Procès verbaux des séances de la Société littéraire et scientifique de Castres/2/6
Séance du 5 février 1858.
M. A. CHEVALIER adresse à la Société diverses brochure sur des questions de chimie médicale ou d’alimentation. L’examen est renvoyé à MM. Bénazech, Bru et Parayre.
La Société a reçu une publication intitulée : La santé universelle.
M. le Président donne lecture de plusieurs pièces de vers français et patois, adressées par MM. A. Plazolles, Hugues et Jean Huc. La Société décide qu’il en sera fait mention au procès-verbal.
MM. Daste, juge au Tribunal de première instance, Chauffard, substitut du Procureur impérial, Sourrieu, principal du collége, et Contié professeur, sont nommés membres ordinaires de la Société.
BÉNAZECH, docteur en médecine, fait un rapport sur un cas d’empoisonnement par l’alcool.
Les auteurs d’ouvrages de toxicologie et de médecine légale n’ont point décrit l’empoisonnement produit sur l’homme par l’alcool concentré. Cependant les symptômes, les lésions organiques et les désordres que l’on observe à la suite de l’ingestion de ce liquide, diffèrent essentiellement de ceux que l’on remarque dans le cas d’empoisonnement par l’alcool plus ou moins affaibli, surtout si le sujet de l’observation est très-jeune, comme dans le cas observé par M. Bénazech. Il peut arriver que divers symptômes manquent, et que les lésions anatomiques qu’on s’attendait à trouver fassent défaut. La mort peut être très rapide ; elle peut avoir lieu dans l’espace de quelques minutes, de quelques secondes : elle peut être instantanée. Dans ces circonstances, on n’observera pas les phénomènes ordinaires d’excitation, de coma, d’insensibilité. Entre l’ingestion du poison et la mort, il ne se produira qu’un mouvement convulsif général, aussitôt suivi de la cessation complète de toutes les fonctions vitales. Les pupilles seront bien plus dilatées que dans la mort naturelle.
Les lésions organiques diffèreront essentiellement de celles que produisent généralement les boissons spiritueuses prises en excès. On ne découvrira aucune lésion dans le cerveau et ses enveloppes. Mais si l’on ne trouve pas même de trace de congestion cérébrale, par contre les organes de la circulation et de la respiration seront le siége d’une stase sanguine aussi intense que dans l’asphyxie.
Le tube digestif présentera des lésions caractéristiques. On les retrouvera toujours chez les animaux que l’on aura fait périr par l’alcool concentré.
Ces lésions sont au nombre de trois :
1° Une teinte bleue ardoisée de la base de la langue, devenant de moins en moins foncée vers la pointe ;
2° Une désorganisation partielle de l’estomac occupant toujours le cardia et le grand cul-de-sac ;
3° Une ecchymose à la face concave du foie.
Tels sont les signes anatomiques constants de l’empoisonnement par l’alcool concentré. Ils n’ont jamais manqué chez les animaux qui ont servi aux expériences faites. Dans presque tous les cas, le reste du tube digestif était sain : une seule fois un cochon a présenté dans le petit-intestin, des plaques disséminées de phlogose, mais cet animal ne succomba pas instantanément : il résista pendant vingt-quatre heures à des doses successives d’alcool, présentant dans ce laps de temps, toutes les phases de l’empoisonnement par les boissons alcooliques, depuis l’excitation, jusqu’à la paralysie des membres postérieurs.
Ces considérations ont été suggérées par un fait d’empoisonnement au moyen de l’alcool concentré. Ce fait a eu lieu près de Labessonnié, au mois de juillet 1856. Un individu passait dans la contrée pour avoir empoisonné plusieurs de ses enfants en bas âge, avec du trois-six. Un jour sa femme avait laissé à sa garde une petite fille âgée de vingt-huit jours, en parfait état de santé. En rentrant, une heure après, elle la trouva morte. Elle voulut savoir la cause de ce malheur ; son mari prétendit que son enfant avait été subitement indisposée ; qu’elle était sur le point de s’évanouir, et que dans le but de la ranimer, il lui avait frotté les mains, le nez et les tempes, avec de l’eau-de-vie ; que ne la voyant pas revenir, il lui en avait fait avaler une cuillerée et demie, aussitôt elle poussa un soupir suivi d’un mouvement convulsif et mourut.
M. le juge d’instruction informé de l’événement, désigna MM. Piéglowski et Bénazech, pour procéder à l’exhumation et à l’autopsie de cette enfant. L’opération fut pratiquée sept jours après la mort, cinq jours après l’inhumation. Elle donna les résultats suivants :
Le cerveau et ses enveloppes ne présentent aucune lésion : ces organes sont dans leur état normal.
La cavité buccale, l’arrière bouche et le pharynx ne sont le siége d’aucune lésion.
La langue présente, depuis la base jusqu’à la pointe, une teinte bleue ardoisée, qui va en diminuant à mesure qu’on avance.
Les cavités droites du cœur sont gorgées de sang noir coagulé en partie. Le poumon en contient aussi.
L’ouverture de l’abdomen donne lieu à un dégagement considérable de gaz. L’estomac distendu par des gaz refoule en haut le diaphragme et le foie. La surface extérieure du grand cul-de-sac est rouge en arrière ; la face entière du petit cul-de-sac paraît avoir toute sa couleur naturelle. Pendant la section des côtes du côté droit, l’estomac se remplit de lui-même à la partie supérieure du grand cul-de-sac. Il se répand à travers l’ouverture une certaine quantité de lait caillé.
Dans l’intérieur de l’estomac, la membrane muqueuse n’était pas altérée au voisinage du pylore ; mais à peu de distance, elle avait une teinte rouge inflammatoire ; cette nuance disparaissait au grand cul-de-sac où la muqueuse ramollie avait perdu sa consistance, et se trouvait transformée en une sorte de gelée grise, demi transparente. Le tissu sous-muqueux et les fibres musculaires elles-mêmes, avaient subi la même transformation vers le sommet de la grande courbure, de telle sorte que, dans ce point, le péritoine seul avait résisté. Depuis ce point où les tuniques de l’estomac étaient entièrement détruites, jusques au voisinage de l’orifice pylorique, où l’on n’apercevait plus aucune lésion, se présentaient tous les degrés du ramollissement gélatiniforme. La lésion augmentait graduellement à mesure qu’elle se rapprochait du cardia, point dans lequel la désorganisation de toutes les membranes était complète.
Le reste du tube digestif était sain dans toute son étendue : la face concave du foie présentait une large ecchymose.
Des désordres si considérables chez un sujet qui avait succombé à une mort subite, sans maladie antécédente, firent supposer un empoisonnement par une substance très-irritante, mais non caustique. L’analyse chimique des liquides recueillis de l’estomac et des viscères, démontra que la mort de cette enfant avait été occasionnée par un liquide alcoolique concentré. Les recherches de la justice firent découvrir dans le domicile de l’accusé une fiole contenant un peu de trois-six, marquant 82°. Le père avoua qu’il avait donné de ce liquide à sa fille ; mais il ne fit cet aveu qu’un an après l’expertise médico-légale, au moment où il se constitua prisonnier.
Des matières grasses et résineuses dissoutes dans ce liquide avaient fait penser à M. Parayre, pharmacien expert, que l’agent de l’empoisonnement pouvait bien être de l’alcoolat de Fioraventi, plus ou moins altéré.
Dans une seconde expertise faite par MM. Filhol et Viguerie, et à laquelle M. Benazech prit part, il fut positivement établi que ce liquide était de l’alcool à 82°.
C’était donc un cas d’empoisonnement par l’alcool concentré. Il n’y en avait pas eu encore d’exemple dans les annales de la science.
M. Bénazech donne ensuite le détail des expériences nombreuses auxquelles il s’est livré avec ses collègues. Elles peuvent se résumer ainsi :
1° Des lapins ont été empoisonnés avec une quantité de dix à quinze grammes d’alcool ou de baume de Fioraventi ; la mort a été instantanée ;
2° Les chiens et les cochons ont résisté vingt-quatre heures ; la dose a été réitérée plusieurs fois. Ils ont succombé après avoir présenté les périodes d’excitation, de coma et de paralysie des membres postérieurs ;
3° Le lait mélangé au baume de Fioraventi, employé à la même dose, a déterminé aussi rapidement la mort.
Chez tous ces animaux on a constaté les trois lésions caractéristiques : la teinte ardoisée de la langue ; la désorganisation partielle de l’estomac et des ecchymoses au foie.
M. PARAYRE fait un rapport sur les échantillons de sulfate de chaux qu’il avait déposés dans une séance précédente.
L’arrondissement de Castres offre aux études géologiques un vaste champ d’investigations. « En productions naturelles, nous pouvons nous enorgueillir d’un sol inépuisable et vierge, où tout se trouve, puisque la ville de Castres forme le point de jonction des trois terrains géologiques, comme l’indiquent les cartes spéciales en cette matière. »
La montagne du Sidobre nous présente le terrain primitif ou de fusion, qui constitue le noyau de notre planète et sert d’assiette aux couches postérieures. Sa base est granitique, et la roche à texture feuilletée appelée gneiss, qui forme à elle seule le quart ou la cinquième partie de l’écorce solide, en est la principale division. Le terrain primitif est antérieur à toute création organique.
Le terrain secondaire ou de stratification, que nous trouvons dans la vallée des Salvages, à Burlats, a ses éléments disposés en couches formées par cristallisation au fond des eaux. Les principales roches secondaires sont des schistes, des grès, des argiles, des ardoises. C’est dans ce terrain qu’on rencontre les premiers vestiges des formations organiques. M. Parayre a recueilli à Laferrière, près de Burlats, des fragments d’anthracite, substance organique antérieure à la houille, qui a pour caractère d’être de couleur noire, friable, d’un éclat métalloïde, brûlant lentement et avec difficulté, sans répandre ni fumée, ni odeur. C’est par là qu’elle se distingue de la houille.
Le terrain tertiaire ou de sédiment, dont la principale partie est formée par le calcaire jurassique ou oolithique, est celui des environs de Castres : dans ce terrain, la vie commence à se répandre sous les formes les plus variées et à prendre un développement immense.
C’est dans les étages supérieurs de ce dernier terrain, qu’à un kilomètre nord de Castres, sur la route de Lautrec, au bas de la côte de Sicardens, existe un banc de tuf argilo-marneux, dans lequel on a trouvé une substance minérale, à l’état de filon de deux centimètres, plongeant verticalement.
Ce minerai est de couleur blanche, translucide, dépourvu de saveur, se laissant facilement rayer par l’ongle. L’examen chimique a prouvé qu’il était composé d’acide sulfurique uni à la chaux, renfermant vingt-deux pour cent d’eau.
D’après ces résultats, M. Parayre conclut que cette substance était de la chaux hydro-sulfatée, appelée vulgairement pierre à plâtre ou gypse. Le sulfate de chaux hydratée surgit dans tous les terrains primitifs et sédimenteux.
Ce minerai peut donner au pays de grands avantages pour l’agriculture et les arts. L’eau d’un très-grand nombre de puits de nos contrées, doit sa propriété séléniteuse à la présence du sulfate de chaux qui les rend impropres à cuire certains légumes et à dissoudre le savon. On sait qu’il est facile de rémédier à cet inconvénient, en ajoutant par litre d’eau séléniteuse, deux grammes de sous-carbonate de soude ou de potasse : une substance blanche, la chaux, se précipite, et l’eau devient potable.
Ce n’est qu’après avoir subi l’action de la chaleur, que le sulfate de chaux est employé en agriculture et dans les arts. En agriculture, il sert, non d’engrais, car les engrais sont toujours des matières animales ou végétales, mais de stimulant. Il est certain qu’en mettant du plâtre sur les prairies artificielles, on donne à la végétation plus d’activité. On connaît l’expérience de Franklin.
La question est définitivement jugée aujourd’hui ; et l’emploi fréquent du plâtre dans l’agriculture, établit d’une manière incontestable les avantages qu’on en attend et qu’on en retire. Mêlé avec de l’eau et de la gélatine, le plâtre acquiert une grande consistance, et forme ce qu’on appelle stuc. Combiné avec des couleurs variées, il constitue des marbres artificiels.
On se sert souvent du sulfate de chaux pour apprêter les étoffes et remplacer l’amidon, pour mouler des médailles, des statues. Les plafonds de M. Alquier-Bouffard ont été faits avec le sulfate de chaux hydratée, trouvé sur les lieux, ce qui prouverait que le gisement de ce minerai était connu depuis longtemps. Il serait à désirer, dans l’intérêt de l’agriculture et des arts, que ces localités fussent explorées avec soin. Elles donneraient incontestablement de bons et utiles résultats. Ce serait pour la ville de Castres une ressource considérable. Si le minerai est aussi abondant qu’il est pur, peu de gisements pourraient offrir d’aussi importantes richesses. La question vaut bien la peine d’être examinée.