Promenades Littéraires (Gourmont)/Le dictionnaire de l’Académie


LE DICTIONNAIRE DE L’ACADÉMIE


Pour se venger de l’Académie qui ne veut réformer ni la syntaxe, ni l’orthographe de la langue française, M. P. Clairin, qui fit partie d’une des Commissions nommées à cette fin par divers ministres, s’est amusé à relever les bévues, les obscurités, les contradictions ou les inadvertances que l’on trouve dans le Dictionnaire publié par la compagnie.

Il l’a fait sous une forme assez spirituelle en proposant ces erreurs comme des règles, en donnant pour devoirs à d’imaginaires élèves le soin de justifier des incohérences évidentes. Sans doute, il est fâcheux que l’Académie ne fasse pas mieux surveiller les épreuves de son Dictionnaire ; mais quel est l’ouvrage en plusieurs tomes in-4, plein d’exemples, de citations, de distinctions, de définitions, où l’on ne relèverait quelques centaines de fautes ?

On sait que, lorsque l’Académie révise son dictionnaire, elle désigne un spécialiste pour lui préparer la besogne, ensuite, pour assurer la rédaction définitive des résolutions prises en commun. C’est à ce philologue, bien plus qu’à l’Académie elle-même, qu’en bonne justice devraient s’adresser les critiques de M. Clairin. Dans le cas présent la victime serait, croyons-nous, feu M. Marly-Lavaux, c’est-à-dire un des savants qui ont le mieux connu l’histoire de la langue française.

Voici quelques spécimens des plaisanteries de M. Clairin :

« Cette homme a l’air bon. — Expliquer et justifier l’accord de l’adjectif démonstratif. »

« Cela est amère comme chicotin. — Expliquer, etc. »

Qui ne voit que ces fautes ne sont que de vulgaires coquilles ? Il n’y a vraiment pas de quoi prendre un ton de doctorale ironie.

L’article Adverse est ainsi rédigé dans le Dictionnaire de l’Académie :

« Adverse, — adverbe des deux genres. » Ici la coquille n’est pas vulgaire ; elle est du genre de celles que nous faisons si souvent en parlant et qui consiste à modifier un son en le modelant sur le son précédemment émis. C’est un phénomène qui a donné lieu à la formation de certains mots français : comparaître, fusion de comparoir et de paraître. Le rédacteur, ou le compositeur d’imprimerie, a cru mettre adjectif et il a mis adverbe, parce qu’il avait dans l’oreille adverse.

Dans les cas où il ne s’agit plus de coquilles, ni d’erreurs matérielles, les critiques de M. Clairin sont quelquefois fausses et presque toujours justes.

« On appelle caractéristique, dit l’Académie, la lettre qui se conserve dans les dérivés d’un mot, comme le p dans les dérivés de corps. » Là-dessus M. Clairin propose cet « exercice » : « Retrouver le p caractéristique dans corsage, corset, corser, dérivés de corps. » La critique est fausse, parce que les mots qu’il cite ne sont pas dérivés de la forme moderne corps, mais de la forme ancienne cors. Mais elle est juste parce que la forme corps n’a donné en français aucun dérivé. Tous les mots tels que corporel, corporation, corpuscule, etc. viennent directement du latin.

Où M. Clairin est tout à fait dans son tort, c’est à propos de l’article suivant :

« Chrysalide. — État d’un insecte qui s’est renfermé dans une coque, où il est sous forme d’une espèce de fève. »

La définition n’est guère scientifique, mais la critique qu’en fait M. Clairin, et que voici, l’est moins encore : « Montrer, dit-il, la ressemblance qui existe entre une chenille et une fève. »

La chenille n’est pas une chrysalide, mais bien une larve, ce qui est fort différent. La larve a une vie extérieure, elle a toute l’apparence d’un être complet et définitif, si bien que certaines larves ont longtemps passé pour des espèces particulières d’insectes. La chrysalide, qui est une nymphe, paraît au contraire inerte ; sa vie est tout interne.

Plus souvent, les torts sont du côté de l’Académie. Il est impossible d’admettre des articles tels que :

« Confesse. — Substantif. II n’a point de genre. »

Ce mot, qui se disait jadis pour confession, a parfaitement un genre, le féminin.

« Dromadaire. — Espèce de chameau qui a une seule bosse sur le dos. — Bosse : les deux bosses d’un dromadaire.

« Chameau. — Quadrupède qui a deux bosses sur le dos. — Bosse : la bosse d’un chameau. »

C’est de la pure démence, ainsi que ces autres articles : « Acajou. — Arbre d’Amérique dont le bois est blanc » ; et, quelques lignes plus loin : « Acajou, sorte de bois rougeâtre. »

« On appelle barbes de poisson les cartilages qui servent de nageoires au turbot, à la barbue et à quelques autres espèces de poissons plats : Servir les barbes d’un turbot. »

« Frère est le titre que tout religieux prend dans les actes publics. »

Plus loin, il est question de « parallèles qui s’entrecoupent », on appelle la cimaise, la moulure qui forme la partie supérieure d’une corniche ; on appelle corniche, un ornement saillant qui règne au-dessus d’un plafond.

A l’article huître, l’Académie spécifie qu’on doit dire « l’écaille, et non la coquille d’une huître » ; mais, préalablement, elle a défini l’huître un « mollusque de mer à coquille bivalve » ; à l’article butter : « Butter des artichauts signifie les entourer de terre, pour les faire blanchir. »

Quoique rédigé dans un esprit hostile, ce livret ne saurait laisser l’Académie indifférente. Il est la preuve que son Dictionnaire a besoin d’une révision très sérieuse, et qu’il faudrait y mettre non pas seulement des philologues, mais aussi des savants et surtout peut-être des hommes attentifs et qui ne laisseraient point passer des articles qui ne peuvent provoquer, si on y attire l’attention, que le rire ou la stupeur.