Procès des grands criminels de guerre/Vol 1/Section 21

REQUÊTE
DE L’ACCUSÉ GUSTAV KRUPP VON BOHLEN
AUX FINS D’AJOURNEMENT DES DÉBATS
EN CE QUI LE CONCERNE.
Nuremberg, le 4 novembre 1945.
Theodor Klefisch, Avocat.
Cologne, 23 Blumenthalstrasse.
Au Tribunal Militaire International,
Nuremberg.xxxxxxxxxxxx

En qualité d’avocat de l’accusé Dr Gustav Krupp von Bohlen und Halbach, je me permets de demander que le procès de cet accusé soit différé jusqu’à ce qu’il puisse être en état de comparaître devant le Tribunal.

En tous cas, je sollicite que cet accusé ne soit pas jugé par défaut.

Motifs.

Aux termes de l’article 12 du Statut du Tribunal Militaire International, cette juridiction est en droit de juger un accusé par défaut s’il ne peut être découvert ou si, pour d’autres raisons, le Tribunal l’estime nécessaire dans l’intérêt de la Justice.

L’accusé Krupp von Bohlen, qui est âgé de soixante-quinze ans, est depuis longtemps dans l’impossibilité, en raison de ses lourdes infirmités physiques et mentales de subir un interrogatoire et de suivre des débats. Il n’est pas en état de prendre contact avec le monde extérieur, de donner des explications ou d’en recevoir, L’Acte d’accusation lui a été notifié, le 19 octobre 1945, par un représentant du Tribunal Militaire International qui déposa les documents sur son lit. L’accusé n’a pas eu conscience de ce fait. Il n’est donc en rien orienté sur l’existence d’une poursuite, et incapable, bien entendu, de communiquer avec son avocat ou avec qui que ce soit au sujet de sa défense.

À l’appui de mes affirmations, je joins deux certificats médicaux : l’un émanant du docteur Karl Gersdorf de Werfen-Salzburg, médecin-expert près les Tribunaux, en date du 8 septembre 1945, l’autre transmis par le professeur Otto Gerke, docteur en médecine à Bad Gastein, en date du 13 septembre 1945.

Pendant ces derniers temps, M. Krupp von Bohlen a été examiné à plusieurs reprises, par des médecins de l’armée américaine Autant que cela soit possible, je sollicite du Tribunal de bien vouloir ordonner un nouvel examen médical.

Si l’accusé n’est pas en état de comparaître devant le Tribunal, il ne pourra être jugé, conformément à l’article 12 du Statut, que si le Tribunal l’estime indispensable dans l’intérêt de la Justice. Quoi que l’on puisse comprendre sous l’acception des termes « intérêt de la Justice », il serait incompatible avec une justice objective de poursuivre un accusé auquel sont reprochés des crimes aussi graves, qui ne pourrait prendre connaissance du contenu de cette accusation ou qui serait dans l’impossibilité d’assurer sa propre défense ou de donner des directives à son avocat.

En particulier, mon client n’est pas en état de constater les droits suivants reconnus aux accusés par le Statut :

1. Aux termes de l’article 16, paragraphe a, du Statut, une copie de l’Acte d’accusation doit être remise à l’accusé dans un délai déterminé, avant l’ouverture du procès, et dans une langue qu’il soit susceptible de comprendre. Cette garantie d’une préparation suffisante aux débats n’a pas été donnée à l’accusé Krupp von Bohlen, en raison de son mauvais état de santé.

D’après les dispositions du paragraphe c du même article 16, un interrogatoire préliminaire de l’accusé doit avoir lieu, dans une langue qui lui soit familière ; cela aussi s’avère impossible.

L’accusé ne pourra pas ultérieurement exercer le droit qui lui est concédé par le paragraphe d de l’article 16, de décider s’il veut assurer sa propre défense ou la confier à un avocat. De même, en raison de son état, l’accusé ne pourra mettre en jeu la prérogative qui est reconnue par le paragraphe e à tout accusé, d’apporter au cours du procès, soit personnellement, soit par l’intermédiaire de son avocat, toutes preuves à l’appui de sa défense, et de poser des questions aux témoins cités.

2. Pas plus que les droits reconnus avant l’ouverture du procès, l’accusé Krupp von Bohlen und Halbach n’est en état d’exercer ceux qui lui sont accordés, aux termes de l’article 24 du Statut, pendant le cours même des débats. Cela vaut en premier lieu pour la réponse qu’il doit faire à la question de savoir s’il se reconnaît coupable ou non coupable, déclaration particulièrement importante pour la suite des débats et pour la décision du Tribunal. Et cela est d’autant plus crucial que cette déclaration de culpabilité ou d’innocence ne peut être faite par l’accusé que sur le fondement de son propre jugement et l’examen de sa conscience.

Pour autant que cette procédure pourrait être admise, un avocat ne s’exprimerait jamais, à la demande du Tribunal, sur la question de culpabilité, car une telle déclaration supposerait la possibilité de communiquer et de se comprendre avec l’accusé.

L’accusé ne peut non plus, faire une dernière déclaration, droit qui lui est reconnu par l’article 24, paragraphe j, du Statut. Le législateur qui a créé de telles garanties pour la défense, ne peut vouloir en priver un accusé qui ne saurait en jouir en raison de sa maladie et de son irresponsabilité.

Lorsque l’article 12 du Statut autorise des poursuites par défaut contre un accusé, cette acception ne peut généralement s’appliquer qu’à un accusé qui cherche à se soustraire aux débats bien qu’il soit en état de comparaître. C’est sur ce fondement que reposent les règles relatives aux poursuites contre les accusés défaillants telles qu’elles sont établies dans les principes de procédure criminelle de tous les pays.

Signé : Theodor Klefisch, Avocat.
Certificats médicaux
annexés à la requête formulée
au nom de l’accusé Gustav Krupp von Bohlen.

Annexe I.

CERTIFICAT MÉDICAL.

Le Dr Gustav Krupp von Bohlen und Halbach, né le 7 août 1870, résidant actuellement à Posthaus Blühnbach, Werfen-Salzburg, souffre d’un ramollissement artériosclérotique progressif du cerveau (paralysis cerebri) et, par suite de cette maladie, requiert un traitement et des soins constants. Il est incapable de comparaître devant un tribunal ou de subir un interrogatoire ; une amélioration de son état n’est pas espérée. Étant donné son mauvais état physique général (myodegeneratio cordis et ataxis), il n’est pas non plus capable de se déplacer.

Werfen, 8 septembre 1945.
Karl Gersdorf, M. D.
Médecin du district Werfen-Salzburg,
expert agréé par les tribunaux.

Le certificat médical du docteur Gerke est reproduit page 126.