Procès verbaux des séances de la Société littéraire et scientifique de Castres/1/6

Séance du 6 Février 1857.


Présidence de M. A. COMBES.


M. Maurice de Barrau appelle l’attention de la Société sur les conclusions de la note lue par M. Tillol dans la séance précédente. En exprimant le désir de voir l’attention de ses collègues portée sur des questions si importantes par elles-mêmes, et si riches en observations de toute sorte, M. Tillol avait fait remarquer que des éléments nombreux se trouvaient dispersés, et ne pouvaient avoir, par conséquent, aucune utilité. Il y aurait incontestablement pour le pays intérêt à les réunir, de manière à formuler des données générales. Ce qui a été obtenu ailleurs, en peu de temps, est un sûr garant de ce qu’on peut espérer dans notre ville. Tous ceux qui, jusqu’à présent, ont porté leur attention sur les phénomènes météorologiques, seraient encouragés à continuer et à étendre leurs observations. Il en résulterait des communications utiles pour la Société, et des documents qui auraient de l’intérêt pour le pays en même temps qu’ils serviraient à compléter les renseignements transmis tous les jours, des divers points de la France, à l’Observatoire de Paris.

La Société accueille avec empressement la proposition de M. de Barrau. Elle nomme une commission chargée d’étudier la question, de rechercher les moyens d’exécution les plus prompts et les lus complets, et de formuler un programme. Comme des dépenses deviennent indispensables pour l’approbation d’un local et l’achat de divers instruments, le rapport est ajourné jusqu’au moment où la Société pourra, soit par elle-même, soit grâce à des subventions, disposer de fonds suffisants.

La commission est composée de MM. Blavaux, Parayre, de Barrau et Tillol.

M. Charles Valette, professeur de dessin au collége, communique et offre à la Société un appareil destiné au tracé des ellipses. En faisant l’application nouvelle d’une loi connue, M. Valette a voulu être utile aux ouvriers. On sait, en effet, combien il leur est difficile de tracer exactement des ellipses, avec les procédés ou les instruments imparfaits dont ils disposent. Trouver un appareil simple dans sa composition, facile à manier, exact, pouvant se plier à toutes les exigences de l’art et du métier, peu coûteux, tel est le problème que M. Valette s’était posé. La vue de son instrument, la manière dont il manœuvre, son mécanisme que le défaut de soin et un long usage ne peuvent compromettre, le prix facilement accessible, tout annonce au premier abord un succès, complet.

La Société, en acceptant avec reconnaissance l’hommage fait par M. Valette, charge M. Tillol de constater dans un rapport, la nature, le caractère et l’importance de cette invention. En remontant jusqu’au principe géométrique dont cet appareil est une application, M. Tillol signalera les difficultés qu’elle présentait et les avantages que les ouvriers peuvent retirer de son emploi.

M. Cavagnac, professeur au collége de Castres, adresse à la Société l’analyse détaillée, au point de vue moral et littéraire, de trois fables de La Fontaine. La lettre qui accompagne cet envoi explique le but auquel tend M. Cavagnac et la pensée qui l’a guidé dans son travail. J’ai voulu, dit-il, rendre les jeunes gens meilleurs et plus instruits.

L’examen de ce travail est renvoyé à M. V. Canet.

M. M. Nayral communique à la Société un travail d’une grande étendue sur les ouvrages mélangés de prose et de vers. Cet essai, comme il l’appelle, est une revue rapide, mais complète des œuvres qui ont quelque valeur.

Un membre donne lecture de la partie de ce travail concernant les œuvres qui ne rentrent dans aucune catégorie de spécialité littéraire.


Les anciens s’étaient exercés dans ces sortes d’écrits dont quelques-uns sont parvenus jusqu’à nous. Ménippe avait composé treize livres de satires mêlées de vers, la plupart parodiés. Cet ouvrage, perdu aujourd’hui, a donné l’idée de la fameuse satire Ménippée. Varron l’imita chez les Latins. Pétrone écrivit le festin de Trimalcion, et Sénèque la transformation de Claude en citrouille. Au ve siècle, Boèce a cherché, pendant une honorable captivité, l’oubli de ses maux dans la Consolation de la philosophie : enfin, les Césars de l’empereur Julien peuvent être rangés dans la même catégorie.

On cite quelques auteurs latins : qui auraient écrit des voyages en prose et en vers. Il ne nous en est rien resté.

Le premier ouvrage de cette espèce publié en France est de 1340. Il a pour auteur Jean Dupin, moine de Vaurelhes, et pour titre : Le Champ vertueux de bonne vie. Pélisson prétend que « la manière d’écrire en prose mêlée de vers, était une chose pratiquée par quelques anciens, inconnue à nos français, si nous en exceptons Théophile. » Avant Théophile qui est mort en 1626, M. Nayral cite, outre Jean Dupin, André de La Vigne qui, vers 1495, publia son Vergier d’honneur. Ce volume, in-folio gothique, est aujourd’hui très-rare et fort recherché. Olivier de la Marche, publia en 1510, le Parlement et le triomphe des dames d’honneur. Pierre Michaut (1522), est l’auteur du Doctrinal du temps présent et du Doctrinal de court, par lequel on peut être clerc sans aller à l’escole. Enfin, Jean Carthenay publia en 1595, un ouvrage allégorique intitulé : le Voyage du chevalier errant esgaré dans la forest des vanités mondaines, dont finalement il fut remis et redressé au droit chemin qui mène au salut éternel.

Ainsi se trouve rectifiée une erreur d’histoire littéraire longtemps accréditée par l’autorité de Pélisson. Du reste, à mesure que l’on avance, les origines de notre littérature se découvrent. Les publications nouvelles, en enrichissant notre passé, portent l’attention sur des temps trop dédaignés, parce qu’ils ont été peu connus. Sans doute les ouvrages signalés par M. Nayral n’ont pas une grande importance littéraire, mais ils servent de terme de comparaison, et permettent d’étudier la langue et l’esprit national dont elle était l’interprète, sous un aspect entièrement nouveau.

M. Nayral cite le titre des principales publications qui ont suivi le traité de l’immortalité de l’âme par Théophile. Il les apprécie rapidement et signale les différences essentielles qui les distinguent. Ce genre a perdu aujourd’hui sa vogue. À l’époque où les nouveautés littéraires étaient des événements, lorsque les plus légères productions provoquaient des admirations enthousiastes et des critiques violentes ; on comprend la fortune de ces œuvres. Elles seraient aujourd’hui entourées d’indifférence. Les lettres à Émilie sur la mythologie, par Dumoustier ; les lettres à Sophie sur la physique, la chimie et l’histoire naturelle, par Aimé Machin, ont lutté avec avantage contre ces dispositions peu bienveillantes, et remis, à la mode un genre qui offre de grandes ressources, et s’adresse de préférence aux esprits cultivés et aux goûts délicats.


M. M. de Barrau lit une note qui complète celle qu’il a déjà communiquée sur la première grammaire française. Cette note renferme, d’après le Champ-Fleury de Geoffroy Tory, publié le 28 avril 1529, une liste des auteurs cités comme faisant autorité, et servant de texte de langues. Ces auteurs appartiennent presque tous au xve siècle. Une phrase de cet ouvrage qui n’a précédé que de deux ans la publication de la grammaire de Palsgrave, indique assez clairement que cette grammaire a été la première en France qui ait offert un travail d’ensemble, considéré comme ayant une certaine autorité ; « S’il est vray, dit G. de Tory, que toutes choses ont eu commencement, il est certain que la langue grecque, semblablement la latine, ont été quelque temps incultes et sans reigle de grammaire, comme est de présent la nostre. »

Il serait à désirer, ajoute M. de Barrau, que le gouvernement fît rechercher et publier les traités composés sur notre langue dans le cours du moyen-âge. Il ne faudrait pas se contenter des résultats déjà obtenus, grâce à l’initiative particulière ou à des efforts privés. Nos bibliothèques et surtout celles d’Angleterre sont très-riches en matériaux de ce genre. De ces matériaux judicieusement coordonnés et comparés avec soin, sortiraient les éléments nécessaires à l’histoire de la partie la plus obscure de notre langue : celle qui se trouve comprise entre le latin et la langue de la renaissance.