PROMENADE


EN AMÉRIOUE





LA NOUVELLE ANGLETERRE ET LA NOUVELLE FRANCE.[1]


FÊTES POPULAIRES A BOSTON. — LES OUVRIÈRES DE LOWELL. — PORTRAIT DE M. WEBSTER. — LA JEUNE FILLE SOURDE, MUETTE ET AVEUGLE. — MONTRÉAL. — LA FRANCE AU BOUT DU MONDE. — QUÉBEC. — WOLFE ET MOSTCALM. — LE CANADA ET L’ANGLETEPRE. — DINER POLITIQUE.




Un heureux hasard m’a amené à Boston au moment où vont avoir lieu de grandes solennités populaires qui dureront trois jours. Les trois journées de Boston seront célébrées en l’honneur d’une révolution, mais d’une révolution toute pacifique. Il s’agit de fêter l’ouverture d’une ligne de chemin de fer qu’on vient d’établir entre les États-Unis et le Canada. Le gouverneur, lord Elgin, va venir à Boston, où doit se rendre de son côté le président des États-Unis. Toute la ville est en émoi. L’affluence des visiteurs est considérable. Les hôtels sont tellement encombrés, qu’on m’a menacé de me forcer à partager ma chambre avec un autre voyageur. Ce qui est parfaitement américain, c’est que le maître de l’hôtel où j’habite, et où doivent descendre M. Fillmore et lord Elgin, s’est bien gardé, en m’annonçant cette détermination, de m’en expliquer le motif. Sans daigner m’apprendre ce qui causait cette mesure extraordinaire, il s’est borné à me répéter qu’il me donnerait un compagnon de chambre; cependant, grâce à des protections puissantes, j’ai obtenu que ce désagrément me serait épargné. J’ai été au sénat assister à la réception du président des États-Unis par le gouverneur de l’état de Massachusets. Le président est arrivé suivi de trois de ses ministres, parmi lesquels était M. Webster, le lion du jour et candidat lui-même à la présidence pour l’année prochaine. Le gouverneur de cet état est fils d’un petit fermier : entré au service d’un homme de loi, il passait ses soirées à s’instruire dans les écoles du soir ; il a fondé un athénée dans sa petite ville, y a fait des cours, et est devenu un des chefs du parti démocrate dans son état. Le président a été, me dit-on, charpentier. M. Webster a eu une jeunesse laborieuse. Ces trois hommes ont des manières parfaitement convenables à leur situation actuelle. Tout s’est passé simplement et dignement. Quand le président est entré, on s’est levé. Le président et le gouverneur se sont salués. Le gouverneur a adressé au président un discours commençant par la formule d’usage : Please your excellency (plaise à votre excellence). Le président a répondu par des éloges de la population de Boston, de ses marchands princes, de ses ouvriers nobles de par la nature ; le gouverneur, bien qu’il soit du parti opposé à celui de M. Webster, a introduit avec assez d’à-propos un éloge de celui-ci dans la réponse qu’il adressait au président. M. Webster a pris la parole au milieu des applaudissemens ; mais, de l’aveu général, le grand orateur a été aujourd’hui mal inspiré. Il a flatté un peu grossièrement le peuple américain dans un discours qu’autour de moi on trouvait de mauvais goût. Un autre ministre, qui est Virginien, a eu beaucoup de succès, « Un Virginien, a-t-il dit, ne se sent pas étranger à Boston, » et, réunissant le midi et le nord dans ses hommages : « si vous avez votre Bunker-hill, a-t-il dit, nous avons notre Yorktown. Si vous avez votre Daniel Webster, nous avons notre Washington, qui vous appartient aussi, our and your Washington. » Comme le nord et le sud sont toujours disposés à se quereller, la sagesse, des hommes d’état de tous les partis s’applique à ranimer les sentimens d’union si nécessaires au maintien de la fédération américaine.

Voici un trait de mœurs assez curieux. J’ai appris que le speaker de l’assemblée représentative de l’état s’est si bien conduit dans des momens difficiles, que les différens partis se sont réunis pour lui témoigner leur reconnaissance en lui donnant…… une montre.


18 septembre.

Ce jour est consacré à une promenade dans la rade de Boston. Plusieurs bâtimens à vapeur ont été mis par la ville à la disposition de ses hôtes. Une place m’a été accordée sur celui de ces bâtimens qui porte aussi les députés canadiens venus de Montréal et de Québec pour fraterniser avec les habitans de Boston. Le temps est merveilleusement beau. La ville, entourée presque de tous côtés par la mer et bâtie sur plusieurs collines, s’élève au milieu des mille navires qui lui forment comme une couronne de mâts. Les fanfares, les hourras, les coups de canon, retentissent. On distribue une brochure sur la condition présente de Boston. Le premier chemin de fer destiné à être parcouru par la vapeur qui ait été construit en Amérique l’a été en 1829 par Boston. Il avait treize milles, moins de cinq lieues ; maintenant mille lieues de chemin de fer rayonnent de Boston dans le Massachusets et les états voisins, et les États-Unis sont traversés en tous sens par plus de dix mille milles de chemins de fer, plus de trois mille lieues, plus que le diamètre terrestre[2].

La nouvelle ligne dont on célèbre aujourd’hui l’ouverture est d’autant plus importante, qu’elle offre un chemin direct aux émigrans qui arrivent d’Europe à Boston pour se rendre dans l’ouest, sans aller chercher l’Hudson, qui est la ligne directe de New-York ; les produits de l’ouest peuvent par la même voie venir s’embarquer à Boston. Ce qui donne surtout une grande impulsion à la création des chemins de fer américains, c’est la rivalité des différens états qui cherchent sans cesse à se supplanter les uns les autres, et tâchent, si j’ose employer cette expression, de se souffler le transport des passagers et surtout des marchandises. Les États-Unis sont comme un grand échiquier où chacun tâche d’arriver à dame le premier.

Des tables, jointes à la brochure qu’on nous a distribuée, montrent que, pour ce qui concerne le port de Boston depuis 1842 jusqu’à 1850, le produit des douanes a presque triplé, et que le tonnage a augmenté de plus d’un tiers[3] en dix ans ; le chiffre de la population de Boston a été porté de 158,000 âmes à 269,000 ; ces chiffres s’appellent ici des figures ; il faut avouer que, comme les figures de rhétorique, celles-ci ont bien leur éloquence.

Le déjeuner que nous donne la ville est médiocre, il faut en convenir, et les plats sont disputés avec énergie ; mais le vin de Champagne est à discrétion, c’est l’important pour la chaleur de l’enthousiasme et la gaieté de la réunion. Bientôt commencent les toasts et les speeches ; on demande monsieur un tel, et il paraît et il parle, et des transports d’approbation accueillent invariablement son discours. Ce sont surtout les Canadiens, et parmi eux les Canadiens français, qui jouissent d’une popularité sans bornes. On crie : Vive la belle France ! Trois hourras pour la belle France ! Un habitant de Montréal entonne la vieille romance de la Clairefontaine. Un habitant de Québec chante :

Nous aimons la Canadienne
Pour ses beaux yeux doux.


La foule se porte brusquement vers un orateur qui surgit, le chanteur est abandonné, et je perds la suite de ce morceau de poésie nationale que je m’apprêtais à recueillir.

Dans les discours, il n’est question des deux côtés que d’alliance, d’union par des liens de fer : les États-Unis semblent déjà tenir le Canada ; mais comme on descend du bateau, j’aperçois un homme à figure anglaise qui cherche à se hisser sur un toit pour être entendu ; le toit est assez élevé, il faut le soutenir par les jambes ; enfin il s’accroche des pieds et des mains à cette tribune glissante, et de la position difficile qu’il a conquise il parle avec beaucoup d’énergie. Il commence par glorifier la race anglo-saxonne en Angleterre et en Amérique ; puis, se souvenant de la population française du Canada, il rappelle qu’elle est du même sang que le noble Lafayette. Après les complimens, il entre en matière ; il déclare nettement que le Canada est content de l’Angleterre et veut rester sous sa domination ; l’orateur convient qu’il n’en a pas été toujours ainsi, mais il affirme que les Canadiens ont obtenu ce qu’ils désiraient. Il ose même ajouter : « Nous vous avons enviés, nous ne vous envions plus, l’Angleterre nous a donné ce que vous avez. » Je dois dire que ce discours a eu moins de succès que les autres, et qu’il faisait naître autour de moi des murmures qui n’étaient pas des murmures d’approbation. Je me disais : Voilà sans doute quelque fonctionnaire anglais au Canada qui ne veut pas laisser passer cette cérémonie sans avoir protesté de sa loyauté. Quelle était mon erreur ! Celui qui venait de parler ainsi était M. Neilson, qui, bien qu’Anglais d’origine, est depuis vingt ans un des chefs les plus distingués et les plus ardens du parti national au Canada, au point qu’il a pris les armes, commandé les insurgés, et à leur tête a gagné sur les Anglais la bataille de Saint-Denis ; mais, comme il le disait tout à l’heure, le pays a obtenu ce qu’il désirait : l’Angleterre, mieux éclairée sur ses intérêts et comprenant que le seul moyen de ne pas précipiter le Canada dans l’union américaine, c’est de le bien gouverner,— l’Angleterre a changé de politique envers lui, elle lui a donné un vrai gouvernement représentatif, dans lequel les Canadiens français, grâce à l’accession d’un certain nombre d’Anglais raisonnables, ont la majorité. De plus, le gouverneur actuel, lord Elgin, s’est montré favorable à leur égard jusqu’à provoquer un soulèvement du parti anglais violent, émeute odieuse qui a déconsidéré ce parti. Dans ces conjonctures, M. Neilson, comme les plus sages patriotes du Canada, s’est attaché franchement à l’Angleterre du jour où elle voulait être juste, comprenant bien que la nationalité canadienne court beaucoup moins de risque avec elle qu’avec les États-Unis, et qu’une annexion opérée par ce peuple envahissant serait la mort de cette nationalité. Autant vaudrait tomber dans le gouffre du Niagara. Voilà ce qui faisait parler aujourd’hui M. Neilson ; du reste, il n’a jamais changé. Il y a vingt ans, il disait à M. de Tocqueville : Nous resterons avec les Anglais jusqu’à ce qu’ils nous forcent de les combattre. Cette nécessité est venue, M. Neilson les a combattus et même battus. Aujourd’hui,* avec un égal patriotisme, il résiste aux annexionistes et vient le déclarer dans une fête au fond de laquelle est, pour un grand nombre de ceux qui m’entourent, la pensée de l’annexion.

Le soir, j’ai été dans le beau monde. Le président a paru dans un salon, où il ne s’était pas trouvé autant d’uniformes anglais depuis la guerre de l’indépendance. On venait saluer Mme Fillmore, qui prenait très-bien sa situation de princesse du sang et ne montrait ni hauteur ni embarras.

J’ai terminé cette journée par une délicieuse promenade sous les ormes du parc, dont une lune magnifique découpait le sombre et gracieux feuillage.


19 septembre.

Ce jour est le grand jour. D’abord procession des métiers, puis dîner de quatre mille personnes ; le soir, illumination et feu d’artifice : tout cela en l’honneur de sa majesté le chemin de fer. — Boston, me dit M***, veut se montrer avec toutes ses ressources, with all his power.

Quelques précautions sont prises contre les vols. Partout on lit affiché : Prenez garde aux filous, beware of pick-pockets. On a fait venir tous les individus suspects, on les a montrés à la population, pour que chacun pût les reconnaître au besoin. Du reste, j’ai compté près de deux cents policemen, bel et bien armés de truncheon ; seulement, à cause de la fête, cette petite massue était enveloppée de papier doré.

Vers midi, la procession commence. En tête sont le président et ses ministres, lord Elgin et les autorités de Boston. Ce qui me frappe d’abord, c’est le grand nombre d’uniformes qui figurent dans cette fête toute civique : voici des lanciers qui n’ont pas, il est vrai, la tournure aussi militaire que ceux que je voyais, il y a un mois, galoper dans le Champ-de-Mars ; voici des bonnets à poil, des habits bleus, gris, rouges, des vestes à la hongroise, etc. S’il existait autant de régimens qu’il y a d’uniformes, la ville de Boston aurait sur pied une armée formidable ; mais j’apprends que ce sont des compagnies de volontaires, qui, s’étant organisées librement, choisissent leur costume comme elles nomment leurs officiers. Évidemment les Américains ont un faible pour l’art militaire ; en cela, ils diffèrent des Anglais. Les Anglais sont aussi braves qu’aucun autre peuple, mais chez eux l’état militaire est peu considéré. Un père, même dans une condition modeste, ne le voit prendre à son fils qu’à regret. L’on n’a en Angleterre nul goût pour le tambour et l’uniforme ; il n’en est pas de même aux États-Unis. J’ai vu des enfans s’amuser à faire l’exercice et manœuvrer pour leur récréation, comme des gamins de Paris. La guerre du Mexique a développé cette disposition guerrière. On s’accoutume aux présidens militaires ; il y a là peut-être le germe d’un grand changement dans le caractère et les institutions du peuple américain.

En principe, tout le monde fait partie de la milice ; mais il se trouve assez de miliciens de bonne volonté, portant l’uniforme, enrégimentés en compagnies de volontaires et faisant l’exercice, pour qu’on n’exige rien de semblable des autres citoyens. Seulement, à Boston du moins, chacun sans exception est obligé d’avoir des armes. Deux fois par an, on est requis de montrer qu’on est armé au complet.

M. Fillmore n’est pas un de ces présidens belliqueux dont je parlais plus haut. Hier, il a passé une revue. Après quelque hésitation, disait le journal, on lui a donné un bon cheval, que les policemen retenaient chaque fois que les coups de canon le faisaient cabrer. Les Américains n’éprouvent pas le besoin, depuis longtemps proverbial en France, que le pouvoir sache monter à cheval.

J’ai vu avec plaisir qu’en tête de la procession industrielle était porté un objet d’art, une statue, l’Indien mourant, œuvre d’un statuaire américain. Il est vrai que tout de suite après venait, probablement pour désigner le métier de fourreur ou de marchand de pommade, un ours empaillé ; puis, différentes voitures se sont succédé. Un groupe de voitures était suivi d’un groupe de soldats. Sur l’un de ces véhicules il y avait des fauteuils et des chaises, sur l’autre des chapeaux. Un modèle de vaisseau était porté sur un char que traînaient six chevaux blancs. Le Museum était représenté par un éléphant de bois que traînaient des Indiens, puis venaient les fabricans de drap, les teinturiers, les fondeurs, les orfèvres, etc. Plusieurs industries étaient en exercice : sur le char des menuisiers on rabotait, sur le char des forgerons on forgeait, sur le char des imprimeurs on imprimait et l’on distribuait des prospectus ; la foule se les disputait, comme à Rome on se dispute l’indulgence lancée d’une fenêtre après la bénédiction du pape. Au reste, il y avait dans tout cela beaucoup de ce que nous nommons réclame. Les noms des principaux fabricans de Boston étaient très en évidence dans la procession. On lisait des inscriptions en général amusantes par leur emphase, par exemple, au-dessus d’un coffre de sûreté, safe, qui a résisté à un incendie, le feu n’est pas mon ennemi, nous défions les élémens. Le bureau des domestiques à louer et des nourrices offrait une exhibition de sujets des deux sexes. Quand les jeunes gens de l’université de Cambridge ont passé, ils ont été salués de hourras très empressés, surtout par les spectatrices. Les compagnies de secours mutuels établies parmi les étrangers fermaient la marche. On a vu passer tour à tour des Écossais, la cornemuse en tête, portant des plaids aux couleurs des différens clans; des Irlandais, précédés par la harpe d’Erin et par des drapeaux sur lesquels étaient figurées des images de saints, entre autres celle de saint Joseph.

Je n’ai cité que quelques détails de cette procession : le défilé a duré deux heures; il me rappelait certains tableaux flamands du XVIe siècle, où l’on voit toutes les corporations figurer dans un cortège avec leurs bannières. Ici il y avait quelque chose de plus : non-seulement l’ouvrier, mais le métier lui-même était en scène; c’était une exhibition dramatique; ceux qui avaient un rôle semblaient s’en amuser au moins autant que les spectateurs. Pour moi, charmé de voir ainsi le peuple américain en joie, dans la rue, hors de lui, et moitié gaiement, moitié sérieusement, célébrant une fête qui le divertit et l’enorgueillit tout ensemble, je suis rentré en me disant : Le roi s’amuse.

Ce qu’il y avait peut-être de plus intéressant dans la cérémonie, c’étaient les enfans des écoles faisant haie dans le parc, criant hourra ! au président et à la procession, et commençant ainsi à s’associer dans cette fête nationale au sentiment public. L’enthousiasme de ces petits citoyens était certainement le plus vif et le plus pur.

Puis est venu le dîner de quatre mille personnes; il a eu lieu sous une tente, au milieu du parc. Les convives étaient soumis au régime de la tempérance, c’est-à-dire que le vin était interdit, ce qui m’a paru sage dans une réunion aussi nombreuse; mais tout le monde a eu du café. Le président, obligé de retourner à Washington, n’a pu assister au banquet. Lord Elgin a prononcé un discours spirituel et sans façon, très bien conçu pour plaire aux Américains en ne les flattant point. Il leur a donné des louanges convenables sans exagération; il a revendiqué pour le gouvernement monarchique en Angleterre une somme de liberté égale à celle que contiennent les institutions républicaines des États-Unis. Il a employé fort à propos quelques expressions empruntées au langage parlementaire de ce pays. M. Everett a répondu à lord Elgin avec son élégance de langage ordinaire. Certaines locutions écossaises, placées dans le discours qu’il adressait à un lord écossais, m’ont paru un trait de courtoisie plein d’à-propos et de bon goût. Voilà comment les choses se sont passées. Voici maintenant ce que j’ai lu dans un journal qui rendait compte de ce banquet : « L’aspect de la vaste assemblée, quand les tables turent garnies, était frappant au-delà de toute expression. Il y avait là une Méditerranée de fraternité humaine sous un firmament de drapeaux, et dans cette mer il y avait des célébrités innombrables des deux hémisphères. »

Le soir, on a illuminé, c’est-à-dire la ville et les particuliers ont illuminé. Le vieux Faneuil-Hall, ce bâtiment à forme antique, aux nombreuses fenêtres garnies aujourd’hui de lampions, dessinait sa forme singulière sur le ciel. Le Capitole était dans une obscurité complète, car l’état de Massachusets n’est pour rien dans la fête de Boston. Il n’y avait point de feu d’artifice officiel, mais chacun pouvait en toute liberté tirer des pétards devant sa porte et lancer des fusées par sa fenêtre. Des particuliers se sont établis au milieu de la promenade publique, et y ont organisé sur le gazon, très sec en ce moment, un tir de soleils et de chandelles romaines qui a duré jusqu’à minuit. Le principe volontaire qui préside aux associations religieuses et à une foule d’établissemens utiles préside aussi aux divertissemens publics; le gouvernement n’intervient ni pour les donner au peuple, ni pour empêcher le peuple de les prendre; en toute chose, la nation fait ses affaires, et même quelquefois la besogne du gouvernement. Ici, comme en Angleterre, les mœurs surveillent les mœurs. Si l’on met en vente un mauvais livre ou une gravure indécente, on s’expose à un procès de la part de la société pour la suppression du vice. Les citoyens font la police et maintiennent le bon ordre. L’autre jour, un meurtre a été commis; quatre cents personnes se sont mises à la poursuite du coupable. Naguère, au sujet d’un acteur, il y a eu à New-York un commencement d’émeute; la milice est arrivée, a tiré et a tué trente ou quarante personnes, ce que tout le monde a fort approuvé. C’est toujours le même principe : l’ordre par la liberté,


Lowell, 20 septembre.

A quelques lieues de Boston est la petite ville de Lowell, célèbre par ses manufactures et surtout par la moralité et la culture intellectuelle de ses ouvrières. Lowell, qui date de 1821, compte maintenant plus de 30,000 âmes. Les ouvrières employées dans les manufactures sont au nombre de 9,000, et les ouvriers au nombre de 4,000; c’est presque la moitié de la population. Les principales industries de Lowell sont la teinture et la fabrication des étoiles de coton. Ce qu’on fabrique de celles-ci à Lowell dans une année pourrait former une bande de 1 mètre de largeur qui ferait deux fois le tour du globe. On produit d’une telle bande d’étoffe une longueur de dix-sept milles à l’heure, ce qui est travailler avec la vitesse ordinaire des chemins de fer.

La plus intéressante de ces fabrications est celle des tapis à la machine ; on conçoit combien l’entrelacement des fils et la combinaison des couleurs avec les lignes du dessin offrent de difficultés à une pareille industrie. Il paraît que ces difficultés n’avaient pu être surmontées en Angleterre ; elles l’ont été complètement en Amérique. Il est amusant de voir les navettes, qui portent des fils de différentes couleurs, soulevées et lancées l’une après l’autre par un mécanisme que la vapeur met en mouvement, venir à leur tour et à leur rang créer comme par magie les fleurs et les ornemens du tapis ; ce qui ne l’est pas moins, c’est de voir les jeunes filles qui conduisent l’opération arrêter soudainement de leurs doigts délicats la force terrible ou lui rendre la liberté. On frémit quand ces petites mains s’avancent sur le tissu pendant l’instant très court où s’éloigne le fer qui, en revenant, si elles tardaient une demi-seconde à se retirer, les écraserait. Les ouvrières de Lowell ont plus encore que je m’y attendais un air de distinction et de fierté. Plusieurs de celles que j’ai vues debout ou assises auprès de leur métier me rappelaient la dignité calme des femmes romaines. Je ne reviendrai pas sur tout ce qu’on a si bien dit de l’excellente conduite et de l’excellente tenue de ces ouvrières, des maisons où elles vivent ensemble et où chacune est surveillée par le point d’honneur de toutes. Attaquées avec peu de chevalerie par des journaux, elles se sont défendues elles-mêmes dans leur revue, car les ouvrières de Lowell, qui se cotisent pour avoir des livres, pour se faire faire des cours, écrivent aussi. Elles ont publié plusieurs volumes d’un recueil littéraire intitulé : Offrandes de Lowell (Lowell’s Offerings). Je n’y ai pas trouvé de chefs-d’œuvre, mais j’y ai remarqué des sentimens simples et honnêtes exprimés en fort bon langage.

Cette organisation morale de Lowell est due aux grands fabricans, qui ont pour ainsi dire créé la ville. Je pense que la querelle de l’intérêt agricole et de l’intérêt manufacturier, qui est la querelle du sud et du nord, a contribué aux beaux résultats que nous voyons. Le parti qui combattait les manufactures, entre autres argumens, alléguait la démoralisation qui en Europe règne trop souvent dans les classes ouvrières des villes. Ceux qui ont établi les manufactures de Lowell sur un pied si respectable ont voulu répondre à ces objections par un frappant exemple.

En France, on se plaint que l’industrie enlève trop de bras à l’agriculture et accumule trop d’ouvriers dans les villes ; aux États-Unis, j’ai vu les hommes les plus éclairés craindre le contraire : l’attrait vers le défrichement est si vif, qu’il pourrait prévaloir à l’excès. Les partisans des manufactures citent, parmi les avantages qu’elles peuvent offrir, celui de retenir dans les villes une partie des populations, qui autrement leur échapperaient[4]. Ce n’est pas en général ce qu’on redoute chez nous. Qu’un tel point de vue soit celui des whigs, c’est-à-dire des conservateurs américains, cela montre assez combien diffèrent les situations des deux pays et les dangers qui menacent leur avenir.

Enfin j’ai trouvé un interrogateur. On m’avait annoncé que je serais accablé de questions aux États-Unis. Jusqu’ici j’en ai adressé beaucoup, et on ne m’en a pas adressé une seule; mais à Lowell, ayant demandé mon chemin à un paveur, celui-ci, que je crois Irlandais, m’a questionné sur les fêtes de Boston. Je n’ai point été scandalisé, comme un touriste anglais l’eût été peut-être, de la liberté grande. J’ai répondu à ses questions, me promettant bien de me venger par les miennes sur le premier Américain que je rencontrerai. En errant dans les rues de Lowell, je rencontre une exhibition de l’industrie locale. C’est en petit ce que je viens de voir à Londres; tout cela est produit par une ville de 30,000 âmes. Ce soir, on jouera l’Ouvrière, ici pièce de circonstance. Je vois aussi qu’il y aura un concert où l’on exécutera des morceaux d’Haydn, de Mozart et de Weber; les places sont à 25 sous.

On. m’avait recommandé de visiter le nouvel hôpital. J’ai passé deux fois devant la porte sans m’en douter. Comment croire que cette charmante villa est un hospice? L’intérieur répondait à l’extérieur; les chambres étaient d’une propreté poussée jusqu’à la recherche; il y avait même des rocking-chaise, ces fauteuils-balançoires dont l’usage est si répandu aux États-Unis. Ce qui m’a étonné, c’est de ne trouver qu’un malade; mais il y a un autre hôpital, et je suppose qu’on se fait beaucoup traiter à domicile.


Boston, 22 septembre.

L’intérêt scientifique, si puissant à Cambridge, n’est pas absent de Boston. Je demande pardon au lecteur de lui parler encore géologie; mais je ne puis me dispenser de mentionner le squelette de mastodonte que possède M. le docteur Warren, et qui offre un des débris les plus curieux et les plus complets de l’ancienne création. C’est, je crois, avec l’éléphant antédiluvien de Saint-Pétersbourg et le megatherium de Madrid, le vestige le plus considérable de l’époque antérieure à l’homme. Dans l’intérieur de ce grand quadrupède, on a trouvé des feuilles dont on a pu reconnaître la nature; elles appartiennent à une espèce de pin (le hemlock) qui croît encore aujourd’hui dans le lieu où le squelette a été trouvé; ce qui fait voir que, depuis l’époque où vivait ce mastodonte, la végétation, et par suite la température de l’Amérique septentrionale, n’ont pas changé notablement.

On a trouvé en assez grand nombre des débris de mastodonte dans diverses parties des États-Unis. En 1706, on fit une trouvaille de ce genre près d’Albany, dans l’état de New-York. À ce sujet, le gouverneur Dudley écrivait à un théologien de Boston que « ce devait être un débris de quelque être humain dont le déluge seul avait pu triompher, qui, pendant la catastrophe, avait dû tenir sa tête au-dessus des nuages, mais avait fini par succomber. » Le révérend Cotton Mather, à qui étaient adressées ces considérations géologiques, avait, pour son compte, sur la foudre des opinions fort différentes de celles que fit prévaloir la découverte de Franklin. Le bon théologien considérait la foudre comme un produit du malin esprit, « et c’est pour cela, ajoutait-il, qu’elle frappe volontiers les clochers. »

Outre cette exhibition géologique, qui est permanente, il y a en ce moment à Boston une exhibition artistique à l’Athenæum, établissement particulier qui est parvenu à se former une bibliothèque de quarante mille volumes. On y voit depuis quelques jours un tableau d’Hayley où est représenté le grand orateur whig M. Webster, prononçant ces paroles qui résument la politique de tous les patriotes éclairés des États-Unis : Liberté et union pour toujours ! En ce moment, M. Webster est à Boston. Il est question de relever le parti whig abattu dans les dernières élections. Le moment est bien choisi pour exposer le tableau d’Hayley, car aux États-Unis la politique a le pas sur tout le reste, et l’intérêt pour les arts a grand besoin d’être aidé par elle. Ce tableau est un portrait. Tout est sacrifié à la figure principale ; les traits caractérisés, la tête puissante, l’attitude dominatrice de l’orateur, sont rendus avec énergie et avec un peu d’affectation, ce qui n’est peut-être pas un défaut de ressemblance. J’ai éprouvé un vif sentiment de plaisir en reconnaissant, parmi les auditeurs représentés dans le tableau, un Français que le peintre a eu la pensée d’associer aux notabilités américaines, tant sa célébrité est inséparable de l’Amérique : c’est nommer M. de Tocqueville. Presque au début d’un voyage inspiré par son livre, et protégé par son amitié, il m’a été doux de le rencontrer sur cette terre étrangère, comme s’il m’y attendait pour me tendre la main.

Avant de quitter Boston, j’ai été assez heureux pour contempler un des résultats les plus extraordinaires de la puissance du sentiment d’humanité : j’ai vu Laura Bridgeman, cette jeune fille née sourde-muette et devenue aveugle peu de temps après sa naissance, dont l’histoire est déjà connue en Europe, surtout par le récit de M. Dickens. Ce voyageur, si sévère et si ingrat pour l’Amérique, n’y a guère admiré que Laura Bridgeman, apparemment parce qu’elle ne parlait point. On ne saurait trop revenir sur une semblable merveille, qui honore le pays où elle s’est produite. Voilà une pauvre créature séparée de la société par une triple barrière, condamnée, ce semble, à rester en dehors de la condition humaine, qui a été replacée à son rang d’être intelligent et mise en communication avec ses semblables par un prodige de dévouement ingénieux et de patience. L’auteur de ce prodige est le docteur Howe. J’ai passé une soirée bien intéressante avec Laura Bridgeman, le docteur et Mme Howe, qui traitent Laura comme leur fille. Tous deux causaient avec elle en lui traçant des lettres dans la main. C’est par le toucher qu’elle voyait les sons. Qu’on songe combien il a été difficile d’établir un rapport entre les signes et les objets qu’on ne pouvait lui montrer. On lui apprit d’abord à distinguer par le tact un groupe de lettres en saillie, qui formaient le nom d’un objet, puis on parvint, après beaucoup d’efforts, à lui faire recomposer le mot en rapprochant les lettres séparées, et en même temps on lui faisait toucher l’objet. Un jour vint où elle comprit. Puis on lui apprit à représenter les lettres par l’alphabet manuel des sourds-muets, ce qu’elle fit assez facilement. Son intelligence s’était déjà développée, et elle parvint à épeler un objet avec les doigts, c’est-à-dire en le touchant; elle en vint à imiter avec ses doigts les lettres dont se composait le nom de l’objet. Une fois arrivée là, on l’a accoutumée à reconnaître par le toucher les signes qui lui sont connus. On lui parle dans la main : sa main est à la fois son oreille et sa langue. Il y a plus : Laura sait écrire avec nos caractères. Je possède un autographe de l’aveugle-sourde-muette. C’est cette phrase en anglais : « J’ai toujours du plaisir à voir des Français. » Elle se dit parfaitement heureuse et semble très gaie; elle rit sans cesse et ne s’ennuie jamais. Elle a toujours eu d’instinct une extrême délicatesse de femme; caressante avec les personnes de son sexe, elle est très réservée avec les hommes. L’histoire de son intelligence est curieuse. Il a fallu deux ans pour qu’elle comprît les adjectifs; elle a eu besoin d’un temps encore plus long pour saisir le sens des substantifs abstraits, comme dureté. L’idée de rapport exprimée par la préposition dans lui a donné beaucoup de peine. Ce qui a le plus tardé à venir, c’est le verbe être, ce verbe qui exprime un degré d’abstraction auquel ne peuvent parvenir les langues des sauvages. Ce n’est pas du reste le seul rapport qu’ait son langage avec le leur; ainsi elle disait deux dimanches pour deux semaines, comme ils disent, et les poètes avec eux, vingt printemps pour vingt années. Laura a appris très facilement à écrire, et a su bientôt faire des additions et des soustractions de petits nombres. Rien n’est plus touchant que le récit véridique de la manière dont elle a reconnu sa mère. Celle-ci parvint à se faire reconnaître en plaçant sous les doigts de Laura des objets familiers à son enfance. Après n’avoir longtemps manifesté que de l’indifférence, un souvenir vague, un soupçon, s’élevèrent tout à coup dans l’âme de Laura. Elle pâlit, rougit, se jeta sur le sein de sa mère et fondit en larmes. M. Howe m’a raconté comment elle est arrivée à comprendre l’existence de Dieu : c’est comme les philosophes, par l’idée de causalité. « Il y a des choses que les hommes ne peuvent faire, disait-elle, et qui pourtant existent, la pluie par exemple. » Ce n’est pas le spectacle de la nature ou le bruit de la foudre qui lui ont révélé la Divinité, car pour elle la nature est voilée et la foudre est muette ; il a suffi de l’impression produite par une goutte d’eau pour faire naître dans son esprit cette question de la cause que l’homme pose nécessairement, et à laquelle il n’y a qu’une réponse : Dieu.


Canada.

J’ai pris le chemin de fer, dont je viens de voir célébrer l’ouverture avec tant de solennité, et qui conduit de Boston à Montréal.

Quelques heures après notre départ, le chemin de fer nous a conduits au milieu des défrichemens. Le spectacle qu’on allait chercher, il y a quelques années, avec des fatigues infinies, au fond des forêts vierges, aux limites de la civilisation, on le rencontre maintenant sur les bords d’un chemin de fer. Voilà bien les divers degrés du settlement, les restes des troncs brûlés pour éclaircir le sol, la maison de bois qu’on vient de construire avec les arbres, que la hache a couchés, des essais de culture entre ces maisons de bois et ces troncs d’arbres noircis par le feu. C’est ainsi que commencent les sociétés. Ces pierres d’attente de l’avenir parlent à mon imagination un autre langage que les débris du passé, mais elles ne l’ébranlent pas moins fortement. Quand je contemplais des ruines en Italie, en Grèce, en Égypte, je rêvais à ce qui a été : en contemplant ces rudimens d’habitations humaines, je rêve à ce qui sera. Des tronçons de colonne épars sur le sol sont sans doute plus beaux que ces tronçons de sapin à demi brûlés ; mais je ne sais s’ils ont plus de poésie, et surtout plus d’éloquence. Et puis, il est si étrange de voir fuir et tournoyer cette scène d’une civilisation encore sauvage, emporté que l’on est soi-même à travers les sapins, les cabanes de bois, les défrichemens, par ce boulet qui entraîne avec fracas quatre cents personnes, dont un grand nombre se précipite dans l’ouest, pour aller faire plus loin ce qui me frappe ici.

Enfin nous arrivons au bord du Saint-Laurent. Il y a quelques jours, j’avais à Boston la température de Naples. C’est un autre climat, un autre monde ; le froid est vif ; l’eau verte du Saint-Laurent, les montagnes noires qui bornent l’horizon ont un air septentrional, un air de Baltique. Un pâle soleil est réfléchi par des toits couverts de fer-blanc. L’impression que je ressens est une impression de tristesse, de silence, d’éloignement. Je descends sur le beau quai de Montréal ; on y embarque quelques bûches, on y entend retentir de rares coups de marteau. Que sont devenus le mouvement et le tumulte qui animaient les ports des États-Unis ?

À peine débarqué, une querelle survenue entre deux charretiers fait parvenir à mon oreille des expressions qui ne se trouvent pas dans le dictionnaire de l’Académie, mais qui sont aussi une sorte de français. Hélas ! notre langue est en minorité sur les enseignes, et, quand elle s’y montre, elle est souvent altérée et corrompue par le voisinage de l’anglais. Je lis avec douleur : manufactureur de tabac, sirop de toute description ; le sentiment du genre se perd, parce qu’il n’existe pas en anglais ; le signe du pluriel disparaît là où il est absent de la langue rivale. Signe affligeant d’une influence étrangère sur une nationalité qui résiste, conquête de la grammaire après celle des armes[5] ! Je me console en entendant parler français dans les rues. On compte par écus, par louis et par lieues. Je demande l’adresse de M. Lafontaine, qui n’écrit pas des fables, mais qui est le chef d’un ministère libéral et modéré, et j’apprends avec un certain plaisir qu’il demeure dans le faubourg Saint-Antoine. Le faubourg Saint-Antoine de Montréal est beaucoup plus agréable que celui de Paris : il est plus propre, moins bruyant ; c’est un vrai faubourg champêtre, avec beaucoup de jardins. Le faubourg Saint-Antoine, au temps de Mme de Sévigné, devait ressembler à cela.

En sortant de chez M. Lafontaine, je suis revenu par un chemin à mi-côte, bordé de jolies maisons en bois, souvent ornées de moulures et de fenêtres gothiques. Je m’étonne que la végétation ne soit pas plus septentrionale ; je m’attendais presque à ne voir que des arbres toujours verts, et j’en vois très peu. J’aperçois en revanche de très-beaux chênes. Le pommier de Normandie croît à côté de l’orme américain dans cette France américaine. Le soleil est plus chaud que ce matin ; je trouve la ville moins triste ; la rue principale est bordée d’assez beaux magasins. La cathédrale, quoique peu ancienne, a un aspect de gothique européen, un faux air de Notre-Dame. Les maisons sont généralement bâties en granit ou en bois ; on peint ce bois en gris pour imiter le granit. La couverture métallique des toits, les vêtemens des gens de la campagne, tout est de la même nuance. Chaque ville a sa couleur : Constantinople est rouge, Malte est blanche, Londres est noire, Montréal est gris.

Avant de rentrer dans la ville, j’ai désiré gravir la hauteur qui la domine et lui donne son nom; mais, de ce côté, je ne pouvais pénétrer qu’en traversant des propriétés particulières. J’ai franchi plusieurs portes et plusieurs cours sans rencontrer personne; enfui une bonne femme, occupée à jardiner, m’a dit, avec un accent plein de cordialité et très-normand : Montais, m’sieu, il y a un biau chemin. En montant, j’ai trouvé de beaux arbres et une vue admirable. Par delà l’arc bleu du Saint-Laurent s’étendaient des montagnes peu élevées, dont les tons gris cendré ou gris de perle se détachaient sur les nuages ou se noyaient dans la lumière. La ville se montrait par-dessus les arbres qui étaient à mes pieds; la cathédrale et plusieurs clochers gothiques dessinaient comme une silhouette blanche sur le ciel.

Ainsi qu’on vient de le voir, l’accent qui domine à Montréal est l’accent normand. Quelques locutions trahissent pareillement l’origine de cette population, qui, comme la population franco-canadienne en général, est surtout normande. Le bagage d’un voyageur s’appelle butin, ce qui se dit également en Normandie et ailleurs, et convient particulièrement aux descendans des anciens Scandinaves. J’ai demandé quel bateau à vapeur je devais prendre pour aller à Québec; on m’a répondu : Ne prenez pas celui-là, c’est le plus méchant. Nous disons encore un méchant bateau, mais non ce bateau est méchant. Nous disons un méchant vers, quand par hasard il s’en fait de tels; mais nous ne dirions pas, comme le Misanthrope :

J’en pourrais, par malheur, faire d’aussi méchans.


Pour retrouver vivantes dans la langue les traditions du grand siècle, il faut aller au Canada.

Ayant eu soin de ne pas prendre le plus méchant des bateaux à vapeur, je suis parti pour Québec avant que la saison soit plus avancée, sauf à m’arrêter encore à Montréal en revenant.

Sur ce bateau est un ouvrier de Québec, qui me traite avec une déférence presque affectueuse, en ma qualité de Français de la vieille France, et m’assure qu’on suit toujours avec intérêt ce qui se passe chez nous. Des Canadiens vivans ont encore vu des vieillards qui attendaient notre retour, et disaient : Quand viendront nos gens? Aujourd’hui, la pensée de redevenir Français n’est plus dans aucun esprit; mais il reste toujours un certain attachement de souvenir et d’imagination pour la France.

Aux premiers rayons du jour, je suis au pied du cap Diamant et de ces grands rochers qui forment comme le soubassement de Québec, et en font une position si forte. Ils me frappent par une singulière ressemblance avec la montagne du Roule, qui domine Cherbourg.

La situation de Québec est magnifique. Au pied des rochers que la ville couronne, la rivière Saint-Charles vient se jeter dans le Saint-Laurent ; en face sont de beaux villages, de blanches maisons semées au milieu des arbres ; de légères embarcations et de gros navires voguent sur le fleuve majestueux : la vue les suit jusqu’au moment où ils tournent derrière ce promontoire sombre et grandiose qui s’appelle le cap Tourmente, et la ville domine cet ensemble pittoresque d’eaux, de rochers, de villages, au-dessus desquels elle est suspendue.

Avant tout, je suis allé voir le champ de bataille où s’est décidé le sort de Québec, du Canada et de la France en Amérique. Il y a eu un temps où les Français dominaient par une ligne de forts les points les plus importans d’une étendue de douze cents lieues, depuis Terre-Neuve jusqu’au Mississipi. Alors le lac Ontario s’appelait lac Frontenac ou Saint-Louis ; le lac Erié, lac de Conti ; le lac Huron, lac d’Orléans ; le lac Michigan, lac Dauphin ; le lac Supérieur, lac de Tracy ou de Condé ; la rivière des Illinois, rivière Seignelay ; le Mississipi, rivière Saint-Louis ou rivière Colbert. En voyant une carte d’Amérique gravée en 1688, je croyais voir une carte de France. Tout cela composait la Nouvelle-France, et de tout cela il ne nous reste rien. Dans le pays que nous possédions étaient ces régions de l’ouest vers lesquelles se précipite aujourd’hui l’activité américaine, et qui seront un jour la portion la plus riche et la plus peuplée des États-Unis. Je ne sais, du reste, si nous eussions pu conserver ce vaste empire. Pendant que la France lançait dans les profondeurs inexplorées du nouveau continent ses missionnaires et ses guerriers, l’Angleterre établissait sur le littoral des colonies agricoles et marchandes, et s’avançait d’un pas lent, mais sûr, vers l’intérieur du pays. Surtout depuis l’affranchissement de ces colonies, comment nos établissemens auraient-ils pu subsister sui-cette longue ligne, séparés par elles de la mer ? Les États-Unis pouvaient-ils nous abandonner le Mississipi et laisser lier l’artère principale de leur commerce sans étouffer[6] ? Ce que nous avions à faire, c’était de défendre et de garder le Canada ; or c’est ce que nous ne fîmes point : presque jamais on ne comprit en France l’importance de cette colonie. Dès 1629, le Canada fut momentanément occupé par les Anglais. Le conseil de Louis XIII tenait si peu à cet établissement, qu’il proposait de n’en pas demander la restitution ; mais Richelieu, avec ce grand instinct de nationalité qui fut le génie de sa politique, ne partagea point cet avis et revendiqua une possession qu’on voulait livrer à l’Angleterre. Il fit armer six vaisseaux pour aider à la réclamation, et trois ans après l’Angleterre rendait le Canada à la France. Sous Louis XV, il n’y avait plus de Richelieu, et Voltaire, dont l’esprit était plus français que le cœur, écrivait : « Dans ce temps-là, on se disputait quelques arpens de neige au Canada. » On a vu ce que c’était que ces arpens de neige, et qu’il y allait pour nous de possessions plus vastes que l’Europe, dans lesquelles étaient comprises les meilleures terres des États-Unis. Plus fidèle à la France, le paysan canadien n’a point pardonné à la politique de ce temps, et, personnifiant dans un nom cette politique désastreuse, accuse encore aujourd’hui la Pompadour.

Tandis que, plein de ces souvenirs glorieux et tristes tout ensemble, j’errais à travers les rues de Québec, j’ai levé les yeux. Devant moi était un obélisque de granit sur lequel j’ai lu : Montcalm. Une autre face de l’obélisque porte le nom de Wolfe. On sait que, dans la bataille livrée devant Québec, les généraux des deux armées succombèrent le même jour, l’un enseveli dans son triomphe, l’autre dans son héroïque défaite. Il est bien à l’Angleterre d’avoir consacré dans un commun hommage la mémoire de Wolfe et la mémoire de Montcalm. Une inscription d’une noble simplicité se lit au-dessous de leurs noms : Mortem virius, communem famam historia, monumenium posteritas dedit ; — leur courage leur donna la mort, l’histoire une gloire commune, la postérité ce monument.

Nous devons à notre tour proclamer que Wolfe était un généreux cœur, et capable d’un autre enthousiasme encore que celui de la gloire militaire. Pendant la nuit qui précéda l’assaut de Québec, dans la barque qui glissait sur le fleuve au pied des rochers, Wolfe, entouré de ses officiers, lisait à demi-voix, pour ne pas être entendu par les sentinelles ennemies, l’élégie de Gray sur un Cimetière de Campagne[7], dans laquelle sont exprimées avec tant de charme et de mélancolie les douceurs paisibles de la vie obscure, et qui était nouvellement arrivée d’Europe. En terminant sa lecture, Wolfe dit : « Messieurs, je serais plus fier d’avoir fait ces vers que de prendre Québec. » Paroles vraiment belles dans la bouche de celui qui allait donner sa vie pour prendre Québec! Blessé à mort et sa vue s’affaoblissant, il se faisait raconter les détails de sa victoire, et s’écriait : « Je meurs content ! » Montcalm disait de son côté : « Je suis heureux de mourir ; je ne verrai pas les Anglais dans Québec. » Rien de plus touchant que cette joie magnanime chez ces deux hommes, tombant à la même heure pour leur pays, l’un heureux d’un succès dont il ne jouira pas, l’autre s’applaudissant d’une mort qui lui épargne la douleur de voir le triomphe de l’ennemi, tous deux d’accord pour bénir une noble fin[8].

M. Garneau, qui a bien voulu être mon obligeant cicérone, a écrit une histoire du Canada, fruit de recherches consciencieuses et animée d’une sympathie sincère pour la France, qui n’est du reste que de la justice historique. Quelques imperfections de langage disparaîtront dans une nouvelle édition qu’il prépare aujourd’hui ; je les regretterai presque : elles sont une expression de plus de la séparation que nous avons laissée s’accomplir et une accusation contre le gouvernement qui l’a lâchement permise.

J’ai été admirer la belle cascade qui porte le nom si français de Montmorency et visiter les cultivateurs des environs de Québec, chez lesquels les mœurs de la vieille France vivent dans toute leur intégrité. La colonisation du Canada ne fut point composée de gens sans aveu, d’aventuriers de bas étage, mais d’honnêtes campagnards, de petits gentilshommes et de soldats. On m’assure même qu’un bâtiment qui apportait une population moins respectable fut renvoyé avec elle en France. Aussi l’habitant canadien de mot (le paysan n’est pas connu) est-il en général religieux, probe, et ses manières n’ont rien de vulgaire et de grossier. Il ne parle point le patois qu’on parle aujourd’hui dans les villages de Normandie. Sous son habit de bure grise, il y a une sorte de noblesse rustique. Quelquefois il est noble de nom et de race, et descend de quelque cadet de Normandie. Nous avons, par exemple, rendu visite à un habitant qui menait la vie d’un paysan aisé et s’appelait M. de Rainville.

La cascade Montmorency est formée par une belle nappe d’eau légèrement tortueuse qui tombe de deux cent trente pieds, presque dans les eaux du Saint-Laurent, entre des arbres et des rochers. La chute, comme il arrive souvent, s’est fait jour au point où se joignent deux terrains différens, les schistes et le calcaire.

Pendant le temps que j’ai passé à Québec, j’ai beaucoup entendu parler politique. J’ai trouvé dominante l’opinion que j’avais rencontrée à Montréal : rester attaché au gouvernement anglais tant qu’il continuera lui-même à marcher dans la voie libérale où il a fini par entrer. Les Canadiens français sentent parfaitement que la réunion aux États-Unis entraînerait la perte de leur nationalité. Les États-Unis en ce moment font toute sorte d’avances aux Canadiens ; ils semblent dire :

J’embrasse mon rival, mais c’est pour l’absorber.


Le Canada jouit de toute la liberté désirable, et de plus n’est soumis qu’à des taxes locales. Il n’a rien à payer pour un gouvernement central qui réglementerait les travaux publics et le commerce, rien pour une armée. Il est vrai que ce gouvernement gratuit a l’inconvénient d’être à Londres, et que, si l’on ne paie pas d’armée, c’est qu’on est gardé par une armée étrangère. C’est là ce qui déplaît aux ardens ; de plus ils comparent l’activité de production des États-Unis, l’accroissement de leur population, de leur richesse, de leur puissance, avec la langueur relative du Canada, langueur du reste qui a été exagérée. La population française a décuplé, en quatre-vingts ans (de 60,000 âmes à 600,000), et cet accroissement de la population s’est opéré sans le secours de l’immigration ; il ne s’est peut-être pas établi 4,000 émigrans dans le Bas-Canada depuis la conquête. En délivrant la terre des embarras de la législation féodale, on espère qu’un beaucoup plus grand nombre de colons pourrait venir s’établir dans un climat rude, mais sain, qui, pour les populations catholiques ou parlant le français, comme les Belges, les Suisses, les Français eux-mêmes, aurait des avantages que n’offrent pas les États-Unis. Il ne faut pas croire que le gouvernement se soit endormi dans l’inaction, tandis que le peuple voisin multipliait avec une si grande rapidité les voies de communication sur son vaste territoire. Un Anglais, qui du reste est loin de partager les préjugés de quelques-uns de ses compatriotes sur les États-Unis, exprime, dans un voyage récemment publié[9], combien il a été surpris en trouvant les routes au Canada dans un beaucoup meilleur état qu’il ne l’espérait. Jusqu’à l’année 1849, on a dépensé au Canada, en routes et ponts, plus de 450,000 livres sterling, et pour deux canaux seulement, plus de deux millions de livres. L’un d’eux est le canal Welland, établi pour éviter la chute du Niagara. Un chemin de fer, dont les fonds sont votés, ira d’Halifax à Montréal, en passant par Québec. Le Saint-Laurent est une voie de commerce magnifique, mais pendant six à sept mois le passage est fermé par les glaces.

Les Canadiens nous appellent les Français de la vieille France, mais c’est le pays appelé autrefois la Nouvelle-France qui est aujourd’hui l’ancienne. La propriété foncière y est encore soumise au droit seigneurial. En 1852, il faut aller jusqu’en ce pays reculé pour entendre parler de seigneurs et de seigneuries ; ces seigneurs, il est vrai, ne sont pas des personnages féodaux. Il n’y a point de noblesse reconnue au Canada. Après la conquête, tout ce qui appartenait aux rangs les plus élevés de la société quitta le pays ; ce fut un malheur pour lui. On trouve bien, comme je l’ai dit, dans la classe des cultivateurs, et quelquefois dans les derniers rangs de la société, des noms nobles ; mais ceux qui les portent, gentilshommes d’origine, ne le sont plus de fait, et se confondent dans le reste de la population. Les prétentions d’un particulier qui voulait prendre le titre de baron n’ont pas été admises par le gouvernement. La démocratie règne ici comme aux États-Unis ; tous les hommes influons sont sortis de la bourgeoisie ou du peuple ; cela n’empêche pas que les terres n’appartiennent à des seigneurs, seulement ces seigneurs sont souvent de très minces propriétaires. Le plus riche est le séminaire de Montréal, qui possède tout le terrain de la ville et le pays à plusieurs lieues à la ronde, ce qui lui fait un revenu de 26,000 louis. Les droits seigneuriaux se composent principalement de ce que l’on paie pour la tenure du sol, ce qui est très peu de chose, et d’un droit sur les ventes qui s’élève à 12 pour 100 ; ce dernier droit est seul onéreux. Celui qui garde sa propriété pour la transmettre à sa famille, ce qui est en général le cas pour les Canadiens français, ne souffre pas de la législation du pays, car il ne paie que le droit de tenure, qui est insignifiant ; mais la transmission de la propriété foncière est très gênée par le droit de vente. Le plus gi-and inconvénient des seigneuries est d’immobiliser la terre, et surtout d’écarter les émigrans, qui veulent une possession plus complète et la liberté de disposer du sol à leur gré.

Un tel état de choses ne peut durer, mais la difficulté est d’en sortir. Quelques-uns proposent de supprimer le droit des seigneurs, ce qui serait une véritable spoliation. Le chef du ministère actuel, M. Lafontaine, est d’avis qu’il ne faut point dépouiller les seigneurs de leur droit, mais déclarer la commutation forcée[10], c’est-à-dire donner à l’occupant la faculté de devenir propriétaire en achetant le fonds pour un prix établi sur une évaluation équitable. C’est aux seigneurs à faire un arrangement, sans quoi ils seront dépouillés tôt ou tard. Malheureusement, ils semblent peu disposés aux concessions, et ils pourraient finir par tout perdre pour avoir voulu tout garder. Le clergé catholique est très populaire parmi les habitans d’origine française, et dans une complète sympathie avec eux. Il a pour revenu la dixme, qui n’est pas un dixième, mais un vingt-sixième des produits ruraux. Le paysan préfère beaucoup un impôt en nature à un autre impôt. C’est sous le rapport de l’instruction que l’avantage des États-Unis sur le Canada est peut-être le plus considérable. Les puritains de la Nouvelle-Angleterre, malgré leur fanatisme intolérant et persécuteur, furent conduits par le principe protestant, qui fait à tout chrétien une loi de lire la Bible et d’y puiser directement sa foi, à établir des écoles, « le principal objet de Satan, disaient-ils, étant d’empêcher les hommes de connaître l’Écriture, en les détournant de l’étude des langues, à cette fin que l’instruction ne soit pas enfouie dans les tombeaux de nos pères….. » Après ce considérant, dans lequel le diable joue le premier rôle, viennent des dispositions qui établissent des écoles dans chaque district sous peine de grosse amende. On était loin du principe volontaire, mais enfin on fondait des écoles ; par un motif ou par un autre, on apprenait à lire à tout le monde. Au Canada, le clergé catholique a beaucoup fait pour l’instruction. Les séminaires de Québec et de Montréal, les jésuites, les récollets, ont contribué largement à cette œuvre. J’ai trouvé dans le séminaire de Québec[11] un cabinet de physique très complet. J’ai reconnu notamment les appareils électro-magnétiques inventés par mon père. J’ai vu un vieux prêtre, autrefois professeur de physique, tout ému par la présence du fils de celui dont il avait longtemps exposé les découvertes.

Tout cela montre combien le clergé canadien est éclairé, combien il a soin de se tenir au courant des progrès de la science européenne. Avec la meilleure volonté du monde pourtant, il était impossible à ce clergé de répandre les bienfaits de l’instruction parmi des populations disséminées sur un si vaste espace. Ces populations avaient aussi sur ce point, il faut le dire, des sentimens bien différens de ceux que manifestent généralement les citoyens des États-Unis. Parmi eux, un des premiers soins des communes qui se forment sur un terrain défriché d’hier est d’organiser des écoles[12] ; mais au Canada, quand, il y a quelques années, la législature a décrété l’établissement d’écoles paroissiales, les habitans ont accueilli cette fondation avec peu d’empressement. l’on avait voté pour cet objet une somme considérable, et l’on voulait appliquer le principe américain d’une contribution des communes égale à la somme donnée par l’état ; mais les communes très souvent nommaient des commissaires à condition qu’ils ne feraient rien, et, quand ils voulaient faire quelque chose, ils couraient risque d’être assommés. En quelques endroits, on a mis le feu à la maison de ces commissaires. Là où la commune consentait à payer sa part du traitement des instituteurs, chaque habitant voulait avoir un instituteur à sa porte. Certaines communes en ont demandé dix-sept, ce qui réduisait singulièrement les appointemens de chacun. Cette disposition des esprits s’est, grâce au ciel, beaucoup améliorée : des faits pareils ne se reproduiront plus ; mais pour qu’ils aient pu avoir lieu, il a fallu que, parmi les honnêtes cultivateurs du Canada, un certain nombre fût bien étranger à ce besoin d’instruction qui est si général aux États-Unis.

Quant à la conduite du gouvernement anglais, elle a commencé par être odieuse et perfide toutes les fois que ce gouvernement ne se croyait pas menacé. Peu de temps après la conquête, une proclamation royale enjoignit au gouverneur de convoquer des assemblées provinciales, comme dans les autres colonies anglaises de l’Amérique : les Canadiens étaient invités à se confier à la protection royale pour la jouissance et le bienfait des lois de notre royaume d’Angleterre. Les assemblées ne furent point convoquées, mais les lois anglaises furent brusquement introduites à la place de la coutume de Paris. À ce changement on gagnait l’établissement du jury ; on recevait un don moins précieux dans le chaos de lois que l’usage et la tradition peuvent rendre supportable en Angleterre, mais qui, au Canada, sans rapport avec les antécédens du pays, étaient un véritable fléau. Les Canadiens français réclamèrent contre ces lois, « infiniment sages et utiles, disaient-ils, pour la mère patrie, mais qui ne peuvent s’allier avec nos coutumes sans renverser nos fortunes et détruire entièrement nos possessions[13]. » Ceci se passait au moment où l’Angleterre commençait à craindre pour ses autres colonies, il ne fallait pas trop désaffectionner la population française, en grande majorité au Canada. On lui rendit donc, par l’acte de Québec, l’usage de l’ancienne coutume française, tandis que, pour rassurer les sujets anglais contre l’arbitraire et les lettres de cachet, on introduisit dans la législation l’habeas corpus et le jugement par jury dans certains cas déterminés.

C’est probablement à ces concessions prudentes que l’Angleterre dut la conservation du Canada lors de l’insurrection américaine. Il est certain qu’à cette époque une grande portion du peuple canadien sympathisait avec les États-Unis. Il y avait deux cents Canadiens dans l’armée du général américain Montgomery, qui vint, comme Wolfe et Montcalm, mourir sous les murs de Québec. Les seigneurs et le clergé s’opposèrent à ce mouvement et conservèrent le Canada à l’Angleterre. Il faut avouer que les colonies anglaises qui invitaient les Canadiens à secouer le joug de la métropole, ne faisaient rien pour se les attacher. Le congrès, dans une adresse au peuple américain, reprochait à l’Angleterre l’acte de Québec, qu’il dénonçait comme une tentative criminelle pour établir la foi catholique, comme un exemple de tyrannie dans l’empire britannique, et d’autre part, dans une lettre aux Canadiens, le même congrès leur disait que cet acte ne pouvait être bien mis à exécution par les Anglais. Ces contradictions durent contribuer à retenir le Canada sous la domination anglaise. M. de Lafayette désira tenter dans ce pays une expédition, il se flattait que son nom y réveillerait des souvenirs français; mais il ne put réaliser ce dessein, auquel il tenait beaucoup.

En 1791, Pitt divisa la province en haut et bas Canada, et voulut y établir une constitution faite à l’image de la constitution britannique. Cette image était très infidèle, comme Fox le fait remarquer. Au lieu d’une chambre des lords représentant une aristocratie indépendante, laquelle n’existait pas au Canada, Pitt créait un conseil législatif sans indépendance; il plaçait à côté de lui une assemblée représentative nommée par un corps électoral très nombreux et peut-être peu préparée par ses habitudes et son éducation à exercer ce pouvoir. Cette constitution à la fois trop monarchique et trop démocratique, et l’incurie du gouvernement anglais, n’ont produit pendant longtemps dans les deux Canada que confusion et désordre. Le Haut-Canada était presque exclusivement anglais, le Bas-Canada presque exclusivement français. Il y avait entre les deux pays animosité de race, de langue, de religion; on n’échappait aux inconvéniens de la constitution de Pitt qu’en ne l’appliquant pas. Enfin, en 1837, lord John Russell imagina de la faire abolir par le parlement. Le conseil législatif cessa d’être électif, et comme l’assemblée représentative avait refusé de voter les fonds nécessaires pour les services publics, le gouvernement fut autorisé à prendre dans le trésor provincial, pour en disposer à son gré, des sommes qui avaient été votées, il est vrai, par la législature canadienne, mais dont l’appropriation avait été jusque-là réservée à cette législature aussi bien que le vote. Ce fut un coup d’état parlementaire contre les droits constitutionnels du Bas-Canada.

On sait ce qui a suivi. Les Canadiens ont pris les armes, ont livré aux Anglais trois combats dans l’un desquels ils ont eu l’avantage; puis leurs vaillantes milices ont été écrasées par les troupes régulières de la métropole. La victoire a été cruelle; on a frappé surtout les jeunes gens appartenant aux meilleures familles. Après les exécutions des insurgés, on a voulu décapiter le pays, noyer la population française dans la population anglaise, en prononçant la réunion du Haut et du Bas-Canada. C’était le rêve du parti anglais, et ce que ses organes demandaient avec passion depuis plusieurs années. On est parvenu à faire voter ce changement par les deux législatures. Celle du Haut-Canada a été unanime, et à force d’argent on a obtenu dans le Bas-Canada quelques voix qui ont donné la majorité à la mesure tant désirée ; mais le résultat a été diamétralement opposé à celui qu’on attendait. Dans l’assemblée, où siègent réunis les représentans des deux provinces, les Français du Bas-Canada ont voté de concert et ont attiré à eux un certain nombre d’Anglais éclairés et influons. Depuis ce temps, ils ont la majorité. C’est ainsi qu’ils ont pu obtenir ce que lord John Russell avait refusé, la responsabilité des ministres. Le parti anglais violent, exaspéré de voir tourner en faveur du parti français une mesure au moyen de laquelle il avait espéré l’anéantir, s’est soulevé à son tour ; mais sa campagne a été honteuse, elle s’est bornée à une ignoble émeute qui, après avoir tenté de pendre les ministres, a brûlé la salle des séances du corps législatif et la bibliothèque : tel a été l’exploit principal de ceux qui se nommaient au Canada les tories et les conservateurs. Quelques-uns de ces tories émeutiers et incendiaires, par le dernier effort d’un machiavélisme désespéré, poussent aujourd’hui à l’annexion, pour anéantir, même au profit de leurs adversaires naturels, le pays qu’ils n’ont pu opprimer. Enfin le gouvernement anglais a compris qu’après tant d’iniquités et de maladresses il était temps d’appliquer au Canada la maxime de Fox : « Le Canada doit être conservé à la Grande-Bretagne par le choix de ses habitans ; mais pour cela il faut que leur condition ne soit pas plus mauvaise que celle de leurs voisins. » La grande majorité des Canadiens français, voyant cette disposition impartiale du gouvernement, résiste à l’attraction que les États-Unis exercent sur une portion peu considérable, il est vrai, mais très-vive de l’opinion libérale. À la tête de cette fraction, séparée des Anglais par une rancune irréconciliable, est M. Papineau, le plus grand talent oratoire du Canada. Il est fâcheux que dans les circonstances présentes il ne puisse jouer un rôle. Retiré dans sa seigneurie, sur les bords de l’Ottawa, il attend un jour, qui viendra peut-être, si les antipathies de race assoupies momentanément se réveillent entre les descendans des Anglo-Saxons et les descendans des Normands, qui ont changé de rôle en Amérique et semblent, sur cette terre lointaine, poursuivre les représailles d’un ancien combat. La sages e de l’Angleterre doit prévenir ce réveil, qui lui serait fatal et donnerait certainement le Canada aux États-Unis.


Avant de quitter Québec, j’ai passé quelques heures fort agréables chez un homme très français d’esprit comme de manières, M. Chauveau. J’ai appris de lui, ce qui m’a été confirmé par d’autres, combien la population canadienne est occupée de la France. À peine si on lit les livres nouveaux qui se publient en Angleterre ; mais tout le monde lit les ouvrages français. Voltaire disait un peu ironiquement :

Partout, même en Russie, on vante nos auteurs.

Maintenant la Russie est à notre porte, c’est une province littéraire de la France ; mais un peu plus loin, au Canada, il en est de même qu’en Russie : toutes les jeunes filles savent par cœur l’Automne de M. de Lamartine. M. Chauveau, bien que jurisconsulte et homme politique, cultive avec goût la poésie ; il a écrit, pour défendre son pays contre quelques sévérités françaises, des vers très français de tour et d’esprit, et qui ne semblent point du tout venir de l’autre monde.

Autrefois le commerce du Canada consistait surtout en fourrures. Il faut lire dans l’introduction, Astoria, tracée par la plume élégante de Washington Irving, la peinture de l’existence presque féodale des membres de la compagnie du nord-ouest ; l’auteur peint aussi la vie aventureuse des voyageurs canadiens, qu’il a vus dans sa jeunesse. Les premiers apparaissent dans la splendeur patriarcale de leurs banquets hospitaliers ; les autres, tels qu’ils sont encore aujourd’hui, campant et bivouaquant près des feux allumés au bord des fleuves ou faisant entendre aux rives solitaires des grands lacs les refrains grivois qui charmaient nos pères, et qui, maintenant oubliés d’une génération plus morale ou plus morose, vont expirer, contraste bizarre, dans les majestueuses solitudes des forêts du Nouveau-Monde.

Aujourd’hui le principal commerce du Canada est le commerce des bois. On l’accuse de séduire et de démoraliser les Canadiens par l’existence tour à tour très pénible et très oisive qu’il impose. Un proverbe dit que le raftsman (celui qui amène le bois coupé dans les forêts le long des fleuves) se trouve à la fin de l’été avec une constitution épuisée, des habitudes d’ivrognerie, une paire de pantalons et un parapluie.

Cette vie misérable n’est pas sans poésie, et cette poésie a été exprimée assez heureusement dans un chant composé aux États-Unis. Le Maine a aussi dans ses forêts des abatteurs (lumberers), et c’est l’un d’eux que le poète fait parler :


« Frappons, que chaque coup ouvre passage au jour, que la terre longtemps cachée s’étonne de contempler le ciel ! Derrière nous s’élève le murmure des âges à venir, le retentissement de la forge, le bruit des pas des agriculteurs rapportant la moisson dans leur demeure future.

« Reste qui voudra dans les rues des villes, ou se plaise sur la plaine nivelée. Donnez-nous la vallée couverte de cèdres, les rochers et les sommets du Maine. Tenons-nous-en à notre pays boréal, sauvage et boisé ; rude nourrice, mère vigoureuse, garde-nous sur ton cœur. »


30 septembre, Montréal.

Je suis parti hier soir de Québec, et ce matin me voilà de retour à Montréal. La sympathie pour un Français d’Europe que j’ai trouvée à Québec, je la retrouve ici. J’en reçois en arrivant un témoignage qui me touche vivement. On donne demain un dîner d’honneur à M. Lafontaine, qui, après avoir contribué plus que personne au succès de la sage politique dont le Canada ressent aujourd’hui les bienfaits, s’est décidé à quitter le ministère au sein de son triomphe, ce qui ne peut s’expliquer que par les raisons qu’il donne lui-même, des raisons de santé. Je suis invité à ce dîner d’adieu. Je m’associerai de grand cœur à cette expression de l’opinion publique, et je verrai là réunis pour une manifestation des meilleurs sentimens canadiens les hommes les plus distingués, Français et Anglais, du parti constitutionnel. En attendant, j’enregistre quelques renseignemens qui me sont donnés sur ce pays et qui dessinent le caractère des deux races qui l’habitent. Un changement notable s’est opéré depuis quelques années dans la situation commerciale de nos compatriotes du Canada. Le commerce de ce qu’on appelle les marchandises sèches (dry goods) était entièrement entre les mains des Anglais. Il n’y avait qu’un commerçant français à Montréal, pas à un à Québec; aujourd’hui il n’en est plus ainsi. Les autres branches de commerce, les vins, les huiles, les épiceries, sont encore principalement entre les mains des Anglais. Je demande d’où provient cette différence; on me répond en souriant, — c’est un Français qui parle, — que ces branches du négoce s’arrangent mieux d’une conscience un peu élastique. On convient en même temps que les Canadiens français, en cela très semblables à leurs frères d’Europe, sont trop accoutumés à compter sur la protection du gouvernement, trop peu disposés à combiner librement leurs efforts et leur action. Dans le Haut-Canada, au contraire, où prévalent, comme en Angleterre et aux États-Unis, le principe volontaire et l’esprit d’association, on se concerte fréquemment pour entreprendre un chemin, un canal. Ce contraste fait voir combien des tendances diverses semblent inhérentes au génie des deux peuples, puisqu’elles les suivent dans leurs plus lointaines migrations.

Cœlum non animum mutant qui trans mare currunt.

Certains traits qu’on peut plus particulièrement rapporter au naturel normand se montrent dans les habitudes des Canadiens français. Le Canadien n’est pas prêteur; il lui coûte de se dessaisir de son argent. En même temps, ce qu’il y a de généreux dans le caractère français se trahit par une assez grande facilité à se faire caution pour obliger. La population du Haut-Canada se recrute par l’émigration, celle du Bas-Canada par un moyen plus direct. Un paysan disait à M. Johnston l’agronome : « Oh! monsieur, nous sommes terribles pour les enfans. » En général, l’Anglais ne fait qu’une chose; le Français exerce à la fois plusieurs industries. Cette assertion ne m’a pas étonné, car j’ai vu l’autre jour un magasin où l’on vendait des bijoux, des fromages et des balais. Ceci au reste n’est point propre aux Canadiens français[14] ; partout l’on commence par-là : la division du travail et du négoce est le produit du temps et du raffinement qu’il amène avec lui. Je me souviens qu’à Athènes en 1843 presque tout s’achetait dans le même magasin : un chapeau, des bottes, une selle de cheval, un matelas ; et, comme le magasin était dans l’hôtel, le voyageur n’avait qu’à demander au garçon ces divers objets, ainsi qu’il lui aurait demandé une côtelette ou une tasse de chocolat, et on les mettait sur la carte avec le prix de la chambre et du dîner.

J’ai fait une promenade avec M. Lafontaine autour de la colline qui domine Montréal, en suivant de belles allées d’arbres. On a par momens une vue admirable. Nous sommes rentrés par le quartier où se trouve le grand bassin. C’est un magnifique travail : on l’a élargi récemment, des écluses permettent d’y introduire la quantité d’eau dont on a besoin. Je trouve ici plus d’activité que je ne m’attendais à en rencontrer. Ce n’est pas Boston ou New-York, mais la disproportion ne me paraît pas si grande qu’en arrivant.

Il est étrange, quand la plupart des nations européennes ont des consuls au Canada, que la France n’en ait pas dans un pays qui lui est uni par son origine, sa langue, ses sympathies, où sa protection pourrait attirer et aider des émigrans français ; nous pourrions aussi augmenter nos rapports d’échange avec ce pays. Après l’incendie de l’arsenal de Toulon, la France a acheté des bois au Canada, et l’on s’en est bien trouvé. Pourquoi ne pas nouer des relations dont le résultat serait de maintenir et d’étendre notre influence morale sur des populations françaises par le sang, et qui défendent, avec une persévérance touchante, leur nationalité contre le double envahissement de l’Angleterre et des États-Unis ?


1er  octobre.

J’ai visité le séminaire de Montréal, lieu respectable, car de là s’est répandu sur le pays presque tout ce qu’il possède de culture intellectuelle. Aujourd’hui le séminaire a huit écoles, dont deux sont industrielles. Un ecclésiastique a bien voulu me servir de guide dans le jardin ; il m’a montré de vieux arbres fruitiers d’origine française. M. l’abbé Villeneuve a pour l’horticulture une vive passion qui me rappelait M. d’Andilly à Port-Royal ; il m’a conduit à la maison de campagne du séminaire, où l’on voit encore les ruines du petit fort dans lequel les sauvages chrétiens se réfugiaient en temps de guerre. Nous avons visité ensuite l’établissement des sœurs grises ; enfans, vieillards, malades, tout est soigné avec la plus active charité par cinquante sœurs dans cet établissement, qui contient quatre cents personnes. Ce qui m’a frappé, c’est l’air de sérénité, de bonheur et même de gaieté des religieuses. Ces saintes sont aimables comme des enfans. Puis je me suis rendu au dîner qu’on donnait à M. Lafontaine. Traité avec une distinction qui s’adressait à ma qualité de Français, j’ai été placé à côté du héros de cette fête patriotique. Les deux races, représentées par ce qu’elles ont à Montréal de plus respectable, fraternisaient franchement. M. Morin, que l’opinion désigne comme devant succéder dans le ministère à M. Lafontaine et y continuer sa politique, présidait le banquet. Il proposait les toasts, mêlant à ses paroles pleines de cordialité quelques traits narquois de vieille gaieté française, puis traduisait en anglais ce qu’il avait dit d’abord dans notre langue. Les discours ont été prononcés, les uns en anglais, les autres en français, et tous étaient inspirés par un sentiment de conciliation. Un seul orateur n’a pas caché sa préférence pour les États-Unis, qu’il a fait valoir aux dépens du Canada. On l’a laissé dire. M. Lafontaine a parlé en homme politique. M. Cartier, qui porte avec honneur le nom du célèbre Malouin, premier explorateur du Canada, s’est exprimé avec une chaleur toute bretonne. M. Loranger, jeune avocat de Montréal, a prononcé un discours très amusant à propos du toast aux dames. On m’a fait l’honneur de désirer que je répondisse à celui qui était adressé aux hôtes. L’expression très simple d’une sympathie bien vraie a été accueillie avec une faveur que je devais à ma qualité de compatriote. C’est ainsi du moins qu’il me semblait être accueilli, et quand, après avoir remercié l’assemblée de vouloir bien permettre à un étranger de prendre la parole dans cette solennité nationale, j’ai ajouté, ce qui pourra sembler singulier à mes lecteurs de Paris, si un Français peut être étranger au Canada, les bravos m’ont prouvé que ce sentiment n’était pas seulement dans mon cœur. Ce qui m’a le plus frappé, c’est l’effet qu’a produit le nom de Montmorency, ce nom, ai-je dit, le plus français de l’aristocratie française. Alors, dans cette assemblée libérale et démocratique, d’unanimes acclamations ont salué le symbole de la vieille patrie. Rien ne m’a mieux montré combien le culte des souvenirs nationaux s’est conservé fidèlement au Canada.

Je m’arrêterais bien volontiers plus longtemps dans cette autre France ; malheureusement l’hiver approche, je ne veux pas être surpris par la neige et les glaces. Je vais donc remonter le Saint-Laurent et traverser le lac Ontario pour atteindre Niagara et l’ouest des États-Unis ; mais je m’arrêterai dans un village habité par des Iroquois chrétiens. Ce village est peu éloigné de Montréal. Ainsi aujourd’hui parmi des Français, demain chez les Iroquois !


J.-J. AMPERE.

  1. Voyez la livraison du 1er janvier 1833.
  2. Le chiffre exact, tiré d’un document officiel, était, pour 1852, 10,814 milles de chemins de fer terminés, et 10,898 de chemins de fer en construction. Le capital engagé est de 592,770,000 doll. (plus de 3 milliards et demi).
  3. Augmentation de 2,780,186 dollars pour les douanes, et de 193,502 à 313,192 dollars pour le tonnage.
  4. M. Ed. Everett, t. II, p. 60.
  5. Un poète canadien s’est plaint de cette invasion de l’anglais dans des vers comiquement barbares :

    Très souvent, au milieu d’une phrase française.
    Nous plaçons sans façon une tournure anglaise.
    Presentpment, indictment, impeachment, fireman,
    Sheriff, writ, verdict, bill, roast-beef, foreman.

  6. Peut-être aurions-nous pu nous étendre à l’ouest et atteindre l’Océan Pacifique et la Californie. Turgot soumit au roi un plan pour peupler rapidement les vastes contrées qu’on aurait appelées la France équinoxiale : il fut traité de visionnaire.
  7. Le grand orateur des États-Unis, Webster, vient de mourir; à sa dernière heure, il se faisait lire aussi l’élégie de Gray.
  8. Tel est l’intérêt historique et national qui s’attache au combat mémorable livré sur les hauteurs qu’on appelle les plaines d’Abraham, et dans lequel Montcalm perdit la vie. Ce qui est moins connu, c’est qu’un Français dont le nom ne doit pas être oublié, le général Levi, revint peu de temps après, par une victoire remportée sur les Anglais aux lieux même qui les avait vus triompher, venger la mort de Montcalm, mais il ne put reprendre Québec.
  9. Notes on Public subjects made during a tour in the United States and Canada, by Hugh Seymour Tremeuheere, 1852.
  10. Le séminaire de Montréal est le seul seigneur que le consistoire puisse forcer à la commutation.
  11. La chapelle du séminaire contient quelques tableaux de Lagrenée, de Vanloo, de Parrocel, et trois attribués à Philippe de Champagne. Les collections de tableaux sont si rares aux États-Unis, que celle de Québec est probablement la plus considérable qui existe dans toute l’Amérique septentrionale.
  12. Cet empressement n’est cependant pas universel. En 1834, la législature de Pensylvanie publia un acte pour un système général d’écoles dans l’état. Il y eut dans Philadelphie 2,084 pétitions pour, et 2,576 contre. Parmi les derniers pétitionnaires, 66 ne savaient pas signer leur nom. (American Almanach, 1836, p. 349.)
  13. Pétition de divers habitans de la province de Québec, présentée à sa majesté en février 1774.
  14. On verra que j’ai observé les mêmes choses dans les nouvelles villes de l’Union.