Principes d’économie politique/III-I-II-IV

IV

LE COLLECTIVISME.


Le collectivisme est un communisme mitigé. Il propose de mettre en commun seulement les instruments de production, c’est-à-dire la terre et les capitaux, et quant aux produits, de les laisser sous te régime de la propriété individuelle, sauf à les mieux répartir[1].

Le collectivisme ne se donne pas comme un système d’organisation d’une société nouvelle fondé sur un principe de justice a priori. Il a la prétention de représenter l’ordre des choses auquel tendent les sociétés modernes poussées, bon gré mal gré, par les lois d’une évolution fatale. Dans toutes ces sociétés, disent ses docteurs, par suite du développement de la grande industrie, du grand commerce et de la grande propriété, la production individuelle est en train de disparaître pour faire place à la production collective. Autrefois, la propriété était individuelle, mais la production l’était aussi : il y avait harmonie entre le mode de production et le mode de répartition. Mais aujourd’hui, par suite du développement de la grande industrie, du grand commerce, de la grande propriété, la production individuelle disparaît chaque jour pour faire place à la production collective. Cependant la répartition continue à être fondée sur la propriété individuelle. Il y a donc une antinomie qui va grandissant au sein des sociétés modernes et qui entraînera la ruine du régime capitaliste actuel. La logique de l’évolution veut qu’à un mode de production collective corresponde désormais un mode de propriété collective.

Il faut donc soustraire au régime de l’appropriation individuelle et attribuer à la Société toutes les richesses qui à cette heure déjà sont exploitées collectivement, telles que mines, chemins de fer, banques, fabriques, grands domaines, grands magasins, etc.

Nous avons dit que le collectivisme diffère du communisme en ce que celui-ci veut établir la communauté pour tous les biens, tandis que celui-là ne la réclame que pour les instruments de production, laissant tout ce qui est biens de consommation sous le régime de la propriété privée. Pour être plus exact, nous devons dire que le collectivisme ne réclame même pas présentement la mise en commun, de tous les instruments de production, mais seulement de ceux qui sont exploités collectivement, c’est-à-dire par le moyen d’ouvriers salariés. Ainsi la terre cultivée par le paysan, la barque du pêcheur, l’échoppe de l’artisan, quoique instruments de production, ne seront pas socialisés et resteront propriété individuelle parce qu’ils sont encore et pour autant qu’ils resteront sous le régime de la production individuelle[2].

Toutefois le collectivisme affirme que, par la marche progressive de l’évolution, toutes les formes actuelles de production individuelle sont condamnées à disparaître, soit qu’elles se laissent éliminer par la concurrence, soit qu’elles se transforment volontairement en entreprises collectives, et qu’ainsi fatalement un jour arrivera, l’évolution de la propriété se réglant sur celle de la production, où tous les instruments de production seront socialisés[3].

Quant aux moyens propres à faire rentrer ainsi dans la propriété collective, à « socialiser », ces instruments de production, il n’y en a point d’autre possible que l’expropriation[4]. Ce sera le dernier acte de cette lutte des classes qui se poursuit depuis des siècles et qui, pour Karl Marx, constitue le fait le plus important de l’histoire et celui qui permet d’expliquer tous les autres.

Une fois l’expropriation réalisée, les instruments de production seraient mis en œuvre par la Nation ou la commune, soit directement, soit par l’intermédiaire de syndicats ouvriers. Les revenus seraient versés dans la caisse de la Nation et celle-ci, après avoir prélevé la part nécessaire pour les charges sociales[5], restituerait l’excédent à tous les travailleurs, pour en disposer en toute propriété.

Mais d’après quelle formule les produits seront-ils répartis entre les individus ? Le collectivisme a aussi sa formule de justice distributive ? ce n’est pas celle des communistes, À chacun selon ses besoins ; c’est celle-ci, À chacun selon son travail, en entendant par là — car cette formule peut être interprétée en plusieurs sens[6] : — à chacun selon la peine qu’il aura prise, mesurée par le nombre d’heures de travail qu’il aura fournies[7], et avec ce correctif d’un minimum garanti à tous, même à ceux qui ne peuvent pas travailler.

Les collectivistes, dans leurs programmes et dans leurs romans, assurent que ce communisme partiel suffirait pour faire disparaître les vices de l’organisation sociale actuelle.

Elle ferait disparaître d’abord, disent-ils, les extrêmes inégalités, car celles-ci n’ont d’autre cause que l’accumulation des capitaux ou des terres entre les mains de certaines familles, capitaux qui font la boule de neige, par l’hérédité, par le prêt à intérêt, par le faire valoir, et constituent des monopoles permettant de s’enrichir par le travail d’autrui. Or du jour où nul ne pourrait gagner que par son travail personnel, les inégalités seraient très réduites[8].

Elle ferait disparaître l’oisiveté et le parasitisme, car du jour où personne ne pourrait posséder privativement de terre ni de capitaux, il est clair qu’il n’y aurait plus de place au soleil pour une classe de rentiers vivant de leurs placements ou de leurs fermages, et une fois ceux-ci coupés aux vivres, il faudrait bien qu’ils se missent à travailler.

Elle ferait disparaître le labeur excessif, car d’une part l’effectif des producteurs se trouvant grossi de tous les anciens rentiers et parasites, et d’autre part toutes les productions inutiles et de fantaisie se trouvant supprimées, la tâche de chacun se trouverait infiniment réduite : 4 heures au plus, peut-être 3 (un socialiste anglais a même dit 1 heure 20 minutes !) suffiraient pour obtenir le même résultat qu’aujourd’hui.

Elle ferait disparaître le paupérisme, car si la Société devenait propriétaire de toute la terre et de tous les capitaux, ce serait à charge d’assurer du travail à tous ceux qui seraient en état de travailler et, quant à ceux qui en seraient incapables, de leur assurer au moins l’existence.

Enfin, le collectivisme, en conservant la propriété des produits du travail personnel, avec droit de libre disposition, se flatte d’écarter toute crainte quant à une tyrannie communiste, à une vie de couvent ou de caserne, et de sauvegarder pleinement la liberté individuelle.

À cela, voici ce qu’on peut répondre[9] :

1° La loi prétendue historique sur laquelle tout le collectivisme se fonde, à savoir la transformation graduelle de toute production individuelle en production collective, n’est qu’une généralisation qui est loin d’embrasser tous les faits et se trouve même contredite par beaucoup. Nous avons dit déjà (Voy. pp. 192-97) qu’on ne trouvait dans la production agricole, malgré les affirmations des collectivistes, aucune preuve de cette évolution. Au contraire nous voyons la terre de plus en plus divisée et les exploitations agricoles de plus en plus réduites au fur et à mesure de la densité croissante de la population et des progrès de la culture intensive. La forme de grande entreprise n’a été appliquée à la propriété foncière que dans quelques cas tout à fait exceptionnels. Même dans l’industrie, non seulement la petite industrie ne disparaît pas devant la grande, mais elle se développe et sans doute se développera de plus en plus à mesure que les nouvelles institutions coopératives se généraliseront[10] ;

2° La distinction entre les instruments de production et les objets de consommation, sur laquelle est fondé tout le système et qui lui donne une apparence de rigueur scientifique, n’est qu’un trompe-l’œil, et en fait le collectivisme aboutit au même programme que le grossier socialisme égalitaire d’autrefois, c’est-à-dire à confisquer les grosses fortunes et à laisser les petites. Il en est arrivé, par exemple, à dire qu’on expropriera tous les domaines qui dépassent 6 hectares ou une valeur équivalente.

3° Le remplacement de tous les chefs d’industrie, patrons, propriétaires, capitalistes, par des gérants élus par les syndicats ouvriers, est bien fait pour éveiller de vives appréhensions chez tous ceux qui ont quelque notion des conditions pratiques de l’industrie et du faible degré d’éducation économique des classes ouvrières. Mais la catégorie sociale dont la disparition nous inquiéterait le plus, c’est encore celle des capitalistes économes, Ils sont des millions en France, grands et petits capitalistes, beaucoup plus de petits que de grands, qui épargnent au jour le jour environ 2 milliards, bon an, mal an, et qui alimentent ainsi la source où s’entretient et se renouvelle la fortune de la France. Ils le font dans leur intérêt bien entendu, mais le résultat n’en est pas moins d’un intérêt vital pour le pays aussi. — Or, sous le régime collectiviste, cette source merveilleuse de l’épargne privée sera tarie instantanément. D’abord parce qu’il est peu probable que les hommes qui auront en tout cas le nécessaire assuré s’astreignent à épargner sur la part sociale qui leur sera attribuée. Et parce qu’en admettant même qu’un certain nombre continuent à épargner une partie de leur revenu sous forme de bons du travail, en tous cas ils la garderont pour leurs besoins et ne songeront pas à la placer, ce qui, au reste, leur serait sévèrement interdit. Ils pourront tout au plus se livrer à une thésaurisation stérile et sans utilité sociale.

Et comme il faut bien pourtant entretenir et accroître le capital national, par quelle source remplacera-t-on l’épargne privée ? — Par l’épargne publique. La Société, nous dit-on, fera comme font aujourd’hui toutes les sociétés financières : elle prélèvera sur nos revenus une part de 10 ou de 20 % qui sera affectée au fonds de réserve. Oui ! seulement on n’a jamais vu jusqu’à ce jour un État sachant, voulant ou pouvant épargner : il faut donc supposer que le gouvernement collectiviste ne ressemblera à aucun de ceux qui l’ont précédé, qu’il sera économe, prévoyant, qu’il aura toutes les vertus qui caractérisent aujourd’hui un bon « bourgeois ! »[11]

4° La formule de répartition proposée est en contradiction avec les lois de la valeur et impraticable en fait. À chacun selon son travail, c’est pourtant la meilleure des formules de la justice distributive. Il serait juste de proportionner la rémunération de chacun à la peine qu’il a prise, à la bonne volonté dont il a fait preuve[12] — et cela indépendamment des circonstances extrinsèques, telles que la supériorité ou l’infériorité de ses facultés physiques et intellectuelles, les chances favorables ou défavorables qui ont pu rendre son travail plus ou moins efficace. Le travail d’un balayeur de rues nous paraît, au point de vue de la justice absolue, mériter une rémunération égale au travail d’un James Watt ou d’un Pasteur, si d’ailleurs il a été fait en conscience, c’est-à-dire si cet homme a fait tout ce qu’il pouvait faire. Telle est bien l’idée que nous nous faisons même de la justice divine, quand nous affirmons qu’elle mesurera aux hommes les récompenses et les châtiments suivant ce qu’ils auront voulu faire plutôt que ce qu’ils auront fait, qu’elle tiendra compte des intentions et non des résultats.

Mais comme nous ne sommes pas Dieu, nous ne pouvons juger des intentions que par les résultats et il serait fort dangereux de vouloir mesurer la bonne volonté mise à un travail quelconque par le temps qu’on y met ! C’est la paresse seule qui se mesure de la sorte ! Chacun sait qu’un ouvrier agricole qui travaille à prix fait dépense trois fois plus de forces et prend trois fois plus de peine, dans le même laps de temps, que celui qui travaille à la journée. Encore ne considérons-nous dans cet exemple que des travaux de même nature, mais qui songera à mesurer par le temps le travail du laboureur qui défriche une pièce de terre et celui d’un peintre qui couvre sa toile ? Pourquoi aussi ne pas les mesurer à la toise ? Nos peines, pas plus que nos plaisirs, ne se laissent mesurer au cadran de l’horloge.

Karl Marx répond à cette objection en disant qu’il ne s’agit pas de mesurer le temps consacré par tel ou tel individu à un travail déterminé, mais du temps socialement nécessaire pour la production de telle ou telle marchandise. Et ce temps sera calculé d’après les données de la statistique. Ainsi, connaissant le nombre d’hectolitres de blé produits annuellement en France, le nombre d’ouvriers occupés à les produire et enfin le nombre d’heures employées par ces mêmes ouvriers, il ne sera pas difficile de déterminer par une simple division le nombre d’heures et de minutes nécessaires en moyenne pour produire un hectolitre de blé.

Ce ne sera pas si facile que cela. Mais admettons-le. Alors nul n’aura intérêt à produire plus que cette moyenne, et de plus l’idéal de justice que cette formule semblait nous promettre, s’évanouit en grande partie. En fait de peine et d’intentions, c’est du travail individuel qu’il faudrait pouvoir tenir compte et non du travail social : la justice est individuelle ou elle n’est pas : elle n’a que faire des moyennes[13].

5° Le droit de propriété individuelle que l’école collectiviste prétend maintenir en le restreignant aux produits du travail personnel, ne sera qu’un leurre. En effet si cette propriété était reconnue avec tous les attributs que comporte le droit de propriété, notamment ceux de prêter, de vendre ou de faire valoir, elle ne tarderait pas à reconstituer — en même temps que l’inégalité des richesses — des créanciers et des débiteurs, des patrons et des salariés, des vendeurs et des acheteurs, c’est-à-dire tout l’édifice économique qu’on avait renversé. Aussi bien les collectivistes stipulent-ils qu’en aucun cas le soi-disant propriétaire ne pourra vendre ou prêter sa part, ni l’employer affairé travailler autrui[14], mais qu’il pourra simplement la manger, la garder ou la donner, en d’autres termes qu’il lui sera interdit d’en faire tout autre emploi qu’un emploi improductif. Or d’abord ceci nous ouvre une perspective peu rassurante sur l’avenir de la production. De plus, comme il est vraisemblable que les propriétaires ne s’accommoderont pas facilement d’une propriété ainsi mutilée et feront des efforts désespérés pour en tirer le parti le plus avantageux, ceci nous fait prévoir des mesures singulièrement vexatoires pour la liberté individuelle. En tous cas le droit de propriété ainsi amputé de ses attributs les plus essentiels ne sera plus qu’un mot, qu’une ombre, et nous retomberons ou peu s’en faut, dans le communisme.

Il semble donc que le système collectiviste se flatte vainement de tenir le juste milieu entre le communisme et le régime individualiste et qu’il ne puisse échapper à la nécessité d’aboutir en fin de compte au premier de ces deux régimes, s’il ne veut être ramené au second. Au reste les collectivistes ne dissimulent guère leur pensée à cet égard : c’est bien au communisme comme terme définitif qu’ils tendent et le collectivisme ne serait qu’une étape préparatoire.


    boutiquier ! — En Allemagne le parti socialiste s’est divisé sur ce point : les opportunistes suivant le même programme qu’en France, les fidèles de Marx déclarant au contraire que c’est là trahir les vrais principes du collectivisme, ce qui paraît assez fondé.

  1. Le collectivisme est de date assez récente. C’est Colins, en Belgique, qui paraît avoir employé le premier ce mot (1850), mais son collectivisme était surtout agraire. C’est Pecqueur (1838) et Vidal (1846), en France, qui ont posé les premiers la distinction entre les instruments de production et les objets de consommation qui constitue le trait caractéristique du système. C’est le Manifeste du parti communiste, par Marx et Engels en 1847, qui en a fait pour la première fois une doctrine de combat. Mais c’est Ferdinand Lassalle et surtout Karl Marx (dans son livre fameux le Capital, dont le vol. 1 a été publié en 1867 et deux autres après sa mort), qui lui ont donné sa forme critique en fournissant à ce système toutes les armes dont il se sert pour battre en brêche l’organisation actuelle de nos sociétés. C’est enfin César de Paepe, en Belgique (mort en 1891), qui a tracé le premier un plan général d’organisation collectiviste.
    Bien que le collectivisme soit souvent désigne sous le nom de « Marxisme » — du nom de son plus illustre théoricien, — tous les collectivistes ne sont pas marxistes. En France, en dehors de l’école marxiste proprement dite représentée par la Revue le Devenir Social, il y a une école collectiviste indépendante qui a pour organe la Revue socialiste, fondée par Benoît Malon et dirigée aujourd’hui par M. George Renard.
    Voir à la table alphabétique les nombreux passages, en dehors de ce chapitre, où nous parlons des théories collectivistes.
  2. Nous savons déjà (Voy. p. 149) que les collectivistes ne considèrent pas comme capitaux les instruments de production tant qu’ils sont dans la main du travailleur. Ils sont donc assez logiques dans leur conclusion.
  3. Disons plutôt qu’il affirmait, car aujourd’hui il laisse volontiers dans l’ombre ce dernier point. Et même, depuis ces dernières années, le parti collectiviste dans ses programmes se donne comme le vrai, le seul défenseur de la propriété du petit paysan, du petit artisan, du petit
  4. Avec ou sans indemnité ? — Avec indemnité, disent les modérés, si la classe propriétaire se résigne à l’accepter de bonne grâce. Sans indemnité et par la révolution, dans le cas où elle s’obstinera à résister. Mais au fond, chacun sait que la seconde alternative est la seule possible, car d’une part il serait impossible de trouver la somme nécessaire pour payer une indemnité aussi colossale (130 milliards au moins pour la France) — et en admettant même qu’on donnât aux propriétaires quelque indemnité, les valeurs qu’on leur remettrait à ce titre sous une forme quelconque (sous forme de bons de consommation à échanger dans les magasins sociaux) ne devraient en aucun cas produire intérêt ou revenu, ce qui fait qu’elles ne vaudraient guère plus que des assignats.
  5. Ces charges sociales seraient beaucoup plus considérables qu’aujourd’hui, parce qu’elles comprendraient l’entretien de tous les enfants, vieillards, invalides, l’assurance de tous les risques et l’amortissement de tout l’outillage et bâtiments (puisque tout appartiendrait à la Société) et la constitution d’un fonds de réserve pour entretenir et accroître le capital national. — Il est vrai que, d’autre part, ces charges seraient réduites de tout les intérêts de la dette publique, parce qu’on ne les paierait plus, et de tout le budget de la guerre et de la marine, parce qu’on ne se battrait plus du moins on l’espère.
  6. Par exemple « À chacun selon ses œuvres », comme dans l’école de Saint-Simon ou bien encore « À chacun selon le produit de son travail et la valeur de ce produit », ce qui correspond à peu près au système économique sous lequel nous vivons (Voy. ci-dessus, p. 380).
  7. « La quantité de travail a pour mesure sa durée dans le temps. Le travail qui forme la substance et la valeur des marchandises est du travail égal et indistinct, une dépense de la même force ». Édit. française du Capital de Karl Marx, p. 15. — Il est vrai que les volumes posthumes de K. Marx ont amené ses disciples à modifier cette théorie qui est devenue aujourd’hui à peu près inintelligible.
  8. Cependant le collectivisme ne supprime pas l’hérédité comme on le croit généralement. Il ne fait pas d’objections à ce que celui qui aura gagné quelque chose par son travail puisse le laisser à qui bon lui semblera et à ce que le bénéficiaire, par conséquent, puisse vivre sans travailler jusqu’à ce qu’il ait mangé tout ce qui lui a été légué.
    Cette concession pourrait étonner à première vue, si l’on ne savait que le collectivisme exclut du domaine de la propriété privée la terre et les capitaux, c’est-à-dire à peu près les seules richesses qui soient productives et perpétuelles, les seules pour lesquelles par conséquent l’hérédité puisse avoir de graves conséquences et n’y fait rentrer que les objets de consommation. Ainsi restreinte, l’hérédité n’a plus qu’une mince importance.
  9. Voy. au point de vue exclusivement critique, le livre de M. Paul Leroy-Beaulieu sur le Collectivisme ; et, à un point de vue plus objectif, le tout petit livre de Schaeffle, La quintessence du socialisme.
  10. Nous ne prétendons nullement contester d’ailleurs que certaines industries, ayant plus ou moins un caractère de monopole, ne tendent à l’exploitation par l’État ou les communes (chemins de fer, tramways, éclairage, forces motrices, peut-être même construction de logements ouvriers, etc.), mais ceci rentre, plutôt dans la sphère du socialisme d’État que du collectivisme proprement dit. Voy. p. 607, note.
  11. Les collectivistes répondent que la Société collectiviste ne sera pas un État, mais que, suivant le mot d’Auguste Comte, le gouvernement des personnes sera remplacé par l’administration des choses. Ce sera en tous cas une administration publique, donc l’objection demeure.
  12. Kant a dit admirablement « De toutes les choses qu’il est possible de concevoir dans ce monde, il n’y a qu’une seule chose qu’on puisse tenir pour bonne sans restriction, c’est une bonne volonté ».
  13. On a cherché souvent (Thompson, Owen, Rodbertus, etc.) un mécanisme destiné à assurer d’une façon automatique la répartition proportionnelle au travail. Mais cette recherche est aussi chimérique que celle pour réaliser le mouvement perpétuel, parce que, de même, elle est en contradiction avec les lois naturelles. C’est la loi de la valeur qui rendrait son fonctionnement impossible. On pourra bien me donner, en échange de mon travail, un nombre de bons égal au nombre d’heures de travail accompli mais on ne pourra pas me garantir qu’en échange de ces bons je pourrai me procurer toujours des produits représentant le même nombre d’heures de travail car on ne pourra jamais empêcher qu’un objet rare ne vaille plus qu’un objet abondant, eût-il coûté le même nombre d’heures de travail. Si la nécessité avait fondé la valeur sur le travail, la question sociale aurait été très simplifiée : il n’aurait pas été difficile de s’arranger de façon à rendre la rémunération de chacun proportionnelle à son travail. Malheureusement elle ne l’a pas fait (Voy. pp. 64-67).
  14. Pourra-t-il même l’employer pour travailler lui-même d’une façon indépendante ? Provisoirement et autant qu’il y aura des producteurs autonomes, oui peut-être, mais logiquement non, toute production individuelle devant être finalement remplacée par la production sociale.