Principes chimiques sur l’art du teinturier-dégraisseur/2

CHAPITRE II.

De la Nature des réactifs ou agens employés à enlever les taches.


Pour qu’un corps soit propre à enlever une tache, il faut non-seulement qu’il soit de nature à se combiner avec la matière qui la forme, ou à la dissoudre, mais il faut encore qu’il n’altère ni l’étoffe sur laquelle on opère, ni la couleur dont le tissu est revêtu. Les deux premières de ces conditions sont de toute rigueur. Quant à la dernière, il est souvent difficile de la remplir, surtout lorsque la tache est portée sur des couleurs fugaces et de faux-teint ; mais, dans ce cas, on répare le changement qu’a produit le réactif dont on s’est servi par des moyens que nous indiquerons dans le dernier chapitre de cet Ouvrage.

Il est néanmoins des taches qu’on enlève par des procédés purement mécaniques : le frottement suffit dans beaucoup de circonstances, surtout lorsque le corps étranger ne pénètre pas dans le tissu de l’étoffe, ou qu’il est tellement fragile et cassant, qu’on peut le broyer facilement entre les doits.

ARTICLE PREMIER.

Des Réactifs, ou Agens qui sont propres à enlever les Taches simples.

Pour connaître l’espèce de corps qu’il convient d’employer lorsqu’il s’agit d’enlever une tache simple, il est nécessaire de s’assurer de la nature de la matière qui la forme ; et cette connoissance préliminaire s’acquiert facilement par la seule inspection, lorsque la tache est simple : en effet, le suif, l’huile, la cire, la résine, les sucs des fruits, le vin, la rouille, le sang, ont des caractères assez prononcés pour qu’on les distingue et reconnoisse à l’œil.

À présent, si nous examinons la nature des divers corps formant des taches simples, et la manière dont ils se comportent avec les réactifs, nous verrons que nous pouvons les réduire à quatre classes :

1.° Celle des corps graisseux, qui embrasse les huiles, les graisses, la cire, etc. ;

2.° Celle des corps résineux ;

3.° Celle des sucs végétaux et du sang ;

4.° Celle des oxides de fer.

PREMIÈRE SECTION.

Des Agens qu’on peut employer pour enlever les Taches qui sont formées par les corps graisseux.

Les corps graisseux peuvent entrer en combinaison avec beaucoup d’autres substances, telles que les alkalis, la plupart des terres, quelques oxides métalliques, le savon, les principes huileux eux-mêmes, la bile et le jaune d’œuf.

Mais, indépendamment de cette première classe de réactifs, qui, tous, en se combinant avec les corps graisseux, forment des composés solubles dans l’eau, et que, par conséquent, on peut enlever facilement dès que la combinaison est faite, il est d’autres agens qui les rendent fluides, ou les atténuent en les divisant, et qui fournissent par là le moyen de les faire évaporer, ou de les enlever par le frottement ou par l’apposition d’autres corps poreux qui s’en imprègnent et les pompent, pour ainsi dire, pour les extraire du tissu même de l’étoffe.

Parmi les corps qui sont susceptibles de dissoudre les substances huileuses, les alkalis occupent le premier rang : mais comme ils exercent une puissante action sur les couleurs et les étoffes, surtout sur les laines et les soies, on ne peut les employer qu’avec les plus grands ménagemens : il y a plus, c’est que, dans leur état de causticité, qui est celui où ils peuvent dissoudre les huiles avec le plus de facilité, dans cet état, dis-je, ils attaquent les tissus et les couleurs avec une grande activité.

On est donc réduit à n’employer que les alkalis combinés avec l’acide carbonique, ce qui diminue prodigieusement leur effet sur les corps huileux, et, dans cet état, on se sert surtout du sel de tartre.

On peut néanmoins, lorsqu’il s’agit d’étoffes blanches de fil ou de coton, se servir des alcalis caustiques ; mais leur emploi exige même alors des précautions particulières, dont nous parlerons par la suite.

L’ammoniaque (alkali volatil) liquide ou concrète n’a pas au même degré les inconvéniens des alkalis fixes, mais son action n’est pas non plus aussi active ni aussi efficace.

Les combinaisons des alkalis avec les huiles formant ce qu’on connoît dans le commerce sous le nom de savon, ont la propriété de dissoudre une nouvelle quantité d’huile ou de tout autre corps de la nature des corps graisseux, de manière qu’on peut les employer pour enlever les taches huileuses, et on s’en sert à l’état de savon, ou bien en dissolvant le savon lui-même dans l’alcool (esprit de vin), ou en formant ce qu’on appelle essence de savon.

Les terres absorbantes, telles que la craie et les terres savonneuses, qui, presque toutes, contiennent beaucoup de magnésie, se combinent encore avec les corps graisseux, et on les emploie pour enlever les taches, sous le nom de pierres à détacher ou à dégraisser.

Le fiel de bœuf, le jaune d’œuf, présentent aussi de grands avantages dans les cas dont il s’agit. Ces matières animales ont la propriété de dissoudre les corps graisseux sans altérer les tissus ni sensiblement la plupart des couleurs, de sorte qu’ils sont d’un très grand usage.

On est même dans l’usage de combiner ou de mélanger ensemble quelques-uns des corps dont nous venons de parler pour produire plus d’effet. C’est ainsi qu’on mélange le savon, le fiel, le jaune d’œuf avec les terres savonneuses qui donnent la consistance, pour former des pierres à détacher.

L’éther sulfurique a aussi la propriété de dissoudre les huiles ; ce dissolvant seroit d’autant plus précieux, qu’il n’attaque ni les couleurs ni l’étoffe ; mais il a l’inconvénient d’être trop volatil, et d’abandonner ou de se séparer trop aisément du corps qu’il tient en dissolution, lorsqu’on est forcé de recourir à la chaleur pour enlever des corps compacts et pesants, tels que la poix, la térébenthine, les huiles grasses.

M. Giobert a proposé l’alcool camphré comme le meilleur dissolvant des principes huileux ; mais il observe avec raison que, pour qu’il produise son effet, il faut qu’il soit rectifié avec le plus grand soin, et qu’il soit saturé de camphre autant que possible ; cet habile chimiste prescrit, en-même-temps, de ne pas nettoyer avec de l’eau la tache qu’on a dissoute, pour ne pas précipiter sur l’étoffe une portion du camphre, qu’on ne pourroit faire disparoître ensuite que par une nouvelle quantité d’alcool ordinaire.

Mais la substance la plus généralement employée pour enlever les taches d’huile, est l’huile volatile, ou essence de térébenthine : elle agit d’autant mieux qu’elle est plus récente ; lorsqu’on veut la préparer pour cet usage, il convient de la distiller sur la chaux vive. Cette huile volatile dissout tous les corps huileux, toutes les résines, et n’altère, en général, ni les couleurs ni les tissus. On peut la remplacer par d’autres huiles volatiles d’une odeur plus agréable on peut la mêler avec elles, et masquer, par ce moyen, sa mauvaise odeur. En général, ce sont des préparations de cette nature qu’on vend dans le commerce sous le nom d’essences.

Lorsque les corps graisseux sont très-tenaces, tels que les huiles cuites, la poix, etc., la plupart des substances dont nous venons de parler ne pourroient agir sur eux qu’en aidant leur action par une chaleur assez forte ; ce qui n’est pas toujours praticable sans danger : mais, dans ce cas, on cherche d’abord à les rendre plus fluides, en y ajoutant une huile très-liquide, ou du beurre fondu, et en aidant ensuite l’action du dissolvant par un léger degré de chaleur.

Indépendamment des agens dont nous venons de parler, et qui tous ont la propriété de dissoudre les huiles, nous avons dit qu’on pouvoit enlever ces taches par le secours d’une autre classe de corps qui avoit la propriété de les ramollir. La chaleur est celui de tous qu’on emploie le plus généralement : il suffit de l’appliquer à quelques-uns, et de les tenir dans un état liquide pour les évaporer, tels sont la cire, le suif, etc. Quant à ceux qui ne sont pas susceptibles de se volatiliser à un degré de chaleur incapable d’altérer l’étoffe, on se borne à les liquéfier ; et, à cet effet, on met l’étoffe tachée entre des papiers non collés, et on applique dessus un corps chaud capable de fondre la tache ; le corps graisseux, des qu’il est ramolli, passe dans les papiers avec lesquels il est en contact immédiat, et abandonne l’étoffe. On fait disparoître la tache en entier en répétant plusieurs fois l’opération, et en lui présentant chaque fois du papier qui n’en soit pas imprégné.

SECTION II.

Des Agens qu’on peut employer pour enlever les Taches qui sont formées par les corps résineux.

J’appelle corps résineux la térébenthine, la résine, la poix, et généralement toutes les substances très-inflammables, qui se dissolvent dans l’alcool. Ce sont, surtout, celles de ces substances qui sont employées à former des torches, ou à faire la base des vernis, qui font les taches, parce qu’on est dans l’usage de les liquéfier pour les appliquer à leurs divers usages.

Les agens qui peuvent enlever ces taches sont, pour la plupart, ceux dont nous venons de parler dans la précédente section ; mais, comme le plus grand nombre d’entr’eux ne peut agir qu’autant que les corps résineux sont convenablement ramollis, nous ne proposerons ici que l’alcool bien pur, qui a la propriété de dissoudre les résines et de n’altérer, en aucune manière, ni les étoffes, ni la plupart des couleurs.

On connoît, dans le commerce, quelques préparations qui sont particulièrement destinées à cet usage, telle que l’eau de la reine d’Hongrie.

On emploie aussi l’huile volatile ou essence de térébenthine, surtout lorsque la tache est formée par un corps tenace, la résine ou les vernis ; mais, dans ce cas, on est obligé de ramollir la tache avec un fer chaud, avant d’appliquer l’essence, et il est nécessaire de la laver ensuite avec de l’esprit de vin ou avec de l’eau de la reine.

SECTION III.

Des Agens qu’on peut employer pour enlever les Taches qui sont formées par les sucs végétaux.

Les sucs colorés des végétaux déposent tous sur les étoffes la couleur qui leur est propre, et c’est de ceux-ci que nous allons nous occuper, nous réservant de parler ailleurs des sucs qui attaquent les couleurs et les font changer.

Lorsque les sucs dont nous avons à parler dans cette section, sont récemment déposés sur une étoffe, une simple lotion à l’eau froide suffit pour les faire disparoître. Mais lorsqu’on leur a donné le temps de sécher, ils adhèrent alors avec plus de force, et l’eau seule ne suffit pas toujours pour les enlever. On a recours, dans ce cas, à d’autres agens, parmi lesquels nous distinguerons l’acide sulfureux et l’acide muriatique oxigéné, seul ou légèrement combiné avec la potasse : cette dernière combinaison est généralement appelée eau de javelle, du nom de la fabrique où on l’a préparée et employée à cet usage pour la première fois.

Comme ces deux acides ne peuvent pas se garder long-temps, sans perdre une grande partie de leurs vertus, et sans éprouver des changemens dans leur nature qui en altèrent la qualité et leur donnent de nouvelles propriétés ; comme d’ailleurs ces deux préparations ne se trouvent pas ordinairement dans le commerce, telles qu’il les faut pour être employées à enlever les taches de fruit, nous avons cru nécessaire de faire connoître le procédé par lequel on peut les obtenir.

1.° Préparation de l’acide sulfureux.

On peut préparer l’acide sulfureux de plusieurs manières ;

1.° En distillant deux parties d’acide sulfurique sur une de mercure, dans une cornue à laquelle on adapte un tube qu’on fait plonger dans une légère couche d’eau, qu’on met dans un premier flacon. Le peu d’acide sulfurique qui passe en nature, se dissout dans cette eau, tandis qu’un second tube recourbé conduit le gaz sulfureux dans un autre flacon rempli d’eau, où il se dissout. C’est l’eau du second flacon acidulée par cette vapeur, qui constitue l’acide sulfureux. (Voyez pl. 1.re, fig. 1.re.)

L’acide sulfureux préparé par ce procédé, est aussi pur qu’on peut le désirer, et on l’emploie à une concentration de 3 degrés de l’aréomètre de Baumé.

2.° Au-lieu d’employer le mercure, on peut se servir de la paille hachée ou de la sciure de bois, et distiller dans le même appareil. L’acide sulfureux qu’on obtient, par ce procédé, n’est pas aussi pur, mais il suffit pour les opérations auxquelles on le destine, et il est bien moins coûteux.

3.° Un procédé plus simple encore que ceux dont nous venons de parler, consiste à avoir une large assiette dans laquelle on met une couche d’eau ; on place dans le milieu une petite soucoupe ou capsule dans laquelle on met du soufre ; on allume ce soufre à l’aide d’un charbon, et, lorsqu’il est embrasé, on le recouvre d’une cloche de verre dont on fait plonger les parois dans l’eau de l’assiette ; la vapeur blanche qui se forme se précipite sur l’eau, s’y dissout et l’acidule. En répétant cette opération à plusieurs reprises, jusqu’à ce que l’eau marque deux à trois degrés au pèse-liqueur de Baumé, on obtient un acide propre à tous ces usages.

4.° L’odeur particulière que donne la combustion du soufre est due à l’acide sulfureux, qui ne diffère de l’acide sulfureux liquide, que nous obtenons par le procédé ci-dessus, qu’en ce qu’il est à l’état de gaz et qu’il manque du dissolvant aqueux, nécessaire pour pouvoir l’employer avec succès dans les opérations du Teinturier-Dégraisseur[1].

2.° Préparation de l’Acide muriatique oxigéné.

L’acide muriatique oxigéné est aujourd’hui d’un très-grand usage dans les arts, et on le prépare par des procédés plus ou moins compliqués pour l’employer dans les divers ateliers ; mais comme dans l’art du dégraisseur dont les opérations se répètent chaque jour, il faut des procédés simples et d’une exécution facile, nous ne ferons connoître ici que deux moyens pour obtenir cet acide.

1.° On a une fiole à médecine ou un petit matras de verre ; on adapte à leur goulot un bouchon de liége traversé par un tube recourbé, dont l’extrémité qui est en-dehors puisse plonger dans un flacon rempli d’eau. (Voyez fig. 2, p. 1.) On met dans la fiole ou le matras, une partie d’oxide de manganèse bien broyé (manganèse du commerce), on verse sur cet oxide environ trois fois son poids d’acide muriatique concentré, on adapte de suite le bouchon au goulot et on porte l’appareil sur un petit bain de sable chauffé, ou sur de la braise recouverte de cendres chaudes ; l’acide se dégage en vapeurs, lesquelles se dissolvent en grande partie dans l’eau du flacon. On continue l’opération jusqu’à ce qu’il ne passe plus de gaz dans le flacon. L’eau a contracté alors une odeur très-forte, très-désagréable, et a pris une légère teinte citrine.

2.° Au-lieu d’employer l’oxide de manganèse et l’acide muriatique seuls, on peut se servir de la composition suivante, et opérer toujours dans un appareil semblable au précédent : on fait un mélange de deux parties d’acide sulfurique, de trois parties de muriate de soude (sel marin) bien séché et bien broyé, et d’une partie d’oxide de manganèse pulvérisé avec le plus grand soin ; on affoiblit l’acide avec environ moitié son poids d’eau, et on procède à la distillation par le même procédé que dans l’opération précédente.

Dans tous les cas, l’acide muriatique oxigéné est extrêmement volatil ; il tend sans cesse à s’échapper de l’eau qui le tient dans une foible dissolution ; il se décompose même en passant à l’état d’acide muriatique ordinaire, de sorte que, pour en obtenir les effets désirables, il faut l’employer du moment même qu’il est fait, ou le conserver dans des vaisseaux bien bouchés et dans un lieu obscur, à l’abri de la lumière, qui hâte singulièrement sa décomposition[2].

3.° Préparation de la lessive de javelle (muriate oxigéné de potasse en dissolution).

Comme l’acide muriatique oxigéné se décompose facilement par l’action de la lumière, le contact de l’air et le mouvement, on a cherché à lui donner une base qui, quoiqu’affoiblissant ses vertus, lui en conserve assez pour qu’on puisse l’employer à ses usages : cette base est la potasse ou la soude.

Pour former le muriate oxigéné, on reçoit l’acide muriatique oxigéné à travers une dissolution de potasse ou de soude ; alors la combinaison qui se fait de l’alkali avec l’acide, rend ce dernier moins volatil, de sorte qu’on peut conserver cette préparation pour s’en servir au besoin. L’alkali a encore l’avantage d’enlever à l’acide une grande partie de son odeur, ce qui en rend l’emploi plus facile et moins désagréable[3].

On ne peut pas indistinctement employer l’acide sulfureux ou l’acide muriatique oxiginé pour enlever des taches de fruits, attendu que ce dernier détruit toutes les couleurs végétales, et que, par conséquent, il ne peut servir que pour les étoffes blanches, tandis que le premier altère peu les couleurs.

L’acide sulfureux ne change pas le bleu sur soie, pas même le rose, que la seule eau bouillante fait disparoître ; il n’altère pas non plus les couleurs produites par les astringens ; il ne dégrade point le jaune sur coton ; il suffit de l’affoiblir pour en faire usage dans tous ces cas.

Ainsi, on employera l’acide muriatique oxigéné pour enlever les taches végétales portées sur des étoffes sans couleurs, et on se servira de l’acide sulfureux pour tous les cas où la tache se trouve sur des tissus colorés.

SECTION IV.

Des Agens qu’on peut employer pour enlever les Taches qui sont formées par la rouille.

De tous les métaux connus, le fer est celui qui est le plus employé à nos usages ; et, comme c’est un de ceux qui s’oxide avec le plus de facilité, et dont l’oxide a la plus grande affinité avec les tissus de nos étoffes, surtout avec ceux de fil de lin, de chanvre ou de coton, les taches qu’il produit sont aussi fréquentes que difficiles à enlever.

Le fer déposé sur une étoffe peut s’y trouver sous des états différens, et sous ce rapport, il n’est pas constamment et dans toutes les circonstances, soluble dans les mêmes dissolvans ; nous devons donc distinguer avec soin l’état du fer dans deux circonstances : 1.° lorsqu’il est à l’état d’oxide noir, c’est-à-dire, voisin de l’état métallique ; 2. lorsqu’il est à l’état d’oxide rouge ou très-chargé d’oxigène.

Dans le premier cas, il adhère beaucoup moins à l’étoffe, et on peut l’enlever avec l’acide sulfurique ou avec l’acide muriatique, affoiblis de douze parties d’eau.

Il suffit de tremper l’étoffe tachée dans les acides et de l’y laisser s’humecter convenablement ; on a l’attention de frotter la tache avec les mains, et en repliant et frottant l’étoffe sur elle-même lorsqu’elle résiste à l’action des acides ; il faut laver ensuite l’étoffe avec un très-grand soin dans l’eau claire, pour enlever tout l’acide dont le tissu est infiltré.

On peut encore, dans tous les cas, employer la crème de tartre réduite en poudre très-fine, et dont on recouvre la tache avant de l’humecter ; on laisse agir cette poudre humide pendant quelque temps, après quoi on frotte avec le plus grand soin.

La crême de tartre est préférable aux acides dont nous avons parlé, en ce qu’elle attaque bien moins les étoffes, et, surtout, en ce qu’elle altère moins les couleurs que les deux autres acides, auxquels il en est peu qui résistent.

Mais lorsque le fer est très-oxidé, et que la couleur de la tache est d’un jaune-rougeâtre plus ou moins intense, alors les acides dont nous avons parlé, surtout les deux premiers, n’agissent pas sensiblement sur lui, et il faut recourir à d’autres agens.

L’acide oxalique mérite la préférence sur tous les corps qu’on peut employer : il a la propriété de dissoudre l’oxide de fer avec une grande facilité, et de ne pas attaquer sensiblement, pendant son action sur l’oxide, les étoffes sur lesquelles on l’applique.

Comme la préparation de l’acide oxalique n’est pas encore assez généralement établie, et qu’on ne trouve pas ce sel partout où l’on éprouve le besoin de l’employer, nous ferons connaître ici le procédé le plus simple par lequel on peut l’obtenir.

On place une cornue de verre tubulée sur un bain de sable ; on adapte à la cornue un récipient ; on met dans la cornue une partie de sucre en poudre, sur laquelle on verse neuf fois son poids d’acide nitrique du commerce. On chauffe le bain de sable ; le sucre ne tarde pas à se dissoudre dans l’acide, et la cornue se remplit de vapeurs rougeâtres ; le mélange bout avec force : on cesse de chauffer le bain de sable du moment que l’ébullition se manifeste. Dès que l’effervescence est apaisée, on augmente la chaleur, et on évapore jusqu’à ce qu’il se forme des cristaux par le refroidissement. On décante la liqueur qui surnage les cristaux, et on la soumet à une nouvelle évaporation, pour obtenir une seconde levée de cristaux. On épuise le liquide de tout le sel qu’il peut contenir par des évaporations et des cristallisations successives. On dissout ensuite ces cristaux, plus ou moins souillés d’acide nitrique, dans de l’eau tiède ; on évapore, et on les obtient par là dans un degré de pureté convenable. Ce sont ces cristaux qu’on appelle acide oxalique.

Cet acide a la propriété de dissoudre facilement les oxides de fer. On l’employe à cet usage ou réduit en poudre, et appliqué sur la tache, qu’on mouille légèrement pour aider l’action de l’acide, ou bien à l’état de dissolution.

On peut remplacer l’acide par quelques-unes de ses combinaisons, telles que celle qu’il forme avec la potasse, et qui constitue le sel d’oseille du commerce. Mais sa vertu est moins énergique ; néanmoins, on s’en sert avec avantage, et c’étoit même le principal dissolvant de l’oxide de fer avant la découverte de l’acide oxalique[4].

Comme les taches où le fer est peu oxidé se dissolvent plus aisément et dans un plus grand nombre d’acides que celles où ce métal est combiné avec plus d’oxigène, M. Giobert a proposé de faire rétrograder l’oxidation, en versant sur les taches d’oxides jaunes ou rouges un peu de graisse fondue, qu’on tient pendant quelque temps à l’état liquide à l’aide d’une légère chaleur ; il observe qu’après cette opération préliminaire on peut enlever ces taches avec l’acide sulfurique affoibli.

ARTICLE II.

Des Réactifs, ou Agens qui sont propres à enlever les Taches composées.

Nous avons désigné sous le nom de taches composées celles qui sont formées par l’action réunie de plusieurs substances.

Il arrive souvent que ces substances sont de nature différente, de sorte qu’il faut recourir à l’action successive de plusieurs agens pour les détruire. C’est ce qui arrive lorsqu’on a à enlever l’empreinte de l’encre, du cambouis, de la boue des ruisseaux, etc.

Dans plusieurs de ces cas, on commence par des lavages à l’eau, qui enlèvent une partie de la tache, et on termine par l’acide oxalique ou le sel d’oseille, pour faire disparoître le résidu grisâtre et presque toujours ferrugineux qui reste fixé sur l’étoffe après qu’on a employé les premières lessives.

Lorsque les taches d’encre sont fraîches, on peut les enlever plus facilement que lorsqu’elles ont vieilli sur l’étoffe ; car, dans ce dernier cas, non-seulement l’oxide de fer, qui fait la base de l’encre, a pénétré plus avant dans le corps de l’étoffe, mais l’oxidation a fait des progrès ; et le fer, dans ce nouvel état, n’est plus soluble que par l’acide oxalique.

Lorsque la tache est récente, on peut employer, pour détruire entièrement l’empreinte de l’encre, un acide quelconque, tel que le sucre de citron, l’acide sulfurique affoibli. On peut encore se servir avec avantage de l’acide muriatique oxigéné. J’observerai même, à ce sujet, que ce dernier acide est le seul qu’on puisse employer lorsqu’il s’agit d’enlever une tache d’encre sur un papier et sur un livre imprimé, parce qu’il a la propriété de dissoudre l’encre ordinaire sans altérer en aucune manière l’encre d’impression. Cette propriété rend cet acide très-précieux lorsqu’il s’agit d’effacer ou d’enlever des taches et des notes sur des livres.

L’usage de l’acide muriatique oxigéné est fort étendu ; il a la propriété de dévorer toutes les couleurs végétales, même celles qui résistent aux autres acides, telle que celle de l’indigo ; de sorte que toutes les fois qu’il s’agit d’enlever un principe colorant végétal qui forme une tache sur une étoffe, on doit l’employer de préférence à tout autre agent. Mais par cela même qu’il détruit les couleurs végétales, on ne peut s’en servir que dans les cas où les taches existent sur des étoffes sans couleur : dans toute autre circonstance, il faut lui substituer l’acide sulfureux, qui, comme nous l’avons observé, conserve la plupart des couleurs.

J’ai publié il y a vingt ans des procédés simples pour blanchir les estampes et les vieux livres par l’acide muriatique oxigéné : comme la couleur que prennent les livres en vieillissant provient généralement de la fumée qui se dépose sur eux et les jaunit, il étoit naturel de penser qu’en les mouillant dans cet acide, cette couleur disparoîtroit, et que le papier reprendroit sa première blancheur : c’est ce qui a été confirmé par l’expérience.

J’ai encore proposé de blanchir, par le moyen de cet acide, la pâte des chiffons qu’on destine à la fabrication du papier ; et déjà cette méthode est devenue un procédé d’atelier[5].

On employe aussi cet acide pour blanchir les gazes, les dentelles, les batistes, et généralement tous les tissus délicats qui, avec le temps, prennent une teinte jaunâtre.

Dans tous ces cas, après avoir trempé ces tissus dans l’acide muriatique oxigéné, et les y avoir laissé séjourner assez de temps pour que la couleur jaunâtre disparoisse, on les passe à l’eau froide, et on renouvelle les immersions jusqu’à ce que l’odeur de l’acide soit dissipée.

On peut repasser les tissus dans de nouvel acide, en les sortant du bain d’eau fraîche, si on juge que la couleur blanche n’ait pas été suffisamment rétablie par une première immersion.

ARTICLE III.

Des Réactifs, ou Agens qui sont propres à rétablir les couleurs altérées ou détruites.

Nous voici parvenus à la partie la plus difficile de l’Art du Dégraisseur ; il s’agit non-seulement de rétablir des couleurs altérées, mais de faire revivre celles qui ont été détruites. L’artiste doit donc connoître et l’action des divers corps sur les couleurs d’une étoffe, et les moyens de ramener les teintes dégradées à leur état primitif.

On ne peut parvenir à ce double résultat que d’après une connoissance approfondie de l’action des divers agens sur les différentes couleurs, et de la composition des couleurs elles-mêmes ; ce qui suppose les connoissances du teinturier réunies à celles du chimiste.

Nous nous occuperons d’abord des effets que produisent sur les différentes couleurs les divers corps qui peuvent les altérer.

Nous indiquerons ensuite le moyen de rétablir les couleurs altérées, et nous terminerons par donner quelques procédés à l’aide desquels on peut faire revivre des couleurs détruites.

PREMIÈRE SECTION.

Des Effets que produisent sur les différentes couleurs les divers Corps qui peuvent les altérer.

Les acides, les alkalis, les sucs astringens, sont les principales substances don ton peut s’occuper dans cette section.

Les acides rougissent les couleurs noires, fauves, violettes, puces, et généralement toutes les nuances qu’on donne avec l’orseille, les astringens et les préparations de fer.

Les bleus d’indigo et de Prusse, les noirs faits sans préparation de fer, les violets qui résultent de la combinaison de la garance, ne sont pas susceptibles d’éprouver ces changemens de la part des acides.

Les acides détruisent les jaunes légers, et font passer le vert au bleu sur les étoffes de laine ; ils pâlissent les jaunes plus intenses ; ils rosent les ponceaux, avivent et éclaircissent les rouges de Fernambouc ; ils jaunissent le bleu fourni par le campêche et le sulfate de cuivre ; ils avivent l’indigo et le bleu de Prusse.

L’effet des acides n’est pas le même pour tous, parce que tous n’ont pas la même activité ; les acides minéraux détruisent la plupart de ces couleurs, tandis que les acides végétaux ne font que les nuancer, les changer, les altérer, sans les détruire.

L’urine, surtout celle de certains quadrupèdes, tache en jaune pâle presque toutes les couleurs ; les bleus, les roses, les violets d’orseille, les couleurs obtenues par les astringens et le fer, tout prend, de la part de cette humeur animale, une teinte jaune, pâle et sale.

Dans tous ces cas, la couleur est presque détruite. L’urine récente et chaude produit seule ces effets ; et on peut, dans cet état, l’assimiler aux acides ; mais lorsqu’elle a vieilli, lorsqu’elle a fermenté, elle prend alors un caractère alkalin, et ses effets sont ceux qui appartiennent à cette classe de corps.

Les alkalis tournent au violet les rouges de Fernambouc, de cochenille, etc. ; ils jaunissent les verts sur laine, ils brunissent les jaunes, et donnent à quelques-uns une teinte orangée rougeâtre ; ils jaunissent et font passer à l’aurore les couleurs du rocou ; ils foncent tous les violets qu’on porte sur la laine et la soie ; ils jaunissent le vert qui a l’indigo pour base, de même que les couleurs faites par les astringens.

La sueur qui se corrompt sur une étoffe, produit l’effet des alkalis.

Les sucs astringens des végétaux, et la préparation, l’infusion ou décoction de quelques-uns, forment des taches sur les étoffes, qui sont très-faciles à enlever lorsqu’elles sont portées sur des tissus sans couleur, parce qu’elles rentrent alors dans la classe des sucs végétaux ordinaires ; mais ils altèrent les couleurs lorsqu’ils tombent sur certaines étoffes colorées, et c’est sous ce dernier rapport que nous les considérons ici. Ainsi, par exemple, lorsque la couleur nankin est donnée par l’immersion d’une étoffe dans une préparation de fer, les sucs astringens y produisent une teinte d’un violet verdâtre plus ou moins sale ; lorsqu’ils agissent sur des noirs, des violets, des pruneaux, des puces, des bruns, dont la base est l’oxide de fer, ils y portent encore des modifications infinies ; et, en général, ces sucs nuancent, modifient et tournent toutes les couleurs dans lesquelles on fait entrer les oxides de fer.

SECTION II.

Des Moyens propres à rétablir les couleurs altérées.

Nous avons indiqué, dans la section précédente, les changemens que produisent certains corps sur les couleurs ; il est aisé, d’après cela, de corriger la plupart de ces effets, en se servant des agens qui sont reconnus pour neutraliser ou détruire l’action des premiers.

Ainsi, les acides rétablissent les couleurs altérées par les alkalis ; mais, parmi les acides connus, ou les préparations acides, il n’en est aucun qui mérite la préférence sur la dissolution d’étain par l’acide nitro-muriatique ; dissolution qui est connue dans les arts sous le non de composition pour l’écarlate. Il faut avoir l’attention de ne pas employer cette composition trop forte, parce que, dans cet état, non-seulement elle pourroit altérer l’étoffe, mais elle donne une teinte orange à l’écarlate.

L’impression désagréable que produit la sueur qui imprègne les vêtemens sous les aisselles et ailleurs, disparoît par l’application de ce sel acide : il suffit, par exemple, d’en imprégner l’étoffe, pour rétablir instantanément la nuance primitive de l’écarlate.

L’effet des acides foibles, tels que ceux que fournissent quelques fruits et le vinaigre, peut être combattu avec avantage par les alkalis : l’on se sert de préférence de l’ammoniaque (alkali volatil). Il suffit d’imbiber l’étoffe de cette substance pour rétablir la couleur primitive. Cet alkali a l’avantage, sur les alkalis fixes, de ne pas altérer l’étoffe, et de produire un effet plus prompt.

SECTION III.

Des Moyens propres à rétablir les couleurs détruites.

Nous voici parvenus à la partie la plus difficile et la moins connue de l’Art du Dégraisseur.

Il s’agit de trouver les moyens de rétablir une couleur détruite, ce qui suppose une connoissance assez profonde de l’art de la teinture, puisqu’il faut pouvoir imiter sur toutes sortes d’étoffes tous les genres et toutes les nuances des couleurs.

Cette partie de l’Art du Teinturier-Dégraisseur n’est guère pratiquée ; et, dans l’impossibilité de faire revivre avec tout son éclat, ou de rétablir dans toute sa pureté une nuance primitive affoiblie ou altérée, on se borne à peigner rudement l’étoffe avec le chardon à foulon, la carde ou la brosse, pour en tirer le poil caché dans le tissu, et en recouvrir la surface.

Nous tâcherons de suppléer à ce qui nous manque de connoissances pratiques dans cette partie, par l’application des principes de teinture les plus simples, et des procédés les moins compliqués.

Comme dans l’Art du Teinturier-Dégraisseur il ne s’agit point de porter une nouvelle couche de teinture sur toute une étoffe, mais d’appliquer sur un point déterminé une nuance assortie à la couleur qui n’a pas été altérée, il n’est pas aisé d’atteindre son but ; car pour y parvenir, l’artiste doit avoir des connoissances de détail qui sont très-souvent étrangères aux plus habiles teinturiers.

D’un autre côté, comme très-souvent ce mordant a disparu avec la couleur, il devient nécessaire de le rétablir pour ne pas opérer un vrai barbouillage ; et telle peut être la nature de ce mordant, qu’il soit impossible d’en imprégner quelques points isolés ; dès ce moment, on ne peut que masquer une tache par l’application d’une couche de couleur plus ou moins durable.

Quoique les procédés de teinture, pour les étoffes de différente nature, se rapprochent sous plusieurs rapports et se lient à des principes généraux, il n’en est pas moins vrai qu’il y a des différences notables, tant dans les méthodes d’application que dans les principes colorans qui sont employés.

Ces différences sont surtout très-remarquables entre les étoffes végétales et les étoffes animales.

La nature des premières permet de les préparer par les alkalis, d’en aviver les couleurs par des lessives très-fortes, etc., tandis que de pareils agens dissoudroient le tissus des étoffes animales.

D’un autre côté, les principes colorans qui ont de l’affinité avec la laine ou la soie, n’en ont pas toujours avec le fil ou le coton : la cochenille et le kermès nous en fournissent un exemple. Aussi les couleurs s’altèrent-elles avec plus ou moins de facilité selon la nature de l’étoffe sur laquelle elles sont portées, ce qui fait varier les moyens de les y rétablir.

Nous voyons encore de très-grandes différences dans la manière dont les couleurs de même nature se fixent sur les étoffes : tous les bleus sur laine, depuis le plus foncé jusqu’au plus clair, s’obtiennent par le seul indigo qu’on dissout par les alkalis ou les acides, tandis que, pour former le bleu le plus plein sur la soie, on est obligé de donner à l’étoffe un pied d’orseille avant de la passer à la cuve, et un pied de cochenille lorsqu’on veut obtenir un bleu fin. On donne encore à la soie un beau bleu, dit de roi, en lisant les soies sur un bain de vert-de-gris et les passant ensuite dans un bain de bois d’Inde ; on le rend solide par le moyen de l’orseille qu’on lui donne à chaud, et en terminant l’opération par un bleu de cuve.

Il est aisé de voir, d’après cela, que les bleus doivent être plus altérables sur la soie que sur la laine et les autres étoffes ; que les acides qui agissent sensiblement sur toutes les substances qui, dans le bleu sur soie, servent de pied à l’indigo, doivent porter une impression marquée sur celui-ci et ne pas altérer les autres.

On peut tirer une autre conséquence de ces faits : c’est que, pour rétablir la couleur bleue dégradée sur la soie, il faut recourir aux matières mêmes qui seules donnent assez de plénitude à l’indigo pour fournir des bleus foncés, tandis qu’il suffit d’une simple dissolution d’indigo pour régénérer le bleu de la laine et du coton. La dissolution d’une partie d’indigo dans quatre parties d’acide sulfurique, étendu d’une quantité convenable d’eau pour lui donner la teinte nécessaire, peut être employée avec succès pour réparer une couleur bleue altérée sur la laine ou le coton.

Les rouges nous présentent de semblables différences ; la cochenille, traitée par les mordans de crême de tartre et de dissolution d’étain, fournit un cramoisi fin à la soie, une superbe écarlate à la laine, et une couleur de chair très-pâle au coton. Si l’on supprime la crème de tartre et qu’on la remplace par l’alun dans le bain de préparation, la laine sortira cramoisie. Une dissolution très-foible d’alkali suffit encore pour tourner l’écarlate en cramoisi.

Comme le ponceau sur soie résulte de l’application d’un pied de rocou et de rouge de carthame, il pâlit par les alkalis et s’avive par les acides.

Les nacaras, les roses, les cerises, les couleurs de chair, généralement obtenus par le bain de carthame, se détruisent par les alkalis et reparoissent par les acides.

La soie alunée, passée dans la décoction du bois du Brésil, prend un cramoisi faux qu’on rose par la dissolution des cendres gravelées. Si, après lui avoir donné un pied de rocou, on l’alune et qu’on la teigne au bain de Brésil, il en résulte un ponceau faux.

On teint pareillement toutes les espèces d’étoffes en rouge par le moyen de la garance ; mais cette couleur est plus solide sur le coton : le mordant qui l’y fixe est différent de celui qui la retient sur la laine.

Quelles que soient les nuances que prennent les mêmes principes colorans rouges qu’on porte sur les diverses étoffes, on peut établir quelques procédés invariables, pour les rétablir ou les réparer lorsque les nuances sont détruites ou altérées.

Ainsi, lorsque l’écarlate a souffert et est altérée, il suffit pour la raviver, d’une dissolution d’étain et de cochenille.

Le bois de Brésil et l’alun font reparoître le cramoisi.

L’orseille qu’on peut foncer par les alkalis, roser par les acides, et nuancer de mille manières en la mêlant avec le Brésil, le campêche et le fustet, fournit toutes les teintes qu’on peut désirer.

Les mêmes matières teintoriales servent à donner la couleur jaune à toutes les étoffes : la gaude fournit un jaune franc et solide, aussi la préfère-t-on pour la soie.

Le bois jaune ne produit qu’une couleur sombre quand on l’employe sans mordant.

Le rocou fournit un jaune rougeâtre ; chacune de ces matières teintoriales reçoit des altérations différentes de la part des mêmes agens ; ce qui exige des réactifs appropriés à chaque sorte de principes colorans et l’emploi d’une couleur identique lorsque le corps de couleur primitive a disparu.

Le noir ne nous présente pas une grande différence, ni dans sa composition, ni dans ses effets sur les diverses étoffes : la base en est toujours un principe astringent, un oxide de fer et le campêche ; et on peut se borner à cette simple composition pour former des nuances capables de rétablir la couleur dégradée sur une étoffe.

Quant aux couleurs composées dont les élémens ne sont pas tous d’une égale solidité, et que leur différente nature rend plus ou moins impressionnables aux divers agens, il s’ensuit que, par la dégradation insensible d’une des couleurs composantes, on voit insensiblement prédominer celle qui est la plus fixe : c’est ainsi qu’assez généralement, dans les couleurs vertes, le bleu survit au jaune, surtout lorsque le premier est fait à la cuve. On rétablit aisément la couleur composée en reportant sur l’étoffe le principe colorant qui a disparu.

Toutes les couleurs auxquelles on a été forcé de donner un pied, à l’aide d’une matière étrangère, peuvent être considérées comme des couleurs composées. C’est ainsi que l’orseille et la cochenille qu’on porte sur la soie pour produire le bleu plein ou le bleu fin, le rocou qui fait la base du ponceau, se dégradent aisément, et alors la couleur primitive en est altérée, nuancée, etc.

Les violets fins sur soie s’obtiennent par la cochenille et la soude.

Les violets faux sont produits par l’orseille et le campêche. Le violet sur coton se donne par deux procédés bien différens l’un consiste à passer à la cuve d’indigo le coton garancé ; l’autre à porter la garance sur l’oxide de fer déposé sur le coton. Il suffit de jeter un coup-d’œil sur ces compositions, pour rester convaincu que chaque réactif doit agir différemment sur chacune d’elles, et que, pour les rétablir, il faut imiter la composition primitive.

Tous les gris-bruns, les puces, les pruneaux, et généralement toutes les nuances sombres qui forment aujourd’hui la presque totalité de nos couleurs d’usage sur les étoffes de laine, sont des mélanges, à diverses proportions, de bleu, de jaune ou de rouge avec le noir : l’urine les tache en jaune, les acides en rouge, et il suffit presque toujours d’employer des lessives alkalines pour rétablir la couleur ainsi altérée ; mais lorsqu’elles ne produisent pas l’effet désirable, on y porte de la décoction de noix de galle, ou un peu de dissolution de fer, selon le besoin.

Il est un genre de couleurs mêlées ou chinées, qu’il est presque impossible de rétablir, parce qu’il faudroit refaire le dessin. Mais heureusement que les taches sont moins sensibles sur ces bigarrures que sur des couleurs unies, et l’art peut se dispenser de s’en occuper.

FIN.
  1. On peut consulter dans ma Chimie appliquée aux Arts, vol. III, pag. 29 et suiv., tout ce qui regarde la fabrication de l’acide sulfureux et ses usages.
  2. Voyez ma Chimie appliquée aux Arts, pour la fabrication et l’usage de l’acide muriatique oxigéné, vol. III, p. 94 et suiv.
  3. Voyez vol. IV, pages 193 et suiv. de la Chimie appliquée aux Arts.
  4. On peut voir de plus grands détails sur l’acide oxalique et le sel d’oseille dans ma Chimie appliquée aux Arts, tome III, page 280 et suiv., et tome. IV, page 242 et suiv.
  5. Voyez Annales de Chimie, tome 1, page 69.