au Ouadaï dans l’est. J’ai choisi Tripoli pour me préparer à cette entreprise dont je ne me dissimule pas les difficultés, et je m’y suis installé depuis un an afin de m’habituer au climat, de me perfectionner dans la pratique de l’arabe barbaresque, et de nouer des relations d’amitié avec les négociants de Ghadâmès, dont les caravanes parcourent impunément les pays que je veux visiter. Mon caractère officiel de hadji (pèlerin de la Mecque) m’a permis d’entrer dans la vie des indigènes plus avant que ne peut le faire un mouçafir (étranger voyageur), et je dois à mon islamisme d’emprunt d’avoir pu étudier à fond les mœurs, les préjugés, les habitudes de ma résidence provisoire. J’extrais de mon journal de voyage ce qui a rapport à la Tripolitaine proprement dite, Tripoli et son oasis.
Lorsque le vent est favorable, lorsque la goëlette maltaise ou le chebek arabe auquel on s’est confié pour passer en Barbarie est bon marcheur, et dirigé par un patron à qui l’habitude a donné l’expérience de cette traversée, on peut, quarante-huit heures après le départ de Malte, apercevoir le rivage tripolitain. La plage est basse et ne se voit que lorsqu’on est tout proche ; mais de dix milles en mer on découvre les montagnes de l’intérieur qui servent de signal aux navigateurs. Le navire avance : on commence à distinguer au ras de l’eau une ligne moins confuse sur laquelle se dessinent des saillies irrégulières qui semblent émerger du sein des flots bleus.
Nous voici plus près encore ; nous avons maintenant une vue distincte de la côte : basse et unie, elle décrit un croissant dont le milieu est occupé par la masse blanche de la ville. La pointe orientale est toute couverte d’une sombre forêt de palmiers qui s’avancent jusqu’à baigner leurs racines dans la mer, tandis que vers l’ouest la plage nue et aride revêt le manteau fauve du désert, taché çà et là de quelque bouquet d’arbustes rabougris.
La main du Créateur a jeté devant la concavité de l’anse qui sert de port à la ville, un chapelet d’écueils qui semble être une invitation faite à l’industrie de l’homme pour construire un môle protecteur, et fermer presque sans travail un port excellent : quand le vent souffle du large, ces avances de la nature se trahissent par un long fleuve de lait que tracent les bas-fonds en fouettant les lames écumeuses ; mais avec les Arabes, la coquette perd son temps ; à peine a-t-elle pu les séduire assez pour qu’un tronçon de digue, assis peut-être sur un travail romain, s’avançât vers elle à quelques centaines de pas et rejoignît le premier îlot de roches. Ce faible rempart n’en est pas moins fier de son importance, et montre à ses embrasures croulantes les gueules de ses nombreux canons. N’en rions pas trop quand nous les voyons aujourd’hui s’allongeant muets sur leurs massifs affûts dont le bois cache sa vétusté sous une couche épaisse de peinture noire ; vermoulus et fardés, ces appuis, qui ne pourraient pas résister à la secousse d’une seule décharge, font bonne contenance et trompent l’œil, symbole fidèle de l’empire ottoman régénéré par le badigeon de la civilisation européenne. Nous ne les prenons pas au sérieux parce que nous les voyons de près ; mais, dans le prestige du lointain, ils épouvantaient encore l’Europe il y a cinquante ans, et ce décor belliqueux servait de coulisse aux forbans barbaresques pour y cacher le mensonge de leur renommée terrible. Au canon qui prit Alger comme au sifflet d’un machiniste un changement à vue fit tomber toutes les illusions.
On a souvent fait cette remarque que les villes de l’empire ottoman, séduisantes à l’aspect extérieur, perdent beaucoup à être vues de près : cela est vrai pour Constantinople, pour Smyrne, Jérusalem, Alexandrie. Je certifie, je proclame la justesse de cette observation ; j’irai plus loin, et sans imiter la réserve de ces voyageurs qui ne veulent pas paraître dupes et qui cherchent à se tromper eux-mêmes plutôt que de s’avouer mystifiés, je généralise la remarque, et je l’applique en conscience à tout le pays : l’Orient si beau, si poétique dans les livres, l’Orient de convention que la fantaisie a créé pour enflammer les imaginations européennes, doit être vu du méridien de Paris, sous peine de désenchantement.
Tripoli n’échappe pas à la règle. Dès que vous avez mis le pied sur le quai, c’est-à-dire sur un petit débarcadère en maçonnerie qui sert de parvis à la baraque de la douane, bariolée de vert, de jaune, de bleu et de rouge, vous effacez de votre mémoire l’impression avantageuse de la ville vue du large, et vous faites le procès à la réalité. À peine la porte franchie (car n’oubliez pas que vous entrez dans une forteresse), vous trouvez des rues sales et irrégulières, comme dans toutes les villes d’Orient : des échoppes misérables, des maisons délabrées, des immondices à cacher le pavé s’il y en avait un.
N’allez pas croire cependant que la voirie n’existe point. En général, dans tout l’empire ottoman, quand un nouveau pacha arrive de Constantinople et entre en fonctions, il publie un éloquent manifeste appuyé des considérants les plus sages, fortifié d’un pompeux éloge de la propreté. Dans l’intérêt de l’hygiène publique, tout le monde sera tenu de tenir propre le devant de sa maison ou de sa boutique, et cela sous peine des plus sévères punitions. Le décret du nouveau gouverneur, plus heureux que tant de hâtti-humayoun, est mis en vigueur dès le lendemain : chacun arrose et balaye son petit bout de rue ; c’est une émulation indicible pour contribuer à la formation d’une foule de petits tas d’immondices qui seront enlevés et transportés hors de la ville… plus tard. Et puis cette belle ardeur s’éteint, il n’est plus question de nettoyage ; les balais rentrent dans leur repos habituel, et resteront inactifs jusqu’au jour où la Sublime Porte rappellera son représentant et lui enverra un successeur. D’éparpillées qu’elles étaient, les ordures se sont concentrées en monticules, jalons d’un niveau qui sera bientôt atteint ; les zaptiè (gens de police) ont débarrassé de quelques piastres les gens peu zélés en les menaçant de dénonciation ; le pacha a fait acte d’administrateur dévoué au progrès, et tout est pour le mieux. C’est l’histoire des réformes, des améliorations, de la régénération de l’empire des sultans.
Je ne m’occupe pas ici du passé, peu remarquable d’ailleurs, de Tripoli ; je suis tout entier à l’examen de la ville actuelle, et si je mentionne les restes défigurés d’un arc-de-triomphe qui date de la décadence romaine, c’est uniquement parce que l’on passe devant ce vestige de l’antiquité dès que l’on a pénétré dans la ville par Bab-el-bahr (la porte de mer).
La plupart des rues ont quelque chose d’assez original que je n’ai pas vu ailleurs : de dix en dix pas environ, les maisons qui se font face sont réunies par des arcades en plein cintre, épaisses d’un mètre au plus, dont le but est de les appuyer l’une à l’autre et d’empêcher les murs de se rapprocher par un baiser dangereux. Souvent même, après la saison des pluies, les intervalles entre ces arcs reçoivent des poutres de renfort, ce qui n’empêche pas chaque année l’écroulement d’un bon nombre de maisons. On comprend ce luxe de précautions lorsqu’on a fait connaissance avec les matériaux employés dans les bâtisses du pays : soit à cause de la mauvaise qualité de la chaux, soit par suite de la nature des pierres qui ne sont que du sable concrétionné, soit parce que l’eau saumâtre n’a pas assez de liant, une construction récente n’attend guère plus d’un an pour passer à l’état de ruine. La rapidité avec laquelle l’enduit des murs s’effeuille et se détériore a quelque chose de phénoménal. Cela sans doute décourage propriétaires et architectes, de sorte que l’on ne voit guère de maisons, je ne dirai pas belles, mais convenables, si l’on excepte le couvent de la Mission, les hôtels consulaires et les résidences de trois ou quatre négociants européens. Le pavillon français flotte sur une des plus belles et des mieux entretenues.
La disposition architecturale de presque toutes les habitations est la même : une cour carrée (impluvium), autour de laquelle règne une galerie couverte, sorte de cloître soutenu par de minces colonnettes ; des chambres longues et étroites, la cherté du bois rendant trop coûteux l’emploi des poutres à longue portée. Les chambres affectent ordinairement la forme d’une croix latine dont on supprimerait le pied, c’est-à-dire qu’elles forment un corridor où se raccorde au milieu, à angle droit, un cabinet plus large. Chaque chambre forme ainsi en réalité trois compartiments que l’on peut séparer par des rideaux.
La partie de la ville la plus voisine du môle est le quartier de prédilection des chrétiens, groupés autour de l’église et des consulats ; la région de l’ouest est aux juifs ; c’est comme partout le plus beau spécimen de la malpropreté ; les musulmans occupent le reste de l’enceinte. La population intra muros peut s’élever à vingt mille habitants.
Le château domine l’extrémité sud-est de la ville. C’est un lourd et informe amas de constructions irrégulières, dont les hautes murailles veulent passer pour des fortifications. Mais malgré la blanche tunique de chaux qui les recouvre, je crois fort qu’elles ne résisteraient pas à une douzaine de boulets. Il ne faut pas y chercher un plan monumental, une idée artistique : on se perdrait dans un dédale de corridors insensés, de recoins inexplicables, de réduits imprévus qui semblent être le produit du cauchemar d’un architecte ivre. La grande salle d’audiences a pu être belle, mais elle cache sa splendeur déchue sous une couche de crasse enfumée, et ne cherche pas à dissimuler les cicatrices de tant de replâtrages partiels dont les artistes turcs l’ont déshonorée. Les autres chambres supérieures ne sont que des taudis croulants ; les étages d’en bas sont des catacombes, des autres ou le jour ne pénètre que par les lézardes des murs tout moussus. On se croirait au château d’Udolphe, et je défie qu’on y lise les sombres horreurs d’Anne Radcliffe sans frissonner. Qui sait du reste tous les lugubres drames que ce chaos de bâtisses a vu se dérouler dans ses profondeurs, alors que l’œil de l’Europe ne surveillait pas les princes indépendants de la Régence ? Il y a deux ans, on eut l’idée de nettoyer une grande citerne qui plonge sous la partie du château affectée aux prisons : on en retira une masse effroyable de crânes et d’ossements humains.
Telle est la résidence magnifique ou trône le gouverneur général, un pacha turc dont l’administration s’étend sur un territoire presque aussi vaste que la France. Cette immense superficie, il est vrai, est presque partout un désert, ou s’éparpille par groupes un million de râaya.
Ce nom de râaya, que portent les sujets de l’empire ottoman et que répètent si souvent les journaux en le défigurant à plaisir, est, pour ceux qui en connaissent le sens intrinsèque, une expression heureuse, qui explique toute la constitution politique et sociale, toute la théorie gouvernementale et administrative de l’Orient. Râaya veut dire troupeaux : les peuples sont des moutons que les pachas tondent et écorchent. Mais comment faire croire cela, maintenant que la Turquie est entrée dans le concert européen, qu’elle a des constitutions écrites, des Hatti-humayoun, des Tanzimati-Khaïriè, et autres chartes ?
La force armée dont dispose le berger ottoman du troupeau tripolitain est environ de six mille hommes pour toute la province, dont un millier tient le Djébel, et cinq cents autres environ la Cyrénaïque. Le reste, sauf quelques postes d’une vingtaine d’hommes en divers points du littoral, mène la vie de garnison dans la ville et dans son oasis. Et c’est avec cette poignée de soldats mal vêtus, mal équipés, payés de promesses plus que d’argent, que les Turcs maintiennent sous leur domination un pays si vaste et de communications si difficiles. Bien plus, en retraite partout ailleurs, ils s’avancent ici et font des conquêtes : Ghadâmès a été annexé à l’empire il y a peu d’années ; maintenant ils menacent Ghât et le pays tibbou.
Le même tour de force s’exécutait à Alger. La recette en est facile : se contenter d’un à peu près de soumission, et user les indigènes les uns contre les autres. La grande force des Turcs, la pierre d’achoppement de toutes les tentatives d’indépendance nationale, c’est la population de l’oasis de Tripoli, les gens de la Menchiè et du littoral, la soi-disant race des Coul-oghlou. Lors de la conquête au seizième siècle, Darghout-pacha partagea les jardins de l’oasis entre ses compagnons, qui, s’unissant aux femmes indigènes, formèrent une population métisse où domina le sang étranger. Les Coul-oghtou (fils de serviteurs) depuis lors jouirent du privilége de ne payer aucun impôt, à titre de postérité des conquérants ; mais ils furent assujettis au service militaire, comme intéressés à maintenir la conquête. Encore aujourd’hui, les habitants de la Menchiè sont exempts de toute redevance, et doivent en échange fournir à toute réquisition des contingents d’irréguliers. Ce n’est pas grand’chose comme force numérique (deux mille fusils environ) ; c’est très-peu comme valeur militaire ; ce n’est rien comme discipline ; et pourtant, là est le nerf de la domination turque.
Voici comment. Les chasseurs de bêtes sauvages ont souvent quelques sujets apprivoisés dont la spécialité est d’attirer au piége leurs congénères libres. Les Coul-oghlou, dont la dénomination comme race distincte n’est plus qu’un mot, et qui sont purement et simplement des Arabes, s’étant recrutés de tous les gens qu’attiraient la fertilité du sol et l’exemption d’impôts, forment un noyau précieux d’entremetteurs de trahison, de courtiers de discorde. L’étranger ayant pour maxime « diviser pour régner, » ils sont les diviseurs, ils empêchent de se nouer tout lien qui pourrait réunir dans un but patriotique les éléments éparpillés d’un parti national. Par une juste compensation, ils n’en sont que plus méprisés des Turcs dont ils sont les instruments, et leurs priviléges ne les mettent pas à l’abri des mille et une rubriques que les agents de l’autorité possèdent pour pomper la substance de leurs administrés. Misérables autant qu’ils méritent de l’être, ils engraissent et aident à s’engraisser les sangsues que tous les deux ou trois ans Constantinople envoie en Barbarie ; et tout en se lamentant des vexations et de la rapacité de leurs maîtres, ils sont toujours prêts à obéir, à coopérer à l’écrasement de leurs frères. Chez eux, la servilité est un instinct : vous les entendez se plaindre des pachas, maudire les Turcs, regretter la dynastie indépendante et presque nationale des Caramanly ; mais qu’on donne à l’un de ces mécontents la moindre position officielle ; que dans une visite au château ont lui offre un café en lui permettant de s’asseoir ; qu’un pacha, lui frappant amicalement sur l’épaule, l’appelle en riant pézévenk ou kiarata, et le plus fier d’entre eux se rengorgera, fera la roue et sera tout disposé à vendre les intérêts du pays, à courir sus à quiconque tenterait un mouvement contre les oppresseurs.
Il est bien difficile de s’intéresser et d’intéresser les autres à de pareilles gens, mais les poétiser n’est pas mon affaire puisque je veux avant tout voir ce qui est et dire ce que je vois.
Me voici donc installé dans une petite ghorfa ou chambre haute, que m’a louée un négociant de la ville. Mon hôte n’habite pas Tripoli toute l’année, son établissement commercial a pour centre Sokna, à mi-chemin du Fezzan. À chaque instant il reçoit des visites pour moi fort intéressantes : les marchands de Ghadâmès, les Gellab clandestins qui introduisent dans la Régence de petits troupeaux de nègres, quinze ou vingt à la fois, pour les vendre, malgré les prohibitions gouvernementales ; des marabouts fanatiques, que la mendicité attire souvent dans les cantons de l’intérieur ; des chefs de tribus que les exigences de l’autorité turque forcent à chercher un banquier. Je puis donc ici préparer d’une manière utile ma route vers le centre du continent, en même temps que je m’acclimaterai par quelques excursions dans la province et que j’étudierai les mœurs des gens de la côte.
Aux portes de la ville, qu’elle entoure de tous côtés pour en former en quelque sorte une île limitée moitié par la mer, moitié par le sable, s’étend une plaine aride et unie semblable au lit d’un bras de mer que le reflux aurait mis à sec. Cette bande semi-circulaire, où poussent à peine après les grandes pluies quelques brins d’herbe, peut avoir un kilomètre de largeur et sert de champ de Mars à la garnison, de lieu de marché aux habitants de l’oasis. On l’appelle Soung-ettelâttè parce qu’il s’y tient tous les mardis une foire assez importante. La mer l’envahit au tiers à peu près lorsque pendant l’hiver le vent d’est souffle avec force.
La limite extérieure de cette zone sablonneuse est une longue ligne de verdure, une forêt touffue d’orangers, de figuiers, de grenadiers et d’oliviers, hérissée de hauts palmiers en nombre infini. Là commence une autre ceinture en demi-cercle, large de trois lieues environ, que l’on appelle la Menchiè ; c’est à proprement parler l’oasis de Tripoli, car au delà, pendant deux jours de marche, on ne trouve que le désert. La Menchiè, riche ruban d’une végétation vigoureuse, où d’innombrables enclos en terre battue et des sentiers enchevêtrés au hasard dessinent des compartiments capricieux parsemés, comme autant de points brillants, de maisons isolées, blanchies à la chaux, peut renfermer environ trente mille âmes, et constituer la vie et la force de la province : Tripoli n’est que la citadelle de la Menchiè.
C’est un contraste curieux que cette région fertile entre deux plaines de sable jaune, collier d’émeraudes sur la poitrine nue d’une bohémienne cuivrée. Ici un jardin où les plantes poussent avec une énergie merveilleuse, où l’ombrage des citronniers double d’épaisseur sous le parasol des dattiers : et derrière le mur, l’aridité absolue du désert brûlé, des dunes mouvantes d’une poussière impalpable, où le vent dessine des vagues aussi facilement que sur la mer. C’est alors que l’on est tenté de répéter avec je ne sais quel philosophe antique : « l’eau, c’est la vie, » car la présence ou l’absence de l’eau, voilà tout le mystère.
Au milieu de chaque enclos, regardez ces blancs massifs de maçonnerie semblables à deux longs bras, entre lesquels grince une grossière poulie ; un énorme cornet de cuir, la pointe en bas, monte et descend sans cesse, vomissant à chaque voyage un flot d’eau limpide ; une vache, maigre comme celles que vit en songe Pharaon, conduite par un nègre demi-nu, donne le mouvement à la machine en remontant et descendant un plan incliné qui s’enfonce au-dessous du niveau du sol ; et le mouvement ne s’arrêtera ni jour ni nuit depuis la fin de la saison pluvieuse jusqu’à son retour. Pendant huit mois, tous les jardins seront autant de bassins régulièrement inondés ; aussi les appelle-t-on du nom générique de séniè, nom dérivé d’un verbe arabe qui veut dire « inonder une parcelle de terrain avec de l’eau que tire une bête de somme. » Que de choses dans un seul mot ! cela vaut bien le rosier toujours fleuri de M. Jourdain.
C’est surtout dans les mois d’avril et de mai qu’il est agréable de parcourir les jardins de la Menchiè, et d’y passer une longue journée de keif. Le programme varie selon la position sociale et les ressources pécuniaires de l’amateur : le mouton rôti et le pilau pour les Turcs et pour ceux des indigènes qui, attachés à l’administration, veulent se donner un ton ottoman ; l’énorme plat de couscoussou national, surmonté de quartiers d’agneau et de poulets sautés dans le beurre, pour la bourgeoisie aisée ; la buzîna, sorte de bouillie de farine d’orge assaisonnée d’huile, pour les gens du commun. Mais, à part cette hiérarchie culinaire, à part aussi cette gradation correspondante dans le mobilier portatif, — les tapis pour l’aristocratie, les nattes pour le tiers ordre, la terre nue pour la plèbe, — les divertissements sont les mêmes : on s’assied sur le bord d’une djèbiè (bassin) remplie d’eau fraîchement tirée, ou cause en fumant, on fume en causant, et l’on absorbe des flots de laqby. Le laqby est le fond de toute partie de campagne, comme ce vilain mot que Figaro dit si crûment est le fond de la langue anglaise.
À l’époque où le retour du printemps réveille la séve engourdie, un homme monte au haut d’un dattier, dont il gravit le tronc svelte et écaillé sans autre secours que ses pieds nus et une ceinture de corde qui l’unit à l’arbre. Il est armé d’une hachette bien aiguisée. Arrivé au faîte, à ce chapiteau d’où s’élance le panache de palmes qui surmonte la flexible colonne, il taille sans pitié, il coupe tous les rameaux, n’en réservant que quatre qui tristement s’allongent en croix, parallèlement à l’horizon, comme pour indiquer les quatre points cardinaux. Sur l’insertion de l’un d’eux, il fait passer une cordelette dont les deux bouts touchent le sol, et entre deux des palmes épargnées, il blesse le pauvre arbre d’une incision profonde.
Il descend alors. Le tonneau de laqby est mis en perce. Une petite jarre à large goulot, pouvant contenir trois litres, est hissée au moyen de la corde, et va s’appliquer sous l’incision : douze heures après, vous pouvez la descendre et la remplacer par une autre. Elle est pleine d’un liquide gris pâle, un peu trouble, assez semblable à de l’eau d’orge peu chargée ; c’est le laqby frais, séve presque fade tant elle est douce et sucrée, charmant et léger purgatif à prendre le matin. Quelques heures après, on entend un bruissement dans la vase ; le liquide s’éclaircit et semble bouillir ; d’innombrables bulles d’air viennent former à sa surface une mousse sans consistance, et si vous goûtez alors le breuvage pétillant, vous songerez comme moi sans regret aux meilleurs vins de Champagne que vous avez bus. Le laqby pris à ce point n’offre aucun inconvénient, il égaye sans enivrer, la fermentation l’a rendu rafraîchissant tout en lui faisant perdre ses propriétés laxatives. Mais laissez encore passer une demi-journée : cette aimable boisson devient blanche et épaisse comme du lait, prend une odeur pénétrante, un goût légèrement aigre, et enivre comme l’eau-de-vie. Le vin de Champagne s’est changé en une bière blanche d’une force alcoolique remarquable. C’est alors que les amateurs l’apprécient, puisque, avant tout, ce qu’ils cherchent c’est l’ivresse. Nunc est bibendum ; et tel bon musulman, telle musulmane rigide qui se voile la face devant un verre de vin boira sans scrupule et publiquement sa tasse de laqby qui n’est que de l’eau de palmier. Il faut vider la cruche, car demain on ne trouverait qu’un liquide nauséabond, encombré de petites mouches rougeâtres, un fluide visqueux qui file comme l’huile et n’est bon qu’à jeter. Le laqby est donc la plus éphémère des boissons ; on ne peut le boire qu’à l’ombre de l’arbre qui le produit. Tous les essais pour en régler ou en arrêter la fermentation ont été inutiles : il brise les bouteilles, et si le vase a résisté, le travail ne s’est pas moins accompli jusqu’au bout ; on ne trouve en l’ouvrant que cet affreux résidu qui soulève le cœur. C’est un prédicateur éloquent de la philosophie d’Horace : « Jouissez du jour qui passe, et ne vous fiez pas au lendemain. »
Et peut-être n’a-t-il pas complétement tort, le charmant poëte, car « le faible capital de la vie nous défend d’entamer les longues espérances. » Aussi, malgré mes projets de voyage dans l’intérieur, au risque de déflorer la virginité de mes impressions, je ferai peut-être sagement de saisir au passage l’occasion d’en avoir dès maintenant un résumé complet. Au-dessus de Soung-ettelâtè, sur la lisière de la Menchiè, mais sans empiéter sur ses ombrages, un véritable village nègre s’étale au soleil, au milieu du sable brûlant. C’est un groupe d’une cinquantaine de huttes éparpillées sans aucun plan, sans aucune symétrie. On l’appelle Ezzerîbê (les cabanes). Misérables gourbis ronds, surmontés d’un toit en cône émoussé rappelant en laid l’apparence des ruches, ces huttes, où n’entrent comme matériaux que des joncs et des palmes sèches, renferment une population exclusivement nègre, qui n’y rentre en rampant que pour la nuit, et vit le reste du temps dans un bain continuel de sable et de soleil.
Il est midi : un ciel ardent d’un bleu presque noir torréfie la poussière mouvante et ne fournit aux poumons qu’un air embrasé ; au centre du village, dans un espace vide qui forme une espèce de place, vingt nègres presque nus piétinent à perdre haleine en hurlant un chant monotone de leur pays. Placés en rond à un pas l’un de l’autre, ils se trémoussent sur place, entre-choquant en cadence le bâton qu’ils tiennent à la main avec celui de leurs voisins de gauche et de droite. Ce bruit régulier, joint au bourdonnement d’un tambour en bois que martelle un artiste placé au milieu du cercle, forme pour leurs oreilles une musique entraînante qui redouble leur animation. Le chef d’orchestre semble un être fantastique comme on en voit dans les mauvais rêves : coiffé d’un bonnet pointu où s’agitent des oripeaux de couleurs éclatantes, il a le visage et le haut de la poitrine couverts d’une peau de chèvre à longs poils, masque informe, percé de trous pour les yeux et la bouche ; des morceaux de bois sec et d’os, enfilés dans une corde en poil de chameau, lui font une ceinture cliquetante qui retentit au moindre mouvement, et tout en battant son tambour qu’il tient sous l’aisselle gauche, il agite ses longues jambes maigres et semble prendre à cœur d’imiter parfaitement l’allure du singe. Accroupies alentour, les femmes accompagnent la mélodie en battant des mains. Je tombe, à ce qu’il paraît, au milieu d’une fête importante, car toutes ces dames sont en grande toilette : les chevilles et les poignets sont chargés de gros bracelets de cuivre ; sur des poitrines généralement bien modelées descendent des colliers de verroterie, des chapelets capricieux où les coquillages, les grains de corail rouge, les morceaux triangulaires d’ambre et de résine odorante (bockor), les dents d’animaux sauvages, les pièces de monnaie, unissent leurs forces pour soutenir un petit miroir rond garni de cuivre jaune ; les élégantes ont la narine gauche percée, ainsi que la lèvre inférieure, pour y porter une grosse boucle d’argent qui est le suprême du bon ton. Un peu plus loin, des marmots entièrement nus, noirs et luisants comme une botte vernie, se vautrent dans le sable ardent, tandis que quelques vieilles femmes pelotonnées autour d’une vaste marmite, font cuire la bazina sur un feu de fiente de chameau dont la fumée bleuâtre s’élève droite comme une colonne. Deux autruches domestiques, balançant au bout d’un long cou leur petite tête chauve, regardent cette scène d’un œil hébété. Je suis en plein Soudan, que verrai-je de plus à Temboctou[4] ?
La population de ce village d’Ezzerîbê se compose d’esclaves libérés ou fugitifs qui viennent s’y blottir et y font souche. Les hommes vont de temps en temps aux portes de la ville se louer pour quelques piastres comme manœuvres on comme bêtes de somme ; les femmes… mais il vaut mieux n’en rien dire.
J’ai souvent pour guide et pour compagnon de promenade dans mes courses hors de la ville le cavas-bachi (chef des janissaires) du consulat de France, que le consul général a l’obligeance de mettre à ma disposition, C’est un magnifique nègre du Ouadaï, haut de six pieds, et qui, malgré sa barbe grisonnante, a conservé toute l’activité et l’énergie de la jeunesse. Le caïd Hassan n’est pas un homme du commun : il a gouverné pendant dix-huit ans, au temps des Caramanly, la tribu des Ouerchéfâna, et nul n’a su mieux que lui tenir en bride cette peuplade remuante. Brave jusqu’à la témérité, il a toujours défendu les intérêts de ses administrés contre les tribus voisines et au besoin contre le gouvernement lui-même ; mais en même temps les siens ne pouvaient pas davantage se livrer à leurs caprices, et l’on ne badinait pas avec la sévérité du caïd Hassan. Pour lui, la vie d’un homme était à peine plus précieuse que celle d’un mouton ; et certainement on l’embarrasserait bien en lui demandant le nombre exact des têtes qu’il a fait tomber de sa main, tant sa conscience est tranquille à cet égard. Excellent homme du reste, et tout dévoué au consulat qu’il sert depuis dix ans.
Dans une de nos premières sorties, je vis un groupe de cinq ou six femmes s’approcher de lui d’un air suppliant. Deux d’entre elles avaient dans les bras de pauvres petits enfants à la mamelle, dont le visage, la tête et le cou étaient couverts d’une plaque dartreuse et de croûtes purulentes. C’était affreux et dégoûtant à voir.
« Notre père, dirent les mères désolées au caïd Hassan, c’est le prophète de Dieu qui t’amène auprès de notre maison, car nous voulions aller à la ville pour te trouver, et voilà bien dix jours que nous en attendons l’occasion. Le djardoun (petit lézard blanc très-inoffensif) a passé sur notre sein et a empoisonné notre lait ; vois l’état de tes enfants, et guéris-les pour que Dieu te bénisse. »
« Es-tu donc médecin ? dis-je à mon compagnon.
— Non, me répondit-il, mais j’ai la bénédiction du sang sur les mains, et quiconque l’a comme moi peut comme moi guérir cette maladie. C’est un don naturel de tout homme dont le bras a coupé quelques têtes. — Allons, les femmes, donnez ce qu’il faut. »
Et aussitôt une des mères présente au docteur une poule blanche, sept œufs et trois pièces de vingt para ; puis elle s’accroupit à ses pieds, élevant au-dessus de sa tête le petit patient. Hassan tire gravement de sa ceinture son briquet et sa pierre à fusil comme s’il voulait allumer une pipe. Bismillah ! (au nom de Dieu !) dit-il, et il se met à faire jaillir du silex de nombreuses étincelles sur l’enfant malade, tout en récitant le sourat el-fateha, le premier chapitre du Coran.
L’opération terminée, l’autre enfant eut son tour moyennant la même offrande, et les femmes partirent joyeuses après avoir baisé respectueusement la main qui venait de rendre la santé à leurs fils.
Il paraît que ma figure décelait clairement mon incrédulité, car le caïd Hassan, tout en ramassant, pour les emporter, les honoraires de sa cure merveilleuse, cria à ses clientes : « Ne manquez pas de venir dans sept jours me présenter vos enfants à la skifa du consulat. » (La skifa est le vestibule extérieur, la salle d’attente dans les grandes maisons.) En effet, une semaine plus tard, les petites créatures me furent représentées : l’une était guérie complétement, l’autre n’avait plus que quelques cicatrices d’une apparence fort satisfaisante, indiquant une guérison toute prochaine. Je demeurai stupéfait, mais non convaincu ; cependant, plus de vingt expériences semblables m’ont depuis forcé de croire à l’incroyable vertu des mains bénies par le sang.
Je n’ai pas la prétention de justifier, encore moins d’expliquer toutes les croyances et les superstitions populaires ; mais j’aime à les examiner curieusement, et surtout à ne constater que des faits positifs, dussent-ils faire échec à mon amour-propre en défiant toute explication raisonnable. Je n’en citerai ici que deux, et sans aucun commentaire.
Dans les premiers jours du mois de mars, j’étais allé à Tadjoura, village à trois lieues dans l’est de Tripoli ; pour tirer quelques bécassines sur les bords du petit lac presque saumâtre qui est dans le voisinage. Une battue peu fructueuse pendant toute la matinée me découragea de la chasse, et je passai le reste de la journée à parcourir le village et ses jardins. Je visitai d’abord la mosquée assez remarquable que l’on m’avait signalée comme une ancienne église bâtie par les Espagnols au seizième siècle, et je n’eus pas à perdre beaucoup de temps pour acquérir la conviction que cette origine du monument était insoutenable. C’est une construction évidemment musulmane, bâtie pour le culte musulman. Je suis tenté de croire que cette mosquée date de la première invasion de l’islamisme, et que plus tard les Espagnols, devenus maîtres du pays, l’auront transformée en église, ce qui aura donné lieu à l’erreur traditionnelle. Les assises d’un clocher carré, indépendant du temple, paraissent remonter à cette époque de transition. Du reste, pas une inscription, pas un ornement architectural qui puisse servir de millésime ; les colonnes qui soutiennent les voûtes n’ont pas de chapiteau indicateur ; les murs, blanchis à la chaux, ne trahissent aucun indice de l’âge ou du style de la construction. Elle présente un plan quadrangulaire, orienté suivant le rituel islamitique.
Au sortir de la mosquée, j’entrai dans un jardin pour m’y reposer un instant. Les arbres à fruit commençaient à se couvrir de fleurs, étalant sur leurs rameaux encore nus les étoiles blanches ou violettes qui promettent une abondante récolte d’abricots, de pêches ou d’amandes. Le jardinier, vieil Arabe à la barbe blanche, était occupé à faire bruler sous un gros abricotier trois têtes de moutons garnies encore de leur laine. Après lui avoir donné le sélam, je lui demandai ce qu’il faisait : « Je nourris mes muchmuch, répondit-il. Si je ne leur donne pas leur pâture avant les coups de gibly (vent sec du sud) que nous aurons à la fin du mois, toutes ces belles fleurs tomberont, et comment alors pourrai-je payer l’impôt, faire mes provisions d’orge et d’huile, vivre enfin, moi et les miens ? » Comme je mettais en doute l’efficacité de son procédé, il me fit une proposition décisive, c’était d’acheter la récolte d’un de ses arbres moyennant trois maliboub, environ treize francs. « Celui-là restera à jeun, dit-il, et tu verras s’il ne se venge pas. » J’acceptai ; mon abricotier ne reçut pas la bienfaisante fumigation, et quand à la fin d’avril je revins examiner les arbres, je le trouvai presque entièrement stérile, tandis que ses frères pliaient sous le poids de fruits déjà bien développés.
L’autre miracle est encore une pratique d’horticulture. Quand un arbre, un olivier par exemple, refuse pendant plusieurs années de donner des fruits, on lui, achète sa mauvaise volonté moyennant un demi-mitcal d’or pur, ce qui vaut à peu près huit francs. Le métal, tiré en un fil long de deux à trois centimètres, est introduit avec soin dans un trou que l’on pratique au tronc de l’arbre récalcitrant ; puis on bouche l’ouverture avec une coquille d’œuf pilée et de la terre glaise, en accompagnant l’opération de la psalmodie de certaines formules tirées du Coran. L’année suivante, l’olivier se couvre de fruits, et indemnise avec usure son bienfaiteur.
Ce qui m’a le plus frappé dès les premiers moments de mon séjour à Tripoli, c’est la disgracieuse monotonie du costume, qui est le même pour les deux sexes. À Constantinople, les amples féredjé, par la variété de leurs nuances, offrent quelques ressources à la coquetterie ; le blanc izhar des Syriennes a de la fraîcheur, et indique au moins des soins de propreté ; le habbara d’Égypte, où le voile blanc, retenu par une agrafe entre les deux yeux, tranche d’une manière si vive avec les plis bouffants de la soie noire, ne manque pas d’une certaine richesse de draperies ; mais le haouly des barbaresques tripolitaines n’offre aucune de ces compensations. Qu’on se figure une large couverture de laine blanche ou grise hélas ! la première couleur est bien rare et devient bien vite douteuse, longue de quatre à cinq mètres et bordée de franges dues à l’absence de tout ourlet. Les créatures humaines qui en font usage, mâles ou femelles, s’enveloppent des pieds à la tête dans ce grand lambeau d’étoffe grossière, dont ils ramènent tous les plis sur la poitrine ; là un clou de cuivre les assujettit. Les femmes tiennent croisées devant leur figure les deux parties du linceul qui tombent du haut de la tête, et ne laissent qu’une petite ouverture triangulaire devant l’œil gauche ; les hommes se drapent un peu différemment : ils ne se couvrent pas le visage, et rejettent derrière l’épaule le pan que les femmes ont ramassé en plis devant elles.
Le haouly, c’est le descendant dégénéré de la toge romaine ; mais je me plais à croire que les toges romaines étaient propres et couvraient des citoyens plus soigneux et plus coquets. On en voit, il est vrai, d’un tissu très-fin fabriqué dans le djérid, à la lisière du Sahara, mais c’est le rara avis, et grâce à la négligence de ceux qui les portent, ces vêtements de luxe sont en quelques jours assez souillés, assez fripés pour se confondre avec les plus communs. C’est qu’aussi le haouly n’a pas d’intermittence dans son service ; il ne quitte son maître ni le jour ni la nuit ; il est à la fois tapis, couverture et manteau ; jamais il ne se lave : on blanchit ceux des hommes avec du plâtre en poussière, et ceux des femmes, plus légers, avec la vapeur du soufre enflammé.
Sous le haouly, les gens d’une certaine classe portent le costume arabe ordinaire, veste et large culotte. Les gens de peu n’ont qu’un caleçon de coton écru ; les paysans n’ont rien du tout, et le haouly forme toute leur garde-robe.
Si vous avez la bonne fortune d’être admis dans un intérieur, faveur spéciale au mari, au médecin et au merâbout, et, en Barbarie comme partout ailleurs, quelquefois aux audacieux, vous verrez que les femmes sont plus romaines que leurs époux, et portent plus loin qu’eux la tradition de la toge. Sous le haouly de laine, que l’on quitte en rentrant, s’enroule un haouly de soie à carreaux bleus et blancs ; sous celui-ci un troisième haouly de gaze, où de larges bandes de soie blanche alternent avec des raies mates de fine laine, blanche aussi. Tout cela forme une série de toges dont la femme est le noyau ; disposées toutes de même, elles rappellent la multiplicité des enveloppes de l’oignon : les grandes dames ont seules de plus la chemise pailletée et le chirwal de couleur éclatante.
C’est une chose remarquable que la ténacité de la tradition dans les pays où s’est répandu l’islamisme. On croirait presque, si ce n’était une énormité à dire, que l’incuriosité de l’ignorance est plus conservatrice que les académies et les sociétés d’antiquaires. Ainsi Hérodote pourrait encore reconnaître sa montagne des Grâces, le Lophos Charitôn, d’où coule le Gynips, dans le Djébel Ghariân des Arabes d’aujourd’hui, tandis que le vieil Homère aurait à rire si on lui contait toutes les dissertations que l’on a faites sur ses Lotophages, et la prétention que l’on a eue de les nourrir de jujubes. Il retrouverait et nous montrerait errants, sur les côtes de la grande Syrte, les Benoulid et les Awakir, qui vivent uniquement de lotob, et sont des Lotophages au premier chef. J’avoue que cette prononciation vulgaire du nom de la datte fraîche est une grosse erreur, puisque le mot s’écrit rotob ; mais chez nos Bédouins les occasions d’écrire sont si rares et les érudits si peu nombreux, que tout le monde conserve la leçon vicieuse lotob en dépit des protestations du dictionnaire.
Comme Ulysse, j’ai été fort bien reçu par ces Lotophages dont j’avais rencontré au consulat de France les deux grands chefs, le cheik Abdallah Ghalboûn et le cheik Ammad. Champions obstinés de l’indépendance, ils avaient soutenu jusqu’au dernier moment les efforts du fameux Ghouma, et n’avaient voulu faire leur soumission aux Turcs que par l’entremise du consul général de France. Je fus leur hôte pendant quelque temps, et j’avoue que, sauf sa monotonie, leur manière de vivre n’est pas sans charmes. Le dattier, qui n’exige aucune culture, aucun soin, sinon la fécondation des fleurs femelles au printemps, leur donne des récoltes sans fatigue ; ils en tirent du vin, des fruits frais pendant l’été, de véritables confitures lorsqu’ils laissent la datte se cuire au soleil, enfin du pain qu’ils fabriquent en pétrissant le fruit mûr et presque sec, après en avoir retiré le noyau. Cette pâte, qui s’appelle hadjin, se conserve pendant tout l’hiver. Leurs immenses troupeaux leur donnent en abondance du lait, du beurre, de la laine que les femmes filent et tissent en haouly. Campés par groupes, à proximité des rares puits clair-semés au milieu de la plaine de sable, ils s’en éloignent le matin avant l’aube pour faire brouter par leurs troupeaux la maigre végétation du désert ; ils y reviennent au coucher du soleil pour les abreuver ; et quand tous les environs de leur station ont été parcourus et dépouillés, ils en changent, et transportent leurs tentes auprès d’un autre puits. L’espace n’est rien pour eux.
Ils ne tiennent pas davantage compte du temps. Un jour je m’étais éloigné du campement à une distance de cinq à six heures dans le sud, poursuivant quelques bakr-el-ouahasch ; c’est une espèce d’antilope de la taille d’un mulet, dont la tête, assez semblable à celle d’un veau, est armée de deux cornes longues et droites. Je vis tout à coup, à vingt pas de moi, sortir du sable une tête fort peu souriante, emmanchée sur un torse à demi enterré. C’était un chasseur à l’affût qui attendait les autruches.
« Essabrou min Allah ! (la patience est un don de Dieu !) s’écria-t-il sans me donner le selam, emporté par sa mauvaise humeur : pourquoi viens-tu troubler ma chasse ? Voilà vingt-huit jours que j’attends les autruches, caché dans ce trou ; et maintenant tu as gâté ma chance. Que Dieu te donne la santé ! »
Moi aussi j’ai chassé les autruches dans les déserts qui bordent la Syrte, mais d’une façon plus active et moins patiente, en les poursuivant longtemps à cheval, et leur envoyant une balle de carabine alors que la fatigue commençait à ralentir leur course. Une peau d’autruche peut rapporter de cinq à six cents piastres. Du reste, la chasse, dans ces solitudes stériles, n’est pas un plaisir ; c’est un travail ; on ne peut s’y livrer que pendant l’hiver, et la rareté du gibier des sables n’offre pas de compensation suffisante pour la peine que l’on se donne. Les grands animaux de l’intérieur ne s’approchent jamais des bords de la mer ; on en est réduit aux antilopes, aux gazelles, aux fennecs. J’ai remarqué surtout l’extrême pauvreté de l’ornithologie, et certes je ne m’en serais pas rendu compte sans l’explication curieuse que me donna un savant vieillard de la tribu.
Un jour que je revenais aux tentes, harassé de fatigue, furieux de n’avoir vu de loin que quelques demoiselles (de Numidie) et deux flamants, je déplorais l’absence de tout gibier ailé, fût-ce même simplement des grues et des cigognes, si nombreuses dans la plupart des pays musulmans.
« Tu ne sais donc pas, me dit le vieux Bédouin, que la cigogne a reçu de Dieu plus de sagesse que l’homme lui-même ? Avant l’arrivée des Turcs (que le ciel les maudisse !) nous avions à Tripoli une puissance arabe, un sultan fils du pays, qui avait le bras long et la main ouverte. Il n’envoyait pas au dehors tout l’argent de la contrée ; bien au contraire, il fabriquait lui-même de la monnaie qu’il répandait ensuite parmi nous. Or, tout le monde sait que la cigogne a horreur de l’argent et n’habite jamais les pays dont le nom se trouve sur une pièce de monnaie, parce que c’est la source de toutes les querelles et l’aiguillon de toutes les passions. Il est vrai qu’elles pourraient revenir maintenant, mais les ghrousch trabloussi circulent encore, et cela suffit pour les éloigner.
Quant aux grues, elles ne peuvent pas traverser le Hammada (grand, plateau pierreux qui sépare la Tripolitaine du Fezzan), parce que les Bou-chébr s’y opposent et font bonne garde.
— Qu’est-ce donc, demandai-je, que les Bouchébr ?
— Ce sont des Djin qui ont été emprisonnés pour l’éternité dans le désert de Hammada par le prophète Suleyman, sur qui soit le salut ! Ils formaient un peuple nombreux et puissant, redouté de ses voisins, dédaigneux de toute humanité et de toute justice. Lorsque le prophète Suleyman leur envoya un apôtre pour les remettre dans le chemin droit et les ramener au culte de l’Unique, ces pervers le mirent à mort, et résolurent de tourner en dérision les règles de conduite que leur avait enseignées l’homme de Dieu. Ils comptaient sur leur isolement du reste du monde et sur la crainte qu’ils inspiraient au voisinage, car aucun homme des tribus environnantes n’aurait osé entrer dans leur pays. « Nul ne saura ce que nous faisons, dirent-ils ; continuons à mener bonne vie, sans nous préoccuper de toutes les gênes que l’on prétend nous imposer. On dit que ce Suleyman est puissant, mais quel messager ira lui rendre compte de nos actions ? » Et non contents de persévérer dans leur infidélité, ils y ajoutèrent la moquerie, plaçant un porc dans une niche de leur temple pour contrefaire le mihrab (creux dans le mur des mosquées, qui indique la direction de la Mecque), et faisant des ablutions sacriléges avec de l’urine de chameau.
« Il y avait chez les Bou-chébr un grand nombre de grues ; ces oiseaux scandalisés envoyèrent un des leurs à Suleyman pour l’avertir des abominations qui se passaient dans le Hammada. Le prophète écouta ce récit avec indignation, appela la huppe, son oiseau favori, et lui ordonna de convoquer toutes les grues qui se trouvaient sur la face de la terre. Quand elles furent réunies, elles formaient un nuage qui aurait mis à l’ombre tout le pays entre Mezda et Morzouq. Chacune alors prit une pierre dans son bec, vint planer au-dessus du territoire des Bou-chébr, et laissa tomber son fardeau, si bien que les infidèles furent tous lapidés. Mais leurs âmes continuent depuis lors d’errer dans la solitude, sans trêve ni repos, avec l’incessante préoccupation d’empêcher le passage des grues. »
Voilà encore une preuve irrécusable de la persistance des fables antiques. Peut-on méconnaître, dans cette légende toute musulmane de forme, la fable des Pygmées et de leurs combats avec les grues ? S’il reste un doute, faisons remarquer le nom du peuple maudit, qui est identiquement celui des Pygmées. Bou-chébr veut dire le père de l’empan, c’est-à-dire l’homme qui se mesure par un empan, distance entre le pouce et le petit doigt écartés l’un de l’autre autant que possible.
C’était au mois de décembre ; l’équinoxe n’avait pas amené les pluies ordinaires, et le ciel implacable conservait une effrayante sérénité. Après la prière publique du vendredi, toute la population sortit de la ville à la suite du pacha, du cadi, des imans de toutes les mosqués ; la garnison, avec armes et bagages, tambours et musique en tête, alla se mettre en ligne de bataille auprès d’un puits situé vers le milieu du Song-ettelâtè.
Quand les-cris prolongés de : Amin ! Amin ! eurent retenti, pour clore la longue prière récitée à haute voix par le plus vieux des imans, le gouverneur général, s’armant d’une pioche, commença dans le sable une tranchée peu profonde, qui du puits se dirigeait vers la mer ; l’ouvrage entamé, une foule de travailleurs volontaires s’y mirent avec zèle, et en quelques minutes le fossé était terminé. Alors des merâbouts jetèrent dans le puits soixante-dix outres en peau, dont chacune contenait mille petites pierres comptées avec soin, et s’acharnèrent à tirer de l’eau du puits pour la verser dans la rigole, qui devint ainsi un petit ruisseau. En même temps, une troupe d’enfants entourait le cadi, lui lançant des poignées de sable et de gravier, jusqu’à ce que ce vénérable magistrat, dépouillé de son turban et les pieds nus, prit le parti de fuir vers la ville. Pour achever l’opération magique, aussitôt après la retraite du cadi, les troupes se mirent en marche vers la mer, entrèrent dans l’eau jusqu’à mi-jambe, et défilèrent ainsi le long de la grève en pataugeant d’une manière consciencieuse.
La pluie ne vint pas ce jour-là… ni les jours suivants… mais une semaine plus tard le vent tourna à l’ouest, de gros nuages gris se mirent à glisser, bas et lourds, dans l’atmosphère jusqu’alors vide ; enfin les cataractes célestes s’ouvrirent et inondèrent le pays. Évidemment ce déluge, qui n’avait d’étonnant que de s’être fait si longtemps attendre, était le résultat de la puissante incantation des soixante-dix mille pierres. Homme sans foi, qui aurait pu en douter !
Pourtant, tout en protestant à cet égard la conviction la plus soumise, je n’ai pu résister à la curiosité, et j’ai fait tous mes efforts pour avoir l’explication de la cérémonie magique. Vain espoir ! la symbolique la plus compliquée ne suffirait pas à en rendre compte, et je ne peux y voir qu’un amalgame indigeste de superstitions, qui toutes diffèrent d’âge et d’origine. Ainsi, les outrages officiels infligés au cadi, sa fuite devant les enfants qui l’accablent d’injures, c’est une allégorie musulmane qui se rencontre en d’autres contrées de l’Orient ; la sécheresse est un fléau dont Dieu punit les pécheurs, car la pluie s’appelle bénédiction, baréket, ou signe de miséricorde, rahmet. Or, l’injustice étant le plus grand des péchés, celui qui tient les balances de la loi représente assez convenablement la source de toute injustice, de même que les enfants ont le privilége de personnifier l’innocence. On donne donc satisfaction à la justice éternelle en malmenant le cadi ; et même, dans certains endroits, la compensation est plus sérieuse, on lui applique respectueusement des coups de bâton très-réels dans l’intérêt général. J’écarte cet élément de l’incantation, comme étant de toute évidence une importation musulmane ; de même aussi le bain de pieds des soldats me semble un enjolivement amené par le besoin qu’éprouve l’autorité de prendre une part active à la démonstration.
Reste ce procédé bizarre de vider un puits et d’y jeter soixante-dix mille pierres, c’est la partie vraiment indigène de la cérémonie, et du milieu des commentaires incohérents que j’ai recueillis, voici la seule lueur qui laisse apercevoir l’existence d’une tradition locale probablement fort ancienne.
Le sol de la ville et de l’oasis de Tripoli semble reposer sur une vaste nappe d’eau ou réseau de ruisseaux souterrains qui proviennent du Djébel et se dirigent du sud au nord vers la mer ; les puits de la Menchiè, inépuisables malgré les énormes quantités d’eau que l’on en tire, s’alimentent à ce grand réservoir, et plus le terrain s’incline vers la côte plus on se rapproche du niveau du fleuve souterrain ; au bord de la mer, on l’atteint en creusant à deux ou trois pieds de profondeur, et même à plusieurs endroits l’eau douce sort du sable spontanément, lorsque les petites marées, qui sont sensibles entre les deux Syrtes, mettent à sec une partie de la plage.
Or, dans les vieux temps, l’aspect du pays était bien autre que ce qu’il est maintenant ; c’est tout au plus si les jardins de la Menchiè, aux beaux jours du printemps, peuvent en donner une faible idée. Depuis le Djébel Ghârian jusqu’au rivage de la mer, une plaine magnifique, ombragée d’arbres touffus, formait un tapis de verdure sillonnée de mille ruisseaux d’eau vive qui brillaient au soleil comme les lames de soie du haouly d’une jeune mariée. Les champs s’arrosaient d’eux mêmes et donnaient presque sans travail de riches moissons ; les troupeaux, trouvant en toute saison une herbe sans cesse renaissante, se multipliaient à l’infini, et les habitants vivaient heureux au sein de l’abondance.
Mais la prospérité les corrompit, et ils oublièrent que tout bien vient de Dieu. Le Tout-Puissant permit donc à Satan le lapidé de leur faire subir une épreuve.
Un jour arriva sur la côte une belle fille, à cheval sur un grand poisson noir. Elle était couverte d’or et de bijoux précieux, parée comme une aroucè (fiancée) que l’on conduit à son époux. Effrayée à la vue des hommes, elle se tenait à une petite distance de la rive, jouant au milieu des vagues, s’éloignant au moindre geste que l’on faisait pour l’approcher. Le bruit de ce prodige se répandit bientôt, et le fils du sultan lui-même descendit du Ghârian pour la voir. Moins effarouchée avec lui, la fille de la mer répondit à ses questions, lui apprit qu’elle venait d’une île appelée Malta, et consentit enfin à s’avancer un peu dans le pays, en faisant jurer au jeune prince qu’il respecterait les droits de l’hospitalité, et qu’il ne la retiendrait pas malgré elle.
La voilà donc dirigeant son poisson vers l’embouchure d’un des nombreux ruisseaux qui s’ouvraient devant elle ; mais à peine y est-elle engagée que l’on jette derrière elle un grand filet pour lui couper la retraite. Éperdue, elle remonte rapidement le fleuve, poursuivie par une foule d’hommes sans foi. Le fils du sultan, loin de la protéger, se montrait le plus acharné, le plus audacieux. En vain elle lui rappelle la foi jurée, le suppliant de ne pas trahir sa confiance, lui rappelant que Dieu venge les serments violés ; tous ces reproches, loin de lui ouvrir les yeux, l’excitent davantage. La fugitive arrive enfin au pied de la montagne, là, où le fleuve prenant sa source, elle allait forcément se trouver prise. Mais au moment où son persécuteur étend la main sur elle : « Il n’y a de force, il n’y a de puissance qu’en Dieu, le très-haut, le très-grand ! » s’écrie-t-elle ; et aussitôt un abîme s’entrouvre, les eaux du fleuve se précipitent vers le centre de la terre, et avec elles le poisson et la jeune fille ; le gouffre se referme sur eux ; les sources vives ont disparu pour toujours.
Grande fut la désolation de tout le pays lorsqu’on vit le lit des ruisseaux rester à sec, les arbres se dépouiller de leurs feuilles flétries, les moissons jaunir et tomber en poussière, le sol lui-même privé de toute humidité se réduire en sable mouvant. On fouilla partout pour retrouver la veine d’eau, et au lieu d’une irrigation facile, on se vit condamné à tirer le liquide vivifiant d’une si grande profondeur, que tout le terrain entre la montagne et la Menchiè demeura stérile et désert ; le fleuve désormais portait son tribut souterrainement à la mer. Chacun comprit alors que la belle au poisson avait dû retourner dans son pays par cette route miraculeuse. Une troupe nombreuse de montagnards de Tarhaouna résolut d’aller à Malta pour la retrouver et obtenir de sa clémence la cessation des maux qui affligeaient la contrée. Ils partirent et ne revinrent jamais.
De cette légende fantastique, je ne puis tirer que deux faits positifs : l’existence d’un lac d’eaux souterraines, et la colonisation de Malta par une émigration de gens de Tarhaouna, chassés sans doute de leurs montagnes par plusieurs années de sécheresse. Dans le jet des soixante dix mille pierres, je ne vois qu’une revanche au nom des soixante-dix mille anges de Dieu contre Satan le lapidé, Cheïtan erredjim, dans le but d’obtenir, non plus les anciennes eaux courantes, dont le ruisseau provisoire que forme l’eau du puits n’est qu’un faible souvenir, mais la pluie du ciel, qui seule peut préserver la province de la disette.
- ↑ La Tripolitaine ou Régence de Tripoli, l’un des trois anciens États barbaresques sur la Méditerranée, est bornée au nord par la Méditerranée, à l’est par l’Égypte, à l’ouest par la Régence de Tunis, et au sud par le désert de Sahara. On suppose que sa population est de plus d’un million et demi : elle se compose de Maures, Berbères, Turcs, nègres, juifs et Francs. Le territoire de Tripoli a appartenu tour à tour à Cyrène et à Carthage, à Rome, aux Vandales, aux Arabes, à Charles-Quint, aux chevaliers de Malte. Il a été repris par les Turcs en 1551.
- ↑ Le mot Syrie vient du verbe grec suro, qui signifie entraîner, balayer. Le golfe de la petite Syrte ou golfe de Gabes (Tritonide d’Hérodote, suivant d’Avezac) est une échancrure du royaume de Tunis. La grande Syrte ou golfe de la Sidre, de l’autre côté de la ville de Tripoli, forme une entaille plus profonde dans la Tripolitaine ; il a été exploré en 1821 par le navire français la Chevrette.
- ↑ Voyez sur le voyage de Barth, les livraisons 39, 40 et 41 du IIe volume du Tour du monde.
- ↑ Voyez pages 237 et suivantes du t. II du Tour du monde, voyage de Barth.