Problèmes et Mystères/Épilogue

Ernest Flammarion (p. 93-96).


ÉPILOGUE

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La France, depuis des siècles, était la clarté du monde, et cette clarté menace de se ternir. Portés sur les ailes des Valkyries, les brouillards du Nord envahissent notre ciel, amenant les dieux scandinaves qui combattent les dieux de l’Olympe, pendant que des régions brûlantes accourent les divinités de l’Inde, aux bras multiples, aux trompes d’éléphants. L’Évangile sagement édulcoré par l’Église fait place à un Évangile étrange auquel les saints, s’ils revenaient au monde, ne comprendraient rien. Personne, d’ailleurs, ne le comprend ni ne se soucie de le comprendre ; comprendre est du dernier bourgeois, et le besoin de comprendre une sorte de vice dont on travaille à se défaire. On délaisse la foi, non pour la raison, mais pour la crédulité, le dogme pour le miracle, Notre-Dame-de-Paris pour Notre-Dame-de-Lourdes. Le spiritisme, l’ésotérisme ont des organes dont le nombre s’accroît chaque jour, sans compter l’amphigourisme qui a droit à tous nos respects.


Tout cela monte, monte, nous gagne et nous enveloppe de ténèbres.


Il me souvient du temps où l’Italie, comme le Phénix, renaissait à une nouvelle existence. La Ristori passionnait alors la jeunesse parisienne, dont j’étais ; je vois encore de quel geste superbe la grande tragédienne, vêtue en Muse, jetait sa lyre en s’écriant que l’Italie ne chanterait plus, tant qu’elle n’aurait pas reconquis sa liberté ! Et je me demande s’il est permis de se borner à faire vibrer des cordes sonores, quand la nuit menace de nous noyer dans ses ombres. Certes, ma voix est bien peu de chose ; mais, si faible qu’elle soit, qui sait si elle n’éveillera pas une voix plus puissante ? Qui sait si la semence, emportée au hasard par le vent, n’ira pas germer au cœur d’un de ces jeunes hommes à la parole de flamme, dont la fonction est de propager les idées ? Si cela était, je m’estimerais trop heureux et mon ambition serait amplement satisfaite.


Ce qui sera, je vais vous le dire. On fera sentir à l’auteur, — qui le sait mieux que personne, — à quel point la compétence lui fait défaut pour traiter de si hautes questions. « De quoi se mêle-t-il ? » dira-t-on, « tout cela ne le regarde point ».


Je vous demande bien pardon : cela regarde tout le monde.