Procès verbaux des séances de la Société littéraire et scientifique de Castres/2/19

Séance du 7 août 1858.


Présidence de M. A. COMBES.


M. le Président donne lecture de la décision suivante prise le 7 août 1857, sur la proposition du bureau :

Le titre de membre honoraire sera réservé aux hommes éminents qui, par leurs travaux dans les sciences ou leurs œuvres littéraires, ont acquis dans l’opinion publique une illustration telle, que leur acceptation sera un honneur pour la Société ; et à ceux qui lui auront rendu d’importants services, par un concours utile, ou une généreuse initiative.

Il propose ensuite, au nom du bureau, de décerner le titre de membre honoraire à M. ROCHER, conseiller honoraire à la cour de cassation, recteur de l’académie de Toulouse. La Société accueille à l’unanimité cette proposition.

M. Hippolyte Combes, inspecteur d’Académie, est nommé membre ordinaire de la Société.


M. V. CANET dépose, au nom de M. A. Terrisse, un ouvrage de polémique religieuse intitulé Méthode, imprimé à Castres en 1659, et approuvé, après examen, par les Capucins et les Frères prêcheurs de la même ville.

La Société remercie M. Terrisse, et décide que l’ouvrage sera placé dans la collection qu’elle fait de publications de toute sorte, relatives au département du Tarn, produites par des hommes nés sur son territoire, ou qui l’ont accepté pour patrie, et imprimées dans une des villes de son ressort.

Si la Société accepte avec reconnaissance toutes les œuvres qui sont dans ces conditions, si elle tient à les faire connaître en les étudiant et en les appréciant, elle doit s’interdire tout ce qui touche aux discussions religieuses dogmatiques, ou politiques. Des ouvrages touchant à ces questions pourront prendre place dans sa bibliothèque ; mais il ne seront jamais l’objet d’un rapport.


M. A. PLAZOLLES adresse à la Société une élégie en vers patois, sur la mort de son neveu, lieutenant au 2e de zouaves.

Un sentiment pieux a dicté cette pièce. D’heureux rapprochements, des contrastes naturels et de bon goût, quelques élans inspirés par la guerre de Crimée, et par dessus tout, une douleur réelle, donnent à cette petite composition du mouvement et de l’éclat.


M. F. MARTIN rend compte de l’examen d’un certain nombre de pièces de monnaie, qui font partie de la collection de la Société.

Parmi les bronzes remis, il a été possible de reconnaître :

1° Une pièce qui porte autour de l’effigie Agrippa. c. f. cos. (14 a. J.-C.)

Et au revers une image de femme tenant dans ses deux mains des objets qu’on ne peut distinguer, avec les deux lettres S. C.

Agrippa était gendre d’Auguste.

2° Une pièce portant autour de l’effigie : Ti. Claudius. Cæsar Aug. p. m. tr. p. imp. (41-54.)

Et au revers un soldat, en position de combat, avec les deux lettres S. C.

3° Une autre pièce avec la même effigie et la même inscription.

Et au revers une femme nue, avec le mot libertas, faisant partie d’une inscription incomplète, et suivie des lettres S. C.

4° Une pièce, portant autour de l’effigie de l’empereur, Nero Cæsar Aug. germ. imp. (54).

Et au revers une image de la victoire, marchant avec des ailes, et tenant à la main droite une couronne au milieu de laquelle on voit SPQR, avec les deux lettres S. C.

5° Une pièce à effigie de femme, avec ces mots. Faustina Augusta.

Au revers est un personnage assis, étendant la main droite vers un serpent ; on ne peut lire de l’inscription que le fragment de mot stat.

Faustine était femme d’Antonin le pieux (138-161.)

6° Une petite pièce portant autour de l’effigie d. n. Constantius p. f. Aug.

Au revers est un homme debout, tenant à la main gauche un globe sur lequel est un personnage, (la Victoire sans doute) qui lui met une couronne sur la tête, et présentant la main droite à une femme à genoux devant lui.

On lit autour reparatio : le reste manque, (389-395.)

Au bas sont les lettres psc s. c.

8° Deux pièces de la colonie de Nîmes.


La Société décide qu’elle distribuera, en 1859, quatre médailles :

1° UNE MÉDAILLE D’OR pour l’éloge de Pellisson.

2° UNE MÉDAILLE D’OR pour l’examen et la discussion de cette question :

Étudier les gisements métallifères de l’arrondissement de Castres, et faire connaître leur influence sur la nature hygiénique et la composition des eaux de puits, de source et de rivière.

3° UNE MÉDAILLE D’ARGENT pour une épître inédite en vers français, sur un sujet laissé au choix des concurrents.

4° UNE MÉDAILLE D’ARGENT pour un conte inédit, en vers patois.

Les manuscrits devront être adressés franco, à Castres avant le 1er Juillet 1859, à l’adresse de M. V. Canet, secrétaire de la Société littéraire et scientifique. Ils porteront une épigraphe qui sera reproduite sur un billet cacheté contenant le nom, les prénoms, la profession, le domicile de l’auteur, et la déclaration que l’ouvrage est inédit, et qu’il n’a pas déjà été présenté à un concours.


M. V. CANET dépose, au nom de M. J. Tillol, 25 jetons en cuivre reproduisant les types envoyés au concours en 1848, pour les pièces de 20 francs. Ces jetons forment une collection intéressante, qui n’est probablement pas fort commune. Elle est complète, et permet de juger toutes les inspirations que produisit le sujet mis au concours.


M. A. CUMENGE fait l’histoire du théâtre dans la ville de Castres.

Si l’on peut dire avec vérité que, de tous les genres littéraires, le genre dramatique est celui qui reproduit d’une manière plus exacte, plus réelle et plus intime, l’état social ou ses tendances, il est permis aussi d’établir comme incontestable, que l’on doit trouver dans les phases diverses par lesquelles le théâtre est passé dans une ville, la preuve de l’esprit qui l’anime et des modifications qu’elle a subies. Les œuvres dramatiques s’adressent à tout le monde : si elles ne répondent pas au besoin actuel des esprits et des cœurs, elles sont regardées avec indifférence, ou rejetées avec mépris. De même, le théâtre est un terrain où chacun a sa place ; et s’il ne convient pas aux sentiments religieux d’une population, à son degré de culture intellectuelle, à ses habitudes, d’aller la réclamer, le théâtre reste vide, et l’œuvre dramatique va chercher ailleurs des auditeurs et des applaudissements.

Cette loi est générale, et des exceptions sont impuissantes à l’infirmer. Voilà pourquoi il peut y avoir intérêt et profit à l’étudier dans ses applications.

Le théâtre est véritablement mort à Castres, car on ne peut pas considérer comme une vie réelle, la présence pendant quelques semaines, d’une troupe qui vient tous les ans, plutôt accomplir une obligation de son cahier des charges, que chercher sympathie et profit. Mais si l’art dramatique ne trouve pas en ce moment d’écho au sein de notre population, n’a-t-il pas été un temps où il lui était cher, où il la passionnait ?

Avant 1780, il n’y a pas à Castres de tendance vers le théâtre, ni le moindre goût pour ses représentations.

Les vieilles bibliothèques renfermaient Corneille, Voltaire et Racine. Les comédies ou les tragédies de Regnard, de Destouches, de Voltaire, n’y avaient accès que sous la forme de brochures détachées, rapportées par les fabricants au retour des foires, surtout de celle de Bordeaux, dont le théâtre avait une grande réputation.

En 1784, M. de Labarthe, maréchal de camp des armées du roi, réunissait dans son hôtel de Frascaty, l’élite de la population de Castres. Il donnait des fêtes, et ne tarda pas à organiser la comédie. Le théâtre avait été élevé dans le péristyle de l’hôtel. Il était adossé à la porte de la terrasse, et l’on y parvenait par le salon de droite. Là fut représenté le Barbier de Séville. Les rôles étaient tenus par les habitués de Frascaty, et M. de Labarthe jouait Figaro. Il eut du succès, et sa satisfaction de lui-même fut si grande, qu’il se fit peindre sous ce costume.

Le joueur, de Regnard, vint ensuite. La partie de la noblesse qui se prêtait à ces représentations — car un bon nombre de familles s’abstenaient, pour des motifs religieux, d’y prendre part, — semblait se douter bien peu de la portée de ces ouvrages, et de l’influence qu’ils exerçaient partout contre elle, et contre les institutions émanées de l’esprit monarchique.

En 1786, M. Alexandre Nairac traita avec une troupe de comédiens pour la construction d’une salle dans la rue des Boursiers, non loin du quartier habité alors par les principales familles de la ville. Les amateurs y formaient l’orchestre, et l’on y jouait l’opéra-comique, la Fausse magie, le Tableau parlant, le comte Albert, etc.

Ce théâtre avait un caractère aristocratique. La bourgeoisie voulut avoir le sien. Elle l’établit sur l’esplanade du mail, à l’endroit occupé aujourd’hui par la fabrique de pompes. La salle était un carré long, au rez-de-chaussée, avec des rangs de chaises. La scène, de niveau avec le reste de la salle était seule éclairée. On y jouait des vaudevilles et de petits opéras.

Les protestants, à qui Louis XVI venait de rendre l’état civil et la liberté du culte, se réunissaient dans cette salle pour leurs exercices religieux. La chaire du ministre était au fond de la scène.

Cette salle fut bientôt abandonnée par les comédiens qui allèrent s’établir à l’auberge des Trois Rois, à l’extrémité de la rue qui porte aujourd’hui ce nom. Il n’y avait de places privilégiées que pour la noblesse, à qui des fauteuils étaient réservés, au fond de la scène. On sait que cet usage avait longtemps subsisté à Paris. Voltaire s’en plaint dans ses préfaces et dans ses lettres, ; et ce ne fut pas sans peine que M. d’Argenson parvint à le supprimer.

Un drame de Diderot une de ces compositions qui venaient puissamment en aide au travail destructeur de la philosophie, le Père de Famille, inaugura la salle des Trois Rois.

Le goût du spectacle devint alors général : on jouait la comédie partout. Il est vrai que l’on se préoccupait fort peu de la vérité du costume. La comédie bourgeoise n’était pas assez exigeante, pour pousser jusqu’à ce point l’amour de la vérité.

Non seulement les acteurs du pays remplaçaient souvent les comédiens, mais on vit sur la scène des pièces faites à Castres ; et Daubian fit représenter une comédie en vers patois, dans laquelle le héros, dont les tristes aventures étaient mises sous les yeux du public, jouait lui-même son rôle.

C’était au plus fort de la terreur. Le théâtre reproduisait quelque chose des drames qui se passaient au grand jour. L’école de Sorèze apporta elle-même son contingent pour les plaisirs de Castres. Un bataillon d’élèves arriva à pied, logea chez les habitants, fut passé en revue, et joua, le soir, les Victimes cloîtrées.

les pensionnats Bonhomme et St-Hilaire sacrifiaient aussi au goût du public. Ils jouaient les pièces en vogue ; et sous l’empire de la fameuse et terrible loi du maximum, lorsque la subsistance était à peine assurée, que la fabrication se débattait dans son impuissance, que la Tour-Caudière, la Trinité, l’Evêché, le Séminaire, la Chartreuse de Saïx, regorgeaient de prisonniers, la comédie bourgeoise faisait ses représentations tous les dimanches, et il y avait foule. Jusqu’en 1799, la salle de la rue des Boursiers, ne reçut pas de troupes organisées. En 1800, le spectacle avait lieu le mardi, le jeudi et le dimanche. On jouait l’Honnête criminel, l’Habitant de la Guadeloupe, la Brouette du Vinaigrier, le Déserteur ; et un grand nombre d’opéras, le Calife de Bagdad, les deux Savoyards, Lodoïska.

Il y eut un moment d’interruption en 1805. De 1806 à 1810, le mélodrame et le vaudeville régnèrent en souverains. Bientôt, le théâtre fut abandonné. En 1822, Galland ranime un peu la faveur publique. Le feuilleton dramatique parait, et l’ouvrage et les auteurs sont soumis à la critique de la feuille d’annonces judiciaires.

Cette ardeur tombe bientôt. Closel, Mlle Georges, Perlet, Ligier, luttent contre l’indifférence générale : mais ces succès sont passagers ; et le théâtre semble bien définitivement mort dans notre ville.

Une salle de spectacle plus belle, plus spacieuse, plus commode, ranimerait-elle le goût de ces représentations tant recherchées, et suivies autrefois avec un si grand enthousiasme ? C’est peu probable, car il semble qu’aujourd’hui toutes les causes diverses qui ont nui auparavant au développement de l’art dramatique parmi nous, soient réunies et se prêtent un appui mutuel. La rapidité des communications, la facilité que l’on a d’entendre les talents de premier ordre, les efforts que demandent aux acteurs et aux décorateurs les pièces les plus simples, les grands spectacles qu’exige le goût blasé du public, la nature du répertoire actuel et ses tendances immorales, tout cela semble condamner pour toujours le théâtre, non pas seulement à Castres, mais dans toutes les villes du même ordre.


M. C. VALETTE lit la dernière partie de son étude sur les beaux-arts, à l’exposition de Toulouse :

Les portraits sont nombreux. Ceux de M. de Lacger méritent une mention spéciale, car ils sont à la tête de cette foule si variée, si différente de caractère, de ton, de mérite ; et d’ailleurs cet artiste est de Castres, et il fait honneur à son pays. Partout, le dessin est correct, élégant, savamment compris, habilement exécuté. On trouve dans l’ensemble, comme dans les détails, la preuve d’études sérieuses, d’une grande facilité de touche, d’une observation pénétrante et de puissantes combinaisons.

M. de Lacger ne s’est pas borné au portrait : il a exposé une corbeille de fruits d’une vérité à défier la nature, et d’une disposition pleine de goût. Sa Gabrielle de Vergy, au pastel, est au niveau de ses peintures : c’est le même art, la même finesse, la même vigueur.

M. Gambogi a exposé plusieurs portraits. L’un d’eux est si supérieur aux autres, qu’il faut en chercher la raison.

Elle est de celles que l’on aime à signaler. M. Gambogi représentait sa mère, et le pinceau va toujours bien lorsque le cœur le conduit. Mme Gambogi a pris place à côté de son mari. Il y a dans ses toiles de la finesse, de la grâce, et une touche sûre qui sont d’une véritable artiste.

MM. Boilly, Romain Cazes et Chabou, méritent d’être signalés. M. Golse, de Castres, est un jeune artiste dont l’avenir est assuré, s’il étudie patiemment et avec constance, toutes les parties de l’art. Il n’a pas, d’ailleurs, à aller chercher bien loin les conseils et les exemples. M. de Lacger ne lui manquera pas ; et bien des gens seraient jaloux d’une pareille direction.

M. Jules Laure a envoyé un portrait d’homme, dont la touche ferme et énergique, contraste avec la délicatesse des formes, la mollesse des lignes de son étude intitulée : la Mélancolie. M. Villemsens reproduit avec une vérité frappante, les traits et la physionomie.

Dans le petit salon des dessins et des photographies, M. Albrespy, de Castres, occupe une de ces places qui sont mortelles pour une œuvre ; et pourtant, son portrait, d’une aimable et charmante personne, semble n’y rien perdre, tant le modelé est consciencieux et bien senti, le dessin correct et l’ensemble harmonieux. M. Albrespy est un amateur dont bien des artistes peuvent envier le talent. Le grand salon renferme de lui une excellente copie d’un beau tableau du Guide. Sans doute, il est plus facile de copier que de créer. Cependant, une copie dans laquelle se reproduisent à un degré éminent les qualités du modèle, où les défauts ne sont point exagérés, où l’inspiration première semble revivre dans tout son éclat, et se manifester dans toute sa liberté, n’est pas aussi facile à faire qu’on le croit habituellement. On peut admirer un tableau, en sentir toutes les délicatesses et en comprendre toutes les beautés, sans être en état de s’associer intimement à la pensée qui l’a conçu, et aux procédés par lesquels il a été exécuté.

M. Albrespy, d’ailleurs, avait prouvé par un portrait, qu’il était capable de prendre la nature sur le fait : il l’a montré par sa Vue de Castres, dont la couleur est riche et la touché originale. Dans ces conditions, et avec ces avantages, on ne s’arrête pas. Une prochaine exposition sera une bonne fortune pour M. Albrespy qui ne s’y présentera pas seul. Il voit naître auprès de lui de ravissantes aquarelles. Artiste, il en sent tout le prix : pourquoi ne vaincrait-il pas une modestie trop obstinée, et ne donnerait-il pas à tous ceux qui aiment les choses de goût délicatement faites et habilement combinées, l’occasion d’admirer et d’applaudir ?

Le paysage a subi des variations, il a passé par des phases diverses, comme tous les autres genres de peinture. Après le style maniéré et faux du XVIIIe siècle, après ce laisser-aller qui s’alliait avec une certaine affectation, on voulut venir à plus de pureté, et l’on tomba dans la sécheresse et la raideur. La couleur avait été exagérée : on la supprima presque complètement. C’était une exagération qui n’aurait pas été moins funeste que celle qui disparaissait. Heureusement, la réaction se fît. On se jeta dans une voie moins absolue, on reforma peu à peu, on ménagea la transition, et l’on est arrivé enfin à la domination, d’un genre qui unit ce que chacun des systèmes opposés offrait de bon, en rompant définitivement avec leurs excès. On étudia directement la nature, et si l’on évita une copie trop servile, on se garda bien de se laisser aller à quelque chose de conventionnel, et par conséquent de faux.

Les hommes qui ont le plus contribué à ce mouvement par leur influence et leur exemple, ne se sont pas présentés à l’exposition de Toulouse. Cependant il est possible de signaler des œuvres consciencieuses ; et si elles ne sont pas toutes signées par des maîtres, il y en a beaucoup qu’ils ne dédaigneraient pas, et plusieurs qu’ils avoueraient sans peine.

M. Flandrin a exposé les Bords du Gardon et le Nid de l’aigle. On sait les préférences de cet artiste. Il est pour le paysage ce que M. Ingres est pour la peinture historique. C’est le même système, avec les mêmes qualités et les mêmes défauts. Mais dans ces deux œuvres, on sent une tendance marquée à un changement : on voit la transition, et il n’est pas douteux qu’elle n’amène une réforme qui tempérera l’excès, et mettra en relief tout ce qu’il y a de pureté dans la ligne et de chaleur dans la composition.

M. Corot a envoyé deux paysages. Le premier est l’Intérieur d’une forêt. Tout est vrai, tout est touché avec autant d’élégance que de fermeté et d’ampleur. Pourquoi ne peut-on pas en dire autant de ses Environs de Naples ?


M. Aiguier, de Marseille, a envoyé quatre bonnes toiles. M. Andrieux, de Paris, a fait un Repas de chasse plein de vérité, et M. Auguin a réussi complètement dans son Effet du soir. M. Bernier a exposé une Ferme en Bretagne. M. Curzon a représenté l’Acropole d’Athènes, prise de la route du Pirée : c’est une des œuvres capitales du salon. On y sent le goût de l’antique, et l’âme est saisie par ce spectacle qui réveille tant de souvenirs. Ces nobles ruines que les siècles n’ont pu détruire et qui ont été témoins de tant de faits, ne sont pas considérées froidement.

MM. Dauzats et Decamps sont deux célébrités artistiques. Pourquoi n’ont-ils pas eu, l’un et l’autre, un plus grand soin de leur réputation ? Quand on porte des noms que le succès a consacrés, on ne doit pas risquer de les compromettre, en signant des œuvres trop peu étudiées. Ce serait à faire supposer que l’on croit tout encore trop bon pour la province. Le temps où ce dédain pouvait être permis est heureusement passé.

M. Diaz a été mieux inspiré. La nature n’a pas de meilleur interprète que lui, et les Environs de Fontainebleau ne laissent rien à désirer.

Après MM. Engelhard, Faget, Edwarmay, Fil, Lambinet, dont les œuvres se recommandent par des qualités sérieuses, vient M. Lapito, qui a peint un torrent dans le Simplon. M. de Malbos, élève de M. Latour, a laissé deux toiles, œuvre de ses derniers jours. Il ne jouira pas de son succès, et les espérances fondées sur un talent qui se révélait avec un éclat et une perfection remarquables, sont perdues pour jamais.

M. C. Node fait tous les genres. Son tableau représentant un site de montagne, éclairé par le soleil couchant, est son œuvre capitale. M. Jules Noël est un réaliste consciencieux. Les deux paysages de M. Justin Ouvrié, justifient sa réputation.

Les marines, les représentations d’animaux, de nature morte, sont en grand nombre, et il n’est pas possible de s’arrêter à des détails. Si le paysage annonce un progrès réel et accuse un mouvement fécond, l’on peut dire qu’il y a aussi pour ces œuvres diverses auxquelles on n’ajoute pas ordinairement assez d’importance, une tendance heureuse, et une amélioration inconstestable.

MM. Isabey et Gudin ont envoyé des marines dignes de leur réputation. M. Louis Martinet peint bien les fleurs, et M. C. Node ne lui cède en rien. M. Perrachon excelle dans la peinture du gibier, et Philippe Rousseau représente une basse-cour d’une manière ravissante. M. Serres, de Castres, a exposé un tableau de nature morte intitulé : Les petits prisonniers. C’est une réunion bien comprise d’objets divers placés sans encombrement, rendus avec bonheur, et traités, dans leurs moindres détails, avec une vérité parfaite.

On sait les progrès que le XIXe siècle a réalisés dans le pastel. Ce genre, fort en vogue autrefois, était tombé dans un discrédit complet. Il a repris aujourd’hui son importance. C’est un coloris qui a tant de fraîcheur, une touche si moelleuse ! Mais aussi, il faut qu’il soit bien traité. La médiocrité est insupportable dans ce genre, plus que dans tout autre. Après M. de Lacger, qui a droit à tous les éloges pour sa Gabrielle de Vergy, M. Durand, artiste coiffeur de Toulouse, a exposé des portraits qui ne sont pas sans mérite. Plusieurs révèlent des qualités éminentes, et surtout une flexibilité qui se prête à tout, et que rien n’arrête. Il est suave, vaporeux dans ses portraits de femme ; mais en revanche, il est net, hardi, vigoureux dans ses portraits d’homme.

Les miniatures sont nombreuses. Les fusains occupent une grande place et semblent tenir à constater le point de perfectionnement auquel ce genre est parvenu. M. Quinsac a exposé des dessins remarquables. Le frère Samuel, de Béziers, a un talent supérieur dans l’aquarelle, il a imité le genre moyen-âge avec un art parfait. L’Adoration des Mages et la Fête de St-Joseph, sont deux chefs-d’œuvre de patience, de délicatesse, de naïveté élégante et de grâce. Enfin, M. Pagés, lithographe à Castres, a exposé divers produits de son travail, remarquables par la rectitude du dessin, la sûreté du trait, la verve de la composition et l’heureuse disposition des détails. Il est rare de trouver réunies plus de productions diverses, et de les voir exécutées avec autant de soin et d’habileté.

Quel sera le résultat pour le Midi de l’exposition de Toulouse ?

Il sera heureux et fécond. L’empressement des artistes, le mouvement de la foule, cet amour de l’art qui s’est révélé dans la province avec une force que Paris semble toujours nier ; tout cela donné lieu d’espérer. Ces réunions d’objets venus de tout côté, attirés par le besoin de la célébrité, doivent être le principe d’une généreuse et salutaire émulation. Le Midi renferme des ressources de toute sorte ; il est heureusement doué à tous les points de vue : qu’il ose, qu’il se jette résolument dans la voie du travail, et les succès ne lui manqueront pas.


M. A. COMBES lit une note sur la part qui revient, dans l’exposition de Toulouse, au département du Tarn.

Les expositions départementales ont pour but spécial de faire constater l’état de perfectionnement ou de progrès auquel sont parvenus, dans un certain rayon, les produits de toute sorte, artistiques, industriels, agricoles. Ainsi limitées, elles ont une raison d’être, et peuvent exercer une influence bienfaisante. Une plus grande ambition dénaturerait leur caractère, et les jetterait dans une confusion qui nuirait à tout résultat utile. Il est bon, d’ailleurs, que les différentes circonscriptions soient appelées, à des époques plus ou moins rapprochées, à essayer leurs forces, et à se rendre compte du travail qu’elles ont fait.

À ce point de vue les expositions partielles préparant les grandes luttes auxquelles viennent prendre part toutes les nations du monde, ont pour effet de produire une salutaire émulation, et de faire naître, dans chaque centre, le désir de se produire avec tous ses avantages, et de mettre en lumière tous ses progrès. Mais cette pensée est-elle comprise partout ? Ce but est-il poursuivi ? Les faits ne semblent pas permettre de le supposer ; et l’exposition de Toulouse, a bien provoqué un mouvement fécond autour d’elle, mais il ne s’est rien produit de collectif ; chaque industrie, chaque producteur a pris sa place sans se rattacher en aucune manière, à ce qui se manifestait dans un certain rayon, sans permettre de juger du degré de développement atteint, pendant une période, par le travail, la persévérance et l’activité, dans une circonscription déterminée.

L’exposition de Toulouse était et devait être méridionale ; et chaque département du Midi aurait dû tenir à honneur de s’y faire représenter d’une manière complète. C’était, pour plusieurs d’entre eux, un moyen de sortir de l’espèce d’obscurité qui se fait autour d’eux, par leur éloignement de Paris, et l’absence de ces communications rapides qui donnent à l’activité humaine, une surexcitation si puissante et si féconde. Tous ne l’ont pas compris, tous n’ont pas su profiter de cet avantage : bien peu d’ailleurs s’y sont présentés en corps, de manière à pouvoir donner une idée des ressources dont ils disposent en commun.

Il est cependant permis à l’observateur de grouper ce qu’il a trouvé isolé, et d’essayer d’en faire sortir quelque chose qui se rapporte à une idée collective. C’est ce qu’a fait M. Combes pour le département du Tarn.

La section des beaux-arts présente 8 noms qui par eux-mêmes, ou par les ouvrages qu’ils ont signés, lui appartiennent. Ce sont :

M. André Albrespy, auteur d’une vue de Castres, d’un beau portrait, et d’une excellente copie du Guide.

M. Achille Crouzier, à l’Isle d’Albi, qui a exposé une vue des environs de cette ville.

M. Adrien Dauzats, originaire de Lautrec, qui à Paris, n’a pas oublié le Midi, et s’est fait représenter par le tableau d’une Rue à Palerme, et la vue de la Mosquée de Tayloun au Caire.

M. Dautezac, professeur de dessin à Mazamet, qui a exposé plusieurs dessins remarquables au crayon noir.

M. Jules de Lacger, auteur de cinq portraits qui révèlent une touche supérieure, d’une corbeille de fruits et de trois pastels.

M. Golse, son parent et son élève, qui a fait de bons portraits.

M. Arsène Pélegry, de Toulouse, qui a reproduit la porte des Ormeaux et la tour de la Bouteillerie, deux monuments du moyen-âge, parfaitement conservés dans la ville de Cordes.

M. Hippolyte Serres, de Castres, auteur de plusieurs objets de nature morte, traités avec une fidélité parfaite, et une vérité frappante.

Enfin M. C. Valette a envoyé quatre dessins où se révèlent, dans tout leur éclat, ces qualités qui lui ont valu de si honorables suffrages ; et un fusain de grande dimension, arrivé trop tard pour concourir, mais entouré d’une attention, et recherché avec un empressement qui suffisent à son éloge.

L’industrie du département du Tarn est représentée par 25 exposants, dont quatre appartiennent à l’arrondissement d’Albi, 12 à celui de Castres, 8 à celui de Gaillac, 1 à celui de Lavaur.

Voici, pour chaque arrondissement, le nom des exposants avec les produits qu’ils ont présentés.

Albi.

Société des moulins, — laines peignées, pâtes alimentaires.

MM.

Chassignet, aux Avalats, 4 objets forgés.

Maraval, chapellerie.

Jean-Jean, faïence et poterie.

Castres.

Bonnafous, à Mazamet, 17 échantillons de draps.

Vène-Houlés, id. 1.

Julien Vaïsse, id. bonneterie.

Guibaud, à Semalens, filoselles.

Labérie, à Mazamet, machine à apprêter.

Coste, à Salvages, papiers divers, et appareil clarificateur des eaux.

Gary, à Burlats, papier à cigarettes.

Scipion Vital, à Castres, papier à cigarettes.

N. Delpech, pompe castraise.

Pagès, deux cadres de collections lithographiques et objets divers.

Baradeau et Gasquet, trieur des graines rondes nuisibles au blé.

Chabbert, deux fusils de système différent.

Gaillac.

Casas, 6 instruments d’agriculture.

Viculles, bouteilles de vin blanc.

Cusset, enclume à talon.

De Lacombe, essences.

Deymier, mesures à grain.

Rivière, sabots.

Musson, Montre à cylindre.

Oulivet, colliers de labour.

Lavaur.

Maraval, soies filées.

Le nombre total des exposants du département du Tarn à l’exposition universelle de 1855, avait été de 38.

Une exposition archéologique accompagnait celle des beaux-arts et de l’industrie. Elle a obtenu le succès qui ne manque jamais à ce qui est bien conçu et bien exécuté. Le département du Tarn figure dans cette collection si riche, si belle, disposée avec tant de goût, cataloguée avec tant d’exactitude, pour plusieurs séries de poids inscrits, appartenant aux villes d’Albi, de Castres, de Gaillac, de Cordes, de Castelnau-de-Montmirail, de Rabastens.


M. V. CANET rend compte d’un ouvrage de M. J. Azaïs, intitulé ; Dieu, l’homme et la parole.

Un livre vient de paraître à Béziers sur une question qui n’a pas eu le privilége d’émouvoir beaucoup les esprits, en dehors d’un certain cercle, et qui pourtant a, par elle-même et par les conséquences nécessaires de la solution à laquelle on s’arrêterait, une immense portée. Il a été publié après la mort de son auteur, M. J. Azaïs, président de la Société archéologique de Béziers, et il porte avec lui le caractère incontestable d’une longue méditation, de profondes études et d’une grande autorité. Son titre dit son but et sa signification : Dieu, l’homme et la parole. C’est d’abord une profession de foi. La parole est la manifestation de l’âme : Dieu la donne, l’homme la reçoit, l’enrichit et la perfectionne. Le sous-titre indique le but spécial de l’ouvrage qui complète l’Essai sur la formation et le développement du langage des hommes, publié quelques années auparavant. C’est la dernière œuvre, c’est le couronnement d’une vie laborieuse et utile. C’est le monument élevé à la défense de la vérité religieuse, par une haute intelligence qui n’a pas voulu quitter la vie, sans avoir réuni en faisceau des études patientes, concentrées sur un même sujet, et sans les avoir déposées comme un témoignage authentique et solennel de sa foi et de son dévouement à la vérité.

Il est fort à craindre que ce livre n’ait que le succès, restreint dans son étendue et son expression, qui accueille les œuvres d’érudition, dont l’utilité est le caractère spécial et le mérite essentiel. C’est un dictionnaire précédé d’observations rares, nettes positives, présentées avec une sobriété de détails et une austérité de formes qui risquent de lui enlever, pour les esprits superficiels, tout ce qu’il a de neuf et de piquant au fond. M. J. Azaïs part de ce principe : l’unité d’origine pour l’espèce humaine est aujourd’hui hors de doute, non pas seulement pour le chrétien qui a dû y croire avant que les découvertes et les travaux de la science ne fussent venus éclairer et confirmer sa foi, mais encore pour quiconque réfléchit, raisonne et veut ouvrir les yeux à la lumière. Si tous les hommes descendent d’un seul homme, toutes les langues dérivent d’une même langue. Cette langue est celle que Dieu transmit au premier homme, qui, par lui, s’est propagée en s’étendant jusqu’à Babel, et qui, après la confusion, est restée la langue de ce peuple qui allait être choisi dans la personne d’Abraham, comme dépositaire de hautes promesses et de sublimes destinées.

Les langues s’apprennent par imitation. Une expérience de tous les jours met suffisamment en relief cette vérité : les sourds-muets, et les moyens par lesquels on donne à leurs doigts un langage que leurs lèvres sont impuissantes à traduire, la confirment d’une manière incontestable. Selon la Genèse, Dieu créa l’homme et lui parla, c’est-à dire lui donna, avec la vie, l’usage complet de ses facultés intellectuelles, une connaissance complète de toutes choses, et le langage par lequel se manifeste surtout, en lui, la supériorité sur le reste de la création. Le problème est résolu ; et tout le reste s’explique, dès que cette donnée, basée sur le plus vénérable et le plus authentique des livres, est acceptée. Mais si l’on veut une autre explication pour la création de l’homme, il faut aussi formuler un autre système pour la formation du langage. Il peut sans doute entrer dans la tête d’un fou de substituer la matière à Dieu, et de lui donner, pour la rendre active et féconde, une force qui n’est après tout qu’un changement de nom ; car ces philosophes superbes que Dieu embarrasse, ne peuvent pas parvenir à faire taire complètement la vérité qui les obsède et les pénètre de tout côté. Ils voudraient pouvoir se passer d’un principe, et ils l’acceptent et le posent sous un autre nom. Aussi, prennent-ils la matière pour lui donner la force créatrice, la puissance initiale à laquelle il faut bien arriver, quelque envie que l’on ait de s’en passer. D’après ce système extrême, auquel des opinions moins exagérées se soudent par quelque côté, l’homme créé avec toutes ses facultés, ou les conquérant successivement par la propre force de sa nature, doit aussi créer le langage. Il paraît bien un peu difficile de faire sortir des lèvres humaines le langage tout formé, comme la fable faisait sortir Minerve, tout armée du cerveau de Jupiter ; mais on ne s’arrête pas pour si peu de chose, et l’on tourne la difficulté en disant que les hommes se sont entendus pour désigner chaque chose par un nom, lier ces noms entre eux, les unir par des verbes à des qualités, les compléter par des idées accessoires, et former cet ensemble admirable dont les éléments décomposés semblent porter le sceau d’une action divine.

M. Azaïs ne discute pas longuement ces observations ; il passe outre, après avoir signalé combien elles sont humiliantes pour la raison humaine, qui s’est égarée jusqu’à les reproduire ou les accepter. Il insiste, en s’appuyant sur ce verset de la Bible : Erat autem terra labii unius et sermonum eorumdem, pour prouver que le langage du premier homme, le seul qui pût alors exister, s’est continué jusqu’au déluge.

La vie des hommes était longue : les familles étaient nombreuses ; elles ne s’étaient pas encore emparées de la terre dont les vastes espaces s’ouvraient devant elles. L’imitation leur avait donné le langage : aucune cause étrangère n’avait pu jusqu’alors l’altérer. Après le déluge, un grand fait se produit. Les hommes que l’orgueil avait réunis, sont obligés de se séparer brusquement, car la justice divine a creusé entre eux un abîme immense. Ils ne s’entendaient plus. Quel fut le résultat de cette vengeance terrible ? La dispersion ; et avec la dispersion, la formation de différents états, et le développement simultané de diverses langues.

Mais cette œuvre divine porte l’empreinte de son auteur. La justice n’avait pu marcher sans la sagesse. La langue primitive dut survivre, et les langues différentes ne durent être que des dialectes du langage primitif. Les mots restèrent les mêmes, leur signification fut changée, et la confusion résulta, non pas d’éléments nouveaux jetés dans le langage primitif, mais d’un emploi particulier des termes existants, qui ne subirent dans certains cas, que d’insignifiantes modifications.

M. Azaïs appuie cette opinion sur des exemples nombreux et sur des rapprochements qui étonnent, lorsqu’on aperçoit, à travers d’immenses distances ou après des siècles, le même mot employé dans un sens identique, ou également constitué, avec une signification différente, sans qu’il soit possible de mettre cette ressemblance sur le compte des communications par terre et par mer, ou d’une entente quelconque.

Jusqu’à présent, M. Azaïs s’est contenté d’affirmer, en établissant les hautes et puissantes raisons qui font de la Bible, même au point de vue purement humain, un témoignage décisif en faveur de son opinion. Il est allé plus loin, et il le devait, car il serait resté sans force contre ceux qui seraient venus contester la Bible, soit comme œuvre d’inspiration divine, soit comme livre remontant à une haute antiquité.

Quatre parties composent cet ouvrage.

Dans la première, l’auteur pose, développe et explique les principes qui aident à reconnaître les traces de la langue primitive, dans les langues secondaires.

Toutes les langues changent : l’air de famille joint à l’identité de signification, est le moyen à l’aide duquel on reconnaît que des mots appartenant à des langues différentes, ont une origine commune. Mais cet air de famille est souvent rendu méconnaissable par la différence d’une ou de plusieurs lettres. Les voyelles ne doivent pas être comptées ; elles subissent toujours des altérations, et certaines langues, l’hébreu par exemple, n’ont pas de caractères pour les représenter. Les consonnes sont de cinq ordres : labiales, linguales, palatales, dentales, gutturales. Les consonnes de même ordre sont prises l’une pour l’autre, ce qui permet de remonter toujours à l’origine, et de reconnaître la dérivation régulière de certains mots, qu’il semblerait bien difficile de rattacher à leur racine, si l’on s’en tenait aux apparences. Ces principes sont appliqués dans un dictionnaire renfermant les mots pied, dent, bouche, dans un très-grand nombre de langues, de dialectes et de patois. Les mots employés sont tous, à des degrés différents, mais d’une manière qui ne peut pas être contestée, une dérivation de la langue hébraïque, dont l’origine primitive semble ressortir d’une manière éclatante de cette comparaison.

La seconde partie renferme des observations sur la confusion opérée à Babel. Ces observations, appuyées de nombreux exemples, tendent à démontrer que la langue primitive ne peut pas disparaître. D’ingénieux rapprochements permettent de conclure que « la manière dont s’est opérée la confusion des langues, vient puissamment à l’aide des linguistes qui, conformément aux croyances chrétiennes, ont à cœur de prouver que toutes les langues de l’univers dérivent de la langue du peuple de Dieu. Qui ne conçoit en effet, que, d’après le procédé logique qui a dominé la confusion des langues, un mot hébreu, loin de fournir seulement la dérivation des mots ayant même signification, fournit encore la dérivation de ceux dont le sens est différent, mais qui, par des idées secondaires, ramènent au sens primitif ? » (page 79.)

La troisième partie est consacrée à prouver que la langue sanscrite n’est pas, et que la langue hébraïque est la langue primitive. Il y a eu dans la conduite des ennemis de la vraie philosophie et de la religion, une manœuvre qu’il importe de signaler. Ils ont longtemps soutenu, contre les écrivains chrétiens, qu’il n’y avait jamais eu de langue dont toutes les autres fussent dérivées. Plus tard, lorsqu’ils ont été fatigués de défendre une erreur évidente pour eux-mêmes, ils ont admis l’existence d’une langue antérieure à toutes celles qui sont parlées sur la terre, et ils ont choisi la langue sanscrite, parce que d’abord elle leur servait à détrôner la langue hébraïque, et qu’ils croyaient ensuite trouver dans la richesse de la première, et dans la pauvreté de la seconde, un moyen infaillible de triomphe.

La langue hébraïque est pauvre, en effet. Mais une langue primitive ne doit-elle pas essentiellement être simple et pauvre ? L’alphabet hébreu a 22 consonnes dont plusieurs ne se prononcent que très-rarement : il n’a point de voyelles ; et ce n’est qu’à la fin du Ve siècle de l’ère chrétienne, que les Massorètes, pour donner une certaine fixité à la prononciation, ont employé des points-voyelles qui, joints à la consonne, indiquent le son qu’il faut lui donner. La langue hébraïque est pauvre en mots. Des idées analogues, différentes, contradictoires, sont exprimées par le même terme. Aussi, pour emprunter un exemple à M. Azaïs, le substantif hébreu bad signifie lin, habit de lin, étoffe de lin, barres, bâton, levier, branches, membres, magiciens, mensonges, illusions, masqué. Le même mot vave exprime toutes les relations possibles entre les diverses parties du discours. Il n’y a pas de preuve plus positive et plus formelle de pauvreté.

Les noms hébreux ont deux genres et ils n’ont qu’un cas, ou plutôt ils n’en ont pas ; car ce cas qu’on appelle génitif, parce qu’il sert à engendrer les autres, et qui correspond véritablement aux génitifs d’autres langues, ne varie pas. Les verbes hébreux n’ont que trois modes : l’indicatif, l’impératif, l’infinitif, et deux temps, le passé et le futur.

En rapprochant à ce point de vue, la langue hébraïque de la langue sanscrite, que trouve-t-on ? Le mot sanscrit signifie idiome parfait ; et en effet, le sanscrit est une langue savante et éminemment aristocratique. Il abonde en substantifs, en adjectifs, en pronoms, en verbes, en adverbes, en prépositions, en conjonctions. Son alphabet se compose de 56 lettres : la déclinaison a trois nombres, trois genres, huit cas ; la conjugaison six modes : l’indicatif, le subjonctif, l’impératif, le précatif, le conditionnel et l’infinitif. Il a des particules de toute espèce, et une infinité de mots composés. Cette langue est donc riche, tandis que l’hébreu est pauvre. Quelle est de ces deux langues la langue primitive ?

Une objection peut être faite. Si Dieu a donné le langage à l’homme, il le lui a donné parfait. Sans doute, cela est vrai, si l’on considère l’homme dans l’état de perfection primitive qui a précédé sa chute : mais cette opinion devient fausse, si on l’applique à l’homme désobéissant et condamné. Ce que l’homme possédait par sa nature même, a été enlevé, obscurci ou affaibli, dès qu’il s’est révolté contre son créateur. Mais Dieu a voulu que l’homme déchu put essayer de remonter de son abaissement, et se relever de sa chute ; il a voulu qu’il conquît par le travail et par la lutte, tout ce qui lui avait été donné gratuitement, sans pouvoir espérer de redevenir ce qu’il avait été.

Il lui a donné l’intelligence ; mais qu’est l’intelligence livrée à elle-même ? Il lui a donné toutes les aptitudes, mais une aptitude n’est qu’une disposition qui reste stérile si on ne l’exerce pas. Il lui a donné toutes les productions de la nature, mais ne faut-il pas le travail pour les rendre utiles, pour les transformer, pour donner satisfaction aux diverses exigences de la vie ? Par conséquent, Dieu en donnant le langage à l’homme, a dû le lui donner dans les conditions qui suffisaient aux premiers besoins de son existence. À lui de l’étendre, de le perfectionner, de l’enrichir à mesure que ses conquêtes se multipliaient, et que sa pensée allait plus loin. Ce travail qu’il est facile de suivre dans toutes les langues consacrées par des ouvrages, a dû se produire dans la langue primitive, sans qu’elle perdit pourtant jamais le caractère qui devait la distinguer, et lui faire une place à part. Or, ce caractère est imprimé d’une manière évidente et ineffaçable, malgré les siècles, dans la langue hébraïque. Le sanscrit au contraire, ne se ressent nullement d’une pauvreté originelle, et tout en lui, constate un développement de civilisation qui a dû trouver son expression la plus haute et la plus positive dans la langue. Une religion fausse, une morale incomplète ou viciée n’empêchent pas le progrès d’atteindre à un certain point qui peut éblouir, mais sous lequel celui qui cherche de bonne foi la vérité, voit bien vite la faiblesse et l’inconséquence. Or, pour la langue sanscrite, elle est la dernière et la plus parfaite manifestation d’un esprit qui, ne pouvant pas atteindre aux grandes et irréprochables créations, se renferme dans la richesse et la pureté de la forme. Cette impuissance se manifeste même sous cette abondance d’œuvres que l’on a tant louées, et qui, à côté de la poésie, expression vivante de tous les temps et de tous les peuples, nous présentent, quoi qu’on en dise, de si regrettables spectacles.

Si l’on descend dans les détails, le sanscrit, ne peut pas avoir été la langue primitive, parce qu’en elle, le verbe est générateur du substantif. Il est certain qu’en prenant le développement naturel de l’esprit et du langage, on doit reconnaître que le substantif a nécessairement précédé le verbe. Il en est ainsi dans l’hébreu, œuvre des sens, et résultat des premières sensations de l’homme. C’est le contraire dans le sanscrit, œuvre de la science disposant des ressources de la méditation. Enfin, Dieu a conversé avec Moïse ; il a dû parler sa langue ; et cette langue, qui a servi à transmettre le récit de la création, avait dû servir également au premier homme ; ou bien Dieu aurait inutilement multiplié les créations.

Ne semble-t-il pas d’ailleurs que Moïse qui remonte à Abraham, choisi de Dieu pour être la tige d’un peuple à part, devait se rattacher par cette succession de famille, qui a une si grande importance dans les livres saints, à la race qui resta fidèle à Dieu au milieu de la corruption générale, et à qui, au sein de la confusion des langues, dût être confié le dépôt du langage primitif, comme gage des desseins de Dieu pour ses destinées futures ? C’est une simple induction : mais elle ne paraît pas manquer d’importance ni surtout de portée.

M. Azaïs entre ensuite dans des détails de linguistique qui sont l’application, et deviennent une vérification éclatante des principes posés. Ces preuves incontestables jointes aux indications ou aux arguments signalés, semblent établir victorieusement, et par des faits, la vérité de l’assertion formulée : la langue hébraïque est la langue primitive.

La quatrième partie du livre de M. Azaïs, n’est que l’application généralisée à l’infini, du procédé de comparaison et de rapprochement entre les différentes langues parlées sur toute la terre, et la langue hébraïque regardée et posée comme un type unique et originel. C’est un travail immense qui n’accuse pas seulement une patience vulgaire, mais cette ardeur d’investigation dont notre siècle nous donne rarement l’exemple, à un degré pareil.

Si cette érudition était accumulée comme on le voit trop souvent, de manière à devenir un étalage de science dont la vanité tire profit, on regretterait le temps consacré à de pareilles recherches. Mais il s’agissait de confirmer par des faits, une opinion ancienne, respectable, et toujours combattue, de réunir tous les témoignages de la science autour d’une langue que l’on attaque, uniquement dans le but de frapper après elle la religion qui a eu recours à elle, comme à un instrument, et qui s’appuie sur les livres qu’elle a produits. Voilà pourquoi l’œuvre de M. Azaïs nous paraît excellente. C’est la science mise au service de la vérité ; c’est l’érudition venant apporter son témoignage à une thèse d’une haute portée religieuse.

M. Azaïs a donc bien mérité de la science et de la religion. Son livre est un arsenal où l’on peut aller puiser en toute sécurité. Les armes y sont nombreuses et de bonne trempe. M. Axaïs les avait longuement préparées. Il n’était pas de ces hommes qui improvisent une idée, et qui plient docilement les faits, pour lui ménager un triomphe facile. Il a étudié de bonne foi, prêt à saluer la vérité partout où il l’aurait trouvée. Son caractère était une garantie de cette indépendance et de cette bonne foi. Son livre en est une éclatante et incontestable manifestation. Peut-être, dans la forme qui lui a été donnée, n’est-il pas destiné à un grand succès ; mais il n’en fera pas moins le bien qu’en attendait et dont se contentait modestement son auteur. Il sera lu, il sera consulté toujours avec fruit. Il servira de point de départ à bien des discussions, car sous l’apparence d’une question unique, il touche aux plus grands problèmes de l’humanité. Peu de personnes le connaîtront : beaucoup recueilleront les fruits qu’il a semés. En effet, Dieu, l’homme et la parole, est un de ces livres qui profitent peu, pour la gloire humaine, à leur auteur, mais dont des écrivains se chargent tous les jours de faire l’éloge, en leur empruntant leurs opinions et leurs sentiments, et quelquefois même en leur dérobant leur substance tout entière. Si M. Azaïs avait pu vivre, il ne se serait pas plaint de ces procédés, pourvu que son travail eût servi au triomphe de la vérité religieuse. Ce sentiment chez un écrivain vaut mieux qu’un bon livre. M. Azaïs l’avait en lui, vivant et actif, ce qui ne l’a pas empêché de faire une de ces œuvres que l’on estime en raison du travail qu’elles ont coûté, de la pensée généreuse qui les a conçues, et des vérités éclatantes qu’elles mettent en lumière.


M. le président déclare closes les séances, conformément à la décision prise antérieurement par la Société.

La séance générale et publique pour la distribution des médailles, doit avoir lieu le jeudi 25 novembre 1858. La Société se réunira le 3 décembre, pour la constitution du bureau pendant l’année 1858-1859, et la reprise régulière de ses travaux.