Procès des grands criminels de guerre/Vol 1/Section 44

AVIS PARTICULIER
DU DÉLÉGUÉ SOVIÉTIQUE
AU TRIBUNAL MILITAIRE INTERNATIONAL.


Le Tribunal a pris la décision :

a) D’acquitter les accusés Hjalmar Schacht, Franz von Papen et Hans Fritzsche ;

b) De condamner l’accusé Rudolf Hess à la détention perpétuelle ;

c) De ne pas reconnaître comme organisations criminelles le Cabinet du Reich, l’État-Major général et l’OKW.

Je ne peux pas adhérer à la décision du Tribunal sur ces différents points, étant donné qu’elle ne correspond pas aux faits véritables et qu’elle repose sur des conclusions erronées.

I

MAL-FONDÉ DE L’ACQUITTEMENT
DE L’ACCUSÉ SCHACHT.


Les faits suivants confirment les preuves soumises au Tribunal en ce qui concerne l’accusé Schacht.

a) Schacht établit le contact avec Göring dès le mois de décembre 1930, et avec Hitler au début de 1931. En outre, il a mis la direction du parti nazi en rapport avec les représentants en vue du monde industriel et financier allemand. Les dépositions du témoin Severing le confirment notamment (compte rendu de l’après-midi du 23 mai 1946, document USA-615).

b) En juillet 1932, Schacht exigea que von Papen cédât à Hitler son poste de chancelier du Reich. Ce fait se trouve confirmé par les dépositions de von Papen, lors de l’interrogatoire préliminaire et par les dépositions de Schacht devant le Tribunal (compte rendu de l’après-midi du 2 mai 1946).

c) En novembre 1932, Schacht réunit les signatures d’industriels allemands, les incitant à réclamer la nomination de Hitler comme chancelier du Reich. Le 12 novembre 1932, Schacht écrivait à Hitler : « Je suis certain que les circonstances, sous notre direction, ne peuvent aboutir qu’à votre nomination comme chancelier du Reich. Nous nous efforçons de réunir un grand nombre de signatures dans les milieux industriels, pour assurer votre désignation à ce poste. » (Documents EC-456, USA-773 ; PS-3901, USA-837.)

d) En février 1933, Schacht organisa le financement de la campagne électorale menée par le parti nazi et exigea lors d’une conférence de Hitler et de Göring avec les industriels, que ces derniers fournissent à cet effet trois millions de mark (document D-203). Schacht a reconnu devant le Tribunal qu’il avait alors souligné combien il était indispensable de mettre cette somme à la disposition des dirigeants nazis (compte rendu de l’après-midi du 3 mai 1946), tandis que l’accusé Funk et un ancien administrateur d’ « IG-Farbenindustrie », Schnitzler, qui assistaient tous deux à la conférence, ont confirmé que c’était précisément Schacht qui avait eu l’idée de faire financer ainsi la campagne électorale (compte rendu du 4 juillet 1946, document EC-439, USA-618).

e) Exploitant son prestige, Schacht, comme il l’a reconnu lui-même recommanda dans les nombreux discours qu’il prononça en public qu’aux élections suivantes l’on soutînt le parti nazi et Hitler (documents USA-615 ; USA-616 ; compte rendu de l’après-midi du 2 mai 1946).

Le 29 août 1932, Schacht écrivait à Hitler : « Où que mes activités me fassent aller dans l’avenir immédiat, et même si vous me retrouvez un jour dans une forteresse, vous pouvez toujours compter sur moi comme sur un collaborateur fidèle. » (Document EC-457 USA-619.)

Ainsi, Schacht a soutenu le parti nazi de façon consciente et préméditée et il a pris une part active à la saisie du pouvoir par les fascistes allemands.

Schacht, avant même d’être appelé aux fonctions de plénipotentiaire général à l’Économie de guerre, et aussitôt après la saisie du pouvoir, prit en main la planification et l’organisation des armements allemands.

a) Le 17 mars 1933, Schacht fut nommé président de la Reichsbank (document PS-3021, USA-11), qui sous son administration ne fut pas « autre chose qu’une administration nationale-socialiste », comme il l’a déclaré lui-même, le 21 mai 1938, dans un discours prononcé devant les collaborateurs de la Reichsbank (compte rendu de l’après-midi du 3 mai 1946).

b) En août 1934, Schacht fut nommé ministre du Reich à l’Économie (document PS-3021, USA-11). Son ministère « reçut la tâche d’effectuer les préparatifs économiques en vue de la guerre » (document E0123, USA-623). Par décret spécial, Schacht, en sa qualité de ministre de l’Économie, se voyait attribuer des pleins pouvoirs illimités dans le domaine économique (Reichsgesetzblatt, 1934, Section I, page 565).

c) Profitant des pleins pouvoirs qui lui étaient conférés, Schacht entreprit, en 1934, de mettre à exécution le « Nouveau Plan » dont il était l’auteur (Reichsgesetzblatt, 1934, section I, page 826), et qui devait jouer un rôle considérable dans la question du réarmement de l’Allemagne, ainsi que Schacht lui-même l’a fait remarquer dans son discours du 29 novembre 1938 (document EC-611, USA-622).

d) Afin d’assurer l’application la plus efficace du « Nouveau Plan », Schacht utilisa les biens des adversaires politiques du régime nazi qui tombèrent, victimes de la terreur, ou qui durent s’expatrier (mémorandum de Schacht à Hitler le 3 mai 1939 ; document PS-1168, USA-37).

Schacht avait recours à des expédients malhonnêtes et à la contrainte dans le but d’obtenir les matières premières et les devises étrangères pour le réarmement (dépositions écrites du vice-président de la Reichsbank, Puhl ; document EC-437, USA-624).

e) Dès les premiers jours de son entrée à la Reichsbank, Schacht fit paraître toute une série de décrets (27 octobre 1933, 23 mars 1934, 19 février 1935) qui devaient permettre de réaliser par la suite un vaste programme financier préparé par lui, grâce auquel il put trouver, comme ses dépositions l’ont montré, « le moyen de financer notre armement ».

Dans un discours prononcé à Leipzig, le 4 mars 1935, Schacht, passant en revue toute son activité économique et financière, déclara : « Toutes mes paroles et tous mes actes ont l’assentiment entier du Führer et je ne ferai ni ne dirai rien que le Führer n’ait approuvé. » (Compte rendu de l’après-midi du 3 mai 1946.)

Schacht, une fois devenu plénipotentiaire général pour l’économie de guerre, réunit dans ses mains les rênes de toute l’économie allemande, et ce furent ses efforts qui assurèrent l’édification de la machine de guerre hitlérienne :

a) L’ordonnance secrète du 21 mai 1935, qui conférait à Schacht les fonctions de plénipotentiaire général pour l’économie de guerre, stipulait : « La tâche du plénipotentiaire général pour les questions de l’économie de guerre consiste à mettre toutes les forces économiques au service de la guerre… Le plénipotentiaire général pour les questions de l’économie de guerre a le droit, dans les limites de sa compétence, de prendre des dispositions légales qui peuvent différer des lois en vigueur… Il est responsable du financement de la guerre, qu’il organise par le ministère du Reich comme par la Reichsbank. » (Document PS-2261, USA-24.)

b) Schacht finança l’armement du Reich grâce au système des traites Mefo, escroquerie sans précédent, à l’échelle gouvernementale, dont le succès dépendait de la réalisation des projets agressifs de l’Allemagne hitlérienne. C’est précisément la raison pour laquelle Schacht fixa à 1942 l’échéance des traites Mefo, soulignant dans son discours du 29 novembre 1938 les rapports existant entre « l’audacieuse politique de crédit » appliquée par la Reichsbank et les buts de la politique étrangère de Hitler (document EC-611, USA-622).

c) Usant largement de ses pleins pouvoirs, Schacht élabora soigneusement et mit en pratique un large plan de mobilisation économique, qui devait permettre aux dirigeants hitlériens, de déchaîner une guerre d’agression au moment qui leur semblerait opportun. Le rapport établi par Wohltat, le remplaçant de Schacht, et intitulé : « Préparation de la mobilisation par le plénipotentiaire général pour l’économie de guerre », montre notamment que Schacht avait prévu dans les moindres détails le système permettant d’exploiter l’économie allemande en temps de guerre, en commençant par l’utilisation des entreprises industrielles, des ressources en matières premières, et de la main-d’œuvre, pour finir par la distribution de quatre-vingt millions de titres de rationnement (document EC-258, USA-625). Il est significatif que ce rapport ait été rédigé un mois après les déclarations faites par Hitler à la conférence du 5 novembre 1937, au cours de laquelle Hitler avait exposé les plans concrets de l’agression (document PS-386, USA-25).

Évaluant le travail accompli, Schacht écrivait en janvier 1937 :

« En effectuant ces préparatifs sur le plan de la guerre, je me suis laissé guider par le principe que notre économie de guerre doit être organisée, en temps de paix, de façon à ce que il n’y ait plus lieu d’y apporter des modifications quelconques si la guerre venait à être déclenchée. »

Schacht a confirmé cette déclaration devant le Tribunal (compte rendu de l’après-midi du 2 mai 1946).

d) L’ancien ministre de la guerre, von Blomberg, a dit dans sa déposition :

« Schacht connaissait parfaitement les plans tendant au développement et à l’accroissement des Forces armées allemandes, étant donné qu’on le tenait constamment au courant… de toutes les questions relatives au financement de ces Forces armées. » (Document USA-838.)

Le 31 août 1936, von Blomberg annonça à Schacht que :

« La fabrication de toutes les pièces d’avions devait être achevée avant le 1er  avril 1937, d’où la nécessité d’engager des frais considérables en 1936… (Document PS-1301, USA-123.)

Au printemps de 1937, Schacht prit part aux manœuvres de Godesberg (document EC-174).

e) Dans le mémorandum adressé à Hitler le 3 mai 1935, et intitulé « Le Financement de l’armement », Schacht écrivait :

« La réalisation rapide du programme d’armement sur une grande échelle constitue la base de la politique allemande ; tout le reste doit donc être subordonné à cette tâche ; l’accomplissement de cette tâche, la réalisation de ce but, ne doivent rencontrer aucun obstacle… » (Document PS-1168, USA-37.)

Dans son discours du 29 novembre 1938, Schacht déclara que la politique de la Reichsbank avait permis à l’Allemagne d’édifier « une machine de guerre sans égale, et cette machine à son tour a permis de réaliser les buts de notre politique» (document EC-611, USA-622).

Il faut absolument exclure l’hypothèse que Schacht n’ait pas su à quelle politique étaient destinés ces armements, en raison de leur importance sans précédent et de la prédominance très nette des formes d’armement destinées à l’agression (tanks lourds, bombardiers, etc.). En outre, Schacht voyait très bien qu’aucun pays ne se disposait à faire la guerre à l’Allemagne et qu’il n’y avait d’ailleurs aucun motif à cela,

a) Schacht utilisa la puissance militaire allemande, qui augmentait sous sa direction, pour poser des exigences territoriales qui augmentaient en fonction directe de l’armement.

Schacht a déposé devant le Tribunal qu’il « s’en était d’abord tenu (dans ses exigences) aux anciennes colonies allemandes » (compte rendu de la matinée du 3 mai 1946).

En septembre 1934, lors d’une conversation avec Dodd, l’ambassadeur des États-Unis, Schacht dit qu’il souhaitait l’annexion autant que possible sans guerre, et même avec la guerre, si les États-Unis se tenaient en dehors du conflit (document EC-461, USA-58).

En 1935, Schacht déclara au consul des États-Unis, Fuller :

« Les Colonies sont indispensables à l’Allemagne ; si c’est possible, nous les obtiendrons par des négociations, sinon nous les prendrons nous-mêmes. » (Document EC-450, USA-629.)

Schacht a reconnu devant le Tribunal que la pression militaire exercée sur la Tchécoslovaquie était « dans une certaine mesure, le résultat et le fruit de ses travaux » (compte rendu de la matinée du 3 mai 1946).

b) Schacht prit personnellement part aux pillages des biens gouvernementaux et privés, dans les pays victimes de l’agression hitlérienne.

Dans le procès-verbal de la conférence tenue, le 11 mars 1938, par l’État-Major de l’Économie de guerre, à laquelle participait Schacht, il est dit que les assistants reçurent les dernières directives de Hitler sur l’invasion de l’Autriche. On lit plus loin dans ce procès-verbal : « Il fut ensuite décidé, sur la proposition de Schacht, que toutes les opérations financières seraient calculées en Reichsmark, au taux de deux schillings pour un Reichsmark. » (Document EC-421, USA-645.)

Schacht a reconnu devant le Tribunal qu’il avait personnellement dirigé la saisie de la banque d’État tchécoslovaque après l’occupation du pays (compte rendu de l’audience du 3 mai 1946).

c) Au début de 1940, Schacht offrit ses services à Hitler pour négocier avec les États-Unis d’Amérique la cessation de l’aide à l’Angleterre, ce dont il fit part à Göring (document PS-3700, USA-780).

d) Schacht se crut obligé de saluer et de féliciter publiquement Hitler après la signature de l’armistice avec la France, bien que Schacht saisît plus clairement que quiconque la nature dominatrice de ce traité (film documentaire allemand, document USA-635).

e) Dans sa lettre à Funk du 17 octobre 1941, Schacht suggéra que les territoires occupés fussent exploités d’une façon plus intensive. En l’occurrence, Schacht agissait de sa propre initiative (document EC-504, USA-830).

Schacht a participé aux persécutions des Juifs :

a) Schacht a déclaré devant le Tribunal qu’il avait « poursuivi en principe » la politique de persécution des Juifs (compte rendu de l’après-midi du 2 mai 1946), bien que ce fût, comme il l’a exprimé, « dans une certaine mesure une question de conscience, mais pas assez grave toutefois pour provoquer une rupture » entre Schacht et les fascistes (même compte rendu et document USA-616).

b) Ce fut Schacht, en sa qualité de ministre de l’Économie, qui signa une série de décrets à la suite desquels les biens des Juifs d’Allemagne furent impunément mis au pillage (document USA-832 et USA-616). Schacht a confirmé devant le Tribunal qu’il avait signé un certain nombre de décrets antisémites (compte rendu de l’après-midi du 2 mai 1946).

En ce qui concerne les raisons de la démission de Schacht du poste de ministre de l’Économie et de celui de Plénipotentiaire général pour l’Économie de guerre, en novembre 1937, ainsi que du poste de directeur de la Reichsbank, le 20 janvier 1939, et du poste de ministre sans portefeuille en janvier 1943, les preuves présentées au Tribunal permettent d’établir ce qui suit :

a) Schacht n’a pas démissionné parce qu’il refusait d’accomplir la préparation économique des guerres d’agression.

Trois semaines avant son départ du ministère de l’Économie et du poste de Plénipotentiaire général pour l’Économie de guerre, Schacht écrivait à Göring :

« Je ne crois pas non plus que mon opinion puisse être en désaccord avec votre politique économique. » (Document EC-497, USA-775.)

Dans sa réponse, Göring écrivait :

« Vous m’avez promis votre appui et votre collaboration. Vous avez renouvelé ces promesses à maintes reprises, même lorsque les premières divergences de vue se sont élevées entre nous. » (Document EC-493, USA-642.)

Schacht a déposé devant le Tribunal qu’il existait entre Göring et lui des « désaccords sur la conduite des affaires » (compte rendu de la matinée du 3 mai 1946).

Lors de son interrogatoire préliminaire, Göring a déclaré que le départ de Schacht de la Reichsbank « n’avait aucun rapport avec le programme de réarmement » (document USA-648).

Le vice-président de la Reichsbank, Puhl, a confirmé que le départ de Schacht de la Reichsbank avait été motivé par le désir de se sortir d’une « situation dangereuse », que Schacht avait ressentie à la suite de ses malhonnêtes opérations financières (document EC-438, USA-646).

b) Schacht n’a pas démissionné, non plus, parce qu’il désapprouvait la terreur massive exercée par les hitlériens.

Le témoin à décharge Gisevius a déposé qu’il n’avait cessé de tenir Schacht au courant de l’activité criminelle de la Gestapo instituée par Göring, et pourtant Schacht n’en a pas moins « recherché l’appui de Göring jusqu’à la fin de 1936 » (compte rendu de la matinée du 24 avril 1946).

Dans une lettre du 24 décembre 1935 adressée à von Blomberg, Schacht proposait que la Gestapo adoptât « des méthodes plus prudentes », étant donné que la terreur ouverte exercée par la Gestapo « gêne les desseins poursuivis par le réarmement » (compte rendu de l’après-midi du 2 mai 1946).

Le 30 janvier 1937, Hitler récompensa Schacht en lui décernant l’insigne d’or du Parti (document EC-500 ; compte rendu de l’après-midi du 2 mai 1946). Ainsi qu’il est dit au journal officiel allemand, « il a bien mieux aidé (le Parti), que s’il avait officiellement appartenu au Parti » (document EC-460, USA-617).

Ce fut en 1943 que Schacht, qui avait senti, avant bien d’autres, que le régime hitlérien s’effondrerait fatalement un jour, se mit en rapport avec les milieux de l’opposition, sans rien entreprendre, cependant, pour renverser le régime existant. Ce n’est donc pas un hasard que Hitler, au courant de ces rapports, ait laissé Schacht en vie.

Ainsi, il est établi sans aucun doute possible :

1o Que Schacht a pris une part active à la prise du pouvoir par les nazis ;

2o Que Schacht a étroitement collaboré avec Hitler pendant douze ans ;

3o Que Schacht a fourni une base économique et financière à l’organisation de la machine de guerre hitlérienne ;

4o Que Schacht a préparé l’économie allemande en vue de la guerre d’agression ;

5o Que Schacht a participé à la persécution des Juifs et au pillage des territoires occupés par les Allemands.

En conséquence, on possède la preuve du rôle important de Schacht dans la préparation et la réalisation du plan criminel concerté.

L’acquittement de Schacht est donc en flagrante contradiction avec les preuves existantes.

II

MAL-FONDÉ DE L’ACQUITTEMENT
DE L’ACCUSÉ VON PAPEN.


Le verdict ne conteste pas le fait que von Papen ait facilité l’accession de Hitler au poste de Chancelier du Reich et qu’il ait activement aidé les nazis à prendre le pouvoir.

Von Papen lui-même, dans son discours de novembre 1933, déclarait à ce propos :

« De même que, devenu Chancelier (c’était en 1932), je me suis efforcé de frayer la voie au jeune mouvement combattant de la libération, de même que le sort favorable m’a désigné, le 30 janvier, pour mettre la main de notre Chancelier et Führer dans la main de notre cher Feldmarschall, de même je dois dire aujourd’hui au Peuple allemand et à tous ceux qui ont gardé leur confiance en moi : « Un Dieu bienveillant a béni l’Allemagne aux heures de souffrance, en lui donnant un chef comme celui-là. » (Document PS-3375.)

Von Papen révoqua le décret de Brüning ordonnant la dissolution des SS et des SA, donnant, par là-même, aux nazis le moyen d’exercer une terreur de masse (document D-631}.

L’accusé, en recourant à la force brutale, élimina le Gouvernement social-démocrate de Braun-Severing (déposition de Severing, et compte rendu de l’après-midi du 14 juin 1946, page 11).

Le 4 janvier 1933, von Papen eut une conférence avec Hitler, Hess et Himmler (document D-632).

Von Papen prit part à l’épuration de tous les fonctionnaires gouvernementaux « peu sûrs » du point de vue nazi, signa le 21 mars 1933 un décret portant création de tribunaux spéciaux pour les affaires politiques, signa un décret amnistiant tous ceux qui s’étaient rendus coupables de crimes au cours de la « Révolution nationale », contribua à la préparation du décret sur « la garantie de l’Unité du Parti et de l’État », etc.

Von Papen a donc été un fidèle serviteur du régime hitlérien.

Après le putsch de 1934, von Papen ordonna à son collaborateur Tschirschky de se rendre à la Gestapo, bien qu’il connût le sort qui lui était réservé (document D-684).

Von Papen contribua à ce que cette sanglante mesure de répression demeurât ignorée du public (documents D-717 et D-718).

L’accusé a joué un rôle considérable dans la réalisation des plans hitlériens relatifs à l’Anschluss.

Trois semaines après l’assassinat de Dollfuss, le 26 juillet 1934, Hitler fit savoir à von Papen qu’il était nommé ambassadeur à Vienne, soulignant dans sa lettre : « J’ai eu et je continue à avoir en vous une confiance entière et illimitée » (document PS-2799).

À ce propos, il n’est pas permis d’ignorer ce que l’ambassadeur des États-Unis, Messersmith, a rapporté des déclarations de von Papen, qui lui avait dit que « le contrôle de l’Autriche constituait le premier pas » et que lui-même, von Papen, se trouvait dans le pays pour « affaiblir le Gouvernement autrichien » (document USA-57).

L’accusé fut le conseiller principal de Hitler dans la réalisation des plans tendant à l’annexion de l’Autriche. Ce fut lui qui proposa différentes mesures tactiques destinées, d’une part, à endormir la vigilance de l’opinion publique du monde entier, et d’autre part à permettre à l’Allemagne de procéder à ses préparatifs de guerre.

Tout ceci ressort, sans aucun doute possible, de la déclaration de von Papen au ministre autrichien Berger-Waldeneck (document PS-1760) du rapport du Gauleiter Reuner en date du 6 juillet 1939 (document USA-61) du rapport de von Papen à Hitler en date du 21 août 1936 (document D-706) ; du rapport de von Papen à Hitler en date du 1er  septembre 1936 (document PS-2246, USA-67) et d’une série d’autres documents présentés à titre de preuves.

Von Papen poursuivit ce jeu jusqu’à la publication du décret sur la préparation des Forces armées allemandes et jusqu’à l’invasion de l’Autriche (document USA-69). Il contribua à ménager l’entrevue Hitler-Schuschnigg du 12 février 1938 (document USA-69).

Von Papen, dans une lettre à Hitler, lui recommandait instamment d’accorder une aide financière à l’organisation nazie autrichienne, l’« Union de la Liberté », surtout « en raison de la lutte qu’elle poursuivait contre les Juifs » (document PS-2830).

L’annexion de l’Autriche par les nazis représente un fait indiscutable, et la participation de von Papen à la réalisation de cette action ne l’est pas moins. Après l’Anschluss, Hitler décerna à von Papen l’insigne d’or du Parti (document D-632).

Pour apprécier l’activité de von Papen dans ses fonctions d’ambassadeur en Turquie, il faut tenir compte des menées provocatrices du diplomate von Papen.

À l’époque, le poste d’ambassadeur en Turquie avait une importance considérable pour la réalisation des plans d’agression hitlériens.

Le biographe officiel nazi écrivait à son sujet :

« Peu de temps après (l’Anschluss), le Führer eut à nouveau besoin de ses services, et il nomma von Papen ambassadeur d’Allemagne à Ankara » (document D-632).

Il y a lieu de noter qu’en récompense de son activité en Turquie, von Papen se vit décorer par Hitler de la « Croix de Chevalier », pour « ses services de combattant » (document D-632).

Ainsi, les preuves existantes établissent irréfutablement :

1o Que von Papen a activement aidé les nazis à s’emparer du pouvoir ;

2o Que von Papen a mis en œuvre toutes ses ressources et toutes ses relations pour instituer et affermir le régime hitlérien de terreur en Allemagne ;

3o Que von Papen a fidèlement servi Hitler jusqu’à la fin, usant de ses forces et de son habileté diplomatique pour aider à la réalisation des plans d’agression hitlériens.

Par conséquent, l’accusé von Papen porte une grande part de la responsabilité des crimes commis par le régime hitlérien.

Telles sont les raisons pour lesquelles je ne peux pas donner mon accord au jugement rendu à l’égard de l’accusé von Papen.

III

MAL-FONDÉ DE L’ACQUITTEMENT
DE L’ACCUSÉ FRITZSCHE.


Le verdict d’acquittement rendu à l’égard de l’accusé Hans Fritzsche vient de ce que Fritzsche ne serait, soi-disant, pas arrivé, dans l’Allemagne nazie, à une situation officielle qui le rendît responsable des crimes commis par le régime hitlérien, tandis que son activité directe n’aurait pas été criminelle. Le jugement le qualifie de personnage de second plan, agissant selon les directives de Goebbels, de von Ribbentrop et de Dietrich, chef de la Presse du Reich.

Le Jugement semble oublier que ce même Fritzsche assuma la direction pratique de la Presse du Reich jusqu’en 1942, pour devenir ensuite, selon sa propre expression, « le Commandant en chef de la Radio allemande » (compte rendu de la matinée du 23 janvier 1946).

Pour se faire une idée exacte du rôle joué par l’accusé Hans Fritzsche, il est indispensable de partir du fait que les services de propagande, et notamment celui de la propagande radiophonique, ont toujours été, pour Hitler et ses complices (Göring par exemple), un des facteurs essentiels et fondamentaux de la conduite des guerres d’agression.

Dans l’Allemagne hitlérienne, la propagande n’a jamais cessé d’être un instrument essentiel dans la préparation et la réalisation des actes d’agression et dans la formation d’artisans dociles pour exécuter les plans criminels du fascisme allemand.

Un appareil de propagande très vaste et rigoureusement centralisé servait à réaliser ces buts. La liberté de la presse et la liberté de parole furent complètement supprimées, avec l’aide du système de police et de la censure.

La présentation inexacte des faits était le moyen d’action fondamental de la propagande hitlérienne. Hitler le dit d’ailleurs ouvertement dans Meïn Kampf : « Grâce à une propagande habile et soutenue, on peut faire croire au peuple que notre ciel est un enfer, et, au contraire que la vie la plus misérable est un paradis. » (Document USA-276.)

Pour réaliser les desseins du régime hitlérien, il était aussi indispensable de répandre des idées provocatrices et de tromper systématiquement l’opinion publique, que de fabriquer des armements et de préparer des plans militaires. En l’absence d’une propagande fondée sur une suppression totale de la liberté de presse et de parole, le fascisme allemand n’aurait jamais pu mettre en pratique ses plans d’agression, préparer et réaliser, sur une échelle monstrueuse, ses crimes de guerre et ses crimes contre l’Humanité.

Dans le système de propagande du gouvernement hitlérien, les éléments essentiels étaient représentés par la presse quotidienne et la radio.

Définissant devant le Tribunal les trois facteurs nécessaires à un déroulement favorable de la guerre, l’accusé Göring a cité :

1o L’effort militaire des Forces armées elles-mêmes,

2o La guerre économique,

3o La propagande.

Il a dit à ce propos :

« La propagande a une très grande importance, surtout la propagande radiophonique… et l’Allemagne en a fait l’expérience plus que tout autre pays. » (Compte rendu de l’après-midi du 15 mars 1946.)

Ceci étant, il n’est pas permis de supposer que la direction suprême du Reich aurait accepté de confier à un personnage de second plan le rôle de directeur de la Radiodiffusion, appelé à contrôler le travail de toutes les compagnies d’information radiophonique et à agir comme directeur exécutif de la propagande diffusée par ces compagnies.

Un semblable point de vue est en contradiction avec les preuves présentées au Tribunal et avec la réalité des faits.

De 1942 à 1945, Fritzsche ne fut pas seulement chef de la Section radiophonique du ministère de la Propagande du Reich, mais également « plénipotentiaire pour l’organisation politique de la radio de la Grande-Allemagne ». Ce fait a été pleinement prouvé par les dépositions sous serment de Fritzsche lui-même (document PS-3469, USA-721). Ainsi Fritzsche est plus que simplement « un des chefs des douze sections du ministère de la Propagande » qui, ainsi que l’affirme le jugement, n’aurait assumé qu’à la fin de la guerre le rôle de responsable de la radiodiffusion du Reich.

Fritzsche garda la direction politique de la radio allemande jusqu’en 1945, c’est-à-dire jusqu’à la défaite et à la capitulation de l’Allemagne fasciste, Fritzsche porte donc la responsabilité de l’activité mensongère et provocatrice de la radio allemande pendant la guerre.

En sa qualité de chef du Service de presse à l’intérieur du pays, Fritzsche se trouvait à la tête de toute la presse allemande, comprenant 2300 quotidiens. Il créa et perfectionna dans une large mesure le Service de l’information, ayant obtenu que les dirigeants du Reich décuplent les subsides financiers accordés aux journaux par le Gouvernement nazi : 4 millions de mark au lieu de 400 000. Par la suite, Fritzsche prit une part active à la campagne de propagande destinée à préparer l’agression de la Tchécoslovaquie et de la Pologne (compte rendu de la matinée du 23 janvier 1946). Fritzsche se livra à une propagande préparatoire non moins active avant l’invasion de la Yougoslavie, comme l’accusé l’a également reconnu lui-même dans sa déposition sous serment (Compte rendu de la matinée du 23 janvier 1946). Avant l’agression allemande contre l’Union Soviétique, Fritzsche fut informé d’avance des plans de l’invasion militaire au cours d’une conférence chez Rosenberg. (Document P3-1039, USA-146, rapport écrit de Rosenberg à Hitler sur l’étude préliminaire des questions d’Europe occidentale.)

Fritzsche assuma la direction de la campagne entreprise par la presse allemande en vue de présenter sous un jour mensonger la guerre d’agression poursuivie par l’Allemagne contre la France, la Grande Bretagne, la Norvège, l’Union Soviétique, les États-Unis et les autres pays.

Il est inexact, comme on l’a affirmé, que Fritzsche n’ait pas été au courant des crimes de guerre et des crimes contre l’Humanité commis par les hitlériens dans les régions occupées. Les dépositions de Fritzsche devant le Tribunal ont montré que, dès le mois de mai 1942, alors qu’il appartenait au Service de propagande de la 6e armée, il connaissait le décret de Hitler ordonnant de massacrer les travailleurs soviétiques et les internés politiques, c’est-à-dire l’ordre dit « des commissaires » (compte rendu de l’après-midi du 27 juin 1946). Il est également établi qu’au début de la guerre, Fritzsche savait déjà que les fascistes allemands exterminaient les Juifs d’Europe. C’est ainsi que, commentant les mots de Hitler : « La disparition de la race juive en Europe sera le résultat de la guerre » (compte rendu de l’après-midi du 22 novembre 1945). Fritzsche déclara : « Les Juifs d’Europe ont eu le sort le plus lamentable, comme Hitler l’avait d’ailleurs prédit en parlant de la guerre en Europe. » (Compte rendu de la matinée du 23 janvier 1946). Il a été prouvé que l’accusé n’a cessé de prêcher une théorie raciale anti-humanitaire, qualifiant de « sous-humanité » les populations des pays victimes de l’agression (compte rendu de l’après-midi du 27 juin 1946 et de la matinée du 28 juin 1946).

À cette époque-là, alors que le destin de l’Allemagne fasciste était déjà décidé, Fritzsche se manifesta en soutenant vigoureusement l’accusé Martin Bormann et les autres hitlériens les plus fanatiques, qui constituaient alors l’organisation terroriste clandestine connue sous le nom de « Werwolf ».

C’est ainsi que, le 7 avril 1945, lors de sa dernière apparition à la radio, Fritzsche tint des propos subversifs afin d’inciter la population civile de l’Allemagne à jouer un rôle actif dans cette organisation terroriste clandestine des hitlériens.

Il déclara : « Personne ne s’étonne de voir la population participer au combat en différents endroits des régions récemment occupées, et, même après l’achèvement de l’occupation, des hommes en civil poursuivre la lutte. Si l’instinct de conservation, seul, sans préparation ni organisation, a pu donner naissance à ce phénomène exceptionnel, nous l’appellerons aujourd’hui « Werwolf ». (Document URSS-496).

Dans ses discours radiodiffusés, Fritzsche approuvait les nouvelles armes de terreur adoptées par l’Allemagne et notamment l’usage des bombes volantes « V ». Ayant reçu des propositions relatives à l’emploi des moyens de la guerre biologique, il les transmit aussitôt à l’OKW aux fins de réalisation (document URSS-484, preuves présentées à l’audience de l’après-midi du 28 juin 1946).

J’estime que la culpabilité de Fritzsche est entièrement prouvée. Son activité a eu une portée très considérable dans la préparation et la conduite des guerres d’agression et des autres crimes commis par

le régime hitlérien.

IV

CHÂTIMENT INFLIGÉ
À L’ACCUSÉ RUDOLPH HESS.


Le jugement du Tribunal caractérise de façon exacte et complète la situation particulière qu’occupait l’accusé Rudolf Hess dans le système de direction du parti hitlérien.

Il fut vraiment l’homme de confiance le plus intime de Hitler.

Hess jouissait de pleins pouvoirs exceptionnellement étendus.

À ce propos, il suffit de rappeler le décret par lequel Hitler désignait Hess comme son successeur. Il y est dit : « Par le présent décret, je désigne Hess comme mon successeur, et lui donne tout pouvoir pour prendre des décisions en mon nom, dans toutes les questions relatives à la direction du Parti » (compte rendu de l’après-midi du 7 février 1946).

Cependant, à partir de ce moment-là, la compétence de Hess ne se limita plus aux questions concernant la direction du Parti.

On lit dans la publication officielle du NSDAP, l’Agenda du Parti pour l’année 1941 : « Outre ses fonctions de chef du Parti, le remplaçant du Führer jouit de pouvoirs extrêmement étendus dans le domaine gouvernemental. »

Ces pouvoirs sont les suivants :

1o La participation au pouvoir législatif national et gouvernemental, et notamment la préparation des ordres du Führer. De cette façon le remplaçant du Führer affirme la conception du Parti…

2o Le remplaçant du Führer approuve le choix des personnalités officielles et des chefs du service du travail ;

3o Il assure l’influence du Parti sur l’administration autonome des municipalités (document USA-255, PS-3163).

L’adhésion de Hess à la politique de Hitler fut décisive. Le jugement du Tribunal reflète avec une clarté suffisante les crimes contre l’Humanité dont il s’est rendu coupable. Il faut voir le dernier de ces crimes dans la mission entreprise par Hess, lors de son départ pour l’Angleterre, qui visait à faciliter l’agression contre l’Union Soviétique au moyen d’une trêve avec l’Angleterre.

L’échec de cette mission causa l’isolement de Hess qui n’eut pas ainsi de part directe à l’élaboration et à la réalisation des crimes commis par la suite.

Il n’est cependant pas douteux que Hess ait fait tout son possible pour préparer ces crimes.

Hess, de même que Himmler, apparaît comme le créateur de la Police et de l’organisation SS du fascisme allemand, qui devaient commettre par la suite les crimes les plus horribles contre l’Humanité.

L’accusé a clairement mentionné les « tâches spéciales » que les formations SS devaient accomplir dans les territoires occupés.

Lors de la constitution des Waffen-SS, Hess fit publier un ordre spécial par la chancellerie du Parti, dans lequel il prescrivait aux organismes du parti hitlérien de faciliter dans la mesure du possible le recrutement de membres du Parti dans ces formations. Il définit alors comme suit les tâches incombant aux Waffen-SS :

« En raison de leur formation nationale-socialiste intensive à l’égard des problèmes de race et de nationalité, les formations de Waffen-SS, composées de nationaux-socialistes, se prêtent mieux que d’autres formations militaires aux tâches spéciales qui se posent dans les territoires occupés de l’Est. » (Document GB-267, PS-3245.)

Dès 1934, Hess se manifesta en proposant que des pouvoirs extraordinaires fussent attribués au Service de sûreté dit « SD auprès du Reichsführer SS », qui devenait ainsi la force dirigeante de l’Allemagne fasciste.

Le 9 juin 1934, Hess publia un décret stipulant que le « SD auprès du Reichsführer SS » était le « seul organisme d’information politique et de protection du Parti ». (Document GB-257.)

Par conséquent, l’accusé a pris une part directe à la constitution et à l’affermissement des organismes spéciaux de la Police, destinés à permettre l’accomplissement de crimes dans les territoires occupés.

Hess s’est toujours montré partisan convaincu de la théorie anti-humanitaire de la « race des seigneurs ».

Dans son discours du 16 janvier 1937, il a dit, parlant de l’éducation du peuple allemand :

« Il faudra leur apprendre à placer les Allemands au-dessus des autres nations », quelle que soit leur « situation sociale ou leur origine ». (Document GB-253, PS-3124.)

Ce fut Hess qui signa la loi « pour la protection du sang et de l’honneur » du 15 septembre 1935 (document USA-200, PS-3179).

Il était dit, dans le décret, que « le remplaçant du Führer était chargé de publier les décrets et les dispositions nécessaires pour la réalisation pratique des « lois de Nuremberg ».

Le 14 novembre 1935, Hess, conformément à la loi sur la citoyenneté du Reich, publia un ordre qui privait les Juifs du droit de vote, et leur interdisait l’accès des fonctions publiques (document GB-258, PS-1417).

Le 20 mai 1938, un décret signé par Hess étendait à l’Autriche l’application des « lois de Nuremberg » (document GB-259, PS-2124).

Le 12 octobre 1939, Hess signa le décret sur « la création de l’Administration dans les territoires polonais occupés » (Reichsgesetzblatt no 210, 1939, page 2077). L’article 2 de ce décret conférait à l’accusé Frank des droits dictatoriaux en Pologne.

Il a été pleinement établi que l’accusé ne s’en est pas tenu à ces dispositions générales et qu’il a introduit en Pologne occupée un régime d’arbitraire absolu. Comme le montre la lettre adressée le 17 avril 1941, au chef de la Chancellerie du Reich, Hess fut l’instigateur de « lois pénales » spécialement applicables aux Polonais et aux Juifs des territoires occupés de l’Est. Le ministre de la Justice a défini comme suit le rôle joué par l’accusé dans la création de ces « lois » :

« Me conformant à l’opinion exprimée par le remplaçant du Führer, je suis parti du point de vue que le Polonais est moins sensible à la détention cellulaire ordinaire… En application de ces nouvelles formes de punition, les détenus doivent être internés dans des camps en dehors des prisons et astreints aux besognes les plus pénibles…

« L’application des châtiments corporels que le remplaçant du Führer avait soumis à la discussion, n’a pas été incorporée au projet. Je ne peux donner mon accord à cette forme de punition… »

Toute procédure légale, comprenant notamment la présentation de l’acte d’accusation, fut supprimée, car on jugeait intolérable qu’un Polonais ou un Juif eût la possibilité d’obliger le procureur allemand à lui faire connaître les chefs d’accusation. Les Polonais et les Juifs se virent également priver du droit d’entamer des poursuites judiciaires en leur nom et de comparaître comme témoins à charge. Dès le commencement, on avait eu l’intention d’augmenter les « conditions spéciales », si la nécessité s’en présentait. Lorsque cette nécessité devint apparente, par la suite, on publia un décret complémentaire, auquel il est fait allusion dans la lettre du remplaçant du Führer. (Document GB-268, R-96.)

Par conséquent, il est incontestable que Hess est tout aussi coupable de crimes contre l’Humanité que les autres grands criminels de guerre.

Compte tenu de ce que Hess venait en troisième parmi les chefs politiques de l’Allemagne hitlérienne, et qu’il a joué un rôle prépondérant dans l’accomplissement des crimes du régime fasciste, j’estime que le seul châtiment équitable serait pour lui la peine de mort.

V

MAL-FONDÉ DU JUGEMENT
À L’ÉGARD DU CABINET DU REICH.


Le Comité des Procureurs Généraux a demandé au Tribunal que le Cabinet du Reich fasciste soit reconnu comme une organisation criminelle. Le Jugement rejette sans justification la proposition du Ministère Public en ne reconnaissant pas le caractère criminel du Cabinet du Reich.

Je ne peux pas me déclarer d’accord avec ce Jugement.

Le Tribunal a accepté comme établi le fait que les hitlériens ont commis des crimes innombrables et monstrueux.

Le Tribunal a accepté comme établi le fait que ces crimes ont été commis, en général, de façon consciente et organisée, selon des plans et des directives établis d’avance (« Plan Barbarossa », « Nacht und Nebel », « Kugel », etc.).

Le Tribunal a reconnu comme criminelles différentes organisations de masse du régime hitlérien, créées afin de permettre la réalisation des plans de Hitler.

Dans ces conditions, le refus de reconnaître le caractère criminel du Cabinet du Reich paraît d’autant plus injuste et mal fondé dans son principe ; le Cabinet du Reich était l’organisation directrice, qui collaborait directement à la préparation des plans criminels. Les membres de cet État-Major jouissaient de grands pouvoirs et commandaient aux services correspondants, dont chacun participait, dans son propre domaine, à l’élaboration et à la réalisation de ces plans.

Il est bon de rappeler ici quelques faits à l’appui de ces affirmations :

Aussitôt après la prise du pouvoir par les fascistes, le 24 mars 1933, on publia la loi « sur la protection du peuple et du Gouvernement », qui attribuait le pouvoir législatif au Gouvernement du Reich indépendamment du Reichstag.

Le 26 mai 1933, le Gouvernement du Reich publie une ordonnance sur la confiscation des biens appartenant aux organisations communistes ; le 14 juin de la même année, il fait confisquer les biens des organisations sociales-démocrates, Le 1er  décembre 1933, le Gouvernement du Reich publie la loi « sur la garantie de l’unité du Parti et du Gouvernement ».

Poursuivant la liquidation des institutions démocratiques, le Gouvernement du Reich, en 1934, supprime les élections démocratiques aux conseils centraux et régionaux. Le Reichstag devient une institution privée de toute signification réelle. (Compte rendu de l’après-midi du 22 novembre 1945.)

Par la loi du 7 avril 1933, et d’autres lois encore, tous les fonctionnaires, et notamment les juges, ayant autrefois appartenu à un mouvement antifasciste ou à une organisation de gauche, se voyaient destitués de leurs fonctions, de même que les Juifs, et remplacés par des fascistes. Conformément aux « Principes de la loi allemande sur les fonctionnaires », du 26 janvier 1937, « les relations personnelles du fonctionnaire avec le Parti constituent la condition requise pour sa nomination… Le fonctionnaire doit exécuter les désirs du Gouvernement national-socialiste, dirigé par la NSDAP ». (Document de la Défense no 28.)

Le 1er mai 1934, on crée le ministère de l’Éducation chargé de former la jeunesse des écoles dans l’esprit du militarisme, de l’intolérance raciale, et dans une conception de la réalité déformée par les égarements fascistes. (Document PS-2078.)

Les syndicats libres sont dissous, leurs biens sont confisqués, et la plupart de leurs chefs jetés en prison.

Pour étouffer toute résistance, le Gouvernement allemand crée la Gestapo et les camps de concentration. Sans le moindre jugement, sans la moindre accusation concrète, des centaines de milliers de personnes sont arrêtées et exterminées, sur la simple présomption d’idées antifascistes.

On publia les lois dites de Nuremberg, dirigées contre les Juifs. Deux membres du Gouvernement du Reich, Hess et Frick, publièrent des décrets complémentaires dans le cadre de ces lois.

L’activité du Gouvernement hitlérien amena une guerre qui coûta la vie à des millions d’êtres humains et qui causa aux peuples des dommages matériels inestimables et des souffrances sans bornes.

Le 4 février 1938, Hitler institua le Conseil secret des ministres, définissant son rôle comme suit : « Je crée le Conseil secret afin qu’il m’aide de ses avis dans « les questions de politique intérieure » (Reichsgesetzblatt 1938, Section I, page 112, document PS-2031). La politique intérieure du Gouvernement hitlérien était une politique d’agression. C’est pourquoi les membres du Conseil secret doivent être rendus responsables de cette politique. Au cours du Procès on s’est efforcé de faire croire au caractère fictif du Conseil et de dire qu’il n’avait jamais eu de fonction pratique. Mais il est impossible de l’admettre.

Pour apprécier à sa juste valeur le rôle de ce Conseil, il suffit de se rappeler la lettre de Rosenberg à Hitler dans laquelle il demandait avec insistance à être désigné comme membre du Conseil secret.

Une importance plus grande encore dans la préparation pratique des guerres d’agression revient au Conseil de la Défense du Reich, dirigé par Hitler et Göring. On sait que les membres du Conseil de la Défense étaient Hess, Frick, Funk, Keitel, Raeder, Lammers. (Document PS-2194, PS-2018.)

À la séance du 23 juin 1939, Göring a défini comme suit l’importance et le rôle du Conseil dans la préparation des guerres : « Le Conseil de la Défense du Reich représente l’organisme gouvernemental décisif pour les questions concernant la préparation de la guerre. » (Document PS-3787, USA-782.)

À la même occasion, Göring souligna que « le Conseil de la Défense est convoqué pour prendre les décisions les plus graves ». Les procès-verbaux des séances du Conseil de la Défense, que l’Accusation a présentés ici, montrent que le Conseil a effectivement pris des décisions très importantes. Il ressort également de ces procès-verbaux que d’autres ministres s’étaient joints aux membres du Conseil de la Défense pour discuter les mesures destinées à préparer la guerre.

C’est ainsi, par exemple, qu’à la réunion du 23 juin 1939, assistaient les ministres du Travail, du Ravitaillement et de l’Agriculture, des Finances, des Transports, etc., et que le procès-verbal de la réunion fut remis à tous les ministres du Reich. (Document USA-782.)

Le jugement du Tribunal relève à bon droit certaines caractéristiques du Gouvernement hitlérien, organisme dirigeant du pays : absence de réunions régulières du Cabinet, promulgation de lois par l’un ou l’autre des ministres, jouissant dans certains cas d’une autonomie extraordinaire, énorme pouvoir personnel de Hitler. Ces caractéristiques, cependant, ne contredisent pas, mais confirment, au contraire, la conclusion que le Gouvernement hitlérien n’était pas un gouvernement ordinaire, mais une organisation criminelle.

Il est bien entendu que Hitler jouissait d’un pouvoir personnel très considérable, mais ceci ne dégage nullement la responsabilité du Gouvernement du Reich, dont les membres, partisans convaincus de Hitler, étaient les dirigeants les plus étroitement en rapport avec lui ; ils approuvèrent et mirent à exécution toutes ses mesures, jusqu’au moment de l’expiation.

J’estime qu’il y avait tout lieu de reconnaître le Gouvernement

de Hitler comme une organisation criminelle.

IV

MAL-FONDÉ DU JUGEMENT
À L’ÉGARD DE L’ÉTAT-MAJOR GÉNÉRAL ET DE L’OKW.


Le Jugement réfute à tort l’accusation d’activité criminelle portée contre l’État-Major général et le Haut Commandement des Forces armées allemandes (OKW).

Cette réfutation se trouve en contradiction avec la situation véritable et avec l’ensemble des preuves présentées au cours du Procès.

Il n’est pas douteux que le Commandement des Forces armées de l’Allemagne fasciste, aux côtés de l’organisation du Parti et des SS ait été un instrument essentiel de la préparation et de la réalisation des plans d’agression et des plans anti-humanitaires. Les hitlériens l’ont nettement reconnu et souligné eux-mêmes dans leurs publications officielles à l’usage des officiers de l’Armée. Dans la publication du Parti intitulée La politique et l’officier du IIIe Reich, il était dit ouvertement que le régime fasciste était soutenu et dominé par deux piliers : le Parti et l’Armée. Ils sont l’expression d’une même philosophie de la vie. « Les tâches du Parti et de l’Armée sont indissolublement unies et ressortissent à une responsabilité commune … elles dépendent de leur succès ou de leur insuccès réciproque. » (Document PS-4060, USA-928.)

Ce lien organique entre l’appareil du Parti et des SS d’une part, et les Forces armées fascistes d’autre part, était particulièrement étroit à cet échelon élevé de la hiérarchie militaire que l’Acte d’accusation unit dans la notion d’organisation criminelle : l’État-Major général et l’OKW.

Le choix même des membres du Haut Commandement, dans l’Allemagne hitlérienne, était soumis au critère de la fidélité des officiers au régime et à la bonne volonté avec laquelle ils unissaient la réalisation de l’agression à l’exécution des directives criminelles concernant le traitement des prisonniers de guerre et celui des populations pacifiques des territoires occupés.

Les chefs des Forces armées allemandes n’étaient donc plus de simples officiers, parvenus à un certain échelon de la hiérarchie militaire. Ils constituaient, avant tout, un groupe étanche auquel on confiait les plans les plus secrets du Gouvernement hitlérien. Les preuves présentées au Tribunal montrent bien que les chefs militaires ont pleinement mérité cette confiance, et qu’ils étaient les partisans convaincus et les réalisateurs zélés des plans de Hitler.

Ce n’est pas par hasard que le Haut Commandement des Forces aériennes avait à sa tête Göring, « l’homme no 2 » du Reich fasciste, tandis que le Haut Commandement des Forces navales était assuré par Dönitz, que Hitler avait désigné comme son mandataire, tandis que le Haut Commandement des Forces armées était concentré entre les mains de Keitel, qui signa une grande partie des directives ordonnant l’extermination des prisonniers de guerre et des populations pacifiques des territoires occupés.

C’est la raison pour laquelle on ne saurait admettre la comparaison qui a été établie entre l’organisation allemande et le Haut Commandement militaire des puissances alliées. Dans un pays démocratique, aucun spécialiste militaire, digne de ce nom, ne poursuivrait en même temps l’étude de plans purement militaires et l’application de mesures de répression massives à l’égard de populations pacifiques, et ne sanctionnerait, d’avance, le traitement impitoyable et le massacre des prisonniers de guerre.

Pourtant, ce furent précisément les chefs supérieurs de l’État-Major général et de l’OKW fascistes qui s’occupèrent de ces questions. Il n’est pas seulement incontestable qu’ils aient commis de monstrueux crimes de guerre, crimes contre la Paix et crimes contre l’Humanité, mais encore ce fait est particulièrement souligné dans le jugement du Tribunal. Toutefois, on n’a pas tiré de ce fait les déductions qu’il comporte.

Il est dit dans le Jugement :

« Ils ont discrédité l’honorable métier militaire. Privées de la conduite de cette centaine de chefs de l’Armée, les visées agressives de Hitler et des autres nazis seraient restées théoriques et stériles. »

Et plus loin :

« Le monde doit savoir que beaucoup de ces hommes ont tourné en dérision le serment du soldat. Ils devaient obéir, disent-ils maintenant, lorsque cela convient à leur défense ; ils ont désobéi, disent-ils maintenant, lorsqu’il s’avère qu’ils étaient au courant des crimes brutaux de Hitler. La vérité est qu’ils ont pris une part active à ces crimes ou qu’ils ont gardé le silence, assistant à la perpétration de crimes commis dans les proportions les plus vastes et les plus effroyables que le monde ait jamais eu l’occasion de connaître. Ceci doit être dit »

Toutes ces affirmations contenues dans le Jugement sont équitables et fondées sur un grand nombre de preuves authentiques. Mais il n’est pas compréhensible que cette « centaine de chefs de l’Armée », qui a apporté tant de malheurs au monde et à son propre pays, n’ait pas été reconnue comme une organisation criminelle.

Le Jugement cherche sa justification dans des affirmations contraires aux faits réels, à savoir que :

a) Les crimes en question ont été accomplis par les membres de l’État-Major général et de l’OKW en tant qu’individus et non en tant que membres d’une organisation criminelle ;

b) Que l’État-Major et l’OKW n’ont été que des instruments entre les mains des conspirateurs et les simples interprètes de leur volonté.

De très nombreuses preuves démentent ces conclusions :

1o Les principaux membres de l’État-Major général et de l’OKW, avec le cercle étroit des hauts fonctionnaires hitlériens, furent appelés par les conspirateurs à élaborer et à réaliser les plans d’agression, non pas en exécutants passifs, mais comme les participants actifs du complot contre la Paix et l’Humanité.

Sans leurs conseils et leur collaboration active, il aurait été impossible à Hitler de résoudre ces questions.

Dans la plupart des cas, leur opinion était décisive. On ne peut concevoir comment les plans d’agression de l’Allemagne hitlérienne auraient pu se réaliser, si les cadres supérieurs des Forces armées ne les avaient entièrement appuyés.

C’est aux grands chefs du commandement militaire que Hitler dissimulait le moins ses desseins criminels.

C’est ainsi que, préparant l’attaque de la Pologne, il déclarait encore, en mai 1939, aux grands chefs militaires, réunis dans la nouvelle Chancellerie du Reich :

« Il s’agit pour nous d’étendre notre espace vital vers l’Est.

« Il n’est plus question d’épargner la Pologne, et il nous reste la décision d’attaquer la Pologne à la première occasion. » (Document L-79.)

Bien avant l’annexion de la Tchécoslovaquie, Hitler déclarait cyniquement, dans sa directive du 30 mai 1938, adressée aux membres du commandement militaire :

« Le moment le plus favorable, du point de vue militaire et politique, est celui d’une attaque foudroyante à la suite d’un incident quelconque, qui aura constitué une violente provocation à l’égard de l’Allemagne, et qui justifiera moralement nos mesures militaires aux yeux d’une partie tout au moins de l’opinion internationale. » (Document PS-338.)

Avant l’invasion de la Yougoslavie, dans une directive datée du 27 mars 1941, Hitler écrivait, s’adressant aux membres du Haut Commandement :

« Même si la Yougoslavie affirme sa loyauté, il faudra la considérer en ennemie et l’écraser, en conséquence, le plus rapidement possible. » (Document PS-1746.)

Au moment où il préparait l’agression contre l’URSS, Hitler chargea les membres de l’État-Major général et de l’OKW de préparer des plans et des directives dans ce sens ; il ne les traita donc pas en simples spécialistes de la guerre.

Il est dit dans les « Instructions sur l’usage de la propagande dans le secteur Barbarossa », publiées par l’OKW en juin 1941 :

« Pour le moment, il n’y a pas lieu de poursuivre une propagande visant à une division de l’Union Soviétique. » (Document URSS-477.)

Dès le 13 mai 1941, l’OKW recommandait aux armées d’user de toutes les mesures de terreur à l’égard de la population civile des régions occupées de l’Union Soviétique.

Et le même ordre précise : « Afin de ne confirmer que les jugements qui correspondent aux desseins politiques du Commandement. » (Document G-50.)

2o Ce furent l’OKW et l’État-Major général qui publièrent les ordonnances et les décrets les plus impitoyables, comportant des mesures rigoureuses contre les populations désarmées et les prisonniers de guerre.

Dans les « Instructions sur la juridiction spéciale dans le secteur Barbarossa », l’OKW préparant l’attaque de l’Union Soviétique, définissait d’avance la compétence des tribunaux militaires, laissant aux officiers et aux soldats le droit individuel de sévir contre la population pacifique.

On y lisait notamment :

« Les crimes commis par des civils ennemis ne sont pas de la compétence des tribunaux militaires et des tribunaux de campagne…

« Les individus suspects doivent être immédiatement amenés à l’officier. Celui-ci décide s’il y a lieu de les fusiller… Il est expressément interdit de garder les suspects pour les faire passer en jugement. » On prévoyait également les « mesures les plus extrêmes » et notamment « des mesures de contrainte collectives, si les circonstances ne permettent pas de découvrir rapidement des coupables bien définis. »

Dans ces mêmes instructions, l’OKW garantissait d’avance l’impunité aux criminels de guerre appartenant aux Forces armées allemandes. Il y était dit : « Il n’est pas obligatoire d’entamer des poursuites contre des militaires ou des membres du personnel auxiliaire responsables d’actions à l’égard de civils ennemis, même lorsque ces actions constituent un crime ou un délit de guerre… »

Au cours de la guerre, le Haut Commandement appliqua avec méthode cette ligne de conduite, multipliant les mesures de terreur à l’égard des prisonniers de guerre et de la population pacifique des pays occupés.

L’OKW ordonnait dans sa directive du 16 septembre 1941 :

« Il faut tenir compte de ce que la vie humaine, dans les pays intéressés, vaut moins que rien et que l’on ne peut obtenir un effet d’intimidation qu’en faisant preuve d’une extrême cruauté. » (Document PS-389.)

Le 23 juillet 1941, s’adressant aux commandants des unités militaires, l’OKW leur indiquait franchement que « ce n’est pas en renforçant les services de protection, mais en appliquant les mesures draconiennes voulues que les commandants doivent arriver à maintenir l’ordre dans leur secteur de sécurité. » (Document PS-459.)

La directive de l’OKW du 16 décembre 1941 stipulait :

« Les troupes… ont le droit et le devoir d’user… de tous les moyens sans restriction, même à l’égard des femmes et des enfants, pour autant que cela contribue au succès… » (Document URSS-16.)

Parmi les directives les plus inhumaines de l’OKW relatives au traitement des prisonniers de guerre, il y a lieu de s’arrêter sur l’ordre connu sous le nom de « Action Kugel ». Les prisonniers de guerre étaient condamnés à la peine de mort pour des délits qui, selon les conventions internationales, n’entraînent même pas de sanctions (par exemple, l’évasion du camp).

Dans un autre ordre, « Nacht und Nebel », il était dit :

« Pour des délits de ce genre, un châtiment consistant en une privation de la liberté ou même en un internement à vie serait une preuve de faiblesse. On ne peut arriver à intimider d’une manière certaine que par la peine de mort ou par des mesures capables d’inspirer aux membres de la famille des sentiments d’incertitude sur la destinée de l’intéressé. » (Document L-90, USA-224, compte rendu de l’après-midi du 25 janvier 1946.)

Au cours du Procès, on a apporté de nombreuses preuves de l’application de ces ordres. Le massacre de cinquante officiers aviateurs britanniques en constitue un exemple. Il n’est pas douteux que ce crime ait été inspiré par le Haut Commandement.

L’ordre de destruction des « commandos » a été également diffusé par l’OKW. Le Tribunal a eu en mains l’original de cet ordre (document PS-498, USA-501). En vertu de cet ordre, les soldats et les officiers des commandos alliés devaient être fusillés, sauf dans les cas où il était nécessaire de procéder à un interrogatoire qui s’achevait d’ailleurs également par une exécution.

Les commandants des unités militaires appliquèrent cet ordre sans fléchir. En juin 1944, Rundstedt, commandant en chef des Forces allemandes à l’Ouest, rapportait que l’ordre de Hitler « sur le traitement des commandos ennemis est encore en vigueur à l’heure actuelle ». (Document PS-531, USA-550.)

3o Le Haut Commandement, avec les SS et la Police, est responsable des impitoyables mesures de police appliquées aux régions occupées.

Dans les instructions relatives aux régions spéciales, publiées par l’OKW, le 13 mars 1941, on prévoyait la nécessité de coordonner l’activité du commandement militaire et celle du Reichsführer SS, dans les territoires occupés. Comme le montrent les dépositions d’Otto Ohlendorf, chef de l’Amt III du RSHA, qui fut également chef de l’Einsatzgruppe « D », et celles du chef de l’Amt VI du RSHA, Walter Schellenberg, l’État-Major général et le RSHA, conformément aux instructions de l’OKW, organisèrent en commun des « groupes d’opération » spéciaux du SD et de la SIPO, les « Einsatzgruppen », détachés auprès des unités correspondantes.

Les crimes commis par les Einsatzgruppen dans les territoires occupés ne se comptent plus. Les Einsatzgruppen travaillaient en étroite liaison avec les commandants des unités militaires.

L’extrait suivant d’un rapport de l’Einsatzgruppe « A » est caractéristique de cette liaison :

« … il nous incombait, entre autres, d’établir un contact personnel avec les commandants et les chefs de l’arrière. Il y a lieu de noter que nos rapports avec l’Armée se sont avérés excellents, et même cordiaux, dans certains cas presque amicaux, comme par exemple avec le général Hoppner, commandant du groupe blindé. » (Document L-180.)

4o Les membres du Haut Commandement ont agi dans toutes les fonctions en tant que membres d’une organisation criminelle.

Non seulement les directives de l’OKW et de l’État-Major général, bien qu’elles aient constitué une flagrante violation du droit international et des usages de la guerre, ne suscitaient aucune protestation de la part des officiers supérieurs d’État-Major et du Commandement des différents groupes d’armées, mais encore elles étaient infailliblement mises en pratique et complétées par des décrets encore plus rigoureux.

La directive adressée aux soldats par le Feldmarschall von Reichenau, commandant d’un groupe d’armées, est caractéristique à cet égard : « Le soldat des territoires de l’Est n’est pas seulement un combattant selon les règles de la guerre, il est également le défenseur de l’impitoyable idéologie allemande. » Et plus loin, prêchant l’extermination des Juifs, Reichenau écrivait : « De cette façon, le soldat doit comprendre clairement qu’il est indispensable de prendre des mesures impitoyables et justes contre cette sous-humanité, les Juifs … » (Document USA-556.)

À titre d’exemple, on peut également citer un ordre du Feldmarschall von Mannstein aux soldats. Dans cet ordre, inspiré par « les buts politiques de la guerre », le Feldmarschall invite cyniquement les soldats à combattre, en violant « les règles établies pour la conduite de la guerre en Europe ». (Document USA-927.)

Ainsi, les preuves présentées ici établissent pleinement que l’État-Major général et le Haut Commandement de l’armée hitlérienne constituaient une organisation criminelle extrêmement dangereuse.

J’ai considéré qu’il était de mon devoir de juge de faire part de mon avis particulier sur des points importants sur lesquels je ne suis pas d’accord avec les membres du Tribunal.

Le Délégué soviétique------
au Tribunal Militaire International,
Général commandant de la Justice,

Signé : I. T. Nikitchenko.------
1er  octobre 1946.