Promenades Littéraires (Gourmont)/Les premiers imprimeurs parisiens


LES PREMIERS IMPRIMEURS PARISIENS


Le titre du livre de M. Renouard, tel que le voici consigné tout au long-, en dit l’importance : « Imprimeurs parisiens, libraires, fondeurs de caractères et correcteurs d’imprimerie, depuis l’introduction de l’imprimerie à Paris (1470) jusqu’à la fin du xvie siècle ; leurs adresses, marques, enseignes, dates d’exercice. Notes sur leurs familles, leurs alliances et leur descendance, d’après les renseignements bibliographiques et des documents inédits. Avec un plan des quartiers de l’Université et de la Cité[1]. » Son mérite est dans l’exactitude, et surtout, car on y relèverait encore des points controversables, dans l’abondance des notes qui renvoient à des pièces d’archives. C’est un manuel qui sera immédiateraent utile et qui, de plus, servira de plan au patient historien qui voudra tenter un tableau complet du premier siècle de l’imprimerie et de la librairie à Paris. Il suffirait déjà de joindre aux notices biographiques qu’il contient la nomenclature des livres sortis de diverses officines pour avoir le livre idéal et qui manque sur cette période de notre histoire littéraire. Car c’est de l’histoire littéraire, puisque c’est l’histoire des livres et puisque beaucoup de ces imprimeurs et de ces libraires, les du Pré, les Marnef, les Vérard, les Vostre, les Gourmont, les Kerver, les Estienne, étaient parfois des érudits, toujours les hommes d’étude et de goût. On est frappé, en parcourant la table chronologique, de la prodigieuse activité de l’imprimerie parisienne à ses débuts, dans les trente premières années. Depuis l’établissement de Martin Crantz à la Sorbonnejusqu’à l’avènement d’Henri Ier Estienne (1502), on relève les noms de cent cinquante imprimeurs et libraires, tous groupés autour de l’Université, entre Notre-Dame et le collège de Lisieux, des deux côtés de la rue Saint-Jacques. Le premier imprimeur français semble être Pasquier Bonhomme ; il imprima qs Chroniques de Saint-Denys, premier livre français sorti des presses françaises. Les plus ancien ouvriers imprimeurs français dont les noms sont mentionnés sont Louis Symonel, ou Symonet, Louis Blandin et Jean Symon ; ils travaillaient à l’enseigne du Soufflet-Vert, rue Saint-Jacques. C’était un atelier coopératif (il n’y a rien de nouveau), et les noms de tous les ouvriers figurent au colophon (achevé d’imprimer), dans leur Vocabularius de 1476. La direction de cet atelier était confiée à Gaspar et à Russangis ; celui-ci, d’une famille d’orfèvres, semble avoir été le graveur de caractères de l’association. Les officines d’imprimeurs et de libraires étaient serrées les unes contre les autres, présentant l’aspect d’un vaste bazar du livre ; rue du Mont-Saint-Hilaire, il y en avait au moins une, souvent deux par maison. Il semble que tous ces libraires s’entendaient entre eux, sans aucunement chercher à se faire concurrence ; les alliances étaient très fréquentes entre ces familles vivant du livre et pour le livre. Les trois professions, maintenant séparées, d’imprimeur, de libraire, d’éditeur et même de fondeur étaient assez souvent réunies ; cependant, il ne paraît pas que tel libraire-éditeur comme Antoine Vérard, célèbre pour la beauté et l’originalité des livres qui portent son nom, ait jamais imprimé lui-même. Il confiait ses travaux à Jean du Pré, à Pierre Le Rouge, à Pierre Levet, à Trepperel, et à d’autres ; mais il commanditait à l’occasion tel atelier qu’il chargeait d’un travail important. Quoique excellent imprimeur lui-même, Geoffroy Tory fit imprimer par Gilles de Gourmont, chez qui il avait été correcteur, son célèbre Champ fleury, et il fallut six ans pour mettre sur pied ce livre admirable et compliqué. De même Gilles de Gourmont fit imprimer par Pierre Vidoue son Aristophane, dont le frontispice avait été gravé par Tory.

II y avait déjà les auteurs-éditeurs : Jean Chéradame, professeur de grec, qui faisait imprimer ses livres par les Gourmont, Robert et Gilles, et les vendait « en la rue Saint-Jean de Lateran, en la maison Chéradame » ; ses imprimeurs semblent d’ailleurs avoir été ses locataires « à l’enseigne des Trois-Couronnes » ; Jean Dorat, qui vendait lui-même ses vers « in œdibus Ioannis Aurati, poetœ regii, extra portam divi Victoris, sub signo Fontis » ; Pierre Gringoire, qui vendait pareillement ses œuvres à l’enseigne de « Mère sotte » et à « l’enseigne de l’Eléphant, sur le pont de Notre-Dame, à Paris » ; Guillaume Postel, voyageur, savant et illuminé, qui débita au collège des Lombards (in scholiis Italorum) son fameux Liber Jezirah, que les récents occultistes ont remis en lumière. Enfin, un bourgeois de Paris, Antoine Regnault, ayant fait un pèlerinage aux lieux saints, le raconta sous le titre de Voyage de Hiérusalem, le dit voyage pompeusement mis en vente au domicile dudit bourgeois « aux faulx bourgs sainct Iaques, à l’enseigne de la croix de Hiésuralem ».

Un tel livre est un répertoire d’enseignes. M. Renouard en a d’ailleurs dressé une table particulière, bien curieuse à parcourir. A côté des écus, des couronnes, des étoiles, de tous les animaux en or et en argent, il y en eut de belles et de bizazres : le Bellérophon couronné, le Chevalier-au-Cygne (maison de Jean Caesaris), l’Homme-Sauvage, les Porcelets, la Hure-de-Sanglier, la Limace, la Marjolaine, l’Oie-qui-ne-court-plus, le Cheval-Volant et Pégase (les Wechel), la Petite pomme rouge, le Pot à moineaux, le Pot cassé (Geoffroy Tory), la Poule-grasse (Guillaume Cavellat, mais aucun de ses trois fils n’en voulut après lui et ils se choisirent l’Écu de Florence, la Salamandre, le Griffon d’argent), le Prêtre-Jean (Guyot Marchant), le Renard-qui-ferre (maison où demeurèrent Josse Bade, Vascosan et les Morel). Pour être très précis, il faudrait distinguer entre les enseignes personnelles et les enseignes attachées à des maisons, entre les marques et les enseignes ; cela serait facile avec le présent livre, mais sans lui tout le monde sait, par exemple, que Josse Bade, s’il demeura dans l’hôtel du Renard-qui-ferre, ne publia aucun livre sous ce signe, dont la bizarrerie ne l’eût pas choqué, car il édita, de 1506 à 1511, « à l’enseigne des Trois-Brochets, proche la maison du Gril, sub tribus Luciis, regione Craticulœ. »

  1. 1899.