Procès verbaux des séances de la Société littéraire et scientifique de Castres/1/7
Séance du 20 Février 1857.
M. le sous-préfet assiste à la séance.
M. A. Combes complète les faits contenus dans la note communiquée par M. Maurice de Barrau, relativement à la grammaire française de Palsgravel. Il constate, tout en reconnaissant que ce travail sur la langue est le premier qui mérite le nom de grammaire, que nous avons des études en assez grand nombre, antérieurement à la première moitié du xvie siècle. Ces études isolées, sans plan, peuvent pourtant fixer bien des points incertains, et servir à l’histoire du développement et des progrès de notre langue nationale. Elles ne se perdront pas. Réunies aujourd’hui par des mains habiles, rattachées à un principe, classées avec soin, elles obtiendront une attention et arriveront à une importance que l’on n’avait pas soupçonnée jusqu’à présent. Un comité fondé en 1834, reconstitué le 19 septembre 1852, a reçu la mission de recueillir pur les contrôler utilement les documents qui intéressent la langue, l’histoire et les arts de la France. De véritables richesses sont déjà entre ses mains, ainsi que le constatent de savants et précieux rapports. En publiant soit en entier, soit par extraits ou analyses, ceux de ces travaux qui peuvent servir le plus directement à mettre en relief les premières tentatives de l’esprit français, le comité permettra de suivre les traces de cette élaboration intérieure, d’où est sortie une langue riche en chefs-d’œuvre de toute sorte.
M. Nayral fait hommage à la Société d’une pièce de vers intitulée : Le Siècle.
M. V. Canet rend compte du travail sur La Fontaine, adressé par M. Cavagnac. Peu d’auteurs ont été l’objet de plus d’études et d’appréciations que notre grand fabuliste. Et pourtant, tout n’est pas dit encore. Il y a des matières qui semblent s’étendre à mesure qu’on les travaille ; et lorsque l’on croit avoir rendu au génie qui en a tiré un parti si merveilleux, l’hommage qui lui est dû, on s’étonne de trouver dans une nouvelle manière d’envisager l’homme et l’œuvre, de plus nombreux motifs de les admirer et de les louer.
Les fables de la Fontaine sont le livre de tous. Pendant que l’homme de goût trouve en elles de puissants attraits et le philosophe de profondes observations morales, un esprit moins cultivé, mais ami du vrai et du beau, y rencontrera une distraction agréable et un charme auquel il ne pourra se soustraire. Voilà le trait distinctif de cette physionomie vraiment originale qui, en empruntant un peu partout, a su rester elle-même. Et c’est là ce qui explique pourquoi tant d’esprits ingénieux et pénétrants, ont essayé de saisir tous ses secrets et de dévoiler tous ses mystères. Les fables de La Fontaine ont donné lieu à des volumes de notes, d’observations, de jugements et d’éloges. Venir après les critiques les plus fins du xviiie siècle, les observateurs les plus délicats de nos jours, essayer d’ajouter encore quelque chose à ce tribut d’admiration qu’impose le génie, ce n’est pas une petite difficulté.
M. Cavagnac a soumis ses études à une idée générale. La Fontaine n’a pas travaillé au hasard, sans principe et sans but. La fable n’est pas pour lui, elle ne doit pas être pour le lecteur, une simple distraction, un amusement de bon goût. Elle est une indication utile, une leçon pratique, un enseignement moral. Cette série de tableaux si différents par le caractères, si variés pour le fond, si riches en tons et en couleurs, a dû être rattachée par un lien commun, par une pensée d’ensemble. On s’en aperçoit en lisant plusieurs fables de suite. Elles se rapportent à la vie privée, à la vie politique ou à la vie sociale. Quoiqu’elles ne soient pas classées dans cet ordre, et que l’on passe rapidement, — ce qui est loin de nuire à l’intérêt, — d’un genre à l’autre, il est facile de se convaincre que la pensée de La Fontaine est allée progressivement de l’individu à l’État, de l’État à la société.
L’indication de ce but est déjà sensible dans les six premiers livres publiés en 1668. Il n’est pas possible d’en méconnaître le développement dans les six derniers, dont la publication ne fut terminée qu’en 1679.
La Fontaine vieillissait. Son observation mûrie par l’expérience, avec un but plus élevé, semblait avoir de plus hautes prétentions. N’est-ce pas ce qu’il a voulu constater dans ces quatre vers par lesquels il termine la dernière fable de son 12e livre ?
Cette leçon sera la fin de ces ouvrages :
Puisse-t-elle être utile aux siècles à venir !
Je la présente aux rois, je la propose aux sages ;
Par où saurais-je mieux finir ?
M. Cavagnac a communiqué à la Société trois fables étudiées d’après ces principes. M. V. Canet en donne lecture. Il fait remarquer en quoi cette appréciation détaillée et raisonnée, ressemble aux travaux connus, en quoi elle en diffère. Il croit que cette méthode appliquée aux plus remarquables des chefs-d’œuvre de La Fontaine, — le choix est difficile à faire, — peut être d’une très-grande utilité, non pas seulement pour les jeunes gens, mais encore pour tous ceux qui, convaincus que l’auteur de tant d’aimables peintures et de profondes leçons, n’est pas seulement un fablier, voudront se rendre compte du mérite du penseur, en même temps qu’ils subissent la douce influence du poète.
La Société charge le bureau de transmettre à M. Cavagnac ses remerciements pour son intéressante communications. Elle espère que ce travail si bien compris, et dont les résultats peuvent être si importants, ne restera pas incomplet.
M. J. Tillol lit un rapport sur l’Ellipsographe offert à la Société par M. C. Valette.
La facilité avec laquelle le cercle peut être décrit, au moyen d’un compas, a fait souvent regretter qu’il ne fut pas également possible de mettre entre les mains des ouvriers un instrument capable de donner toutes sortes d’ellipses. Cette courbe qui se présente fréquemment dans les arts, offre, pour son tracé, des difficultés sérieuses. Le plus souvent, les ouvriers sont réduits à l’emploi de patrons qui, jamais, ne présentent les dimensions qu’ils désirent. De là des contractions ou des dilatations qui altèrent, d’une manière fâcheuse, l’aspect de la courbe et la réduisent, le plus souvent, à un ovale plus, ou moins défectueux.
Les géomètres se sont souvent préoccupes de ces difficultés. Depuis le marquis de l’Hôpital, divers instruments plus ou moins ingénieux ont été inventés. Cependant, aucun de ces ellipsographes n’est entré dans la pratique. C’est tout au plus s’ils ont conservé une place dans les traités spéciaux. La cause de cet accueil peu favorable est le jeu compliqué des appareils qui à pour conséquence un prix élevé. L’ingénieur russe Lenim, les deux mécaniciens français, Haman et Hénipel, se sont appuyés sur les principes déjà appliqués. Ils ont construit deux appareils à peu près identiques, quant à la forme, et qui ont été de la part de M. Puissant, en 1842, l’objet d’un rapport favorable à l’Académie des sciences. Ces instruments, malgré leur ingénieuse construction, ne sont pas employés par les ouvriers.
M. Valette s’est attaché à donner à son Ellipsographe un degré de simplicité tel qu’il peut facilement être accepté dans les ateliers. Il s’est appuyé sur ce principe de la théorie de l’ellipse, bien connu des géomètres : si l’on place entre deux droites rectangulaires, une ligne égale à la différence des deux demi-axes, et si on la prolonge, à partir de l’une des extrémités, d’une quantité égale au demi petit axe, le point obtenu appartiendra à l’ellipse.
Après une description détaillée de l’instrument que la Société a vu fonctionner, M. Tillol ajoute :
La simplicité dans la construction de cet appareil, l’exactitude avec laquelle il permet de tracer toutes sortes d’ellipses, lui assurent la place réservée à tout ce qui est utile. Quelques modifications heureusement entrevues, permettront sans doute aussi de l’introduire bientôt dans le dessin graphique.
Le rapport de M. Tillol est terminé par la démonstration géométrique du principe dont l’Ellipsographe de M. Valette est une heureuse application.
M. A. Combes lit ensuite une étude sur la langue Romano-Castraise.
Tout le Midi de la Gaule, avant la conquête et l’invasion, parlait le même langage. La corruption qui résulta des rapports de tous les jours entre les vainqueurs et les vaincus, forma la langue que nous désignons sous le nom de patois. Cette langue se présente avec les mêmes caractères généraux dans toutes les localités : elle prend certaines formes, dans les agglomérations un peu importantes qui groupent autour d’elles des intérêts. C’est ainsi qu’un idiôme accepté par tout le Midi, se subdivise en un grand nombre des dialectes, dont chacun porte une empreinte dans laquelle se peignent les tendances et les mœurs des habitants.
L’étude de M. Combes en portant, pour quelques points, sur l’ensemble de la langue méridionale, que devait dominer plus tard la langue du nord devenue le français, s’arrête d’une manière spéciale sur les modifications qu’elle a subies à Castres ou dans les environs.
La langue, expression de la pensée à l’aide des mots, est soumise à des transformations déterminées par les circonstances, les besoins des populations, leurs sentiments plus ou moins développés, leurs découvertes successives. La langue est donc toujours parallèle aux idées. Elle porte inévitablement l’empreinte des événements historiques assez importants pour agir sur l’esprit d’un peuple, ou changer les conditions de son existence politique et sociale.
Castres est d’abord seulement une abbaye (647) : on y parle latin. Les anciens habitants du pays se servaient de la langue celtique ou gauloise. Le serment de Louis-le-Germanique (14 février 842) ne diffère en rien des principaux éléments de la langue patoise actuelle du Midi. En 886, les poètes lui empruntent ses termes vifs et pressés, ses figures et son harmonie : on s’en sert bientôt dans les actes publics. Les dialectes sont nombreux, et l’influence étrangère s’y fait sentir de manière à y jeter d’abord une confusion d’où elle se dégage peu à peu, pour arriver à l’unité.
Sous les abbés (647—1050), le latin domine encore. Il se présente sous deux aspects bien tranchés : il est pur quand les moines le parlent ou l’écrivent ; témoin le poème sûr la translation des reliques de Saint-Vincent, par le moine Aimon. Il se ressent de l’ignorance générale, dans les écrits publics, témoin un acte de Charles-le-Chauve (844).
Sous les Comtes et les premiers Seigneurs (1056—1357), la langue travaille à se perfectionner. La communauté de Castres, date de 1150. La charte d’affranchissement est en latin ; mais elle est pleine de mots étrangers à cette langue, et que nous retrouvons dans notre patois. Les poésies de cette époque ont la mesure, la rime, les vers groupés en stances. Elles sont souvent difficiles à saisir, à cause des inversions, tandis que la prose peut être comprise à une simple lecture.
La charte de Lautrec (1232), renferme encore un certain nombre de mots purement latins : mais ils sont immédiatement traduits dans le texte même.
Il résulte de plusieurs citations empruntées à des auteurs et à des documents historiques, qu’au xiiie siècle la langue du Midi de la France était fixée ; que les Espagnols du Nord la parlaient, presque sans différence ; que les grands vers avaient la mesure de l’alexandrin moderne, et que les rimes ou monophones ou intercalées étaient connues.
La langue du Midi créée, il s’agissait de la maintenir. Ce fut le but de l’institution des Jeux-Floraux en 1223.
De 1356 à 1500, M. Combes cite de nombreux monuments en prose et en vers, afin de constater d’une manière authentique les modifications qui interviennent successivement, ou les variations qui se produisent. Le latin ne sort guère de l’Église, des inscriptions tumulaires et des actes notariés.
Le cahier des doléances de la province du Languedoc en 1424 et, un peu plus tard, le livre terrier de la communauté de Castres, sont entièrement écrits en langue romane.
De 1500 à 1648, époque de la fondation de l’académie de Castrés, et terme de la première partie du travail de M. A. Combes, la langue romane passe par diverses vicissitudes. Elle est négligée pendant les guerres civiles et religieuses : elle recouvre sa prédominance dans les légendes et la conversation sous Henri IV : elle avait repris une partie de son ascendant et de sa vogues, comme instrument de poésie, au moment de la mort de Goudelin, son restaurateur, en 1649.