Promenade dans la Grande Bretagne - 2e/La religion


LA RELIGION. — LA JUSTICE. — OSSIAN. — PRÉJUGÉS NATIONAUX. — USAGES.


Quoique généralement parlant, les Écossais soient à-peu-près entièrement devenus Anglais, ils ont cependant conservé certains traits caractéristiques qui les distinguent encore, et qu’ils doivent à leurs institutions, et particulièrement à leur religion, dont l’établissement est absolument différent de celui d’aucune nation en Europe.

La religion dominante est le Calvinisme Presbytérien, dont le gouvernement est établi sur un système tout-à-fait républicain. Il consiste en quatre cours subordonnées les unes aux autres ; la session de la paroisse, le presbytère, le sinode provincial, et l’assemblée générale. La session est une cour établie dans chaque paroisse ; elle a le pouvoir de juger toutes les causes ecclésiastiques en première instance ; elle consiste dans le ministre et les elders (anciens) de la paroisse. On appelle de là au presbytère du district, qui est composé de douze à quinze ministres des paroisses voisines, et d’un même nombre d’elders. Le sinode est composé des députés de cinq ou six presbytères dans le voisinage, et ne s’assemble que deux fois l’an. On peut appeler de la même manière, des jugemens du sinode, à l’assemblée générale, qui est composée des députés de tous les presbytères d’Écosse, et d’un délégué des universités et bourgs royaux. L’assemblée générale est la cour suprême à laquelle toutes les autres sont soumises ; elle ne s’assemble qu’une fois l’an. Le roi y est représenté par un commissaire, qui doit toujours être choisi parmi les pairs, mais qui n’a pas le droit de discuter ni de contrôler les délibérations, à moins qu’elles ne s’écartent des matières ecclésiastiques.

Cette assemblée a, dans ce qui la concerne, le pouvoir judiciaire et législatif ; ses jugemens sont sans appel, lorsqu’il s’agit de la révision des sentences prononcées par les tribunaux inférieurs ; mais son pouvoir est limité, lorsqu’il est question de la formation d’une nouvelle loi ; la proposition doit en être faite d’abord aux différens presbytères, et ce n’est qu’après le consentement de la majorité d’entre eux, que l’assemblée a le droit de la passer. Il y a en Écosse entre 8 et 900 paroisses, 78 presbytères, et 15 synodes ; l’assemblée générale consiste en 270 membres à-peu-près.

Les ministres des paroisses sont en général mieux pourvus que les ecclésiastiques du même rang de presque toute l’Europe. Leur revenu varie depuis 60 jusqu’à 200 livres sterlings ; mais le taux commun est entre 80 et 90 livres sterlings (2,000 liv. tournois) par an. Ils doivent avoir en outre une maison, et quatre acres de terre labourable, avec assez de pâture pour un cheval et deux vaches. On ne peut être admis aux ordres qu’après avoir étudié huit ans dans une université ; l’irrégularité de conduite dans un office pourrait en faire priver. J’ai trouvé assez généralement, que les ministres, même dans les parties du pays les plus reculées, étaient sociables dans leurs familles, instruits et intelligens. Il n’y a point d’autre poste que celui de ministre, ou curé de paroisse ; ils sont absolument obligés de faire leur besogne eux-mêmes, car ils ne peuvent pas avoir de vicaires. L’ambition dans cet état, comme on l’a pu voir, étant extrêmement bornée, les premières classes n’y recherchent pas de place. On trouve cependant parmi les ministres, quelques personnes riches avec les manières de gens accoutumés à la bonne compagnie.

Le service consiste dans un long sermon, et un pseaume en vers ; il dure communément deux heures le matin, et autant le soir. L’on regarde toute espèce de musique, comme une profanation du dimanche, les églises n’ont point d’orgues, ce qui rend la mélodie languissante. Dans quelques endroits, j’ai cru remarquer que le ministre prêchait d’une manière particulière, sans faire le moindre geste, et même fixant, pendant tout le temps de son discours, un objet dont il détourne à peine la vue. Quelquefois aussi le pauvre pape est traité assez lestement ; on l’appelle la prostituée de Babylone et la bête de l’Apocalypse, mais à la fin du sermon on le recommande aux prières des fidèles avec son église, aussi bien que les superstitions des Juifs, et la délusion des Mahométans.

Lorsqu’une jeune fille fait un pas de travers, on la fait venir dans l’église avec son amant ; là, ils sont admonestés publiquement et sévèrement par le ministre trois dimanches de suite. Quoique cette cérémonie ne soit point abolie, je n’en ai cependant point entendu parler dans la ville, on ne la met en usage qu’à la campagne, où elle produit de bons effets, à ce qu’on m’a assuré, ce qui paraît difficile à croire. Les gens riches font baptiser leurs enfans et se marient dans leurs maisons ; les gens du commun présentent leurs enfans à l’église, mais ce n’est regardé comme nécessité par aucuns.

La seule cérémonie religieuse consiste dans la cène, (the lord supper, le souper du seigneur), qui n’a lieu que deux fois l’an : on s’y prépare par un jeûne, qui a lieu, le jeudi avant le dimanche où la cérémonie se fait. Ce jour-là les boutiques sont fermées, tous les ouvrages sont arrêtés dans la paroisse, et les habitans vont au sermon comme le dimanche, mais ne jeûnent que par l’esprit, car ils regardent comme une superstition horrible celui du corps. Quoique je n’entende pas trop, ce que c’est qu’être à jeun, après avoir bien mangé, il est sûr que cette manière m’accommode fort ; j’aime beaucoup mieux jeûner avec les Écossais, qu’avec...... certains autres. Ce jour de jeûne est le seul grand jour de fête. La religion du pays n’en admet aucun autre que le dimanche ; on ne célèbre même pas les fêtes de Noël et de Pâques. Mais aussi, ils sont prêchés ce jour-là, autant qu’on peut l’être. En outre du prédicateur dans l’église, il y en a un autre établi sous une tente de bois dans le cimetière, qui prêche à tout vent. Son auditoire est toujours plus nombreux que dans l’église, même quand il pleut ; les gens même regardent qu’il est très-méritoire d’être mouillé en entendant le sermon, et l’orage le plus fort ne leur ferait pas quitter la place.

Un ministre ayant prononcé à haute voix, suivant l’usage, avant la distribution de la communion : Y a-t-il des fornicateurs parmi vous ; Qu’ils s’éloignent. — Y a-t-il des joueurs parmi vous ? Qu’ils s’éloignent. — Y a-t-il des buveurs parmi vous ? Qu’ils s’éloignent ; — un impie qui ne se trouvait pas là, avec les dispositions qu’il devait y avoir apportées, eut l’imprudence de s’écrier, en s’en allant, il vaudrait autant dire : Let every gentleman be gone, (que tous les gens comme il faut s’en aillent).

Je ne crois point cette histoire, car à prendre à la lettre les deux premiers articles, vu la froideur du climat, et les usages du pays, un très-petit nombre seulement se fût retiré ; mais aux mots : Y a-t-il des buveurs parmi vous ? qu’ils s’éloignent ; — il eût été à craindre que l’église ne se fût trouvée vide.

Toutes les différentes sectes chrétiennes sont tolérées : on en compte plus de vingt dans le presbytérianisme seulement. Cette multiplicité les fait se surveiller les unes les autres, et est peut-être cause de la grande rigidité avec laquelle les habitans observent le culte de celle où ils se trouvent placés. Cependant, quoique très-attachées à leur forme, toutes les sectes vivent paisiblement entre elles. Il n’y a que les Catholiques, contre lesquels il reste encore quelque peu de levain, que la politique avait fait fermenter dans des temps de troubles, pour avoir une défense de plus, contre toute tentative de la maison détrônée. Il m’a semblé, qu’ils sont tout aussi paisibles et bons citoyens que les autres ; mais des préjugés de cent cinquante, ou de deux cents ans ne se déracinent pas dans un jour. Au surplus toutes les autres sectes sont assez tolérantes les unes envers les autres, pour que les jeunes personnes ne fassent point de difficulté de se marier dans une, différente de la leur, et de suivre la religion de leurs maris, avec autant de zèle qu’elles ont suivi celle de leurs parens.

Il suffit de dire devant témoins, telle personne est ma femme, pour qu’elle ait droit d’être traitée comme telle, quel que soit son état et son caractère, et qu’elle ait les lois de son côté.

Dans le mois de juin 1795, la cour de session à Édimbourg décida un procès de ce genre, en faveur de la partie réclamante. Un jeune homme, après quelques arrangemens de famille, avait l’habitude d’écrire à une jeune personne qui demeurait à plus de deux cents milles de lui, et il l’appelait communément ma petite femme dans ses lettres. Elle répondait de son côté et l’appelait aussi son petit mari. Deux ans se passèrent de cette manière, et au bout de ce temps, le petit mari se dégoûta de sa petite femme, qu’il n’avait jamais vue, et pensa à s’établir avec une qu’il voyait tous les jours.

L’autre en fut bientôt informée : arrestation, réclamation, en un mot procès en règle. La cour de session jugea l’affaire en faveur de la petite femme, qui fut reconnue comme bien et duement mariée, quoique par lettres seulement. Pourrait-on croire, qu’avec tant de facilité pour se marier, l’Écosse soit le pays de l’univers, où il y ait le plus de vieilles filles ; c’est au point que c’en est presque effrayant.

Quand les Anglais veulent faire un mariage impromptu, ils se rendent en hâte sur la frontière d’Écosse, et au premier village à Gretna-Green, ils reçoivent la bénédiction nuptiale, d’un certain maréchal-ferrant très-connu pour ces sortes d’expéditions. — Il ne paraît pas que ce manque de forme dans une affaire qui semblerait n’en jamais trop avoir, ait aucune des conséquences qu’on serait tenté de croire, qu’il dût entraîner. C’est une nouvelle preuve que l’on doit laisser quelquefois la bride un peu lâche à l’homme ; l’opinion produit dans ce pays, plus d’effet pour le maintien et la sûreté du mariage, que les lois sévères dans d’autres. Comme tout le monde sait quelles pourraient être les conséquences d’un mot imprudent, on se tient davantage sur ses gardes ; cependant, je suis loin de prétendre qu’une telle coutume ne fût extrêmement dangereuse dans un pays fréquenté, où l’opinion n’aurait pas la même force, et où les passions recevraient de l’ardeur du climat une violence qui, à dire vrai, est presque inconnue dans le pays où elle est établie.

Malgré la facilité des mariages, puisque (comme on vient de le voir) un mot devant témoins, même en plaisantant, une lettre gaie suffisent pour le rendre valide, il se fait cependant des bâtards en Écosse. L’église ne pouvant châtier les parties coupables, comme elles le méritent, fait passer la punition sur le malheureux fruit de leurs œuvres diaboliques, et refuse absolument de le baptiser.

Le baptême n’est donné en Écosse, que sur le mérite des parens, il n’est point jugé indispensable pour le salut de l’enfant, et n’est regardé que comme un signe d’adoption, dans le sein de l’église presbytérienne.

J’ai vu près de Stirling, un ministre refuser constamment de baptiser un enfant, que le maître d’école s’était avisé de faire à sa servante, quoiqu’il l’eût épousée après. L’enfant avait quatre ans et avait déjà trois frères et sœurs venus après le mariage, que le ministre avait baptisés sans difficulté ; mais il ne voulait en aucune manière entendre parler de celui qui était venu avant. — C’était une affaire de conséquence. — On l’a enfin porté au presbytère, qui a décidé ce qu’il a voulu. Je n’ai pas su comment cette grave affaire s’est terminée : j’ai quitté le pays avant la conclusion.

Je me rappelle d’avoir lu, je ne sais où, qu’après avoir fait quelque chose de pareil à sa servante, un homme de Batavia, présenta son enfant au ministre calviniste pour le baptiser ; on le refusa absolument. Souhaitant donner une religion à son fils, notre homme tout simplement envoya chercher le prêtre mahométan, qui se disposait déjà à le circoncire. Le ministre calviniste étant informé du fait, accourut bien vîte et baptisa l’enfant, sans plus de discours.

Dans la religion anglicane, on a, à ce sujet la même idée que les catholiques : on ne pourrait pas se permettre de refuser le baptême à un enfant, quelle qu’eût été la conduite des parens, qui le demanderaient pour lui ; après tout ce n’est pas la faute de l’enfant, si la conduite de ses parens n’a pas été légale.

L’esprit religieux est assez en vogue en Écosse, pour avoir engagé nombre de personnes, à former le dessein d’envoyer une mission aux Grandes Indes pour y prêcher l’évangile aux Arabes, aux Gentous et aux Chinois. J’en connais même qui voulaient employer leur fortune à ce dessein, mais que les directeurs de la compagnie des Indes n’ont pas voulu y laisser passer.

La religion presbytérienne n’admet aucune différence de lieu pour y faire le service divin : j’ai vu le cirque où Astley faisait ses tours de force avec ses chevaux et ses paillasses, changé le dimanche en une église (quoique cela sentît un peu le crottin) ; toutes les loges étaient remplies de monde, et le ministre prêchait de dessus le trou du souffleur. Comme tout passe et tout change ! il y a vingt ans que le peuple d’Édimbourg brûla la comédie comme l’œuvre du diable, et il y va à présent, assister au souper du seigneur, recevoir la communion ! encore vingt ans, et peut-être on jouera la comédie dans les églises.

D’après les principes reçus dans le pays, cela pouvait paraître ordinaire et simple, mais comme rien ne répugnerait plus à un autre culte, il doit naturellement paraître fort extraordinaire à un étranger de voir au-dessus de la porte qui conduit au sermon, entry to the stables, (entrée de l’écurie).

Parmi les différentes sectes du presbytérianisme, j’ai entendu parler d’une (dont j’ai oublié le nom) qui dédaignant le sombre de cette religion, prétendait qu’on ne saurait honorer Dieu que par la gaieté : elle chantait les pseaumes sur le ton le plus gai, et pour antienne éclatait de rire fort sérieusement.

Il arrive souvent que des personnes qui ne sont point dans les ordres prêchent en public ; on peut entendre des marins dans la chaire, parlant continuellement du feu d’enfer, et j’ai vu moi-même, ô ! chose étrange, un procureur honnête homme, édifier ses cliens sur la morale de l’évangile.

Je m’étonne fort, que les ministres ne découragent pas cette méthode, car c’est leur ôter le pain : si par malheur pour eux, le peuple venait à s’apercevoir que l’on peut avoir un sermon de six à sept heures sans qu’ils s’en mêlent, et pour rien, c’en serait fait des bénéfices, en Écosse au moins, où c’est l’auditoire qui paye ; mais enfin puisqu’en 1797, on a vu des ministres dans les volontaires, il pouvait bien y avoir des volontaires dans la chaire.

On observe le dimanche avec une grande régularité, c’est-à-dire que les dames le passent au sermon et souvent les hommes à leur bouteille : j’ai connu un ministre qui faisait sa barbe le samedi, parce que c’est un travail que l’on répugne à faire le dimanche. Il est fort heureux qu’il ne crût pas un travail de mettre ses culottes. Il n’y a pas long-temps qu’il y eut une ordonnance rendue, pour empêcher les perruquiers de coëffer leurs pratiques ce jour-là. Cependant on ne dit rien aux porteurs de chaises, aux fiacres, ni aux cuisiniers, etc.

J’ai entendu dire, qu’il y a une vingtaine d’années, un ministre enthousiaste fit le voyage de Rome, dans la louable intention de convertir le Pape au presbytérianisme. Lorsqu’à un certain moment, le Pape leva ses doigts bénis et que chacun se prosterna pour recevoir la bénédiction, au lieu d’en faire autant ; il s’écria en fureur, abomination de l’abomination ! voilà la prostituée de Babylone, prête à consommer son œuvre d’iniquité.

Tout le monde à ce cri resta confondu : on l’arrêta. Le pape, sachant que c’était un sujet de la Grande Bretagne, (pour qui, quoiqu’il soit rôti tous les ans, il conserve toujours une tendresse paternelle), le fit venir et le questionna. L’autre avoua le fait tout simplement et commença à prêcher : après que le Pape l’eut entendu très-patiemment. « Mon cher fils, lui dit-il, que penseriez-vous de moi, et comment croyez-vous que je serais reçu, si me transportant en Écosse, j’allais tout-à-coup paraître au milieu de votre prêche, et vous dire que vous êtes tous des hérétiques damnés à tous les diables ? croyez-moi, soyez plus modéré dans votre zèle, retournez dans votre pays : tâchez d’y faire le plus de bien que vous pourrez au troupeau qui vous a été confié et que vous avez laissé sans guide. J’ai donné des ordres, pour que vous ne manquassiez de rien sur la route. » En conséquence, en sortant de son audience, le bon ministre trouva une personne qui se saisit de lui, le conduisit à Ostia, lui remit quelque argent et l’embarqua sur un vaisseau chargé pour Édimbourg.

La justice n’est pas administrée en Écosse, sur le même plan qu’en Angleterre. La cour de session semble être une imitation du parlement de Paris, quoique le nombre des juges soit très-limité. Ils ne sont que quinze, et portent la même robe que les présidens à mortiers des parlemens de France. C’est devant cette cour, que sont décidées toutes les affaires qui ont déjà subi la décision préliminaire d’un seul des juges dans la grande salle.

Il existe en Écosse une loi salutaire, en faveur des débiteurs insolvables, que l’humanité devrait faire adopter par-tout, mais plus particulièrement en Angleterre. Un créancier peut faire arrêter son débiteur ; mais après six semaines, ce dernier peut sortir de prison en délivrant tout ce qu’il possède. Le créancier alors, ne peut plus le faire arrêter, que lorsque, par quelques moyens, le débiteur a acquis de quoi le payer et refuse de le faire. Les instrumens du labourage et de manufactures, aussi bien que les outils des ouvriers, ne peuvent jamais être saisis.

On ne saurait donner trop d’éloges à l’activité avec laquelle les affaires sont terminées : cependant leur grand nombre a souvent fait désirer à quelques-uns des juges eux-mêmes, d’être séparés en deux chambres ; l’un d’eux accablé de la fatigue de son emploi, un jour, dans un moment d’impatience, de ne pouvoir finir comme il le voulait, les affaires dont il était chargé, exprima son humeur de cette manière :


’Tis not the art of Politics alone
That in this age has to perfection grown ;
Mechanics claim in these enlightened days
An equal wonder and an equal praise.
They make the flail by hands unguided thrash :
With greatest ease they spin, they churn, they wash,
Save to the maid the labour of the tub,
And gently press what she was wont so rub ;
Nay, true it is, though strange I must confess,
They shine in music, and they beat at chess.
Shap’d like a man, apparell’d like a Turk
Of German Kemplen, the magic work,
Profound and pensive on a sofa sate,
And gave much oftner, than he got check-mate.
One effort more, I trust they will not prudge,
But kindly help us by machines to judge.


En voici la traduction, ou du moins la principale idée.


La mécanique a dans ces derniers temps,
Fait en tous lieux, des progrès surprenans.
Par elle, Vaucanson anime la matière !
Son berger automate, à l’aide des ressorts,
Enchante l’auditeur par ses tendres accords :
Son merle sait siffler et son canard digère !
Bien plus encore, Kemplen, de la réflexion
Semble avoir à son Turc donné le libre usage,
Et fait voir au public plein d’admiration
Philidor aux échecs battu par un rouage !

Depuis peu la chicane a fait de tels progrès,
Que sans votre secours, machinistes habiles,
Les juges harassés vont quitter le palais.
Ne sauriez-vous tirer de vos cerveaux fertiles,
___Une machine à juger les procès ?


Quoi qu’il en soit, le public tâche par son respect, de dédommager les juges de la fatigue qu’ils prennent pour lui. Les lords de la cour de session sont tirés de l’ordre des avocats, qui est fort nombreux, et généralement composé des propriétaires les plus riches et les plus respectables. Les writers (écrivains) qui font les fonctions de procureurs et de notaires, sont aussi composés de propriétaires pour le plus grand nombre.

Il y a encore une autre cour, qui quoique civile, tient cependant beaucoup aux matières ecclésiastiques : c’est la cour des commissaires. Leur jurisdiction ne s’étend que sur le scandale et sur l’adultère : on peut se démarier devant cette cour avec assez de facilité. Le scandale paraît un sujet qui peut s’étendre à un tel point, que si un long usage n’avait pas prouvé qu’il n’en résultait rien de mauvais, on pourrait le craindre. L’inquisition, nom d’un tribunal, qui passe avec juste raison pour la honte de quelques peuples de l’Europe, n’est guères établie que sur le même principe.

Le militaire n’est pas autant considéré dans la Grande Bretagne, qu’il l’était en France, quoique les aînés des familles y sont ordinairement placés ; dans les rangs intermédiaires de la société, les parens aiment mieux voir leurs enfans s’occuper d’affaires. On ne parvient que rarement à aucun grade sans payer, d’où il arrive souvent qu’un jeune homme sortant de l’école a des grades supérieurs de major ou de lieutenant-colonel, tandis que le vétéran sans argent, languit toute sa vie dans des grades subalternes. Eh ! n’est-il pas incroyable que le gouvernement de la Grande-Bretagne, qui passe avec juste raison pour très-modéré et pour un des plus libres de l’Europe, soit le seul où les soldats une fois engagés ne peuvent plus retourner dans la classe des citoyens, et sont attachés pour leur vie à un état que souvent une imprudence les a forcés d’embrasser.

La presse des matelots est excusée par le besoin de l’état, et parce qu’au fait, il doit être presque indifférent à l’individu, de servir sur les vaisseaux du roi ou sur ceux du commerce, et qu’enfin ce n’est que pour un temps limité. Mais un engagement pour la vie. . . . . cela semble cruel. Ce sont cependant les Anglais qui blâment le plus et crient à l’injustice et à la violation des droits naturels, en parlant des monastères. J’ai dans l’idée cependant, qu’il vaut encore mieux être moine, que soldat toute sa vie.

Ce bon pays est vraiment la terre promise pour les charlatans, plus leurs annonces sont absurdes, plus on court après. Un certain Italien qui sut se procurer la protection des premiers personnages, fit courir tout le monde à ce qu’il appelait ses exhibitions littéraires, où il lisait, avec l’accent milanais, des tragédies de Corneille et des comédies de Molière. Il avait fait un petit compliment italien, où le nom seul était à changer suivant le pays, où il se trouvait ; en voici le sens : « Amans insensés, pourquoi portez-vous toujours votre encens à Paphos, Vénus n’y est plus ? elle a fixé son séjour parmi les aimables Écossaises ». Après avoir lu cela, parbleu ! me dis-je, j’en suis charmé, je compte passer quelque temps à Édimbourg, ce serait une assez bonne fortune que de rencontrer la belle déesse sur mon chemin.

Quoique l’Angleterre et l’Écosse soient réunies depuis bien des années, et ne forment qu’une nation, cependant les habitans se rappellent encore qu’ils ont été séparés, et ont les uns contre les autres des préjugés également faux, du moins aux yeux d’un étranger ; mais qu’on est tout aussi mal venu à faire voir dans un pays que dans l’autre. Les deux nations se joignent à présent dans les idées bizarres qu’elles se sont formées des Français. J’ai entendu une jeune personne, dire à sa mère en parlant de moi : « Oh ! maman, il n’est certainement point Français, for he is fat and not black, (car il est gras et point noir).

On m’a souvent fait aussi des questions sur la soupe maigre, les french fricassee et particulièrement sur les grenouilles, dont on s’émerveillait que nous pussions faire de la soupe. Dans une maison même, on m’a absolument dit que si je ne pouvais pas m’en passer on en ferait chercher. Je ne sais qui diable a pu faire prendre à tout un peuple de telles idées d’une nation voisine, mais on doit convenir que c’est par trop risible.

Au surplus, si les Écossais partagent à présent avec les Anglais quelques-uns de ces préjugés originaux, ils sont eux-mêmes en butte à des préjugés semblables de la part des Anglais. Qui voudra s’en convaincre, peut s’amuser à lire les récits du docteur Johnson sur l’Écosse et sur les îles Hébrides.

Le bon docteur, quoique très-estimable à tous égards, était cependant rempli de préjugés nationaux ; il regardait avec beaucoup de dédain tout ce qui n’était pas à la façon de l’Angleterre. Les idées qu’il avance au commencement de son ouvrage, en faveur des Anglais et contre les Écossais et les autres peuples, s’accordent parfaitement avec celles dont les nourrices font usage dans la Grande Bretagne, en berçant leurs marmots.

Les répétitions perpétuelles qu’il fait, du manque d’arbres en Écosse (quoiqu’au fait cela soit très-indifférent) deviennent cependant désagréables à un habitant du pays, sur-tout débitées, comme elles le sont, d’un ton un peu pédantesque. Au surplus, ou le docteur a mal vu le pays, et en a fait des rapports souvent faux et exagérés, ou l’Écosse a bien changé dans ces trente dernières années ; car je puis assurer y avoir vu la culture assez recherchée, des haies vives le long des chemins, et plus d’un arbre.

Les détails qu’il donne sur les îles Hébrides, confirment les traditions irlandaises, qui rapportent que les habitans de ces îles, aussi bien que ceux du nord de l’Écosse, en général, viennent des colonies de ce pays. Il est bien singulier, après un si long intervalle, de retrouver encore, non-seulement la même langue, mais les mêmes usages et les mêmes manières. Ainsi l’usage des habitans d’un canton de porter le nom de leur chef, est parfaitement semblable à celui de l’Irlande, particulièrement dans les provinces de Munster et de Connaught. Combien d’O’Bryan et d’O’Connor n’ai-je pas rencontrés. La charge de joueur de musette (Bag piper) appliquée à certaine famille et appartenante aux héritiers du défunt, la manière de faire des charrettes avec deux branches dont les bouts traînent, les huttes, les sorciers, les bardes et senachi, tout cela est irlandais ; il n’y a pas jusqu’aux tacks-men qui ne ressemblent aux sous-fermiers, et qui ne soient, comme ces derniers, conservés à raison de la difficulté de se faire payer par le laboureur.

La description des ruines de l’île d’Ikolmkill (dont j’ai fait mention pag. 150 de ce volume), est semblable à celle des ruines nombreuses que l’on trouve éparses en Irlande, et d’ailleurs comme on peut le voir, au chapitre sur les troubles d’Armagh vol. de l’Irlande, St. Ikolm est un Saint irlandais.

Le docteur aussi ne me semble pas avoir une idée juste de l’Ossian de M. Macpherson, en lui en attribuant entièrement l’invention. Elle ne l’est pas plus, que celle qui suppose la découverte d’un manuscrit perdu depuis long-temps. La vérité me semble être dans cette occasion, comme dans presque toutes, dans une opinion mitoyenne. Ces Bardes, Senachis et Bag-pipers, dont parle le docteur Johnson, ont depuis des siècles chanté dans les îles, dans les montagnes de l’Écosse et aussi en Irlande, les exploits des anciens héros. La langue restant constamment la même et l’occupation de ces Bardes, Senachis etc., étant héréditaire dans les familles, il s’en suit tout naturellement, que les premières choses que le père apprenne à ses enfans, sont les chants et les poëmes détachés qui ont fourni à sa subsistance et à celle de ses pères.

Quand le Barde se trouve avoir du talent lui-même, il y joint sans doute quelques pièces de sa composition. Elles doivent toujours rouler sur les hauts faits des siècles passés, afin d’être accueillies par les habitans des campagnes, qui souvent croient voir leurs ancêtres dans ces héros fameux.

M. Macpherson a su réunir avec beaucoup d’art et de patience, un grand nombre de ces petits poëmes détachés, que le docteur Johnson lui-même ne trouvait pas sans agrément. Je ne prétends point dire, par là, que quelques-uns de ces poëmes n’ayent pas été faits par Ossian ; il est même au contraire très-probable que cela est ainsi. Mais qui est cet Ossian et ce Fingal, que l’Écosse, l’Irlande et même la Suède et la Norvège réclament ; Fin gal, dans les langues celtique et finoise, veut dire le sorcier gaulois. Ossian aussi, n’est pas plus un nom celtique, que celui de Milésius, que les Irlandais réclament pour leur fondateur.

Lorsque le docteur dit, que dans la pénurie de ces contrées (malignes) malheureuses, (in the penury of these malignant regions), on est obligé de faire usage du lait de chèvres et de brebis : il faut convenir que cela sent bien fort les préjugés du terroir anglais qui ne permettent pas de supposer que ce qui n’y est pas en pratique puisse être bon. Il y a certainement des pays très-fertiles, où l’on fait usage du même lait[1], et où même on le préfère à celui des vaches, qui d’ailleurs ne sont pas rares dans les Hébrides.

La cuisine est extrêmement simple en Écosse ; elle ne consiste guères qu’en viandes rôties ou bouillies. Les légumes même sont cuits à l’eau, le plus souvent sans sel. On aime plus particulièrement les mets que l’on croit appartenir au pays, comme la soupe d’orge mondé que l’on a toujours à dîner, la tête de mouton bouillie, dont la laine a été brûlée sur la peau, etc. etc.

Dans certains cantons les gens du commun, par des idées tant soit peu judaïques ne voudraient pas manger du lièvre ni même du cochon. Presque tout le monde a aussi une horreur et un dégoût marqué pour l’anguille. J’ai vu des domestiques à la campagne refuser de manger des haricots verts, ou des choux-fleurs venans de la table de leurs maîtres. Il y a encore d’autres légumes, contre lesquels les gens du commun ont des préjugés pareils.

Il est singulier comme dans tout pays, les hommes ont un dégoût pour certaines choses que l’on trouve excellentes ailleurs. Les paysans de Bretagne avaient, avant la révolution, des préjugés violens contre les pommes de terre, qui forment la principale nourriture des habitans de ce pays, et malgré le désir et l’attention des propriétaires à ce sujet, on n’avait jamais pu les induire à en faire usage.

On ne fait pas la moindre difficulté de boire dans un verre qui a déjà servi à d’autres ; quelquefois même on lui fait faire le tour de la table, en versant une goutte de plus après chaque personne. L’usage des toasts (santés) paraît assez étrange dans le commencement, et l’on commet bien des bévues avant de répondre juste. Quand on vous offre un verre de vin, il est de la dernière impolitesse de le refuser : les dames elles-mêmes ne le peuvent jamais faire sous aucun prétexte ; mais elles font semblant de boire. Il est réputé malhonnête de donner pour toast aucunes des personnes présentes, ou leurs proches parens, ce que l’on est toujours tenté de faire. La première toast après le départ des dames est toujours en leur honneur ; ensuite toutes les fois que le vin passe, chacun s’évertue à en trouver de plaisantes, ou qui expriment sa pensée ; comme par exemple, the land of cakes (terre des galettes), ce qui veut dire l’Écosse par excellence, peace and plenty, the beggar’s bennison (la bénédiction des mendians) et d’autres assez joviales, qui ont passé en proverbe depuis bien des années, quelquefois, comme cette dernière, en raison d’aventures connues.

Ces longues séances paraissent extrêmement fatigantes à un étranger dans le commencement, mais on s’y fait peu-à-peu aussi bien qu’à un autre usage, peu délicat, pendant que les bouteilles font la ronde. — On est pourtant plus long-temps à s’y faire. Les dames cependant, sont autour d’une triste table de thé, et passent leur temps comme elles peuvent, en attendant que les hommes ayent fini de boire, et viennent les joindre, quelquefois un peu gais. On prétend que la froideur et l’humidité du climat exigent que l’on boive sec en Écosse ; ce qu’il y a de sûr c’est que quand les Écossais sont aux Indes, la chaleur de la température de l’air, les force encore de boire, malgré eux, sans doute.

Les richesses que le commerce a répandues généralement dans la nation, dans ces derniers temps, y ont aussi introduit un peu de l’esprit hollandais. Il n’y a pas le moindre doute, que c’est à elles, qu’on en est redevable ; mais cependant, il faut des bornes à tout.

La loi est très-sévère dans la Grande Bretagne pour les partages ; l’aîné a toutes les terres, les cadets n’ont droit qu’au mobilier, à moins qu’il n’en soit décidé autrement par le testament du père, qui ne peut avoir de valeur que lorsqu’il a été fait soixante jours avant sa mort. Le fils aîné d’un lord est seul noble : ses frères et ses sœurs n’ont pas droit au partage par la loi, et n’ont pas même la faible consolation de l’être.

Les espèces d’or sont très-rares en Écosse, le change se fait en papier, et on y est si accoutumé, qu’il a plus de crédit que l’or même, dont on se défie par la crainte du manque de poids.

C’est depuis dix ou douze ans seulement, que les villes ont entre elles ces communications aisées, qui rapprochent les distances. Celles au sud de l’Écosse ont toutes des diligences. Il serait à désirer que celles du nord jouissent du même avantage ; il est fâcheux qu’il n’y ait d’autre manière que la poste, pour arriver sur les côtes de Banff et d’Inverness.

À peine fait-il nuit en été au nord de l’Écosse ; et même à Édimbourg on aperçoit en même-temps pendant près de six semaines, le crépuscule et l’aurore.

En Angleterre la couleur commune des cheveux est blonde, la peau extrêmement blanche et sans tache. En Écosse les races semblent avoir été beaucoup plus mêlées ; les cheveux noirs sont très-communs ; la peau n’est pas généralement si blanche ; en un mot, ils semblent plutôt Français. Un Anglais est tout aussi aisé à distinguer dans les rues d’Édimbourg que dans celles de Paris. Il y a certains cantons, où les habitans ont des traits marqués ; les montagnards, par exemple, ont communément les os des joues très-élevés ; ceux du Sutherland sont particulièrement remarquables pour cela, et encore plus pour leur taille extraordinaire ; ce qui joint aux traits de leur visage, leur donne un rapport singulier avec les habitans du Jura en Franche-Comté, où il n’est pas rare de trouver des hommes et des femmes de plus de six pieds.

Il est singulier que, malgré les préjugés que les peuples de l’Europe, et particulièrement ceux de la Grande Bretagne ont contre la France, presque tous les gens aisés emploient trois ou quatre ans à apprendre le français.

Il y a quelques bons peintres à Édimbourg depuis peu d’années ; mais il n’y a de sculpteurs que pour les tables de cheminées, et les tombeaux. Les principaux musiciens sont étrangers.

Il n’y a qu’un seul maître d’armes, et qui encore n’a pas beaucoup de pratiques ; il est en même-temps écuyer du manège, et payé par le gouvernement ; il y a plus de trente ans qu’il est établi à Édimbourg.

Le maître de danse le plus à la mode, fait ce métier depuis quarante et quelques années. Il donne quelquefois des bals, où les jeunes personnes très-bien parées, dansent publiquement, et reçoivent sur leurs bonnes grâces des applaudissemens, dont, dans bien des pays réputés frivoles, les parens ne se soucieraient guères. Je crois devoir ajouter que ce doit être pour les pères et mères le spectacle le plus intéressant : ce qui déplairait dans d’autres pays, serait la publicité, l’argent reçu à la porte et par conséquent le droit d’applaudir ou de paraître mécontent.

Les dames dans les îles britanniques sont très-réservées : cela est sur-tout remarquable en Écosse : il est réputé indécent pour elles de prendre pendant le jour le bras d’un homme, qui n’est pas leur frère ni leur mari. Elles peuvent cependant le faire la nuit. Un jour apercevant dans la rue une dame de ma connaissance qui, étant grosse, paraissait marcher avec peine, j’accourus et lui offris mon bras à plusieurs reprises. Elle rougissait, ne répondait que par monosyllabes et enfin elle me quitta tout-à-coup. Elle m’a dit depuis, que je l’avais fort embarrassée. On doit aussi attendre que les dames paraissent prendre garde à vous, avant de les saluer. Lorsqu’elles consultent un médecin, ce n’est pas à elles que l’hypocrate adresse la parole, (quoiqu’elles soient présentes), mais à une amie ou à la femme de chambre, qui ensuite répond ce que la maîtresse lui a dit.

Une dame, dans l’absence de son mari, se confine au logis et n’y voit que quelques femmes, ses amies intimes. Le veuvage même, qui sur le continent a bien quelques agrémens, est une chose fort triste dans ces pays. Une femme dans cet état redevient demoiselle, et n’est pas plus maîtresse de ses actions qu’avant son mariage. Ces minuties contribuent certainement au maintien des mœurs, mais aussi elles rendent la société un peu monotone.

Les jeunes personnes possèdent presque toutes, des talens agréables, sont d’une franchise et d’une gaieté charmantes ; rien ne donne envie de se marier, comme le grand nombre de ménages paisibles qui se trouvent dans ce pays. J’ai souvent dit que l’Écosse était le paradis des maris ; cependant ces messieurs ne paraissent pas connaître tout leur bonheur et en jouissent assez froidement.

J’ai vu célébrer à Édimbourg, le jour de la naissance du roi, avec une solennité vraiment remarquable. Le lord Provost (le maire de la ville) et les autres magistrats avaient invité les juges de la cour de session, les officiers des différens corps et beaucoup d’autres personnes, à solenniser le jour de la naissance du roi, dans la grande salle du parlement. Il y avait quatre ou cinq tables, une entre autres autour de laquelle près de deux cents personnes pouvaient se tenir debout ; ces tables étaient couvertes de fruits secs, de bonbons et sur-tout de bouteilles. Le lord Provost, à la tête de la table en habit de cérémonie, (qui par parenthèse est assez semblable à celui du maire de Nantes) dit à haute voix, Gentlemen fill your glasses, (messieurs remplissez vos verres). Commandement que personne n’eut besoin de se faire répéter, et ensuite il dit, the king (le roi) : que chacun répéta et but d’autant ; le lord Provost ne fut pas long-temps sans dire encore Gentlemen fill your glasses et donna une autre toast, ainsi de suite pendant trois heures. Je dois ajouter que, quoique chacun ait bu froidement à-peu-près ses trois bouteilles, je ne me rappelle pas avoir vu personne ivre ni même gris, ce qui prouve que les têtes écossaises ne sont pas aisément démontées.

Par un rafinement assez original, en 1798, on ne voulut pas qu’il parût de vins de France sur la table le jour de la naissance du roi. Il fallait que ces messieurs fussent bien en colère contre le pays, car il est connu que le claret (vin de Bordeaux), ne leur déplaît pas.

On célèbre la fête du roi dans la Grande Bretagne, dans toutes les campagnes ; les paysans attachent des branches d’arbres à leurs maisons : les travaux cessent et le jour se passe avec des démonstrations de joie, plus grande encore, que même en France pour la St. Louis, avant la révolution.

Je me suis trouvé en juin 1798, à Clackmanan, le jour où elle se célébrait. Je fus invité à la fête et placé à côté du président ; après avoir célébré différentes toasts, on descendit dans la place publique. On fit le tour d’un grand feu de joie (en charbon), et l’on but la santé du roi au son des cloches. On laissa ensuite sur la table un assez bon nombre de bouteilles pleines de wisky-punch, dont les paysans se régalèrent : ce qui ne me parut pas le moins intéressant de la fête. — Que n’aurais-je pas donné pour que le lieu de la scène eût été mon village ?.....

La distribution des cinq rues parallèles de la nouvelle ville, est une galanterie assez originale pour la famille royale ; on a aussi voulu y faire entendre l’union des deux royaumes. On a nommé celle du sud, Prince Street, en honneur du prince de Galles, celle du nord, Queen Street, en l’honneur de la reine, une des deux petites, près de celle de la reine, Thissel Street, parce que les armes de l’Écosse sont un chardon, ou du moins une ancienne devise : l’autre près celle du prince, Rose Street, parce que les roses blanches et rouges sont celles de l’Angleterre (quoique par le fait, il y ait peu de rues où l’on sente moins la Rose). Dans celle du milieu entre l’Angleterre et l’Écosse on a placé le roi, George Street, qui touche d’un bout à la reine, (Charlotte Square) et de l’autre au patron de l’Écosse, (St. Andrews Square). Derrière ce beau quartier et comme jeté de côté, on trouve le pauvre Jacques (James’s Square) où l’on ne peut arriver, qu’après avoir fait un grand tour et par une montée et sur-tout une descente très-rapide du côté de la mer. Comme on voit, les gens qui ont fait ce plan, étaient fort ingénieux.

Je fus voir un établissement qu’on ne saurait trop louer ; c’est une institution pour l’entretien des aveugles, qui par leur travail en payent presque tous les frais. Il y a aussi des établissemens de charité qui fournissent de l’ouvrage à un shilling par jour aux pauvres et aux vieillards qui se présentent. Il y en a toujours une centaine et plus, employés à casser les pierres et à les préparer pour le grand chemin ; ou en a fait ainsi, il est vrai, un grand magasin, mais on trouvera toujours à l’employer et ces pauvres gens vivent.

La plus grande sûreté règne dans la ville à toutes heures, quoiqu’il n’y ait que très-peu de Watchmen (gens de garde), mais la bonne disposition des habitans les rendent inutiles. Je ne me rappelle pas avoir entendu parler d’un vol pendant tout le temps que j’ai été en Écosse ; car quoique je me sois permis de faire quelques petites plaisanteries, dont j’espère qu’on ne me saura pas mauvais gré, Édimbourg est bien certainement la ville où il y ait le plus de gens instruits et la plus agréable de la Grande Bretagne : elle a même à présent quelque chose de remarquable. Les professeurs du collége sont non-seulement très-savans, mais presque tous, sont célèbres par leurs ouvrages[2]. La plupart des auteurs fameux qui ont paru dans la Grande Bretagne depuis un demi-siècle, étaient Écossais ; il suffira d’en nommer quelques-uns, Hume, Robertson, Thomson, Burn et Smollet. Les gens de loi d’Édimbourg forment à mon avis, la classe la plus généralement instruite et en même-temps la plus sociable. Un étranger qui aurait le désir de connaître les habitans des trois royaumes et de voir ce qu’il y a de mieux, de plus instruit et les personnes dont il peut attendre plus d’attentions, devrait tâcher de connaître de riches négocians à Londres, des avocats à Édimbourg et des lords ou des propriétaires dans leurs maisons de campagne, en Irlande.

________


Puisque je suis en pays étranger et loin de l’Écosse, je puis sans crainte de fausses interprétations, rendre hommage à la vérité. De tous les peuples que j’ai connus, aucun ne m’a paru plus estimable ; l’instruction et l’industrie y sont plus communes que même en Angleterre. L’Écossais en pays étranger, loin de se moquer des coutumes comme l’Anglais, semble les regarder avec une indifférence, on pourrait dire philosophique et les adopte sans peine. C’est sans doute la première chose à faire pour plaire à un peuple, chez qui on veut s’établir : mais pourquoi les Anglais ne le font-ils pas ?

Le respect dû au mariage, comme le lien et la base de la société, est généralement connu ; le jeune homme le plus abandonné n’aurait jamais l’idée de séduire une femme mariée, et s’il était connu qu’un homme eût eu ce dessein, toutes les portes lui seraient fermées.

Les gens d’affaires et les négocians ne sont pas généreux, mais ils sont communément d’une exactitude pointilleuse : ceux qui vont dans les pays étrangers, y gagnent bientôt la confiance des habitans ; et il arrive souvent qu’ils préfèrent avoir à faire à eux qu’à leurs compatriotes.

Les gens du peuple, les paysans, sont laborieux, économes et frugals : ce qui nourrit à peine un Anglais des provinces du sud, suffirait à quatre montagnards Écossais ; croirait-on que ces hommes, qui ont l’air si vigoureux, ne vivent ordinairement que de pommes de terre et d’une bouillie épaisse de farine d’avoine, nullement vannée, ou de galettes sèches de la même farine ; il est très-rare qu’ils mangent de la viande ; quand ils le peuvent aussi, ils boivent avec plaisir le verre de whisky.

Sans doute la religion établie est sombre et fanatique ; quand on supprime les cérémonies, on doit nécessairement y suppléer par l’enthousiasme ; mais quand l’enthousiasme cesse, on a recours aux cérémonies. Je ne crois pas qu’on soit bien loin de faire ce pas en Écosse, et je ne sais si on le doit souhaiter ou le craindre. Lorsque la société est dans un état aussi parfait, que les hommes peuvent la faire, on doit redouter le moindre changement, dans la crainte de voir l’édifice s’écrouler peu-à-peu.


FIN.



  1. La Suisse, l’Italie, la Franche-Comté, la Provence, en un mot tous les pays au sud de l’Europe.
  2. On pourrait citer en preuve, les ouvrages de plusieurs professeurs, le discours sur l’histoire romaine de Ferguson, la philosophie morale de Stwart, la médecine du docteur Munroe, la chimie de Black, les sermons de Blair, etc.